mise sur site le 19-12-2003
-Souverains et présidents visitent l'Algérie

En 119 ans, l'Algérie reçut cinq fois la visite officielle du chef de l'Etat. Si Charles X n'eut guère le temps de visiter cette nouvelle colonie, ses fils, en revanche, firent de nombreux séjours dans le pays, et son cadet, le duc d'Aumale, exerçait les fonctions de gouverneur général lorsqu'éclata la révolution de 1848.
revue du gamt, n° 83 - 3` trimestre 2003 - Généalogie Algérie Maroc Tunisie adhérez !.

26 Ko
retour
 

-------En 119 ans, l'Algérie reçut cinq fois la visite officielle du chef de l'Etat. Si Charles X n'eut guère le temps de visiter cette nouvelle colonie, ses fils, en revanche, firent de nombreux séjours dans le pays, et son cadet, le duc d'Aumale, exerçait les fonctions de gouverneur général lorsqu'éclata la révolution de 1848.
-------Napoléon III y vint à deux reprises, la première fois en 1860, accompagné de l'impératrice Eugénie, très attendue par la colonie espagnole qui fêtait dans Eugénie de Montijo l'impératrice et la compatriote ! Elle avait élevé un arc de triomphe en son honneur, rue Bab-el-Oued.
-------D'autres arcs furent également dressés à travers la ville : celui des israélites devant l'opéra, et celui des musulmans devant la mosquée de la pêcherie.
-------Arrivés le 22 août 1860, sur le yacht impérial "L'Aigle", qu'escortaient les vaisseaux de haut bord "Gloire", "Eylau" et "Reine Hortense", l'empereur et l'impératrice furent reçus par Chasseloup-Laubat, ministre de l'Algérie, et Sarlande, maire d'Alger, qui leur remit les clefs de la cité. C'étaient d'ailleurs de fausses clefs, fabriquées pour la circonstance, les véritables ayant disparu en 1830...
-------Par le futur boulevard de l'Impératrice, le cortège gagna la place Bresson, où une mer de burnous rouges et d'étendards multicolores s'avança vers les souverains, dans un déchaînement de raïta et de teubels, cheikhs, caïds, aghas, montés sur leurs plus beaux chevaux, aux harnais brodés d'or, saluèrent l'empereur.
-------Parmi les innombrables cérémonies que Napoléon III devait présider, citons la fantasia à laquelle il assista aux côtés du bey de Tunis, qui était venu le saluer à Alger. Rassemblant plus de 8 000 exécutants, cette fête fut suivie d'une dia gargantuesque où l'on ne servit pas moins de 800 plats de couscous et 500 moutons rôtis.
L'imagination rêveuse de l'empereur avait été frappée par ces scènes pittoresques. Ce timide apprécia d'autant plus le noble maintien des dignitaires musulmans qu'un regrettable incident devait, le lendemain, le pousser à des comparaisons désagréables.
-------Lors du dîner donné au palais d'Eté, dîner qui réunissait officiers généraux et hauts fonctionnaires, une vive discussion mit aux prises les deux clans, chacun prétendant à la gestion exclusive des affaires algériennes.
-------La bonne chère aidant, le ton monta à un tel point que l'empereur, surpris et mécontent, se vit obligé d'imposer silence.
-------Sur ces entrefaites, la mort subite de la sœur de l'impératrice contraignit les souverains à regagner la France. Napoléon III quitta la colonie, les yeux éblouis du mirage oriental, tandis que les "criailleries" des "bataillons de fonctionnaires" bourdonnaient encore à ses oreilles.
-------Il est certain que ce premier contact, entre une Algérie échappée des "Mille et une Nuits" et l'empereur, ne fut pas étranger à la politique du "Royaume arabe" qu'il devait prôner peu après.
-------Mais cette conception, non plus que celle qui avait présidé à la création du ministère de l'Algérie, ne devait satisfaire l'opinion algérienne.
-------Aussi, l'annonce de son second séjour fut-elle interprétée par certains comme l'indice d'une nouvelle orientation.
-------L'empereur débarqua, seul cette fois, le 3 mai 1865, à Alger. Pendant un mois, il devait visiter les exploitations agricoles, inaugurer des expositions, parcourir la Mitidja, le Chéliff, l'Oranie, le Constantinois ; en bref, serrer d'un peu plus près les réalités algériennes.
-------La couleur locale, intentionnellement atténuée, cette fois, lors des cérémonies, se réfugia... dans les cuisines. On verra, plus loin, à titre de curiosité, le menu d'un repas donné au palais d'Eté. Il n'y manquait qu'un beefsteak du lion de Tartarin !...

-------Sur le plan politique, les espoirs mis en la venue de l'empereur furent rapidement déçus ; et ce n'est pas le fait d'avoir signé à Alger le décret élevant le chancelier Bismarck au rang de grand officier de la Légion d'honneur - sans doute pour services "exceptionnels" - qui put ajouter grand chose à l'utilité de ce second et dernier voyage.

Potage
Tortue du Boudouaou
Relevés
Porc-épic aux rognons d'antilope
Quartier de gazelle d'Ouargla
Filet de marcassin de l'oued Allouf
Entrées
Salmis de poules de Carthage
Côtelettes d'antilope.
Pains d'outardes des chotts
Rôtis
Autruches de l'Oglat Nadja
Jambon de sanglier
Entremets
Goyaves du Hamma
Oeufs d'autruche à la coque
Gelée de grenades de Staouéli
Pâtisseries arabes.


-------Il fallut, comme nous l'avons dit, attendre 38 ans avant que son successeur dans la liste des chefs de l'Etat ne vienne en Algérie.
-------Emile Loubet fut le premier des présidents de la République qui franchît, dans ce but, la Méditerranée.
Son voyage revêtait également une certaine signification extra-protocolaire. C'était l'abandon consacré de la politique dite "des rattachements" et l'approbation officielle donnée à l'oeuvre nouvelle entreprise par les délégations financières.
-------Mais, au dernier moment, alors que le président allait quitter Paris, un grave incident vint jeter la confusion dans les sphères gouvernementales : la démission subite du gouverneur général Revoil. Ce dernier, qui était venu à Paris mettre la dernière main aux préparatifs du voyage présidentiel, entra violemment en conflit, pour des raisons politiques et personnelles à la fois, avec le président du Conseil, Emile Combes. Il donna sur le champ sa démission que l'on accepta.
-------L'Algérie entière fut plongée dans la stupéfaction. A la hâte, le secrétaire du Gouvernement général, Varnier, fut prié d'assurer l'intérim, afin qu'à son arrivée, le président Loubet trouvât au moins quelqu'un pour l'accueillir.
-------Le 15 avril, par un temps incertain, entra dans la baie d'Alger une puissante escadre, forte de 12 vaisseaux de ligne et de 5 contre-torpilleurs. Afin de rehausser l'éclat du voyage et témoigner de nos bons rapports, les nations amies avaient délégué à Alger quelques bâtiments de guerre.
-------"L'Empereur Nicolas", "l'Amiral Nakimov", le "Bayan", le "Kirby" représentaient la Russie ; le "Magnificent" le "Mars" le "Jupiter" l'Angleterre ; le "Sicilia", le "Garibaldi", le "Varèse", l'Italie ; le "Pelayo", l'Espagne. Le croiseur portugais "Don Carlos" devait arriver le lendemain.
-------Pour se rendre à terre, le président Loubet emprunta un canot arborant son pavillon personnel, fait de soie et brodé de ses initiales.
-------La ville offrait un spectacle magnifique. Comme en 1860, la population avait participé intimement à la décoration générale : la garniture des balcons avait donné lieu à un concours.
-------Cependant, les réceptions officielles débutèrent dans la gêne. Bertrand, président des délégations financières, Altairac, maire d'Alger, ne purent s'empêcher d'évoquer le souvenir de l'exgouverneur. Mais le président Loubet, tant par sa finesse naturelle que par le vif sentiment qu'il avait de sa mission, dissipa rapidement le malaise.
-

 

------Fêtes de nuit, fêtes nautiques, banquets, inaugurations se succédèrent sans interruption, de l'Algérois à l'Oranie, de l'Oranie au Constantinois. Et Loubet, qui n'était plus un jeune homme - il était né en 1838 - déjà fatigué par une pénible traversée, vivait dans la crainte de ne pouvoir terminer son périple.
-------Recevant à Saïda les journalistes, il leur confiait : "Enfin, voici terminée la moitié du voyage ! Et tout le monde est en bonne santé... Vous riez... Hé ! C'est que j'ai 65 ans !"
-------Parmi les menus incidents qui marquèrent son passage, citons l'émeute enfantine de Boufarik. Au dernier moment, des trombes d'eau s'étant abattues sur la ville, on avait dû faire rentrer les écoliers dans leurs classes. Mais les gamins, voulant, malgré tout, "voir le président", enfoncèrent, dit-on, les portes et se répandirent dans la ville où ils ne furent pas les derniers à crier "Vive Loubet", avec cette familiarité qui caractérise le jeune âge et les foules.
-------Rompant avec l'habitude, le président Millerand, qui nous rendit visite en avril 1922, aborda l'Algérie par la frontière marocaine.
-------Tlemcen et Bel-Abbès furent les premières étapes de sa randonnée algérienne. Oran réserva au président un accueil mémorable. Précédée d'un escadron de caïds et d'aghas, vêtus de leur tenue d'apparat, escortée de chasseurs d'Afrique, l'automobile présidentielle gagna la préfecture sous les acclamations.
-------L'inauguration du môle Millerand, au port d'Oran, devait fournir aux journalistes une amusante anecdote. -------Après avoir signé le procès-verbal rituel, le président, sous les yeux d'une assistance attentive, tendit la plume à Léon Bérard qui l'accompagnait. Or, celui-ci, terminant son paraphe, fit sur la page un énorme pâté.
-------Alors, dans le silence gêné des spectateurs, on entendit Millerand murmurer: "Et dire, Monsieur le Ministre, qu'on vous a mis à l'Instruction publique !"
-------Après avoir reçu des notables musulmans de la région le traditionnel cheval de "gada" ; le président reprit le train pour Perrégaux où la Cie des Chemins de fer algériens lui offrit un banquet. Remontant la vallée du Chétiff, le wagon présidentiel traversa les gares fleuries où s'était massée la population des environs, s'arrêta à Affreville, puis à Blida. Une regrettable querelle de protocole priva, cette fois, Boufarik de la visite du chef de l'Etat. Finalement, après un arrêt à Maison-Carrée, le président arriva à Alger.
-------Les quelques gouttes de pluie qui avaient accueilli le président Loubet dans cette dernière ville lui avaient valu l'épithète symbolique de président "aux éperons verts". Millerand lui ravit sans peine ce titre grâce aux larges ondées qui ponctuèrent son séjour. D'opportunes éclaircies permirent cependant aux cérémonies prévues de se dérouler normalement. Et, même, pendant que le président, escorté du gouverneur général Steeg, visitait l'Exposition, Mme Millerand put présider une ravissante "bataille de fleurs" où toutes les élégances algéroises s'étaient donné rendez-vous. Après la traditionnelle fantasia des dunes d'Hussein-Dey et la non moins traditionnelle revue navale, le cortège officiel, quittant Alger, traversa, en voiture cette fois, la Kabylie par Tizi-Ouzou, Fort-National, Azazga. Près de cette dernière localité, les gardes forestiers avaient dressé en travers de la route un arc de triomphe peu banal. Tendu par deux poteaux ornés de feuillages champêtres, un solide câble, que masquaient guirlandes et drapeaux, supportait trente six sangliers abattus la veille.
-------Bougie, par l'importance du discours que M. Millerand y prononça, marqua un arrêt important. Tour à tour, Sétif, Batna, Timgad, Biskra, eurent l'honneur d'accueillir le président. Dans cette dernière localité, l'hospitalité fastueuse du bachagha Bouazziz ben Gana s'accompagna de fantasias endiablées et de danses très couleur locale.
-------Si le président Millerand supportait bien, sous son casque colonial, les premières chaleurs du printemps du Sud, il n'en était pas de même de certains ministres de sa suite. M. Chéron, en particulier, sembla maintes fois regretter les frais brouillards de sa Normandie natale. Aussi n'est-ce pas sans admiration sincère qu'il félicita le lieutenant Brunet qui, à la tête d'un goum de Touareg, avait traversé le Sahara par cette température, pour apporter au président de la République l'hommage des populations du Hoggar.
-------Constantine, Philippeville, Bône terminèrent ce voyage rapide, propre cependant à donner une image assez exacte de l'Algérie sous ses divers aspects.
La lecture des articles télégraphiés à leurs journaux par les reporters parisiens du cortège montre d'ailleurs que ce but était loin d'être atteint. Une "perle" parmi tant d'autres, mit en joie nos amis kabyles : Tizi-Ouzou, la cité du "Col des Genêts" se vit un jour transportée sur le littoral et promue au rang de 'port d'attache de la grande Kabylie".

-------La métropole, à l'inverse, recevait beaucoup d'hôtes importants : rois, princes, chefs de tribu, etc. des différentes régions de l'empire. Ici, l 'aménokal Moussa Ag Amastane arrive à Paris en 1906.
-------En 1930, l'Algérie accueillit le président Doumergue, pour les fêtes du centenaire.
-------Le voyage se déroula dans une atmosphère d'euphorie que l'éternel sourire présidentiel concrétisait à merveille.
-------Parmi toutes les cérémonies auxquelles M. Doumergue présida, nous nous bornerons à rappeler les principales : à Alger, la fête saharienne du Caroubier
qui, ressuscitant des fastes lointains, fut agrémentée de la présence d'une délégation targuie conduite par l'aménokal Ag Hamouk. Ce dernier devait se tailler d'ailleurs un beau succès personnel au cours des diverses réceptions qui suivirent.
-------Après les princes du désert, ce fut aux colons d'être à l' honneur et l'on inaugura le monument de Boufarik. Sur le trajet qui devait mener M. Doumergue à Constantine, de nombreux arrêts permirent aux populations du bled d'acclamer le chef de l'Etat. Constantine assista à l'inauguration de son monument aux Morts. Gagnant Bône, le président posa la première pierre de la nouvelle gare de la ville. "Cette pierre est modeste, dit-il, en souriant, mais elle grandira ".
-------De retour à Alger, ce fut la grande revue navale qui réunit 66 bâtiments.
-------Trois cuirassés : Provence, Paris, Bretagne, ouvraient la marche, suivis du porte-avions Béarn. Puis les croiseurs, les contre-torpilleurs, les avisos défilèrent devant le Duquesne où se tenait le président, tandis que les escadrilles du Béarn tournoyaient dans le ciel.
-------Après cet intermède naval, le cortège gagna l'Oranie. A Oran, un banquet de 700 couverts réunit à la Foire exposition toutes les notabilités oranaises.
-------Plusieurs d'entre elles devaient évoquer devant leur hôte d'honneur l'époque lointaine où le jeune Gaston Doumergue, juge de paix d'Aïn-et-Arba, débutait dans la carrière administrative.

-------... Dix-neuf ans plus tard, ce fut le président Auriol qui franchit la passe d'Alger..

Transmis par Madiana Delay-Lastrajoli

Source
Boyer Pierre, archiviste en chef du département d'Alger, revue L'Algeria, 1949.