Le blocus maritime de la Régence
d'Alger
(1827-1830)
par Gaston PALISSER
Une tâche ingrate et périlleuse pour la Marine
française DEPUIS plus de trois siècles, Alger, sous ia suzeraineté
plus nominale que réelle de Constantinople ( Cette
suzeraineté, Constantinople ne l'assumait que très vaguement
et sous certaines conditions. La Porte ignorait même, officiellement,
le titre de dey ". De Bourmont caractérisera ainsi les droits
de la Turquie sur la Régence d'Alger :
"Avant d'entreprendre la conquête d'Alger, le gouvernement
chargea le général Guilleminot de demander à la Porte
d'employer son autorité sur le dey pour punir l'offense qu'il avait
faite au roi en la personne de son consul. La Porte répondit que
depuis longtemps elle n'avait aucun moyen d'obtenir du dey le redressement
des griefs dont se plaignait la France. Cette déclaration était
de nature à faire penser que la Porte considérait le dey
comme indépendant de fait et qu'elle ne conservait plus dans son
Etat qu'une suprématie nominale..."), était
devenue un nid de pirates qui mettaient la Méditerranée
en coupe réglée. Tous les bâtiments de commerce chrétiens
se trouvaient exposés à leurs déprédations
et à leurs insultes, dans tout le bassin méditerranéen.
Dans l'Europe entière, l'exaspération était très
vive à l'encontre de ces Corsaires dont l'insolence et l'agressivité
ne connaissaient pas de bornes.
Le gouvernement français quant à lui était depuis
de longues années en négociations orageuses avec la Régence
pour une sombre affaire de blé livré au Directoire par les
négociants algérois Bacri et Busnach, différend qui
n'avait jamais pu être réglé. De plus, avant d'acquitter
sa dette, le gouvernement français exigeait des garanties contre
le renouvellement des actes de piraterie.
C'est ainsi que le 30 avril 1827, à l'issue d'une audience publique
donnée à la Casbah et à laquelle assistait le consul
Deval, le dey Hussein souffleta le représentant de la France du
chasse-mouches en plumes de paon qu'il tenait à la main.
Cette péripétie, succédant à de nombreux incidents
et le dey se refusant à toute excuse, mit un terme à l'attitude
conciliante jusque-là obervée par le gouvernement français
dans ses rapports difficiles avec le despote turc. Le blocus des côtes
de la Régence fut décidé et, dès le 16 juin
suivant, une division navale, d'abord composée de quatre frégates
et de dix-huit bâtiments plus légers, commandée par
le capitaine de vaisseau Collet, croisait devant les ports barbaresques,
interdisant la sortie des navires corsaires ou simplement marchands.
Commença alors, pour cette force navale, une tâche ingrate
et monotone, très peu active et encore moins glorieuse, qui allait
durer jusqu'au 13 juin 1830, soit trois longues années et se révélerait
dangereuse.
***
Cette action maritime gênait considérablement
les corsaires dans leurs opérations de piraterie en mer.
Au début, pourtant, les Barbaresques surent fréquemment
déjouer la surveillance des marins français en utilisant
des felouques, petits bâtiments étroits et longs dont le
faible tirant d'eau permettait la navigation en des points côtiers
dangereux pour tout navire d'un tonnage supérieur. De plus, leurs
sorties se trouvaient souvent favorisées par la brise de terre
qui, se levant le matin, repoussait au large les navires du blocus. En
revanche, pour les Turcs, le moment le plus critique était celui
du retour au port, le soir, alors que les vents du large ramenaient poursuivis
et poursuivants vers la côte. Les canons français eurent
ainsi l'occasion de détruire plusieurs de ces felouques malgré
leur rapidité de mouvements.
Dans un premier temps et en dépit de la surveillance dont ils étaient
l'objet, les corsaires effectuèrent un certain nombre de prises.
Fin août de la même année, ce fut la capture, sur les
côtes d'Espagne, d'un brick de commerce marseillaisfArlequin, puis
le 3 septembre, celle du Macchabée, navire isolé par la
tempête du convoi auquel il était agrégé. Attaqué
par une felouque, peu armé lui-même, il ne put résister
longtemps et capitula. Conduit sous bonne garde vers Oran, le Macchabée,eut
la chance de tomber, dès le lendemain, sur le brick de guerre français
le Cuirassier, dont quelques volées de coups de canon mirent les
pirates en fuite. Leur proie fut ainsi récupérée
avec toute sa cargaison, les survivants de son équipage et capturés
les neuf corsaires formant l'escorte de prise.
Les 14 et 16 septembre, trois navires de guerre français coulaient
plusieurs bâtiments barbaresques imprudemment sortis du port d'Alger.
L'attaque se déroula tout près du rivage dont les batteries
noyaient les assaillants sous un déluge de boulets. Les Français
s'en tirèrent sans dommage.
Enfin, le dey, lassé et irrité par le blocus de ses côtes,
ordonna une sortie en force à sa flotte de guerre.
Et dans la nuit du 3 au 4 octobre, onze navires : une grande frégate,
quatre corvettes, six bricks ou chebecs, battant tous pavillons anglais,
une ruse qui sera vite éventée, lèvent l'ancre par
un splendide clair de lune. Donnant par le nombre une impression de force
redoutable, l'escadre prend la direction de l'ouest, longeant la côte
au plus près afin de rester le plus longtemps possible sous la
protection des batteries du rivage. A la pointe du jour, le commandant
Collet repère la formation. Bien qu'étant en état
d'infériorité, ne disposant alors que de cinq bâtiments,
le marin, après réflexion, décide d'attaquer l'escadre
turque, malgré le rapport de forces désavantageux pour lui.
Les navires français courent alors sur l'ennemi qui manoeuvre aussitôt,
tentant de gagner le vent, avantage dont les Français bénéficient
déjà. Refusant d'abord le combat, les Turcs louvoient longuement.
A ce moment-là, le vent est fort, la houle porte à terre:
Vers midi, ce 4 octobre 1827, le combat s'engage, finalement.
La lutte sera vive.
Trois bâtiments barbaresques attaquent l'Amphitrite, la frégate
que monte le commandant Collet ; les quatre autres bâtiments de
la division de blocus sont assaillis chacun par deux ennemis. Pourtant,
les Turcs reculent par deux fois, faisant vent-arrière et, après
deux heures et demie d'affrontement, ils abandonnent le combat, se jetant
sous la protection des bâtteries côtières.
La nuit venue, ils rentrent au port, vaincus, plusieurs de leurs unités
sérieusement endommagées. Côté français,
un seul bâtiment a beaucoup souffert.
Après ce combat, le dey dont la flotte se trouvait hors d'état
de ressortir avant plusieurs mois, se résigna à subir ce
blocus qui étranglait son singulier commerce, mettant son seul
espoir dans le temps qui s'écoulait et dans l'instabilité
de la mer sur ses côtes pour lasser la patience des Français.
***
Mais les marins français continuent de veiller
au grain et ne se découragent pas.
L'année suivante, le 14 mai 1848, les commandants des bricks l'Alerte
et l'Adonis, en mission devant Oran, apprennent que le brick de commerce
marseillais l'Arlequin, capturé l'automne précédent
par les Barbaresques, se trouve détenu dans ce port. Les deux officiers
décident alors d'aller enlever leur capture aux pirates ou de la
brûler si l'opération se révélait impossible.
Chacun des navires enverra cinquante hommes avec une chaloupe et un grand
canot. Afin de tromper la méfiance de l'ennemi, on court bordée
sur bordée durant quelques jours devant Oran et, le 22 mai, à
1 heure du matin, l'expédition s'approche silencieusement du port,
les avirons étant garnis d'étoupe. La mer est très
calme. On court tout près du rivage en sondant sans cesse, dans
un mutisme total. La nuit n'est pas tout à fait obscure, les étoiles
dispensent une petite lueur et l'on aperçoit bientôt les
silhouettes de deux bâtiments ancrés côte à
côte. Il faut s'approcher à les toucher pour reconnaître
l'Arlequin. A bord, une lumière brille, on entend des voix. La
garde de prise veille, car c'est le
Ramadhan. Quelle surprise, quelle frayeur aussi pour ces hommes, lorsque
surgissent brusquement devant eux les matelots qui ont grimpé à
bord sans le moindre bruit !
Ils peuvent tous s'enfuir néanmoins et sauter à terre en
poussant des cris d'alarme. Des coups de feu retentissent, tirés
au hasard. Mais les amarres de l'Arlequin ont été coupées
à la hache et le bâtiment, pris en remorque, s'ébranle
déjà vers le large, tiré par l'effort de tous les
avirons souquant avec vigueur. Dans la nuit, les canons des forts de Mers-elKébir,
de Santa Cruz et toutes les batteries côtières s'éveillant
l'une après l'autre, se mettent à tonner à tout hasard.
Beaucoup de bruit pour rien ! Les nouveaux corsaires - à pirate,
pirate et demi ! - s'éloignent lentement, posément, sans
que l'on ait encore songé à envoyer derrière eux
la moindre embarcation armée.
La surprise a été totale. La confusion, à terre,
complète.
C'est sans la moindre perte que l'expédition regagnera le bord,
fêtée par les deux équipages et ramenant avec elle
sa prise qui arbore à nouveau le pavillon français à
son mât de misaine.
Un coup de main qui s'est révélé un coup de maître.
***
Le 20 octobre 1828, le contre-amiral Collet décède
à Toulon. Le capitaine de vaisseau de la Bretonnière lui
succède alors au commandement de la division navale devant Alger.
Le 25 octobre, le nouveau pacha, épaulé par quelques bâtiments,
donne la chasse à quatre navires barbaresques qui s'étaient
d'abord abrités dans la baie de Sidi-Ferruch. A la vue des Français,
les Turcs, deux bricks et deux " chebecs " prennent la fuite.
Rejoints aux approches du cap Caxine, ils sont canonnés vigoureusement,
malgré les tirs de protection de deux forts installés sur
le rivage. Un brick et un " chebec sont coulés, leurs équipages
rejoignent la terre à la nage. Les deux autres bâtiments,
jugeant qu'ils ne pourront échapper à l'ennemi, s'échouent
volontairement. Des hommes armés accourent sur le rivage pour leur
prêter main-forte. Quelques coups de canon les dispersent comme
volées de moineaux. Puis les Français mettent à la
mer plusieurs canots qui vont accoster les bâtiments échoués,
les incendient à l'aide de chemises soufrées et tout le
monde revient à bord, sans perte, toujours sous le feu inopérant
des batteries turques dont les tobjis " sont incapables de corriger
leur tir.
***
Mais les choses n'allaient pas toujours aussi bien pour
la marine française, au cours de ces opérations. La mer,
notamment, instable et dangereuse en ces parages, parfois bien plus redoutable
que l'ennemi lui-même, exposait les bâtiments de la division
à des situations dramatiques.
Cette instabilité des éléments sera, le 17 juin 1829,
la cause déterminante d'un drame sanglant.
Ce jour-là, une felouque barbaresque est signalée, sortant
du port d'Alger, faisant voile vers l'est et serrant la côte de
très près, malgré la brume assez dense. Aussitôt,
deux frégates, l'Iphigénie et la Duchessede-Berry, la prennent
en chasse. Rejoint à quelques milles à l'est du cap
Matifou ( A environ cinquante
kilomètres d'Alger, approximativement à la hauteur de Blad
Guitoun, la future Ménerville.),
le pirate se jette volontairement à la côte, espérant
ainsi échapper à ses poursuivants. La houle est alors très
forte. Les deux navires de guerre envoient malgré tout six chaloupes
montées par quatre-vingts marins. On voyait le rivage se couvrir
d'hommes armés, cavaliers et piétons, tandis que d'autres
groupes accouraient, dévalant les pentes.
Parvenues à courte portée de la plage, trois des chaloupes
ouvrent un feu nourri sur cette foule vociférante qui s'éparpille
en hâte de tous côtés. Pendant ce temps, les trois
autres embarcations ont abordé la felouque dont l'équipage
s'est enfui à la nage, s'en assurent, attendant le renfort des
premières pour les prendre en remorque. Hélas ! une énorme
lame a jeté sur le sable un canot de l'Iphigénie. Son équipage
tente de le remettre à flot. Impossible, l'embarcation est ensablée
et la mer démontée. Et, très vite, ces hommes doivent
cesser de lutter contre les éléments pour se retourner vers
les hordes kabyles hurlantes qui reviennent, affluant de toutes parts.
Un combat inégal s'engage alors sur la plage.
Les marins se battent avec toute l'énergie dont ils sont capables,
car ils savent qu'ils n'ont pas à espérer la moindre clémence
d'un tel ennemi. Voyant le péril couru par cet équipage,
trois canots de la Duchesse-deBerry se portent à terre aussitôt
afin de l'assister. La lame furieuse projette les trois embarcations sur
la plage. Commence alors une violente et_ sanglante lutte avec les Kabyles
qui, malgré leur supériorité numérique, ne
tardent pas à refluer en désordre. Mais lorsque l'on veut
rembarquer, impossible de déséchouer les embarcations, trop
profondément ensablées, sauf une que l'on parvient à
remettre à la mer, toujours aussi dure. Il faut alors abandonner
les trois autres, et comme l'unique chaloupe rescapée, déjà
trop chargée ne pourra contenir tout le monde, nombre de marins
prennent le parti de rejoindre à la nage les deux dernières
embarcations venues elles aussi à la rescousse.
Ils abandonnent cependant derrière eux vingt-cinq camarades volontaires
qui se sacrifient en arrière-garde pour protéger leur retraite.
Deux jeunes élèves-officiers ( Une
faute grave avait été commise en l'occasion. Les règlements
ordonnaient, dans de telles circonstances, que les embarcations soient
munies des grappins nécessaires pour crocher au fond et se haler
au large, afin de ne point dériver vers la côte. Cette précaution
fut omise qui eût, probablement, permis d'éviter le drame.)
commandent ces volontaires.
Mais déjà, s'enhardissant, les Kabyles reviennent à
la charge, hurlant des menaces et de terribles imprécations.
Les marins se défendent avec le courage du désespoir. Ils
se savent trop peu nombreux pour pouvoir résister longtemps. Et
en effet, la masse hurlante les submerge très vite. Sous les coups
de hache et de yatagan frénétiques, ils succombent les uns
après les autres. Les cadavres sont aussitôt dépouillés
de leurs vêtements et de leurs chaussures, les têtes coupées
et les corps ensanglantés atrocement mutilés : coeur arraché,
pieds et mains tranchés, ventre ouvert et entrailles enroulées
autour du tronc. Quelques malheureux, encore vivants, sont ainsi décapités
et martyrisés, sans hésitation.
A ce massacre, un seul rescapé, le matelot Martin, de la Duchessede-Berry
qui, grièvement blessé à la tête et terrorisé
à la vue du sort infligé à ses camarades, a subitement
perdu la raison. Cela lui sauva la vie. Un cheikh kabyle s'interpose et
empêche sa mise à mort par les tueurs déchaînés.
Dès le lendemain, empilées dans des sacs, les vingt-quatre
têtes des infortunés marins sont triomphalement transportées
à Alger où le dey fait. compter cent piastres à chacun
de ceux qui présentent un des sanglants trophées et deux
cents piastres au chef kabyle qui a ramené le matelot mahboul En
piteux état, ce malheureux sera racheté, pour la même
somme, par le comte d'Attili, consul de Sardaigne et chargé d'Affaires
français à Alger, qui le gardera plusieurs mois dans sa
maison de campagne. Mais avant de trouver ce hâvre, le pauvre homme
aura subi un véritable calvaire. Martyrisé par tous, hommes,
femmes et enfants kabyles qui l'abreuvaient de coups et de crachats durant
sa captivité, il dut encore amuser la populace maure en arrivant
à Alger, contraint de traverser toute la ville en tenant dans chaque
main la tête ensanglantée et mutilée d'un de ses camarades
qu'on le forçait à embrasser. En même temps, par gestes
éloquents, on lui faisait comprendre qu'il subirait lui aussi le
même sort.
Dans la capitale de la Régence, des réjouissances populaires
célèbrent la "victoire" remportée sur les
Français.
Les têtes des marins ont été livrées à
la populace qui s'en amuse toute la journée, leur faisant dévaler
les ruelles de la ville à grands coups de pieds, les injuriant
et crachant sur elles. Le soir, ces misérables restes sont alors
jetés dans les fossés des remparts, près de Bab-Azoun.
Le comte d'Attili les fera retirer, le lendemain, par des janissaires
payés d'avance et les fera ensevelir dans le cimetière des
étrangers de la ville. Lorsque le consul de Sardaigne demandera
au dey de faire donner aussi sépulture aux corps décapités,
il se heurtera à un refus catégorique ( Ce
refus, le consul général de Sardaigne l'explique ainsi,
dans une lettre datée du 9 juillet 1829 et adressée au commandant
de la division de blocus :
"...Vous n'ignorez pas, sans doute, Monsieur le Commandant, que depuis
la côte de Matifou commencent les habitations des Maures et des
Kabyles les plus féroces du royaume d'Alger. Ils se refusent très
souvent à reconnaître la Régence. Dans les dits lieux,
on lit sur le devant d'une fontaine, en caractères arabes, ce qui
suit : "Bois et sauve-toi !" J'avais présenté
au dey mon désir de faire enterrer les corps, mais il me fit répondre
que cette opération devenait impossible à exécuter
puisque, eu égard à l'endroit périlleux, il n'aurait
pas pu répondre du sort des chrétiens qui auraient été
envoyés à cet effet, non plus que du sort de ses gardes
mêmes... ").
Quelques semaines plus tard, le 30 juillet 1829, le contre-amiral de Bretonnière
se présentait devant Alger, en parlementaire, porteur de nouvelles
propositions du gouvernement français susceptbiles de débloquer
cette situation conflictuelle.
A l'isssue d'une audience qui devait durer deux heures, dans une atmosphère
très tendue, Hussein reportera sa réponse aux propositions
françaises au lendemain 2 août. Entre temps, de La Bretonnière
et sa suite étaient autorisés à visiter Alger et
ses environs. Autorisation mise à profit par les Français
pour reconnaître les défenses de la ville et de ses alentours.
Dans l'intervalle, le dey avait convoqué le consul d'Angleterre
afin de lui demander son avis sur la conduite qu'il devait tenir. Le consul
Saint John lui conseilla vivement l'intransigeance ( Depuis
le début de la crise, la Grande-Bretagne demeurait ouvertement
hostile aux projets français et, en toutes circonstances, ses agents
s'efforçaient de les contrecarrer par tous les moyens.)
: "Les Français, dit-il, n'ont ni l'intention ni les moyens
de tenter une expédition efficace contre Alger. Et s'ils manifestaient
la volonté, la Grande-Bretagne s' y opposerait fermement Assurances
qui emportèrent la décision de Hussein.
Aussi, le 2 août à midi, recevant de nouveau le plénipotentiaire
français , maintint-il ses prétentions avec véhémence,
rejetant carrément toute offre de conciliation.
Devant une telle attitude, l'envoyé français, demeuré
jusque-là courtois et réservé, changea de ton et
déclara que son gouvernement n'hésiterait pas à employer
la force pour défendre ses droits et son honneur. A quoi Hussein
répliqua qu'il ne manquait ni de poudre ni de canons et enjoignit
à de La Bretonnière de se retirer immédiatement,
ajoutant : Tu es venu sous la protection d'un sauf-conduit, je te permets
de repartir sous la même garantie. "
La mer, ce jour-là, était particulièrement démontée
et il fallut près de trois heures d'efforts au canot du contre-amiral
pour regagner le bord.
Le lendemain 3 août, la mer était encore houleuse. Vers midi,
ce jour-là, le brik l'Alerte qui escortait le vaisseau-amiral appareilla
le premier, sortit du port et gagna le large sans entrave. Une heure plus
tard, le Provence levait l'ancre à son tour et, pavillon parlementaire
flottant au mât de misaine, prenait la même route. Malheureusement,
le vent contraire, assez fort à cet instant-là, le maintint
durant plus d'une heure dans la baie. C'est alors qu'à 2 heures
et demie, trois coups de canon partirent des batteries du port. Trois
coups de semonce, sans doute, mais suivis presque aussitôt d'une
canonnade serrée qui dura plus d'une demie heure. Quatre-vingts
boulets environ et quelques bombes avaient été tirés
par les Turcs. Bombardement auquel de La Bretonnière, couvert du
pavillon parlementaire, s'abstint de riposter, bien que son vaisseau ait
reçu trois boulets en plein bois, un dans la grand-vergue ainsi
que plusieurs autres dans la voilure et le gréement.
Au bruit de la canonnade, toute la ville s'était couverte de spectateurs.
Depuis le port jusqu'au sommet de la colline sur laquelle elle s'étageaient
les terrasses des maisons étaient noires de monde. Mais le vent
changeant soudain de direction, le navire français put enfin s'éloigner,
se plaçant hors de portée des forts algérois.
Les Turcs venaient de commettre un attentat délibéré
. Perpétré au mépris de toutes les conventions maritimes
internationales, il constituait une insulte flagrante envers la France.
Celle-ci se décida alors à recourir à l'intervention
armée, afin d'en finir avec une telle situation et venger l'honneur
de son pavillon.
A Paris, on remit au jour le projet d'opération militaire et maritime
contre Alger, plan élaboré dès 1827, mais jusque-là
laissé en attente dans l'espoir d'une solution négociée.
Bien que suscitant de nombreuses oppositions, au sein même du gouvernement
de Charles X, le projet fut néanmoins mis en chantier et sa réalisation
menée tambour battant.
(A suivre.)
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