Le blocus maritime de la Régence d'Alger
(1827-1830)
par Gaston PALISSER

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extraits du numéro 35 , septembre 1986 de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
mise sur site le 25-11-2009

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Par Morel Fatis : le dey observant la flotte française devant Alger.
Par Morel Fatis : le dey observant la flotte française devant Alger.

Le blocus maritime de la Régence d'Alger
(1827-1830)
par Gaston PALISSER

Une tâche ingrate et périlleuse pour la Marine française DEPUIS plus de trois siècles, Alger, sous ia suzeraineté plus nominale que réelle de Constantinople ( Cette suzeraineté, Constantinople ne l'assumait que très vaguement et sous certaines conditions. La Porte ignorait même, officiellement, le titre de dey ". De Bourmont caractérisera ainsi les droits de la Turquie sur la Régence d'Alger :
"Avant d'entreprendre la conquête d'Alger, le gouvernement chargea le général Guilleminot de demander à la Porte d'employer son autorité sur le dey pour punir l'offense qu'il avait faite au roi en la personne de son consul. La Porte répondit que depuis longtemps elle n'avait aucun moyen d'obtenir du dey le redressement des griefs dont se plaignait la France. Cette déclaration était de nature à faire penser que la Porte considérait le dey comme indépendant de fait et qu'elle ne conservait plus dans son Etat qu'une suprématie nominale..."
), était devenue un nid de pirates qui mettaient la Méditerranée en coupe réglée. Tous les bâtiments de commerce chrétiens se trouvaient exposés à leurs déprédations et à leurs insultes, dans tout le bassin méditerranéen. Dans l'Europe entière, l'exaspération était très vive à l'encontre de ces Corsaires dont l'insolence et l'agressivité ne connaissaient pas de bornes.

Le gouvernement français quant à lui était depuis de longues années en négociations orageuses avec la Régence pour une sombre affaire de blé livré au Directoire par les négociants algérois Bacri et Busnach, différend qui n'avait jamais pu être réglé. De plus, avant d'acquitter sa dette, le gouvernement français exigeait des garanties contre le renouvellement des actes de piraterie.

C'est ainsi que le 30 avril 1827, à l'issue d'une audience publique donnée à la Casbah et à laquelle assistait le consul Deval, le dey Hussein souffleta le représentant de la France du chasse-mouches en plumes de paon qu'il tenait à la main.

Cette péripétie, succédant à de nombreux incidents et le dey se refusant à toute excuse, mit un terme à l'attitude conciliante jusque-là obervée par le gouvernement français dans ses rapports difficiles avec le despote turc. Le blocus des côtes de la Régence fut décidé et, dès le 16 juin suivant, une division navale, d'abord composée de quatre frégates et de dix-huit bâtiments plus légers, commandée par le capitaine de vaisseau Collet, croisait devant les ports barbaresques, interdisant la sortie des navires corsaires ou simplement marchands.

Commença alors, pour cette force navale, une tâche ingrate et monotone, très peu active et encore moins glorieuse, qui allait durer jusqu'au 13 juin 1830, soit trois longues années et se révélerait dangereuse.

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Cette action maritime gênait considérablement les corsaires dans leurs opérations de piraterie en mer.

Au début, pourtant, les Barbaresques surent fréquemment déjouer la surveillance des marins français en utilisant des felouques, petits bâtiments étroits et longs dont le faible tirant d'eau permettait la navigation en des points côtiers dangereux pour tout navire d'un tonnage supérieur. De plus, leurs sorties se trouvaient souvent favorisées par la brise de terre qui, se levant le matin, repoussait au large les navires du blocus. En revanche, pour les Turcs, le moment le plus critique était celui du retour au port, le soir, alors que les vents du large ramenaient poursuivis et poursuivants vers la côte. Les canons français eurent ainsi l'occasion de détruire plusieurs de ces felouques malgré leur rapidité de mouvements.

Dans un premier temps et en dépit de la surveillance dont ils étaient l'objet, les corsaires effectuèrent un certain nombre de prises. Fin août de la même année, ce fut la capture, sur les côtes d'Espagne, d'un brick de commerce marseillaisfArlequin, puis le 3 septembre, celle du Macchabée, navire isolé par la tempête du convoi auquel il était agrégé. Attaqué par une felouque, peu armé lui-même, il ne put résister longtemps et capitula. Conduit sous bonne garde vers Oran, le Macchabée,eut la chance de tomber, dès le lendemain, sur le brick de guerre français le Cuirassier, dont quelques volées de coups de canon mirent les pirates en fuite. Leur proie fut ainsi récupérée avec toute sa cargaison, les survivants de son équipage et capturés les neuf corsaires formant l'escorte de prise.

Les 14 et 16 septembre, trois navires de guerre français coulaient plusieurs bâtiments barbaresques imprudemment sortis du port d'Alger. L'attaque se déroula tout près du rivage dont les batteries noyaient les assaillants sous un déluge de boulets. Les Français s'en tirèrent sans dommage.

Enfin, le dey, lassé et irrité par le blocus de ses côtes, ordonna une sortie en force à sa flotte de guerre.

Et dans la nuit du 3 au 4 octobre, onze navires : une grande frégate, quatre corvettes, six bricks ou chebecs, battant tous pavillons anglais, une ruse qui sera vite éventée, lèvent l'ancre par un splendide clair de lune. Donnant par le nombre une impression de force redoutable, l'escadre prend la direction de l'ouest, longeant la côte au plus près afin de rester le plus longtemps possible sous la protection des batteries du rivage. A la pointe du jour, le commandant Collet repère la formation. Bien qu'étant en état d'infériorité, ne disposant alors que de cinq bâtiments, le marin, après réflexion, décide d'attaquer l'escadre turque, malgré le rapport de forces désavantageux pour lui. Les navires français courent alors sur l'ennemi qui manoeuvre aussitôt, tentant de gagner le vent, avantage dont les Français bénéficient déjà. Refusant d'abord le combat, les Turcs louvoient longuement. A ce moment-là, le vent est fort, la houle porte à terre: Vers midi, ce 4 octobre 1827, le combat s'engage, finalement.

La lutte sera vive.

Trois bâtiments barbaresques attaquent l'Amphitrite, la frégate que monte le commandant Collet ; les quatre autres bâtiments de la division de blocus sont assaillis chacun par deux ennemis. Pourtant, les Turcs reculent par deux fois, faisant vent-arrière et, après deux heures et demie d'affrontement, ils abandonnent le combat, se jetant sous la protection des bâtteries côtières.

La nuit venue, ils rentrent au port, vaincus, plusieurs de leurs unités sérieusement endommagées. Côté français, un seul bâtiment a beaucoup souffert.

Après ce combat, le dey dont la flotte se trouvait hors d'état de ressortir avant plusieurs mois, se résigna à subir ce blocus qui étranglait son singulier commerce, mettant son seul espoir dans le temps qui s'écoulait et dans l'instabilité de la mer sur ses côtes pour lasser la patience des Français.

***

Mais les marins français continuent de veiller au grain et ne se découragent pas.

L'année suivante, le 14 mai 1848, les commandants des bricks l'Alerte et l'Adonis, en mission devant Oran, apprennent que le brick de commerce marseillais l'Arlequin, capturé l'automne précédent par les Barbaresques, se trouve détenu dans ce port. Les deux officiers décident alors d'aller enlever leur capture aux pirates ou de la brûler si l'opération se révélait impossible. Chacun des navires enverra cinquante hommes avec une chaloupe et un grand canot. Afin de tromper la méfiance de l'ennemi, on court bordée sur bordée durant quelques jours devant Oran et, le 22 mai, à 1 heure du matin, l'expédition s'approche silencieusement du port, les avirons étant garnis d'étoupe. La mer est très calme. On court tout près du rivage en sondant sans cesse, dans un mutisme total. La nuit n'est pas tout à fait obscure, les étoiles dispensent une petite lueur et l'on aperçoit bientôt les silhouettes de deux bâtiments ancrés côte à côte. Il faut s'approcher à les toucher pour reconnaître l'Arlequin. A bord, une lumière brille, on entend des voix. La garde de prise veille, car c'est le
Ramadhan. Quelle surprise, quelle frayeur aussi pour ces hommes, lorsque surgissent brusquement devant eux les matelots qui ont grimpé à bord sans le moindre bruit !

Ils peuvent tous s'enfuir néanmoins et sauter à terre en poussant des cris d'alarme. Des coups de feu retentissent, tirés au hasard. Mais les amarres de l'Arlequin ont été coupées à la hache et le bâtiment, pris en remorque, s'ébranle déjà vers le large, tiré par l'effort de tous les avirons souquant avec vigueur. Dans la nuit, les canons des forts de Mers-elKébir, de Santa Cruz et toutes les batteries côtières s'éveillant l'une après l'autre, se mettent à tonner à tout hasard. Beaucoup de bruit pour rien ! Les nouveaux corsaires - à pirate, pirate et demi ! - s'éloignent lentement, posément, sans que l'on ait encore songé à envoyer derrière eux la moindre embarcation armée.

La surprise a été totale. La confusion, à terre, complète.

C'est sans la moindre perte que l'expédition regagnera le bord, fêtée par les deux équipages et ramenant avec elle sa prise qui arbore à nouveau le pavillon français à son mât de misaine.

Un coup de main qui s'est révélé un coup de maître.

***

Le 20 octobre 1828, le contre-amiral Collet décède à Toulon. Le capitaine de vaisseau de la Bretonnière lui succède alors au commandement de la division navale devant Alger.

Le 25 octobre, le nouveau pacha, épaulé par quelques bâtiments, donne la chasse à quatre navires barbaresques qui s'étaient d'abord abrités dans la baie de Sidi-Ferruch. A la vue des Français, les Turcs, deux bricks et deux " chebecs " prennent la fuite. Rejoints aux approches du cap Caxine, ils sont canonnés vigoureusement, malgré les tirs de protection de deux forts installés sur le rivage. Un brick et un " chebec sont coulés, leurs équipages rejoignent la terre à la nage. Les deux autres bâtiments, jugeant qu'ils ne pourront échapper à l'ennemi, s'échouent volontairement. Des hommes armés accourent sur le rivage pour leur prêter main-forte. Quelques coups de canon les dispersent comme volées de moineaux. Puis les Français mettent à la mer plusieurs canots qui vont accoster les bâtiments échoués, les incendient à l'aide de chemises soufrées et tout le monde revient à bord, sans perte, toujours sous le feu inopérant des batteries turques dont les tobjis " sont incapables de corriger leur tir.

***

Mais les choses n'allaient pas toujours aussi bien pour la marine française, au cours de ces opérations. La mer, notamment, instable et dangereuse en ces parages, parfois bien plus redoutable que l'ennemi lui-même, exposait les bâtiments de la division à des situations dramatiques.

Cette instabilité des éléments sera, le 17 juin 1829, la cause déterminante d'un drame sanglant.

Ce jour-là, une felouque barbaresque est signalée, sortant du port d'Alger, faisant voile vers l'est et serrant la côte de très près, malgré la brume assez dense. Aussitôt, deux frégates, l'Iphigénie et la Duchessede-Berry, la prennent en chasse. Rejoint à quelques milles à l'est du cap Matifou ( A environ cinquante kilomètres d'Alger, approximativement à la hauteur de Blad Guitoun, la future Ménerville.), le pirate se jette volontairement à la côte, espérant ainsi échapper à ses poursuivants. La houle est alors très forte. Les deux navires de guerre envoient malgré tout six chaloupes montées par quatre-vingts marins. On voyait le rivage se couvrir d'hommes armés, cavaliers et piétons, tandis que d'autres groupes accouraient, dévalant les pentes.

Parvenues à courte portée de la plage, trois des chaloupes ouvrent un feu nourri sur cette foule vociférante qui s'éparpille en hâte de tous côtés. Pendant ce temps, les trois autres embarcations ont abordé la felouque dont l'équipage s'est enfui à la nage, s'en assurent, attendant le renfort des premières pour les prendre en remorque. Hélas ! une énorme lame a jeté sur le sable un canot de l'Iphigénie. Son équipage tente de le remettre à flot. Impossible, l'embarcation est ensablée et la mer démontée. Et, très vite, ces hommes doivent cesser de lutter contre les éléments pour se retourner vers les hordes kabyles hurlantes qui reviennent, affluant de toutes parts.

Un combat inégal s'engage alors sur la plage.

Les marins se battent avec toute l'énergie dont ils sont capables, car ils savent qu'ils n'ont pas à espérer la moindre clémence d'un tel ennemi. Voyant le péril couru par cet équipage, trois canots de la Duchesse-deBerry se portent à terre aussitôt afin de l'assister. La lame furieuse projette les trois embarcations sur la plage. Commence alors une violente et_ sanglante lutte avec les Kabyles qui, malgré leur supériorité numérique, ne tardent pas à refluer en désordre. Mais lorsque l'on veut rembarquer, impossible de déséchouer les embarcations, trop profondément ensablées, sauf une que l'on parvient à remettre à la mer, toujours aussi dure. Il faut alors abandonner les trois autres, et comme l'unique chaloupe rescapée, déjà trop chargée ne pourra contenir tout le monde, nombre de marins prennent le parti de rejoindre à la nage les deux dernières embarcations venues elles aussi à la rescousse.

Ils abandonnent cependant derrière eux vingt-cinq camarades volontaires qui se sacrifient en arrière-garde pour protéger leur retraite. Deux jeunes élèves-officiers ( Une faute grave avait été commise en l'occasion. Les règlements ordonnaient, dans de telles circonstances, que les embarcations soient munies des grappins nécessaires pour crocher au fond et se haler au large, afin de ne point dériver vers la côte. Cette précaution fut omise qui eût, probablement, permis d'éviter le drame.) commandent ces volontaires.

Mais déjà, s'enhardissant, les Kabyles reviennent à la charge, hurlant des menaces et de terribles imprécations.

Les marins se défendent avec le courage du désespoir. Ils se savent trop peu nombreux pour pouvoir résister longtemps. Et en effet, la masse hurlante les submerge très vite. Sous les coups de hache et de yatagan frénétiques, ils succombent les uns après les autres. Les cadavres sont aussitôt dépouillés de leurs vêtements et de leurs chaussures, les têtes coupées et les corps ensanglantés atrocement mutilés : coeur arraché, pieds et mains tranchés, ventre ouvert et entrailles enroulées autour du tronc. Quelques malheureux, encore vivants, sont ainsi décapités et martyrisés, sans hésitation.

A ce massacre, un seul rescapé, le matelot Martin, de la Duchessede-Berry qui, grièvement blessé à la tête et terrorisé à la vue du sort infligé à ses camarades, a subitement perdu la raison. Cela lui sauva la vie. Un cheikh kabyle s'interpose et empêche sa mise à mort par les tueurs déchaînés.

Dès le lendemain, empilées dans des sacs, les vingt-quatre têtes des infortunés marins sont triomphalement transportées à Alger où le dey fait. compter cent piastres à chacun de ceux qui présentent un des sanglants trophées et deux cents piastres au chef kabyle qui a ramené le matelot mahboul En piteux état, ce malheureux sera racheté, pour la même somme, par le comte d'Attili, consul de Sardaigne et chargé d'Affaires français à Alger, qui le gardera plusieurs mois dans sa maison de campagne. Mais avant de trouver ce hâvre, le pauvre homme aura subi un véritable calvaire. Martyrisé par tous, hommes, femmes et enfants kabyles qui l'abreuvaient de coups et de crachats durant sa captivité, il dut encore amuser la populace maure en arrivant à Alger, contraint de traverser toute la ville en tenant dans chaque main la tête ensanglantée et mutilée d'un de ses camarades qu'on le forçait à embrasser. En même temps, par gestes éloquents, on lui faisait comprendre qu'il subirait lui aussi le même sort.

Dans la capitale de la Régence, des réjouissances populaires célèbrent la "victoire" remportée sur les Français.

Les têtes des marins ont été livrées à la populace qui s'en amuse toute la journée, leur faisant dévaler les ruelles de la ville à grands coups de pieds, les injuriant et crachant sur elles. Le soir, ces misérables restes sont alors jetés dans les fossés des remparts, près de Bab-Azoun. Le comte d'Attili les fera retirer, le lendemain, par des janissaires payés d'avance et les fera ensevelir dans le cimetière des étrangers de la ville. Lorsque le consul de Sardaigne demandera au dey de faire donner aussi sépulture aux corps décapités, il se heurtera à un refus catégorique ( Ce refus, le consul général de Sardaigne l'explique ainsi, dans une lettre datée du 9 juillet 1829 et adressée au commandant de la division de blocus :
"...Vous n'ignorez pas, sans doute, Monsieur le Commandant, que depuis la côte de Matifou commencent les habitations des Maures et des Kabyles les plus féroces du royaume d'Alger. Ils se refusent très souvent à reconnaître la Régence. Dans les dits lieux, on lit sur le devant d'une fontaine, en caractères arabes, ce qui suit : "Bois et sauve-toi !" J'avais présenté au dey mon désir de faire enterrer les corps, mais il me fit répondre que cette opération devenait impossible à exécuter puisque, eu égard à l'endroit périlleux, il n'aurait pas pu répondre du sort des chrétiens qui auraient été envoyés à cet effet, non plus que du sort de ses gardes mêmes... "
).

Quelques semaines plus tard, le 30 juillet 1829, le contre-amiral de Bretonnière se présentait devant Alger, en parlementaire, porteur de nouvelles propositions du gouvernement français susceptbiles de débloquer cette situation conflictuelle.

A l'isssue d'une audience qui devait durer deux heures, dans une atmosphère très tendue, Hussein reportera sa réponse aux propositions françaises au lendemain 2 août. Entre temps, de La Bretonnière et sa suite étaient autorisés à visiter Alger et ses environs. Autorisation mise à profit par les Français pour reconnaître les défenses de la ville et de ses alentours.

Dans l'intervalle, le dey avait convoqué le consul d'Angleterre afin de lui demander son avis sur la conduite qu'il devait tenir. Le consul Saint John lui conseilla vivement l'intransigeance ( Depuis le début de la crise, la Grande-Bretagne demeurait ouvertement hostile aux projets français et, en toutes circonstances, ses agents s'efforçaient de les contrecarrer par tous les moyens.) : "Les Français, dit-il, n'ont ni l'intention ni les moyens de tenter une expédition efficace contre Alger. Et s'ils manifestaient la volonté, la Grande-Bretagne s' y opposerait fermement Assurances qui emportèrent la décision de Hussein.

Aussi, le 2 août à midi, recevant de nouveau le plénipotentiaire français , maintint-il ses prétentions avec véhémence, rejetant carrément toute offre de conciliation.

Devant une telle attitude, l'envoyé français, demeuré jusque-là courtois et réservé, changea de ton et déclara que son gouvernement n'hésiterait pas à employer la force pour défendre ses droits et son honneur. A quoi Hussein répliqua qu'il ne manquait ni de poudre ni de canons et enjoignit à de La Bretonnière de se retirer immédiatement, ajoutant : Tu es venu sous la protection d'un sauf-conduit, je te permets de repartir sous la même garantie. "

La mer, ce jour-là, était particulièrement démontée et il fallut près de trois heures d'efforts au canot du contre-amiral pour regagner le bord.
Le lendemain 3 août, la mer était encore houleuse. Vers midi, ce jour-là, le brik l'Alerte qui escortait le vaisseau-amiral appareilla le premier, sortit du port et gagna le large sans entrave. Une heure plus tard, le Provence levait l'ancre à son tour et, pavillon parlementaire flottant au mât de misaine, prenait la même route. Malheureusement, le vent contraire, assez fort à cet instant-là, le maintint durant plus d'une heure dans la baie. C'est alors qu'à 2 heures et demie, trois coups de canon partirent des batteries du port. Trois coups de semonce, sans doute, mais suivis presque aussitôt d'une canonnade serrée qui dura plus d'une demie heure. Quatre-vingts boulets environ et quelques bombes avaient été tirés par les Turcs. Bombardement auquel de La Bretonnière, couvert du pavillon parlementaire, s'abstint de riposter, bien que son vaisseau ait reçu trois boulets en plein bois, un dans la grand-vergue ainsi que plusieurs autres dans la voilure et le gréement.

Au bruit de la canonnade, toute la ville s'était couverte de spectateurs. Depuis le port jusqu'au sommet de la colline sur laquelle elle s'étageaient les terrasses des maisons étaient noires de monde. Mais le vent changeant soudain de direction, le navire français put enfin s'éloigner, se plaçant hors de portée des forts algérois.

Les Turcs venaient de commettre un attentat délibéré . Perpétré au mépris de toutes les conventions maritimes internationales, il constituait une insulte flagrante envers la France. Celle-ci se décida alors à recourir à l'intervention armée, afin d'en finir avec une telle situation et venger l'honneur de son pavillon.

A Paris, on remit au jour le projet d'opération militaire et maritime contre Alger, plan élaboré dès 1827, mais jusque-là laissé en attente dans l'espoir d'une solution négociée. Bien que suscitant de nombreuses oppositions, au sein même du gouvernement de Charles X, le projet fut néanmoins mis en chantier et sa réalisation menée tambour battant.

(A suivre.)