Les accords entre
le général Clauzel et Hussein Bey, pacha de Tunis
par Roland Courtinat
AUSSI LOIN que l'on remonte dans l'Histoire,
les rapports entre la France et la Tunisie ont toujours été
empreints de cordialité: peu ont abouti à des aventures
belliqueuses.
Tunis n'a pas été le but initial de la dernière croisade
menée par Saint- Louis, roi de France. Le détour par Tunis
en 1270 ne devait être qu'un prologue à la croisade proprement
dite, une étape sur la route de l'Orient. Les motifs qui ont déterminé
Saint-Louis à cette étape restent obscurs. Les historiens
en sont réduits à des hypothèses.
La première est que Saint-Louis obéissait à son frère
Charles d'Anjou, comte de Provence, seigneur de Marseille, roi de Naples
et de Sicile. Comme souverain italien, Charles convoitait Tunis, continuation
géographique de la Sicile. La seconde hypothèse prétend
qu'une offre de conversion aurait été réellement
faite en octobre 1269 par l'émir de Tunis Mostancir au roi de France,
pourvu que les Français viennent le protéger des Infidèles
qui trouveraient cnoquante sa conversion. Ces deux présomptions,
aussi sérieuses et plausibles l'une que l'autre, ne peuvent à
elles seules expliquer le détournement de la croisade vers Tunis
(CHARLES-ROUX (F.), France et Afrique
du Nord avant 1830.). Quoi qu'il en soit, le roi de France
Louis IX, chef de la croisade, mourra de la peste à Tunis le 25
août 1270, emportant dans sa tombe la solution de l'énigme.
La croisade de Saint- Louis clôt une ère; mais elle annonce
un développement historique et commercial entre les deux pays.
Pendant tout le xve siècle les dynasties arabes du Maghreb - exception
faite du Maroc - s'affaiblissent, puis s'épuisent dans leurs luttes
contre l'Espagne. Elles se soumettent à la suzeraineté,
au moins nominale, du sultan de Constantinople. Dès 1520 Kheir
Ed-Din Barberousse place sous la protection du sultan ottoman ce qui devient
la Régence turque d'Alger. Le pouvoir de Kheir Ed-Din en est renforcé,
et il se lance dans des opérations guerrières. II prend
Bône en août 1533 et Tunis en août 1534. Charles-Quint
reprend Tunis en 1535 et la rend au roi dépossédé
l'année précédente : Moulay Hassan. De 1535 à
1574 Tunis passera plusieurs fois des mains des Espagnols à celles
des Turcs. C'est ainsi que se fondent les Régences de Tripoli,
de Tunis et d'Alger.
Le premier souverain français qui tiendra compte de ces changements
est François ter. II signera avec le sultan ottoman Soliman dit
" le Magnifique ", un traité, appelé les "
Capitulations ". Cet accord allait, en définitive, privilégier
la circulation des personnes et des produits manufacturés français
dans tout le bassin méditerranéen. Ces Capitulations furent
à plusieurs reprises renégociées par les différents
souverains français. Le dernier traité de paix entre la
République française et la Sublime Porte sera signé
le 25 juin 1802. Ces Capitulations seront à l'origine de l'établissement
de centres commerciaux en Barbarie et au Levant: ce sont les Échelles,
qui dureront, avec des fortunes diverses, jusqu'en 1835.
En 1581, Henri III avait profité de la venue à Paris d'une
ambassade turque pour demander au sultan d'accepter de mettre une compagnie
française en possession du cap Nègre et de Fiumare Salate
( De l'italienfiumare salato: rivière
salée. ) alors accordée aux Génois. On
sait donc qu'en 1592 existait un établissement d'exploitation commerciale
en Tunisie, et une Compagnie du corail à Tunis exploitée
par les Marseillais, et dont on suit la trace jusqu'en 1600.
Pour lutter contre la cupidité et l'insolence des pirates, le gouvernement
royal fait bloquer et même canonner par une escadre française
les ports de La Goulette, Bizerte et Porto Farina en 1672. En 1678 le
consul de France à Tunis et ses nationaux sont traînés
devant le bey et taxés d'une lourde avanie (1. Mais ces humiliations
n'empêchent pas les Français de tenir à Tunis une
place prépondérante, et un commerce non négligeable
pour la ville de Marseille. Ils occupent à Tunis un fondouk "
le plus grand et le plus beau " de la ville.
L'expédition sur l'île de Tabarka, pour venger la perte du
cap Nègre, se termina par un désastre en 1741. Le gouvernement
royal ne chercha pas à tirer parti de cette lamentable aventure.
En 1742 un traité fut négocié qui rétablit
la paix entre la France et la Régence de Tunis. La Compagnie Royale
d'Afrique allait connaître soixante années de fructueuses
activités (3).
Le 14 juin 1830 les troupes françaises débarquent sur la
plage de Sidi- Ferruch. Après la victoire de Staouéli, les
Français prennent la ville d'Alger le 5 juillet 1830. Le dey Hussein,
souverain de la Régence turque d'Alger, est déposé.
En France la Révolution de Juillet change de souverain. Le roi
Charles X est remplacé par Louis- Philippe, qui prend le titre
de " Roi des Français ". En Algérie le comte de
Bourmont, commandant en chef du corps expéditionnaire, est relevé
de son commandement. C'est le général Clauzel qui lui succède.
Arrêtons-nous un instant sur le personnage, ce Gascon violemment
critiqué de son vivant, et tombé dans la trappe de l'oubli
sitôt disparu. Bertrand Clauzel est né le 12 septembre 1772
à Mirepoix. Entré dans la Garde nationale de Mirepoix en
juillet 1789, il est lieutenant de Chasseurs l'année d'après,
servant sur les Pyrénées de 1792 à 1795. Après
un passage dans l'ouest comme chef d'état-major de Grouchy, il
passe en Italie et devient général de brigade en 1 799.
Il participe à l'expédition de Saint-Domingue. Général
de division en décembre 1802, il a diverses affectations en Hollande,
Italie, Dalmatie. Baron de l'Empire en 1810. En 1813 il commande l'armée
du Nord, qui doit retraiter sur la France, où il combat jusqu'en
avril. Louis XVIII le fait comte et inspecteur général de
l'infanterie. Grand-croix de la Légion d'honneur le 14 février
1815, il est Pair de France le 2 juin. Il se rallie pendant les Cent Jours.
À la deuxième Restauration il s'exile aux Etats-Unis et
ne revient en France, amnistié, qu'en 1820. Il est élu député
des Ardennes en 1829. Ses qualités et son expérience acquises
à Saint- Domingue (1804), en Illyrie (1809), et surtout dans les
guerres d'Espagne, de 1810 à 1813, le désignent pour le
commandement de l'Armée d'Afrique du 12 août 1830 au 21 février
1831. Battu devant Constantine, il doit effectuer une retraite désastreuse,
ce qui lui vaut d'être relevé de ses fonctions. Maréchal
de France le 27 juillet 1831, il est gouverneur général
des possessions françaises dans le nord de l'Afrique le 8 juillet
1835. Il meurt à Secorrieu le 21 avril 1842.
Dès sa prise de commandement à Alger, Clauzel, en bon expert
des guerres napoléoniennes d'Espagne, a conscience des difficultés
qu'il va rencontrer pour la pacification de ce qui n'est pas encore l'Algérie.
Au mois de novembre 1830 il établit une correspondance avec le
bey de Tunis. II réserve un accueil amical aux envoyés du
bey, Mohamed, Mustapha Bey (frère du bey) et Hassouna l'interprète.
Dans une lettre, Clauzel pose la question de la cession de Constantine
au beylik de Tunis, moyennant un tribut annuel de 1 200 000 F.C'est Mathieu
de Lesseps, consul général de France à Tunis (père
de Ferdinand, qui s'illustrera plus tard dans le percement du canal de
Suez) qui est chargé des tractations. Hussein Bey accepte en principe
la proposition de Clauzel, mais trouve le montant du tribut trop lourd
pour ses épaules. L'organisation du pays, l'entretien d'une armée,
exigeront des dépenses considérables, qui ne pourront être
récupérées sur les impôts à percevoir
sur les populations. Lesseps consent une remise de 200 000 F.
Dans un document sans date ( SALAH MZALI
(Mohamed), Les beys de Tunis et le roi des Français.),
le bey de Tunis donne ses instructions au plénipotentiaire tunisien:
1 - Acceptation de la souveraineté sur Constantine et la totalité
de ses territoires au profit de son maître, notre frère le
prince Mustapha Bey, en vertu d'un accord avec le général
qui se trouve à Alger.
2 - Le paiement au Gouvernement français en Algérie, du
tribut annuel convenu dont le montant s'élève à 1
million de francs, devra s'effectuer en quatre tranches trimestrielles
et ce, après la prise effective du pouvoir sur Constantine et tous
ses territoires.
3 - II y aura à Constantine un représentant du Gouvernement
qui aura mission de protéger les Français y résidant
ou en un point quelconque de son territoire, comme Annaba, Bjaya, Skikda
etc; il s'occupera des intérêts de leur commerce, de leurs
cultures, de leurs industries et de toutes leurs affaires en général.
4 - Les commerçants français établis dans le pays
paieront les mêmes taxes qu'ils auraient à payer en Tunisie
au titre de la douane, des permis d'exportation, etc. Tout Français
qui voudra entreprendre telle culture qu'il lui plaira pourra le faire
librement à la seule condition de payer la dîme comme les
autochtones.
5 - Le général résidant à Alger ne fera occuper
par ses soldats les forts de Constantine ou de sa province que sur la
demande expresse du bey local.
6 - Le Général précité détachera en
mission auprès de nous un officier du génie, un officier
d'artillerie et quelques autres officiers instructeurs. II nous enverra
également quatre pièces de canon du modèle le plus
récent.
7 - Les habitants de Constantine et de sa province seront soumis à
la législation tunisienne, religieuse et laïque. Ils ne pourront,
sans motif légitime, subir d'exaction de la part de quiconque.
8 - La souveraineté de Constantine nous demeurera acquise définitivement
à perpétuité, avec faculté pour nous d'en
déléguer l'exercice à qui bon nous semble parmi nos
proches parents, sans avoir à craindre aucune opposition ou contestation.
Le général précité, pris comme représentant
du gouvernement français, nous en donnera la garantie formelle
et s'engagera à protéger lesdits territoires si nous avons
recours à sa protection.
9 - Le Général prendra l'engagement de communiquer ces clauses
à son Gouvernement et de nous en remettre la ratification dans
le plus bref délai. Dans une lettre à la délégation
tunisienne du 5 décembre 1830, le secrétaire du général
assure les délégués des bonnes dispositions qui animent
le général à l'égard de Son Altesse le Bey
de Tunis. Il lui exprime son intention, après la conclusion de
cet accord, d'en négocier un autre au sujet d'Oran. Mais il convient
de n'entreprendre cet examen qu'après avoir réalisé
l'accord sur Constantine. Dans une déclaration verbale le 12 décembre
1830, le secrétaire français s'adresse à l'interprète
Hassouna Ouardiane Bacha, consignée par celui-ci :
" Vous pouvez dire à l'ambassadeur que si le Gouvernement
français a traité avec le Gouvernement tunisien pour la
cession de Constantine et de sa province, c'est qu'il a l'intention de
lui confier au bout d'un certain temps la totalité du territoire
algérien, avec toutes les villes qu'il comporte, après la
réalisation d'un accord à ce sujet. Vous pouvez considérer
comme certain qu'avant deux ans l'Algérie entière sera aux
mains du Roi de Tunis, en raison de l'amitié qui le lie au Gouvernement
français " (SALAH MZALI
(Mohamed), op. cit.).
Le même tient le lendemain à l'ambassadeur tunisien les mêmes
propos tenus la veille à l'interprète tunisien, ajoutant
que le Gouvernement français approuvait tout ce que le général
Clauzel avait arrêté avec l'ambassadeur; que la France et
l'Angleterre ne peuvent qu'être favorables aux négociations
franco-tunisiennes. Il déclare en outre qu'il ne s'écoulera
pas une année avant que le Pacha de Tunis ne soit investi de la
souveraineté sur la totalité du Royaume d'Alger. Le général
est sûr d'être rappelé prochainement avec ses troupes,
ne laissant sur place que les effectifs nécessaires à l'occupation
des forts. II laisserait alors un millier de soldats et rentrerait en
France pour effectuer les démarches nécessaires. Après
l'exécution de l'accord et l'occupation du pays par le Gouvernement
de Tunis, on procéderait au rapatriement de ces soldats.
Le 16 décembre 1830 le général Clauzel, commandant
en chef de l'armée française en Afrique, prend un arrêté
qui prononce la déchéance du bey actuel de Constantine et
statue qu'il sera incessamment pourvu à son remplacement par Sidi
Mustapha Bey, prince de Tunis. Un accord intervient à Alger le
17 décembre entre le général Clauzel et Sidi Mustapha
Saheb Ettabaâ, représentant du Bey de Tunis.
1 - Son Altesse Hussein Pacha de Tunis s'oblige à payer la contribution
afférente à la ville de Constantine et aux possessions de
terre et de mer qui s'y rattachent et dont le montant, pour l'année
1831, s'élève à 800000 F. Le paiement du premier
quart s'effectuera à Tunis, sous la garantie du Pacha de Tunis,
dans le courant du mois de juillet; le reliquat de la contribution sera
versé en trois tranches successives avant le ter janvier qui marque
le commencement de l'année chez les chrétiens. En confirmation
de cette clause Si Mustapha, garde du sceau, souscrira quatre billets
de 200 000 F chacun au profit du Trésor français d'Alger.
2 - Pour les années ultérieures, les paiements s'effectueront
toujours en quatre tranches trimestrielles totalisant pour l'année
la somme d'un million. Il n'est pas exclu qu'une réduction de cette
somme intervienne dans l'avenir après des négociations à
cet effet.
3 - Le Gouvernement français demande à Son Altesse Hussein
Pacha de Tunis de prendre sous sa protection les bâtiments français,
pêcheurs de corail ou autres, qui viendraient à mouiller
dans l'île de Tabarka par suite de fortune de mer ou pour tout autre
motif sans que lesdits bâtiments aient à acquitter quelque
taxe que ce soit.
4 - Dans les ports de Bône, Stora, Bougie et autres de la province
de Constantine, les Français ne paieront que la moitié des
droits de douane qui seront imposés aux autres nations.
5 - Tous les revenus de la province de Constantine de quelque nature qu'ils
soient seront perçus par Sidi Mustapha Bey; il s'agit, bien entendu,
des revenus de la ville de Constantine et de toute sa province: montagnes,
terres cultivables, possessions de terre et de mer.
6 - Le Bey de Constantine accordera toute protection aux Français
et autres Européens qui voudraient s'établir sur le territoire
de Constantine comme négociants, agriculteurs, ou en toute autre
qualité.
7 - Les troupes françaises ne pourront occuper le territoire de
Constantine qu'après la prise de possession de cette province par
Sidi Mustapha Bey et en vertu d'une demande de sa part. Au cas où
il ferait appel aux dites troupes, les dispositions nécessaires
seront prises d'un commun accord avec le général pour que
la mesure soit profitable aux deux parties intéressées.
8 - Si le Pacha de Tunis décide de faire revenir auprès
de lui son frère le prince Mustapha, il devra faire le choix d'un
autre membre de sa famille ou d'une famille alliée présentant
les qualités requises; il en informera aussitôt le général
pour avoir son approbation(SALAH MZALI
(Mohamed), op. cit.). Le général Clauzel est
pressé de mettre à exécution son projet de placer
à la tête de la province de l'ouest un prince tunisien désigné
par le Bey, et dans les mêmes conditions que Constantine. II envoie
le navire le Sphinx, porteur du projet auprès du souverain tunisien,
avec mission de revenir avec la réponse du Bey. Celui- ci demande
au consul de France de surseoir d'une dizaine de jours au départ
du Sphinx. L'offre d'Oran est acceptée dans les mêmes conditions
que celles de Constantine, à la réserve près que
dans le cas où l'occupation effective de cette province ne se réaliserait
pas, le beylik de Tunis ne serait tenu à aucun paiement.
Le Bey précise au consul de France que si la province de Constantine
ne se soumet pas à son autorité, il ne paiera pas la contribution
prévue. Puisque les Français veulent céder "
en bloc " les provinces de Constantine et d'Oran, le Bey demande
d'attendre le retour de Saheb Ettabaâ pour en décider. Le
consul accepte d'attendre le retour de Saheb Ettabaâ.
Le Bey veut désigner un homme parmi les hauts dignitaires de son
gouvernement pour se rendre à Alger avec 200 soldats des troupes
indigènes transportés sur le Sphinx. De là, il pourra
atteindre Oran et en prendre possession des mains de ses occupants, en
attendant un renfort de 2 000 hommes venus de Tunisie.
Hussein Pacha Bey, qui se donne le titre " d'émir d'Ifriqia
", écrit le 5 janvier 1831 à Clauzel. II accepte la
souveraineté sur Oran pour son neveu le prince Ahmed Bey, aux mêmes
conditions que Constantine, moyennant une contribution de 800 000 F pour
la première année. Étant entendu que le paiement
de ce tribut ne sera dû qu'après la soumission de toute la
province et l'installation effective du gouvernement d'Oran dans son pouvoir.
Les forts de Mers el-Kébir et de Saint-Grégoire seront exclus
de la province d'Oran et resteront au pouvoir de la France. II rappelle
à Clauzel qu'il envoie à Alger, accompagné de 200
hommes, un officier de sa maison qui aura qualité de " khalifat
" du gouvernement d'Oran. II se rendra à Oran où le
rejoindront 1 000 hommes. Lorsque le khalifat aura rendu compte de la
pacification du pays, le prince Ahmed Bey partira à son tour avec
un nouvel effectif de 1 000 hommes. Le Bey supplie Clauzel de ne pas exiger
le paiement de la contribution avant que la Tunisie ne soit rentrée
dans ses frais.
Toujours en janvier 1831, Hussein Pacha Bey écrit de nouveau au
général Clauzel pour l'informer de la ratification de l'accord
pour la cession de Constantine au prince Mustapha Bey. Il rappelle cependant
à Clauzel que la contribution annuelle ne sera due qu'après
la soumission de toute la province et l'installation du gouverneur au
siège de son gouvernement, avec mainmise sur les revenus du pays.
Il réfute aussi la clause n° 3 de l'accord relative à
la protection des navires français pêchant le corail à
Tabarka. En effet, l'île de Tabarka fait partie de la Tunisie et
Constantine ne saurait intervenir dans des affaires intérieures
de la Tunisie.
Dans sa réponse du 2 février 1831, Clauzel écrit
ceci (après les compliments d'usage et les formules laudatives):
" Dans l'arrangement auquel j'ai concouru, j'ai cherché
à concilier les intérêts de la France et ceux de Tunis,
persuadé que les deux pays trouveront un égal avantage dans
sa franche et loyale exécution. J'ai la confiance que Votre Altesse
Sérénissime partage ma manière de voir à cet
égard et qu'elle ne négligera rien de son côté,
pour que le but que nous nous proposons l'un et l'autre soit atteint ".
" Je donne à M. Lesseps, notre consul général
près de Votre Altesse Sérénissime, des instructions
sur l'esprit dans lequel les actes relatifs aux Beyliks de Constantine
et d'Oran doivent être interprétés; s'il est quelques
points, Prince, sur lesquels je ne puisse pas adhérer aux désirs
manifestés par Votre Altesse Sérénissime, j'ose espérer
qu'elle saura apprécier les motifs qui m'empêchent de me
rendre à ses voeux " (SALAH
MZALI (Mohamed), op. cit., document n° 18.). Quelques jours
après (8 février), Clauzel écrit à Hussein
Bey pour l'informer que le consul général de France à
Tunis est chargé de faire l'échange des ratifications des
arrangements relatifs au Beylik d'Oran. Dès cette formalité
remplie, Clauzel espère que le prince, à qui a été
confié le gouvernement de la province d'Oran, prenne toutes dispositions
pour se rendre à son Beylik.
Le même jour (8 février), Clauzel écrit au prince
Ahmed Bey pour confirmer sa lettre à Hussein Bey. II lui recommande
de prendre la mer le plus tôt possible, car son arrivée à
Oran intéresse la France, Tunis, et surtout " les peuples
sur lesquels vous êtes appelé à exercer l'autorité
" (SALAH MZALI (Mohamed), op. cit.,
document n° 18.).
Notre consul général de France à Tunis reçoit
du ministre des Affaires de France une lettre par laquelle il est possible
que le roi de France ne donne pas suite au traité relatif à
la province de Constantine. Le 19 février 1831, M. de Lesseps en
informe le souverain tunisien.
Arrivé en face d'Oran le 9 février 1831, le Sphinx, ayant
à son bord Khérédine Agha, khalifat du Bey d'Oran,
entre en rade de Mers el- Kébir le 10. Le débarquement à
Oran ne peut se faire laborieusement que le 11. Khérédine
Agha s'installe avec ses troupes dans le fort dit " El Bordj El Ahmar
" et se heurte aussitôt à des difficultés insurmontables.
La plupart des habitants avaient abandonné la ville. Les magasins
que Tunis escomptait bien pourvus étaient vides. La situation est
tellement trouble qu'il paraît impossible au khalifat d'établir
pacifiquement l'autorité de son prince. II écrit à
Hussein Bey son désappointement. Au général Clauzel
il explique que la situation est loin d'être celle qu'il croyait
et réclame son rapatriement immédiat. À partir du
début février 1831, un échange de lettres s'établit
entre le souverain tunisien et le général Clauzel. Hussein
Bey exhale son ressentiment sur la situation à Constantine, où
le bey de la province, El Hadj Ahmed Bey, malgré sa déchéance
prononcée le 16 décembre, a refusé de faire sa soumission.
À Oran la situation n'est pas meilleure puisque le khalifat a dû
rembarquer avec ses troupes. Hussein Bey décide d'envoyer auprès
du gouvernement français Mohamed Ben Ayed qui aura pour mission
de discuter les nouvelles propositions du gouvernement français.
Clauzel proteste. Toutes les explications verbales et écrites qu'il
a données à son gouvernement au sujet des difficultés
élevées par les conventions, celles-ci seront soumises à
une nouvelle rédaction; mais sans rien changer aux garanties.
Entre-temps Clauzel a été relevé de son commandement.
Il est remplacé à Alger par le général Berthézène,
qui porte le titre de commandant la division d'occupation d'Afrique. Celui-ci
est, chargé par le ministre des Affaires étrangères
d'ouvrir de nouvelles négociations relatives aux Beyliks de Constantine
et d'Oran. On ne parle plus des accords conclus avec Clauzel.
Le 22 avril 1831, M. de Lesseps écrit à Hussein Bey : "
J'ai reçu de mon gouvernement une dépêche qui m'annonce
que Sa Majesté le Roi des Français n'a pas jugé à
propos de ratifier le traité relatif à la province de Constantine.
[...] Sa Majesté a pensé que la forme dans laquelle il était
conçu et même quelques-unes de ses stipulations secondaires
pouvaient porter une atteinte fâcheuse aux droits que la France
a acquis sur la totalité du Royaume d'Alger ".
Le chef de bataillon Huder est chargé par Berthézène
de faciliter le retour à Tunis des troupes tunisiennes envoyées
à Oran. Dans une lettre du 2 juillet 1831 d'Hussein Pacha Bey adressée
au général Berthézène, le souverain tunisien,
devant les nouvelles propositions françaises, renonce aux provinces
de Constantine et d'Oran. " Le bien est là où Dieu
l'a prédestiné ".
Le 31 août 1831 le maréchal Clauzel (il a été
élevé à la dignité de maréchal le 27
juillet) écrit de Paris à son Altesse Royale le Pacha de
Tunis : " Magnifique Seigneur, après les désagréments
que vous avez éprouvé et qui ont retardé l'expédition
contre Constantine, je sens la nécessité de vous faire connaître
que j'étais totalement étranger aux propositions nouvelles
qui vous ont été faites, que j'ai toujours été
ferme comme Votre Altesse dans ce que j'avais conclu avec elle, et que
j'étais convaincu avec les ministres français que notre
traité n'éprouverait que des changements de rédaction
sans importance ".
Le maréchal Clauzel est resté toujours convaincu de l'opportunité
des accords passés avec Hussein Bey. Du point de vue tunisien,
l'application des traités conclus avec Clauzel aurait pu soulever
des problèmes dynastiques. Que se serait-il passé en cas
de mort d'Hussein Bey, si le prince héritier Mustapha était
déjà installé au gouvernement de Constantine? Aurait-il
abandonné ce poste pour recueillir l'héritage tunisien ?
Aurait-il été considéré comme déchu
de ses droits de succession? Aurait-il été admis au cumul
des deux souverainetés? Le même problème se serait
posé à Oran après installation du prince Ahmed (9SALAH
MZALI (Mohamed), op. cit.).
Clauzel devait se considérer comme le maître de la situation.
Le moment venu, il déciderait souverainement sur les difficultés
soulevées dans ces hypothèses. Le Bey de Tunis, de son côté,
se réservait de régler seul les problèmes de succession.
C'est pourquoi ces questions n'ont pas été soulevées
au cours des négociations.
" La vanité blessée de M. Sébastiani fut la
seule cause de la non-ratification des traités. Il était
alors ministre des Affaires étrangères, et il trouva très
mauvais que celle-ci eût été conclue sans sa participation.
Il ne le cacha pas au général Clauzel, qui répondit
avec raison qu'il ne s'agissait dans tout cela que de deux nominations
de bey dans les provinces acquises en droit à la France, ce qui
n'était pas du tout du ressort du ministre des Affaires étrangères;
qu'il avait accepté pour l'exécution des clauses financières
la caution du Bey de Tunis, mais qu'en cela encore il n'était pas
sorti de son rôle de général en chef de l'armée
d'Afrique. Malgré l'évidence de ce raisonnement, le Gouvernement
n'en persista pas moins à regarder comme non avenus les traités
Clauzel " (PELLISSIER DE REYNAUD
(E.), Annales Algériennes.).
Le maréchal Clauzel reviendra en Algérie comme gouverneur
général des Possessions françaises dans le nord de
l'Afrique du 8 juillet 1835 au 12 février 1837.
o
Roland Courtinat a publié :
- La piraterie barbaresque en Méditerranée xvie - ne siècle,
éd. Gandini, 2003.
- De Metz à Alger. Itinéraire d'un soldat lorrain de l'armée
d'Afrique - 1845-1847, éd. Gandini, 2005.
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