Journal de la
prise d'Alger (1830)
par le capitaine de frégate Matterer
18 mai : Nous marchons tous satisfaits,
la hache et la pioche à la main pour démolir cette ville
affreuse qui, depuis des siècles, lève des contributions
sur la bassesse des autres nations, la nôtre en tête.
10 juin : Nous apprenons que les Algériens
ont 80000 hommes sous les armes, partagés en trois camps différents,
ainsi que 2 000 vigoureux chameaux dont ils auront goudronné et
enflammé la queue. Ces chameaux seront lancés sur nos troupes
au moment du débarquement (nos chevaux ont horreur de ces bêtes).
Dieu de l'univers, jette un regard sur 50000 chrétiens qui vont
combattre des hommes qui ne veulent pas te connaître.
13 juin : Nous sommes mouillés
dans la baie de Sidi-Ferruch où se trouve le fort de Torre-Chica
situé sur la presqu'île de Sidi-Ferruch.
14 juin : Le débarquement commence
par un temps superbe. Les Algériens se défendent très
mal. La mer est couverte de chalands (bateaux à fond plat pour
le transport des marchandises). À 2 heures du soir les 32 000 hommes
seront à terre. Le pavillon blanc flotte en Afrique sur Torre-Chica.
La prise d'Alger est assurée.
15 juin : Les Bédouins ne laissent
jamais les morts sur le champ de bataille. Ils ont pris un sergent auquel
ils ont coupé la tête et un fourrier auquel ils ont coupé
autre chose.
17 juin : Les Bédouins sont
au nombre de 20000. Il y a des Turcs. Chaque jour nous perdons des hommes
et nos forces diminuent sensiblement. On trouve dans la broussaille un
jeune lieutenant de voltigeurs la tête coupée ainsi que les
deux mains et deux pieds. Nous n'agissons pas de même, car lorsqu'on
prend des Algériens on les renvoie avec des présents et
des proclamations.
18 juin : 4 heures du matin, la bataille
commence sur toute la ligne. Un bédouin s'est détaché
de l'armée ennemie et est venu nous voir. " Qu'êtes-vous
venus faire là " a-t-il demandé? Le général
lui a répondu: " Nous sommes venus vous délivrer du
joug des Turcs ". " Vous ne prendrez pas Alger, nous sommes
décidés à périr plutôt que de nous rendre
".
19 juin : Il est 11 heures, la bataille
est finie. Nous avons perdu 500 hommes, tant tués que blessés,
et l'ennemi, au nombre de 30000, est en pleine déroute.
Le Bédouin d'hier était en fait un chef de tribu qui s'était
déguisé en pauvre pâtre pour savoir ce que voulaient
les Français.
Il envoya un jeune Bédouin prévenir le général
qu'il serait attaqué le lendemain. Cela prouve que les Arabes,
fatigués du joug turc, seraient bien aise de passer sous une autre
puissance.
Les Turcs repoussés par les Français, se retirent sur la
crête d'une montagne peu élevée et défient
les troupes françaises. Ces batteries sont enlevées à
la baïonnette. L'ennemi en déroute est poursuivi et 60 chameaux
sont pris. Il y a toute apparence que maintenant les Arabes vont se mettre
de notre côté et que nous n'aurons à combattre que
les Turcs.
21 juin: Les Arabes disent au général
Bourmont qu'ils allaient être pour nous, mais voulaient être
certains que les Turcs seraient décapités, car si les Français
quittent l'Afrique il est bien certain que les Turcs massacreront les
Arabes...
22 juin : Il est 9 heures, le temps
est très beau et la mer belle. Où sont passés les
Arabes ? On dit qu'il y a une révolution dans Alger. Tant mieux
! L'opération sera moins difficile et nous perdrons moins de monde.
24 juin : Nous apprenons que notre
armée a marché sur Alger. Elle a pris avec elle 800 vaches
ou boeufs. On apprend que le 19, à Alger il y a eu une grande révolution
et le bey a fait tomber une foule de têtes. 8000 Turcs ont été
repoussés et notre armée est tout près du fort
de l'Empereur.
27 juin: Nous sommes à l'ancre
depuis 14 jours, n'étant occupés qu'à débarquer
les vivres, des effets et des " chevaux ". Nos troupes sont
sur les hauteurs d'Alger.
28 juin : Débarquement de la
39e compagnie à 5 heures du matin. Les Arabes sont assez tranquilles.
1500 hommes ont été tués et nous avons 1400 malades
(il y a déjà des dysenteries).
30 juin : Nous sommes maîtres
des hauteurs qui dominent le fort Empereur. ter juillet: Le dey a lancé
une proclamation à son peuple : " Africains, mes très
fidèles sujets, les chrétiens ont osé mettre le pied
sur notre territoire, c'est un bienfait du prophète car nous allons
les exterminer: ainsi donc coupez-leur la tête et rappelez- vous
que si vous les laissez vivre, ils mangeront vos femmes et vos enfants...
ils les embrochent les font rôtir et les mangent avec un appétit
vorace ".
On a pris un Algérien qui tenait une tête française
qu'il venait de couper... On lui a demandé pourquoi il avait coupé
cette tête (celle d'un jeune officier). Il a répondu que
le dey lui aurait donné dix piastres ou 50 F. Voilà le peuple
féroce auquel on a affaire.
3 juillet: Combat contre les batteries
à partir de la flotte.
4 juillet: A 10 heures, secousse épouvantable
par trois fois : le fort de l'Empereur a sauté. À midi et
demi Alger est prise. Jour du châtiment de quatre siècles
d'infamie, chute de l'insolente et voleuse Alger.
5 juillet : C'est aujourd'hui à
3 heures de l'après-midi qu'Alger est prise car totalement rendue
et le pavillon français flotte sur le palais du dey: la casbah.
Il aura fallu 22 jours...
Toutes les nations chrétiennes doivent bénir nos drapeaux
d'avoir délivré la terre de ces affreux pirates, l'horreur
de l'humanité. Le 5 juillet a définitivement vengé
cinq siècles de meurtres, d'infamie et de piraterie.
Le pavillon français flotte sur le palais du dey salué par
21 coups de canon.
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