HISTOIRE
Alger pendant la première moitié du XVIIe siècle, un État corsaire
Bernard Bachelot

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extraits du numéro 108 , décembre 2004 de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
mise sur site le 26-9-2010

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Le prix algérianiste " Jean Pomier " 2004 a été attribué à Bernard Bachelot pour son ouvrage Louis XIV en Algérie - Gigeri 1664. Nous en proposons l'extrait suivant, qui traite d'Alger au moment de l'expédition de Louis XIV à Gigeri (Djidjelli).

Alger pendant la première moitié du XVIIe siècle, un État corsaire
Bernard Bachelot


L' indépendance grandissante des régences du Maghreb leur permet de développer la course, sans trop se soucier des engagements pris par la Porte à l'égard des Etats européens, notamment de la France.

Alger vit exclusivement des produits de la course et du trafic des esclaves. La ville et les palais des raïs s'embellissent. Toute la population s'enrichit.

Profitant des conflits qui opposent les puissances européennes, les corsaires barbaresques se permettent toutes les audaces. Ils modernisent leur marine. Ils arment de nouveaux vaisseaux et surtout des frégates plus fines et plus rapides que les navires chrétiens. Leurs galères étant trop légères pour sortir en mer plus de six mois par an, ils en arment de plus lourdes et plus stables. Leurs équipages sont désormais complétés de détachements de la milice. Les janissaires, jaloux des marins qui tirent des profits considérables de la course, ont en effet obtenu à la fin du )(vie siècle l'autorisation d'embarquer sur les navires algériens, pour aider les équipages dans leurs combats, et acquérir ainsi un droit au partage du butin. Cette alliance des forces de terre et de mer rend les Barbaresques particulièrement redoutables. Maîtres absolus des côtes méridionales de la Méditerranée, ces forbans en écument périodiquement les côtes européennes. Ils n'hésitent pas à débarquer sur les rivages de Grèce, d'Italie, de Provence et d'Espagne, dont les populations impuissantes se bornent, dès l'apparition de voiles suspectes, à allumer des feux de cap en cap pour avertir de leur approche. Les pirates, après avoir pillé et brûlé villes et campagnes, emportent leur butin. Ils enlèvent des femmes pour garnir leurs harems, des hommes pour remplir leurs bagnes et les chiourmes leurs galères.Les navires d'Alger franchissent parfois le détroit de Gibraltar: en 1617, ils ravagent Madère; en 1627, l'Islande; quelques années plus tard, les côtes même de l'Angleterre.

En été, les navires marchands européens, lourdement chargés et sans défense, sont des proies particulièrement faciles. Les rapides galères barbaresques ou leurs frégates bien armées n'ont aucune peine à les neutraliser. L'abordage, un bref combat à l'arme blanche, et les victimes se rendent rapidement, car les pirates sont sans pitié pour les récalcitrants. Soigneusement pillés, les bâtiments capturés sont ramenés à Alger, où ils deviennent la propriété de l'État algérien. Leurs cargaisons sont aussitôt vendues à l'encan sur les marchés de la ville. Les captifs, devenus objets de négoce, font l'objet de marchandages dans un bazar particulier, le Badestan. Ce commerce se tient au milieu d'une foule bigarrée. Turcs, Arabes, Kabyles, Morisques réfugiés d'Espagne, Juifs accourent à la fête qui accompagne toujours le retour des corsaires. On se partage le produit de la vente. Tout le monde a sa part: le pacha et ses dignitaires, les raïs bien sûr, les armateurs, les équipages, les janissaires, le personnel du port, et tous ceux, nombreux, qui ont cotisé pour financer l'armement des bateaux. Des femmes vont jusqu'à vendre leurs bijoux pour être de ceux-là; et les Juifs y trouvent un placement fort rentable.

En ce début du xvir siècle, les esclaves chrétiens sont nombreux à Alger : vingt-cinq à trente mille. Leurs souffrances sont grandes, mais il y a " là, comme ailleurs, nous dit Capot-Rey, des arrangements possibles entre bourreaux et victimes ! " (CAPOT-REY, La politique française et le Maghreb méditerranéen (1643-1685), p. 50, dans Revue africaine, tome LXXV, 1934 et tome D(XVI, 1935.). A bord des galères, le sort des esclaves chrétiens est particulièrement pénible, mais " ils étaient moins malheureux que les Barbaresques des chiourmes du roi de France, constate Charles-André Julien, car on ne les marquait pas au fer rouge, et on les laissait libres de pratiquer leur religion " (JULIEN (Charles-André), Histoire de l'Afrique du Nord, des origines à 1830, p. 660, Payot, Paris, deuxième édition 1994.). Dans les six bagnes gouvernementaux, où s'entassent des milliers de captifs, les conditions de vie sont encore plus rudes. Le moral des prisonniers résiste mal au dénuement, à la fatigue de travaux excessifs, à une nourriture insuffisante et à l'attente d'un rachat ou d'une libération éventuelle qui, pour les plus déshérités, peut durer dix, vingt, parfois même quarante ans. Les bagnards, voyant s'éloigner toute perspective de rentrer au pays, sombrent dans la débauche ou le désespoir. Les apostasies et les suicides sont fréquents. De nombreux renégats vont grossir les forces des ennemis; ils sont quelque dix mille à Alger, dont sept mille sont des Corses ! Les propriétaires d'esclaves ne sont pas favorables aux apostasies, car les renégats n'ont plus guère de valeur marchande.

Plus heureux sont les captifs aisés, présumés rachetables. Leurs conditions de vie sont tout à fait supportables; le plus souvent, ils sont placés au service de particuliers, qui ont tout intérêt à ménager cette " marchandise " lucrative, que de mauvais traitements pourraient déprécier. Certains de ces privilégiés deviennent parfois même les hommes de confiance de leur maître;d'autres retrouvent une quasi-liberté et peuvent exercer un métier. La plupart des artisans de la ville et du port d'Alger sont ainsi des esclaves chrétiens . (CAPOT-REY, op. rit. p. 58.)

Les relations de la France et d'Alger pendant la première moitié du XVIIe siècle, jusqu'à la paix des Pyrénées en 1659

La course va de pair avec le commerce qui l'alimente. Le négoce est florissant à Alger. La France, en raison de sa politique continue d'alliance avec les Turcs, jouit d'un préjugé favorable et de certains privilèges. Elle est la seule puissance avec laquelle le royaume d'Alger n'est pas en guerre constante. Depuis 1580, elle a été autorisée à installer un consul à Alger, où les marchands français sont nombreux à commercer, notamment avec leurs correspondants marseillais. Alger écoule ainsi ses produits, et, en échange, se procure des voiles, des cordages, des agrès et les rames dont elle a besoin pour sa marine. En dépit d'une bulle du pape qui prévoit l'excommunication de ceux qui fournissent des armes ou des munitions aux musulmans, les Français vendent parfois même des canons et des boulets aux Barbaresques. Tout le monde ferme les yeux sur ce trafic; en contrepartie, les pirates épargnent les vaisseaux français.

En 1604, le Bastion de France est à nouveau repris par les Algériens. Réoccupé par les Français, il est encore attaqué en 1618. Son gouverneur, Mas de Castellan, y est fait prisonnier avec cent personnes. Les marchands français à Alger ne sont pas favorables au maintien du Bastion, source de conflits répétés qui gênent leur commerce et accroissent leur insécurité. Néanmoins, en 1626, Richelieu ouvre de nouvelles négociations avec le divan d'Alger afin de reconduire les accords sur les concessions françaises. Il est aidé dans cette tâche par Sanson Napollon, un Corse de Marseille. L'habileté de cet ancien consul à Alep, qui connaît bien l'Islam, permet d'aboutir, le 19 septembre 1628, à la signature d'une importante convention entre le consul de France et le divan d'Alger. La France obtient à nouveau le monopole du commerce et de la pêche du corail sur les côtes kabyles. Sanson Napollon est autorisé " à redresser et fabriquer, comme elles l'étaient anciennement ", les places détruites " pour se garantir contre les Maures, vaisseaux et brigantins (Au xviiè siècle, on appelait brigantin un petit navire de la famille des galères, ponté, ne gréant qu'une seule voile, ayant 8 à 16 bancs à un seul rameur. Ce navire léger et rapide fut très employé dans la Méditerranée, surtout par les forbans turcs.) de Majorque et de Minorque " (JULIEN, op. cit. p. 664.). L'accord stipule que si " les bateaux de la pêche, entraînés par vents contraires [sont contraints] d'aborder ces lieux de la côte comme Gigeri, Collo et Bône, il ne leur sera fait aucun déplaisir [... ]. Toutes sortes de marins, galères et frégates qui passent par ladite côte [... ] ne pourront nuire, ni faire aucun déplaisir aux bateaux qui pêchent le corail " ( MASSON (Philippe), Histoire de la marine, tome 1, L'Ère de la voile, Lavauzelle, Paris Limoges, p. 31.). En contrepartie les Français sont astreints à payer une redevance annuelle de 16000 livres, destinées à la paie des janissaires.

Sanson Napollon relève et développe considérablement le Bastion de France, dont il fait une véritable forteresse, où vivent plus de huit cents personnes. Il ouvre également deux petits comptoirs à La Calle et au cap Rosa, à l'est de Bône. Les intentions de Napollon sont moins pacifiques qu'il n'y paraît. Sous couvert de pêche et de négoce, il cache des visées que nous qualifierions aujourd'hui de colonialistes. Il souhaite faire du Bastion de France un centre d'espionnage, une base de ravitaillement pour les bâtiments de guerre français. " Il est nécessaire, précise-t-il dans un mémoire, de conserver lesdites places, sous voile de négoce et pêche du corail, afin que le dessein de faire lesdites conquêtes ne soit pas connu " (Cité par JULIEN, op. cit. p. 664.).

En dépit de l'avis de Richelieu, Sanson Napollon décide de s'emparer de l'île de Tabarka, occupée par les Génois (BACHELOT (Bernard), Louis XIV en Algérie, Gigeri 1664, p. 33, Éditions du Rocher.). À la troisième tentative, trahi par un des siens, il est tué et sa tête est fichée à l'entrée de la forteresse génoise. La mort de ce négociateur, aussi retors que ses homologues turcs et berbères, va provoquer une dégradation rapide des relations de la France avec Alger. Les Barbaresques disposent maintenant de la plus puissante flotte de Méditerranée. Les raïs sont maîtres de tous les royaumes turcs de Barbarie: ceux de Tripoli, de Tunis, d'Alger, de Salé et de Tétouan. En France, le père Joseph, " éminence grise " de Richelieu, relance dans ses prêches l'esprit de croisade. L'amiral Sourdis est envoyé sur les côtes de Kabylie pour soutenir le sieur Lepage, qui a remplacé Napollon. Il attaque des navires algériens. Alger, craignant que le Bastion de France ne devienne une base des flottes chrétiennes, saisit le premier prétexte - deux bateaux français surpris alors qu'ils faisaient de la contrebande de blé - pour décider de la destruction définitive des établissements français. Le 13 décembre 1637, le renégat italien Ali Bitchnin s'empare du Bastion de France et le détruit. Trois cent soixante-sept chrétiens sont vendus aux galères. Les comptoirs de La Calle et du cap Rosa sont également fermés. Mais cette disparition des établissements français provoque une réaction surprenante de la tribu berbère des Hanencha qui tirait de gros bénéfices de ses trafics avec la France. C'est avec l'argent de ce commerce qu'elle payait notamment la lisme, l'impôt dû à Alger. Aussi, Khaled ben-Ali, chef de la tribu, décide-t-il de subordonner sa soumission à Alger et le paiement de la lisme au rétablissement des concessions françaises. Cette prise de position va réduire le divan d'Alger à accepter la signature, le 7 juillet 1640, d'une nouvelle convention permettant à la France d'ouvrir à nouveau ses établissements " où il serait permis, précise le traité, de bâtir pour se protéger des galères ennemies et des Maures " (JULIEN, op. cit. p. 665.).-

Saint Vincent de Paul et l'Oeuvre des esclaves

Le renouveau religieux, à travers l'Europe, incite les ordres religieux et tous les gouvernements à se préoccuper du sort des esclaves chrétiens. Ils vont tenter de les racheter, comme le faisait déjà au xlle siècle l'ordre des Trinitaires. En France, saint Vincent de Paul, aumônier des galères et fondateur de la congrégation des lazaristes - constatant qu'en dépit de ses recommandations, Richelieu se refuse à réagir militairement contre Alger -, crée vers 1640 l'GEuvre des Esclaves (10En 1640, au moment où il crée l'OEuvre des Esclaves, saint Vincent de Paul a déjà fondé les Confréries de la Charité, la congrégation des Prêtres de la Mission (plus connus sous le nom de lazaristes), l'institution des Sœurs de la Charité, et l'établissement des Enfants trouvés. La plupart des historiens prétendent que saint Vincent de Paul aurait été, vers 1605, et pendant deux ans, esclave des Turcs. Mais Charles-André Julien nous signale que Grandchamp a prouvé de " façon irréfutable " que Vincent de Paul aurait " par un mensonge de jeunesse, imaginé de toutes pièces sa captivité à Tunis, dont il refusa obstinément de parler par la suite ". JULIEN, op. cit. p. 662.). Il envoie des prêtres lazaristes à Alger et à Tunis, pour racheter les captifs ou, tout au moins, pour les " assister [... ] spirituellement et corporellement [... ] par visites, aumônes, instructions et par l'administration des saints sacrements ". À sa charité et son dévouement légendaires, saint Vincent de Paul ajoute un sens développé de la diplomatie. À Alger, il se fait tant d'amis qu'à la demande du pacha lui-même, la France, en 1646, décide de confier son consulat à Alger aux lazaristes. Le père Barreau y est nommé consul et le demeurera jusqu'en 1659.

L'action des lazaristes permet indubitablement de soulager les souffrances des captifs d'Alger. Les gouvernants français la soutiennent, car ils estiment qu'elle peut en outre faciliter à leur pays l'obtention de privilèges commerciaux. " L'égoïsme national se couvre ainsi des apparences de l'idéalisme ", remarque Capot-Rey (CAPOT-REY, op. cit. p. 50.). Mais " l'humilité chrétienne, la soif du martyre, ne sont pas des qualités consulaires " (GRAMMONT (Henri de), Histoire d'Alger sous la domination turque, 1887.), et la politique des missionnaires de saint Vincent a aussi des aspects négatifs. Le rachat des captifs, en confirmant la valeur marchande des esclaves, entretient la piraterie. Les chrétiens sont, à l'époque, confrontés à la même problématique qu'est, de nos jours, la nôtre lors des prises d'otages : payer une rançon, c'est en favoriser le développement. En outre, les collectes et mouvements de fonds nécessaires aux rachats des captifs sont fréquemment l'occasion de trafics et de malversations. Certains collecteurs de fonds rachètent, par exemple, à bas prix à Alger des esclaves vieux, malades ou déshérités, donc sans " valeur marchande ", les promènent et les exhibent à travers le royaume de France pour collecter de nouveaux fonds, dont ils détournent ensuite une large partie.

Saint Vincent de Paul connaît ces risques, aussi regrette-t-il la politique trop pacifique de la France. Mais Richelieu et, plus tard Mazarin, ne veulent pas intervenir militairement. Ils préfèrent négocier, même lorsque pour des raisons futiles les autorités d'Alger maltraitent physiquement le consul de France ou le jettent en prison.

L'installation de religieux au consulat et leur influence grandissante sur la politique française posent également de sérieux problèmes à tous ceux qui commercent avec les Turcs de Barbarie. Armes, voiles, mâts, rames, agrès et goudron destinés aux flottes barbaresques constituaient jusqu'alors une source importante de profits pour les marchands français d'Alger et leurs correspondants marseillais. Il est désormais plus difficile de fermer les yeux sur la contrebande de ces produits que le pape interdit de vendre à l'Islam. Si les négociants ne souhaitent que la paix, les religieux, eux, penchent de plus en plus pour la guerre. Ainsi, en 1646, Olivier d'Ormesson, dans son journal, signale le prêche d'un capucin qui, à Paris, s'est exclamé: " Les rois de France devraient subjuguer le monde et chasser le Turc de Constantinople " ( ORMESSON (Olivier d'), Journal, tome I.).

Dès lors, la tension va s'accroître rapidement entre la France et les Barbaresques. Yousouf, nouveau pacha d'Alger, intensifie la course. Toutes les côtes sont touchées, et plus particulièrement celles d'Italie et de Provence. L'immunité relative dont jouissaient les navires français en Méditerranée est révolue. Les bâtiments sont désormais attaqués, sans distinction de pavillon. Le pachalik d'Alger, qui a pris une large indépendance vis-à-vis de la Porte, ne se sent plus lié par la politique de coopération franco-turque, du reste fort négligée par Richelieu comme par Mazarin. La crainte de l'Espagne, ennemi commun de la France et de l'Empire ottoman, avait rapproché les deux États; la décadence espagnole et la menace nouvelle que fait peser Constantinople sur la chrétienté - menace qui a fait renaître en France l'esprit de croisade - fragilisent maintenant la vieille alliance du Lys et du Croissant.

En 1648, Alger est ravagée par une terrible épidémie de peste et doit, au même moment, faire face à une grave révolte de la province de Constantine. Le pachalik a besoin de ressources nouvelles: la crise économique espagnole entraînant une baisse sensible du trafic commercial en Méditerranée, les corsaires d'Alger ne veulent plus se priver du gibier français. La relative protection du pavillon français réduit leurs possibilités de prises, d'autant que les vaisseaux toscans et espagnols n'hésitent pas " à arborer la bannière fleurdelisée pour se dérober aux poursuites ".

Capot-Rey constate que les Barbaresques, ayant " peu de choses à craindre de la guerre, tout à espérer de la course [... ], se sont [alors] décidés pour la course " (CAPOT-REY, op. cit. p. 59-60.). Ils attaquent Marseille, la Corse, Naples, Civitavecchia, débarquent et font des prisonniers à quelques pas de Rome. Au milieu du xvue siècle, la Méditerranée est devenue un repaire de brigands. La piraterie, véritable entreprise, est pratiquée autant par les chrétiens que par les musulmans (BRAUDEL (Fernand), La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II, A. Colin, Paris, 1966, tome u, p. 209. La course chrétienne est souvent passée sous silence par les Européens. Elle fut pourtant d'une importance égale à celle des musulmans. Fernand Braudel, à partir d'une étude d'Alberto Tenenti, a montré que sur 300 bateaux vénitiens capturés en 17 ans, au début du )(vile siècle, on avait pu identifier 90 agresseurs, et que 44 seulement de ces prises revenaient aux musulmans, 24 aux Anglais et Hollandais, et 22 aux Espagnols. Il souligne également que le nombre total des prises était inférieur à celui des naufrages dans cette mer difficile pour les voiliers et encore plus pour les galères.).

Majorque, la Provence, la Toscane, Naples, la Sicile arment en course. " Malte est une Alger chrétienne ", selon les mots de Capot-Rey. Les marchandises volées sont parfois recélées par des marchands hollandais, toscans ou génois. " On pend quelques courtiers, nous dit de Grammont, mais sans résultat " (GRAMMONT, op. cit.). La Méditerranée voit apparaître des navires tout à la fois marchands et corsaires; les deux métiers finissent par se confondre. Plus inquiétant encore, des pirates anglais et hollandais naviguent de conserve avec ceux d'Alger; malheur à ceux qui tombent en leurs mains, car ne pouvant négocier leurs captifs, ces forbans chrétiens sont obligés de les tuer!

Les puissances européennes finissent tout de même par réagir. En 1653, l'amiral anglais Blake s'empare de neuf vaisseaux à Tunis. L'amiral hollandais Ruyter coule dix-huit navires turcs à Gibraltar. Venise, Malte et Gênes multiplient leurs croisières sur les côtes algériennes. Seule la France reste en retrait. Une escadre française conduite par Valbelle et Gabaret réussit néanmoins à libérer le Golfe du Lion des Barbaresques, mais les vues de Colbert, nouvel intendant de Mazarin, sont plus mercantiles que guerrières. Les ressources militaires de la France sont totalement absorbées par les guerres européennes, et Colbert ne veut rien en divertir pour une politique africaine qui, pour l'instant, le laisse indifférent. En bon gestionnaire de l'État comme de sa fortune personnelle, il cherche seulement à reprendre le contrôle des concessions françaises. Pour ce faire, il suggère à Mazarin " de prendre des actions du Bastion de France, soit à son propre nom, soit à celui d'une tierce personne, pour éliminer les propriétaires de concessions et leur substituer une compagnie à sa dévotion " (CHARLES-ROUX (François), France et Afrique du Nord avant 1830, les précurseurs de la conquête, Paris, 1892, p. 131.). Saint Vincent de Paul se désespère du peu d'ardeur dont fait preuve Mazarin pour la défense des intérêts de la chrétienté. Il loue les succès des autres nations européennes contre les Barbaresques. " J'ai été consolé d'apprendre les expéditions des Anglais contre Tunis et souhaite que la France en fasse de même, écrit-il à Get, le 4 juin 1655. Il y a apparence que si l'on entreprenait ces gens-là, on en viendrait à bout ". Puis, désireux de passer à l'action, il conçoit avec un des marins français célèbres de l'époque - son ami le chevalier Paul, l'ennemi juré et le plus redouté des Barbaresques - un projet d'attaque d'Alger pour y aller délivrer les esclaves. Pour monter cette expédition, saint Vincent a besoin de beaucoup d'argent. Il va solliciter un financement des Marseillais; mais ceux-ci, souhaitant le maintien de la paix, garantie de leur commerce, font la sourde oreille; le projet reste sans suite. À Alger, la situation des Français se dégrade. Le père Barreau est au bord de la faillite et les commerçants français lui reprochent sa mauvaise gestion. Il n'y a plus d'argent pour racheter les esclaves, ce qui provoque la colère des Turcs. Une nouvelle fois, ils jettent le consul de France en prison, sous prétexte que Fabre, un négociant marseillais, s'est enfui en laissant un déficit de 12000 piastres. Quelques mois plus tard, pour une autre faillite, Barreau est bastonné... et la France continue de négocier !