mise sur site le 17-08-2004
-Débarquement à Alger, novembre 1942

--------Alger, novembre 1942. Le "grenouillage" est à son comble. Toutes les tendances politiques se rencontrent dans la capitale algérienne. On ourdit des complots, on échange des secrets. Mais ce 7 novembre, une réalité autrement plus puissante change la face des choses. Le débarquement allié est pour la nuit prochaine. Le comité des "Cinq" (Lemaigre-Dubreuil, Saint-Hardouin, Rigault, Van Eck et Henri d'Astier) prend ses dispositions pour que la ville ne soit pas défendue. Mais quelle va être la réaction des autorités officielles : de Juin, de Darlan ?
--------Claude Paillat, dont "L'Echiquier d'Alger" (tome II) vient de sortir aux Editions Robert Laffont, a reconstitué, heure par heure, les mouvements de tous ceux qui allaient jouer un rôle dans cet événement historique.
Extrait de "Miroir de l'Histoire", juillet 1967,n°211
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---------T ANDIS qu'au soir du 7 novembre 1942, à la nuit tombée, les conjurés rejoignent les différents points de rassemblement qui leur sont assignés - d'où ils partiront dans quelques heures pour prendre la ville - et que les " Cinq " eux-mêmes, accompagnés de diplomates américains, établissent leur P.C. dans un immeuble de la rue Michelet, les autorités passent une soirée bien tranquille. Il est déjà tard et le colonel Chrétien s'apprête à se coucher lorsque Saint-Hardouin sonne vigoureusement à la porte : " Le débarquement est pour cette nuit. "
---------Ensemble, les deux hommes conviennent d'aller chercher Murphy pour l'amener chez le général Juin. Mais auparavant, Saint-Hardouin conduit l'officier au P.C. de la conjuration, où Chrétien retrouve d'Astier de La Vigerie et aperçoit, pour la première fois, Rigault. Affirmant que ses instructions ne lui permettent pas d'annoncer déjà le débarquement alors que les premières opérations ne commenceront qu'à 2 heures du matin, s'abritant aussi derrière sa qualité de diplomate qui lui interdit ( !) de s'immiscer dans l'affaire, Murphy refuse d'abord d'accompagner Chrétien chez Juin. Aidé cette fois par Saint-Hardouin et d'Astier de La Vigerie, l'officier finit par convaincre le diplomate. Il ne reste plus qu'à prévenir le général. Chrétien lui téléphone
---------- Mon général, je vous demande de me recevoir de suite. J'ai une importante communication à vous faire...
---------- Vous ne pouvez pas attendre à demain ?
---------- C'est absolument impossible.
---------- Est-ce réellement si important ?
---------- Très important.
---------- Bien, venez...
---------Sur son pyjama, Juin a passé un burnous
---------- Qu'y a-t-il, Chrétien ?
---------- Mon général, M. Murphy demande vous voir d'urgence.
---------- Qu'est-ce qu'il peut bien vouloir à cette heure ? Il ne peut donc pas attendre demain ?
---------- Mon général, le convoi, c'est pour nous.
---------- Ce n'est pas possible ! Ils ne vont pas nous faire cela ! Enfin, d'accord, amenez M. Murphy.
---------Pendant l'absence de Chrétien, le P.C. du complot est le théâtre d'une animation de plus en plus fiévreuse. Notamment, avec Lemaigre-Dubreuil en uniforme et qui ne fait que passer avant d'aller chercher Giraud à l'aérodrome de Blida. En attendant, Saint-Hardouin a beaucoup de peine à empêcher l'industriel d'aller voir Juin auquel il voudrait soumettre des propositions de la part de Giraud !
--------À présent, Juin, en uniforme, écoute Murphy qui vient d'entrer dans le salon de la villa des Oliviers
---------- Mon général, j'ai à vous annoncer que mon gouvernement a décidé de faire débarquer les troupes américaines en Afrique du Nord. C'est imminent.
---------- Imminent ? reprend Juin. Qu'entendez-vous par là ? Deux jours, trois jours ?
---------- Non, mon général, beaucoup plus proche.
---------Après un silence:
---------- ... Ce matin.
---------- Dans quelle situation nous mettez-vous grogne juin. Après les conversations que nous avons engagées ! Nous sommes tenus par des instructions de défendre l'Afrique du Nord et nous la défendrons.
---------- Mon général, reprend Murphy, le général Giraud arrive dans quelques instants pour prendre le commandement. Nous savons qu'il vous tient en particulière estime et compte sur vous. Je vous garantis que mon gouvernement rétablira la France et son Empire dans leur entière souveraineté. Nous venons en amis et vous ne pouvez vouloir une effusion de sang.

un Darlan rouge de colère...

---------Peu à peu, juin s'apaise et dit comprendre le désir du diplomate d'éviter un combat entre des gens qui ont, au fond, la même pensée, ajoutant néanmoins qu'il doit obéir aux ordres reçus et que la France est liée par des actes juridiques. Resté muet jusqu'alors, Chrétien intervient:
---------- Mon général, vous avez des ordres, des engagements ; le débarquement peut paraître regrettable ; mais effacez tout cela et pensez à la France seule. Vous savez bien que l'Allemagne est perdue ; vous ne me l'avez pas caché. Maintenant, il dépend de vous de ranger la France dans le camp des vainqueurs ou dans celui des vaincus. C'est notre dernière chance qui se joue aujourd'hui.
---------Après un long silence, et comme s'il venait de trouver la solution idéale au redoutable problème qui lui est posé, Juin, s'accrochant à la hiérarchie de commandement existante, laisse tomber
---------- Oui, mais je ne suis pas seul! L'amiral Darlan est ici et c'est mon chef.
---------Sur la suggestion de Chrétien, le général téléphone à la villa de Fenard où réside l'amiral de la flotte. C'est Battet, le directeur de cabinet de Darlan, qui prend la communication. Plus tard, il confiera qu'il ne lui a pas été facile de réveiller son chef. En effet, à la fin de la terrible journée du 7 novembre, marquée par des discussions sur les hypothèses du débarquement, Darlan a appris des médecins qu'Alain venait de surmonter la crise primitivement jugée mortelle. Tout heureux de cette bonne nouvelle et pour se changer les idées, l'amiral avait invité Battet : " Eh bien, maintenant, on va aller faire un bon gueuleton tous les deux. " Ensuite, écrasé de fatigue, car il n'avait pas fermé l'oeil depuis deux jours, Darlan s'était endormi plus profondément que d'habitude. Et quand Battet le secoue, Darlan, furieux, lui lance un coup de pied dans les jambes. Avec le consul américain pour guide, Chrétien arrive à la villa de Fenard. En complet veston, muet, ayant à ses côtés Battet - qui vient de glisser dans sa poche un revolver - Darlan attend. Fenard, apprenant le débarquement, s'écrie
---------- Qu'est-ce qui se passe ?... Les Américains débarquent ?... Ah! m...!... Pas possible !...
---------Du perron de sa résidence où il attendait l'amiral, Juin conduit Darlan au salon où Murphy refait son exposé des événements. Il est très vite interrompu par Darlan dont le visage a viré au rouge écarlate et qui est dans une fureur indescriptible
---------- ...C'est encore une de ces cochonneries dont, vous, les Anglo-Saxons, nous accablez depuis deux ans. J'ai des ordres du Maréchal. Je les exécuterai. Puisque vous voulez la bagarre, nous nous battrons.. C'est une saloperie, nous nous battrons. C'est une saloperie...
---------L'assistance est figée de stupeur. C'est Juin qui le premier fait un geste en indiquant de la main à Battet et à Chrétien de se retirer. Du patio, les deux hommes aperçoivent Darlan, toujours écarlate, marchant de long en large, faisant des gestes violents avec ses bras, tandis que Murphy, livide, s'est assis dans un fauteuil. Juin reste silencieux. Pendant ce temps, Battet confie à Chrétien qu'il partage son point de vue. Fenard explique aux deux hommes qu'il ne convient pas d'attacher trop d'importance à la colère de Darlan, réaction normale, chez lui, en une telle circonstance et qui devrait se tasser assez vite. À Battet et à Chrétien, Fenard, rejoignant le salon, affirme qu'il va s'employer à arranger les choses.
Enfin, Murphy réussit à reprendre la parole et reçoit l'appui de Fenard et de Juin. A Darlan - qui l'interrompt en répétant comme un leitmotiv qu'il a reçu l'ordre du Maréchal de défendre l'Afrique du Nord contre quiconque l'attaquerait - le diplomate américain rétorque qu'il changerait d'opinion s'il se doutait un instant de l'ampleur de l'opération en cours ; et il exhorte l'amiral à ne pas commettre l'irréparable. Le temps passe... Finalement, s'enfermant avec Battet dans un bureau, Darlan rédige un mystérieux télégramme. A ce moment fait irruption le général Sevez, chef d'état-major de Juin, qui, sous le coup d'une vive émotion, annonce que le téléphone est coupé et que des hommes armés l'ont empêché de sortir des " Oliviers ". À cette nouvelle, Juin, à moitié en colère, réplique
---------- Si nous sommes cernés, nous garderons M. Murphy comme otage !

mais où donc est le général Mast?

---------À la suite de la discussion qui avait eu lieu au P.C. de l'insurrection au sujet de la proposition de Chrétien, Rigault avait demandé à d'Astier de décaler le déclenchement de l'opération d'une demi-heure. Juste avant le départ de Lemaigre-Dubreuil, Rigault avait décroché le téléphone, avait écouté, et, avec un sourire avait passé l'appareil à l'industriel : " Il n'y a pas de tonalité. " Le central était donc occupé...
---------Quand toutes les mesures prévues par les conjurés paraissent exécutées, d'Astier et Rigault descendent en ville pour une tournée d'inspection. Première étape : la division d'Alger, pour dire à Mast : les civils ont fait leur travail, c'est maintenant aux militaires de jouer. Dans la rue, c'est le grand calme. Cela produit un effet étrange aux conspirateurs de circuler dans Alger qui ne se doute de rien et qui, cependant, est en train de changer de camp.
---------Par ailleurs, le plan s'est exécuté dans les meilleures contions. Le commissariat central est aux mains des putschistes ; des policiers favorables à la conjuration y prennent la place des titulaires. Le préfet Temple est sous bonne garde. En l'absence du, gouverneur général en mission à Vichy, sa femme, Mme Châtel, est arrêtée. Les centraux téléphoniques, y compris celui de l'armée, sont aux mains de l'insurrection. En dépit de ses violentes protestations, le général Koeltz, commandant les troupes d'Algérie, ne peut plus donner aucun ordre il en est de même pour le général Mendigal, commandant l'aviation. Quant à la résidence de Juin, elle aussi, nous le savons, est encerclée. Sur le plan de la technique pure le coup d'Etat a parfaitement réussi, avec cinq minutes d'avance sur les prévisions. Conjurés et loyalistes se sont parfois affrontés avec véhémence ; mais il n'y a ni blessé, ni tué. On n'attend plus que l'arrivée de Giraud et celle des Américains.
---------D'Astier et Rigault cherchent Mast. Rencontrant, enfin, un officier dans l'immeuble de la division d'Alger, ils lui demandent où est leur chef : " Il n'est pas là. " Mais le capitaine veut savoir pourquoi, à une heure aussi tardive, on cherche son général. Ignorant si l'officier est dans le " bon " ou le " mauvais " camp, les deux civils bredouillent une vague explication et, de plus en plus inquiets de l'attitude du capitaine, battent précipitamment en retraite. Au commissariat central, au milieu d'un grenouillage invraisemblable et dans une fumée à couper au couteau, Aboulker qui occupe le standard - leur confirme :
---------- Ici, tout va bien. Mais avez-vous enfin des nouvelles des Américains ?
---------- Non, répliquent d'Astier et Rigault. Mais faites comme si vous en aviez, racontez qu'ils sont sur les plages...
---------Revenus au P.C. de la rue Michelet, ils n'y trouvent aucun message de Murphy et de Chrétien. Et le consul général américain Cole n'en sait pas davantage. Pour en avoir le coeur net, Rigault gagne les " Oliviers ". De l'extérieur, il distingue les ombres dans la villa illuminée. Le reconnaissant dans le jardin, Murphy vient à sa rencontre
---------- Où en êtes-vous ? questionne Rigault.
---------- Juin se retranche derrière Darlan, explique le diplomate. L'amiral est furieux et continue à ne vouloir rien savoir.
---------- Bien. Mais ce n'est pas le pire car nous n'avons pas de nouvelles de vos soldats alors qu'il est près de 5 heures du matin. Est-ce qu'ils vont enfin arriver ?
---------- ...Je pense, soupire Murphy.
---------- Est-ce que vous en êtes vraiment sûr ? réplique Rigault, agacé. Ne se sontils pas trompés de jour ?..
---------- Non, dit Murphy.
---------- Rappelez-vous que nous étions chargés des préliminaires de l'opération et que vous deviez arriver à 2 heures du matin alors que 5 heures viennent de sonner.
---------- Oui, dit Murphy soucieux. Bien sûr !.
---------- Mais je ne vous garantis rien à partir du moment où il fera jour, réplique sèchement Rigault.
---------Jetant un coup d'oeil dans le salon, le conjuré aperçoit Juin en train de déambuler, Darlan toujours furieux et tirant sur sa pipe. S'avançant vers Rigault, Fenard lui demande:
---------- L'amiral voudrait rentrer à ma villa pour se reposer. Il estime n'avoir plus rien à faire ici.
---------- D'accord, sous la condition que l'amiral donne sa parole de ne communiquer avec quiconque.
-
--------- Jamais, s'exclame Fenard, je n'oserai lui demander cela.
---------- Alors, restez ici...
---------En quittant les Oliviers, Rigault donne cette consigne aux insurgés qui montent la garde
---------- Rien n'est changé. Ces messieurs restent là, gardez-les à vue...

un revolver modèle 1874

---------Dans la soirée du 7 novembre, Dorange et le médecin-capitaine Dupuy dînent gaiement en ville. Aussi la stupéfaction du chef de cabinet de Juin est-elle vive lorsque, voulant rentrer, vers 1 heure du matin, au palais d'Hiver où il a sa chambre, il en aperçoit l'entrée barrée par une trentaine de jeunes gens en civil et porteurs d'un brassard blanc sur lequel se détachent deux lettres : V.P.
---------Dorange sait très bien qu'en cas d'alerte grave, il est prévu que les unités régulières de l'armée seront renforcées d'éléments civils désignés sous le nom de " vo1ontaires de place ". Fort courtoisement, un membre du groupe explique à Dorange - qui décline sa qualité - qu'il ne peut le laisser passer et qu'à partir de maintenant, il agit au nom du général Giraud qui vient de débarquer à la tête des forces américaines !
---------Pour Dorange, tout devient clair. Ce qui avait été envisagé lors des discussions avec Murphy est déclenché. Et il est fort probable qu'à l'instar de ce qui se passe au palais d'Hiver, les autres postes de commandement de la ville sont privés de liberté. Le jeune chef des insurgés oublie de s'assurer de la personne de Dorange et le laisse partir. Avec son ami Dupuy, lui aussi laissé en liberté, le chef de cabinet de Juin se dirige vers l'amirauté qui, par suite de la proximité des casernes de fusiliers marins et de son isolement, a, à ses yeux, quelque chance de ne pas être aux mains des insurgés. Mais, là encore, la route est barrée.
---------Sautant dans une barque de pêche, Dorange gagne un sous-marin en cours d'appareillage. Reçu fraîchement par l'équipage, il obtient néanmoins qu'on téléphone à l'amiral Leclerc qui donne l'ordre qu'on lui amène Dorange sous escorte. Parvenu à l'amirauté, Dorange explique ce qu'il vient de voir en ville et, du coup, l'amiral comprend pourquoi son téléphone ne fonctionne plus. C'est à ce moment que se présente un jeune officier, visiblement de réserve, porteur d'un ordre signé de Mast. Ce document expose que les Allemands viennent de débarquer en Tunisie et qu'à l'appel du Maréchal, les Américains interviennent pour les repousser. À l'amiral Leclerc, de plus en plus intrigué, et qui l'interroge pour savoir si Juin est au courant de cet événement, Dorange répond qu'il ne correspond nullement à tout ce qu'il a pu apprendre jusqu'ici. Le plus simple paraît donc de joindre le général et d'obtenir des instructions. Par malchance, l'amiral n'a ni voiture, ni marin à mettre à la disposition de Dorange : ses effectifs sont très réduits et fort mal armés. Finalement, le sous-chef d'état-major de l'amirauté confie à Dorange un revolver 1874, sans cartouche ! Muni de cette arme, le chef de cabinet de Juin ordonne à l'officier - qui a apporté l'ordre signé de Mast - de se mettre à sa disposition avec sa voiture et son chauffeur. C'est dans cet équipage - le jeune insurgé n'ayant pas compris ce qui se passait - que Dorange se met en route pour gagner la caserne des gardes mobiles des Tagarins. Par précaution, il avise son compagnon de route qu'en cas de barrage, il aura à montrer son laissez-passer et que, s'il n'obtempère pas, lui, Dorange, l'abattra sans hésiter. Le jeune insurgé proteste de sa bonne foi, affirmant qu'il exécute ce qu'on lui a commandé.
---------Arrivé enfin aux Tagarins sans encombre, Dorange explique la situation au colonel Zwilling, commandant la garde mobile, mais précise qu'avec ses hommes il doit l'aider à rendre la liberté au commandant en chef. Après le temps nécessaire au rassemblement, Zwilling se place au centre du carré formé par ses hommes et leur adresse quelques paroles:
----------Soldats, l'un des plus beaux jours de notre vie vient d'arriver. Les Allemands ont envahi la Tunisie, le Maréchal vous donne l'ordre de les rejeter à la mer ; les Américains viennent de débarquer pour nous aider à le faire. Nous allons nous porter à leur rencontre pour leur faciliter les choses..
----------- Vive la France ! vive le Maréchal ! répondent, enthousiastes, les gardes mobiles.
---------- Mais il paraît, reprend le colonel qui, en apercevant Dorange, se rappelle la demande que celui-ci a formulée, que le général Juin est prisonnier dans sa villa ; nous allons donc commencer par aller le délivrer.
---------Pendant les préparatifs du départ, Dorange fait alerter d'autres chefs d'unités, puis monte avec deux gardes dans une voiture touriste suivie d'un camion transportant une trentaine d'hommes sous le commandement d'un officier. Mais le véhicule tombe en panne et ne rejoindra que trois quarts d'heure plus tard.
---------À vrai dire, Dorange ne s'en aperçoit pas. Auparavant, il a rendu sa liberté au jeune officier de réserve prisonnier. À la porte de la villa des Oliviers, l'aspirant Pauphilet, qui commande les putschistes, interdit au commandant des gardes d'entrer dans la villa. S'inclinant devant ce qui lui est affirmé avec tant d'autorité, l'arrivant se contente de dire qu'il s'agit simplement de faire passer le chef de cabinet du général Juin. Nouveau refus. Ayant troqué son revolver 1874 contre un automatique, Dorange force le passage en appuyant au même moment sur la détente qui, fort heureusement, ne répond pas, puisque la sûreté n'a pas été enlevée. Les gardes reçoivent alors l'ordre d'arrêter tous ceux qu'ils rencontreront.
---------Toujours dans le salon, Juin arpente la pièce à grands pas ; Darlan, maintenant impassible, est appuyé à la cheminée, tandis que Battet, Fenard, Chrétien et Mme Juin chuchotent en aparté. Très étonné de voir arriver son chef de cabinet, et pensant que Dorange s'est involontairement jeté dans la gueule du loup, Juin lui souffle à l'oreille de filer au plus vite... Mais le commandant en chef apprend ce se passe dans Alger et décide de gagner le fort l'Empereur, dont la garnison est sûre et qui est prévu comme P.C. opérationnel en cas d'événements extraordinaires. Quant à Dorange, juin le charge de faire libérer les autres généraux encore retenus prisonniers par les conjurés.

Darlan prévient Pétain

---------Nous nous souvenons qu'après sa violente colère, Darlan s'est retiré dans un bureau des " Oliviers " pour rédiger un message ; ce document est adressé à Pétain et c'est le consul américain Pendar qui est chargé de le porter à l'amirauté pour transmission. Mais, en cours de route, Pendar passe au P.C. du complot, et ainsi, Rigault prend connaissance du message et le fourre dans sa poche. De son côté, le préfet maritime dépêche un quartier-maître, habillé en civil, à la villa de Fenard d'où on le réexpédie chez le général Juin. Vers 6 heures du matin, l'estafette revient à l'amirauté avec ce texte de Darlan :
---------Pour amiral Moreau
---------Si tu peux communiquer avec Bizerte et Casa, tâche de savoir ce qui s'y passe.
---------Je suis à la villa du général juin. D'après Murphy, le débarquement serait général, du sud du Maroc à la Tunisie. J'ai rendu compte au Maréchal par Baudot.
Jusqu'à nouvel ordre de ma part, faire notre possible pour exécuter les ordres du Maréchal.
(0515 - 8-11-42).
---------Ce document parvient à son destinataire car, à ce moment-là, la garde mobile, amenée par Dorange, assure une liberté relative à l'amiral et à Juin. Peu après, Darlan confie à Pendar un autre câble destiné à Pétain et qui est un compte rendu général - et prudent - de la situation. Mais à sa sortie des " Oliviers ", le consul américain est arrêté par la garde mobile et détenu jusqu'au moment où ses affirmations sont vérifiées.
---------C'est à 6 h 49, le 8 novembre 1942, que le télégramme parvient à Vichy. Peu après son arrivée au fort l'Empereur, avec Juin, l'amiral, sceptique sur les conditions de transmission de ses précédents messages, a, alors, toute liberté d'envoyer un nouveau compte rendu au Maréchal:
---------J'ai été demandé à 1 h 45 par le général Juin et j'ai trouvé chez lui M. Murphy qui m'a déclaré que, sur la demande d'un Français, le général Giraud, le président
Roosevelt avait décidé d'occuper l'Afrique du Nord avec des forces importantes, ce matin même ; que les Etats-Unis n'avaient qu'un but, détruire l'Allemagne et sauver la France, qu'ils désiraient maintenir son intégrité.
Lui ai répondu que la France avait signé une convention d'armistice et que je ne pouvais que me conformer aux ordres du Maréchal de défendre notre territoire.
---------Vers 7 heures du matin - les Américains sont toujours absents, tandis que la garde mobile reprend un par un les bâtiments officiels - la plupart des autorités civiles et militaires recouvrent leur liberté, et la plupart des centraux téléphoniques fonctionnent à nouveau. --------------Seul point encore aux mains des insurgés : le commissariat central où restent détenues un certain nombre de personnalités civiles. Le commandant en chef a retrouvé les moyens d'exercer son autorité.
----------------Remplaçant Mast par le général Roubertie, juin lui ordonne de maintenir " un contact élastique, sans agressivité " entre les troupes françaises et les forces en cours de débarquement qui progressent plus lentement que prévu, bien que ne rencontrant pratiquement aucun obstacle. De son côté, le général Koeltz, rendu lui aussi à ses pouvoirs, met sur pied un commandement des forces stationnées hors d'Alger, auquel il donne la même consigne qu'au général Roubertie.
---------En procédant ainsi, Juin attend les développements de la situation, manifestement soulagé par la présence de Darlan - commandant en chef de toutes les forces militaires françaises et successeur désigné de Pétain. Officiellement, l'amiral a beaucoup plus de poids que n'importe qui.
---------Mais si, d'une part, les " Cinq " s'inquiètent de l'extrême lenteur de mouvements des troupes américaines, d'autre part ils n'ont aucune nouvelle de Giraud que, pendant des heures, Lemaigre-Dubreuil a attendu en vain à l'aérodrome de Blida. Les postes radio de la conjuration ne parviennent pas davantage à obtenir des précisions de Gibraltar sur le sort du général. Depuis le moment où, un peu contre son gré, il a décidé de quitter la France pour prendre la tête du volet français du débarquement, Giraud joue de malheur. D'abord, le sous-marin qui doit l'emmener est en retard, puis, en mer, ses transmissions sont en panne. Enfin, après mille péripéties plus ou moins rocambolesques, Giraud arrive à Gibraltar dans la journée du 7 novembre.

--------Par un rapport du capitaine Beaufre, qui accompagne Giraud, nous savons ce qui s'y est passé. C'est le 7 novembre, à 17 heures, qu'Eisenhower - dont le P.C. est installé dans les souterrains de la forteresse - reçoit Giraud. Entre les deux hommes s'instaure et se développe un immense malentendu. Le général français en est resté à l'hypothèse d'un débarquement sans combat ; Giraud croit également que le commandement suprême lui reviendra quarante-huit heures après le début de " Torch ". Pour Eisenhower, cela veut dire que Giraud exige le commandement de l'opération. Des accords Murphy-Giraud, Eisenhower prétend ne rien savoir. Bref, le ton monte très vite. Giraud accuse les Américains de mauvaise foi et quitte le P.C. d'Eisenhower en claquant la porte. Il déclare que, dans ces conditions, il retire son concours, demandant toutefois à être conduit en Algérie dans la matinée du 8"mais comme une personnalité privée ". Stupéfaction générale.
---------On raconte même que Giraud est tellement mécontent de ce qu'il vient de découvrir, qu'il aurait envisagé de rentrer en France !
----------Et le débarquement commence dans la nuit. Après de longs et délicats pourparlers, un nouvel entretien réunit le 8 novembre, à 11 heures, Giraud et l'état-major interallié. Il en sort un modus vivendi
Le général Eisenhower... ne peut se dessaisir de son commandement au profit de quiconque, surtout dans une opération aussi difficile que celle qui est en cours. Il ne peut donc être question de commandement interallié français ni de commandement allié sur les forces françaises. Par contre, il reconnaît l'autorité entière du général Giraud sur l'Afrique du Nord et les forces françaises d'Afrique. Les relations entre le commandement allié et le
commandement français seront établies sur la base d'une complète égalité. En conséquence, toutes les décisions d'ensemble contre les Allemands seront fixées en commun. Lorsque les troupes françaises et alliées opéreront de concert et se trouveront mélangées, le commandement local sera assuré par le chef français ou allié qui aura le plus de forces sous ses ordres...
---------Au cours de la discussion, Giraud insiste pour que les Alliés mettent immédiatement la main sur les aérodromes de Tunisie... et demande à partir pour Alger. Ce déplacement, lui répond-on, ne pourra se faire que le lendemain 9 novembre( Ainsi, Giraud a pris, tant par sa faute que par celle des Alliés, un grave retard qui va peser considérablement sur la suite des événements.

 

cessez-le-feu à Alger

---------En quittant la villa des Oliviers, Rigault et le consul américain Woodruff descendent au P.C. de la rue Michelet où règne une certaine nervosité. Pas de nouvelles des Américains, silence chez Mast, et Giraud ne répond toujours pas.
---------La seule solution est d'aller au-devant des troupes de débarquement pour presser leur mouvement sur Alger. À 4 kilomètres de Saint-Eugène, le Français et le consul américain, Woodruff, aperçoivent, enfin, de chaque côté de la route, une file interminable de soldats, le visage couvert de suie, les casques garnis de feuillage. Bien tranquille est leur allure. Les officiers auxquels Rigault et Woodruff s'adressent, probablement méfiants, les renvoient d'autorités supérieures en autorités plus importantes encore. Enfin, après avoir obtenu que les Américains pressent le mouvement, les deux hommes, rentrant dans Alger, tombent, sans avoir la possibilité de faire demi-tour, sur un char entouré de gardes mobiles
---------- Stop... Ces gars-là, crie un lieutenant, au mur !
Woodruff parvient quand même à expliquer qu'il est un diplomate américain et la chance veut qu'un sous-officier de la garde sache la présence de Murphy aux " Oliviers ", à quelques mètres de là. Des gardes l'y emmènent tandis que quatre autres surveillent Rigault. Mais le spectacle de ce qui se passe dans le port, où un torpilleur canadien vient de se faire " allumer ", les intéresse beaucoup plus. Profitant de l'aubaine, le prisonnier commence à marcher de long en large, augmentant ainsi peu à peu la distance qui le sépare de son escorte. Au bout d'une heure de ce manège, apercevant un plombier qui sort de la résidence de Juin, Rigault se dirige vers lui, lui demande du feu et repart sans qu'on ait remarqué son stratagème. Dès qu'il est hors de la vue de ses gardiens, Rigault double l'allure et entre pour se faire faire la barbe dans une boutique qui vient d'ouvrir. Quand il arrive enfin au domicile de d'Astier, la famille et les amis de ce dernier - absent - lui font fête car, sans nouvelles de lui, on avait cru qu'il avait été fusillé.
---------En se réveillant, à l'aube du 8 novembre, le capitaine Pedron - qui appartient au 3ème bureau du général Juin - ouvre son poste radio et entend une proclamation de Giraud !En fait, ce n'est pas ce dernier qui parle, puisqu'il est encore à Gibraltar et qu'on n'a pas pris la précaution d'enregistrer sa voix, mais un des conjurés, Raphaël Aboulker, qu'à la dernière minute on a chargé de cette mission. Sans en demander davantage, Pedron dévale l'escalier, réquisitionne une voiture militaire en stationnement un peu plus loin et débarque au palais d'Hiver pour apprendre de la bouche du commandant Dupin de Saint-Cyr que tout l'état-major vient d'entrer en conférence au fort l'Empereur. Par Dorange, survenu sur ces entrefaites, il apprend les événements de la nuit. Dans une casemate, Pedron retrouve Darlan, Fenard, Juin, Koeltz, Mendigal, Battet... Personne ne fait attention à lui. Tout le monde a l'air épuisé, guettant des nouvelles ou discutant des opérations en cours. De temps en temps, Juin donne un ordre pour modifier les positions des troupes françaises, le général ne voulant pas d'affrontement avec l'armée américaine.
---------Le 8 novembre 1942, vers midi, le bruit, se répand qu'à la suite d'une visite de Juin, l'amiral, qui avait regagné l'hôtel Saint-George, aurait accepté en principe la cessation des hostilités dans l'après-midi.
---------Or, quelques heures plus tard, les avant-gardes alliés débouchent sur les hauteurs dominant Alger, tandis que les deux aérodromes de Maison-Blanche et de Blida sont occupés. Le fort l'Empereur, lui-même, couronné de son drapeau, est pris sous le feu de l'artillerie américaine. Un obus de mortier de 81 tombe pile devant la porte de la casemate, tuant un officier d'aviation et blessant les futurs généraux Lechères et Hartmann. Au bruit provoqué par l'explosion, Juin sort de son P.C., demande des explications et laisse tomber
---------- Ah! c'est tout de même em... ! Faites hisser le drapeau blanc pour leur faire comprendre, à ces c...-là...
---------Visiblement le général est énervé. Il fait sonner le cessez-le-feu. Mais les Américains continuent de tirer, abandonnant toutefois leurs mortiers. Puis avisant Dorange, qui est l'homme à tout faire, le général lui ordonne
---------- Tâchez donc de trouver quelqu'un, allez trouver Murphy, par exemple, parce qu'il faut qu'on sorte de cette situation impossible...
---------Après une nouvelle attente, Dorange surgit enfin, accompagné par le général Ryder et par Murphy, entourés d'un groupe de vice-consuls, dont le colonel Knox. Immédiatement s'engagent les pourparlers pour le cessez-le-feu qui est finalement signé à 19 heures et se limite à Alger et sa grande banlieue
---------- Toutes les troupes françaises... seront regroupées et regagneront sans délai leurs quartiers où elles seront consignées... Elles garderont leurs armes...
---------
L'ordre en ville sera assuré par les troupes américaines à partir de 22 heures... Les autorités civiles reprendront en main les pouvoirs de police... Toutes ces autorités restent en place.
---------Dans la soirée, à partir de 21 heures, une conférence réunissant, d'une part Murphy et le général Ryder, et d'autre part Darlan, Juin et ses subordonnés immédiats, règle un second train de problèmes à vrai dire secondaires, les autres, les principaux, ne pouvant être discutés du côté américain que par le général Clark lui-même,
attendu pour le lendemain. Vers la fin de la réunion, Rigault se présentant au Saint-George, tombe sur une sentinelle casquée, en uniforme, qui l'éclaire de sa torche c'est un des adjoints de Murphy qui a repris du service.
---------Les " Cinq " se retrouvent à la villa des Roses où habite Murphy. On y débouche une bouteille de champagne. Pour les conjurés, le point noir reste le retard de Giraud. À écouter Murphy, les " Cinq " n'ont pas de gros soucis à se faire au sujet de Darlan. Rapportant le comportement de l'amiral " plein de contradictions et assez peu brillant " pendant les heures où il s'est trouvé en sa présence, le diplomate américain ne croit pas qu'à l'avenir, Darlan puisse être autre chose qu'un " vaincu et un prisonnier... ".
---------Au cours des opérations, la marine française a eu 11 tués et 8 blessés, et l'armée de terre 11 tués.
---------De plus, en plein coeur d'Alger, au cours d'un affrontement, tombent le capitaine Pillafort, figure populaire chez les conjurés et qui a joué un certain rôle dans la prise de la ville, et le colonel d'aviation Jacquin, de l'état-major du commandant en chef, qui rejoignait son poste. , Après le champagne chez Murphy, toute l'équipe dirigeante du complot se retrouve dans la villa de Lemaigre-Dubreuil, à Mahieddine, celle-là même qu'avait louée, autrefois, le capitaine Beaufre pour recevoir discrètement l'embryon de la résistance nord-africaine. On fait le point : Juin est " favorable " aux Alliés, les Américains, contrairement aux accords, négocient avec Darlan, et on est toujours sans nouvelle de Giraud. Si, militairement, l'opération paraît réussie - tout au moins à Alger - il n'en est pas de même sur le plan politique. On convient d'abord, en attendant Giraud, de dissuader, avant tout, les Américains de s'engager avec Darlan. Puis la discussion s'élève entre Lemaigre-Dubreuil et Rigault. Le premier est partisan de la force et pousse à faire un deuxième coup d'Etat. Le second, soulignant que les moyens dont disposent les " Cinq " sont fort limités, affirme que la seule façon de procéder est de faire pression sur les Américains pour
qu'ils respectent leurs engagements. On souligne que, parmi ,les " vichyssois ", certains chefs militaires sont disposés à s'incliner, soit par raison, comme Juin, soit par tempérament, comme Fenard. Avant tout, il est convenu de tenter d'avoir, par le canal allié, des nouvelles de Gibraltar et de revoir le plus rapidement possible Murphy, dont l'assistance ne doute pas qu'il soit encore son meilleur appui.
---------Dorange rédige au cours de la même nuit une note qu'il soumettra à Juin et remettra à Battet. C'est un véritable programme pour la mise en état de guerre de l'Afrique du Nord par le truchement d'un gouvernement., dont Noguès prendrait la tête, tandis que Juin garderait ses fonctions de commandant en chef. Les Américains fourniraient l'armement promis par Murphy. Darlan, lui, se rendrait immédiatement à Vichy pour exposer au Maréchal la situation réelle et le ramener en Afrique du Nord. Pour l'auteur de ce document, ce serait la suite logique de la politique menée par Pétain depuis l'armistice. Quant à Giraud, aucun rôle n'est prévu pour lui ; son nom n'est même pas mentionné !
---------Mais à Oran et au Maroc, la bataille continue. de faire rage.

enfin, Giraud !

---------Dans la matinée du 9 novembre 1942, Saint-Hardouin et d'Astier de La Vigerie viennent, aux nouvelles chez Chrétien. Ils sont manifestement déçus par l'évolution de la situation. En effet, à cause du retard des troupes américaines et de l'absence de Giraud, les autorités légales ont pu reprendre le contrôle de la ville. À l'extérieur, la situation n'est guère brillante. En Algérie, et notamment dans le Constantinois, il reste des forces suffisantes pour s'opposer éventuellement aux Américains, beaucoup moins nombreux que ce que Murphy avait laissé entendre. Situation militaire très inquiétante en Tunusie. Confusion politique avec Darlan. Et pourtant, c'est gagné : le débarquement a réussi. Mais, en contrepartie, il y a quand même le fait que Darlan a commencé à négocier, qu'un cessez-le-feu a
été signé et que juin et Fenard poussent l'amiral dans le sens allié.
---------Mais pour les " Cinq ", le gros point' noir est que Darlan négocie directement avec les Etats-Unis, leur cède trop... Saint-Hardouin et d'Astier de La Vigerie demandent donc à Chrétien de les aider à intervenir dans les discussions. De plus, ils seraient heureux de prendre contact avec juin ; mais, à cet égard, rien à faire, le général n'a pas encore digéré le coup de force, ni la séquestration dont il a été victime. Des agissements analogues dans d'autres centres ont automatiquement dressé contre les conjurés Noguès et le restant des généraux. La discussion en est là quand surgit, en trombe, Lemaigre-Dubreuil qui lance
---------- La question est très imple. Il y a un commandant en chef, le général Giraud. Les troupes n'ont qu'à obéir à ses ordres...
---------Le chef des services spéciaux objecte à l'industriel que, d'une part, Giraud est absent et que, d'autre part, il n'a légalement aucun commandement ! Dans la situation où il s'est mis, il a, semble-t-il, peu de chance de se faire obéir du reste de l'armée. D'ailleurs, en dépit de la proclamation diffusée par la radio, l'ensemble des troupes est resté fidèle à ses chefs habituels. Certains chefs de corps passés à l'insurrection ont vu se dresser contre .eux officiers et sous-officiers.
---------Saint-Hardouin révèle alors à Chrétien les fameux accords Giraud-Murphy et ajoute que les " Cinq " ne peuvent laisser mener des tractations avec les Américains par des Français qui ignorent tout de ce qui a été reconnu par Murphy. Evidemment, la seule solution serait de faire connaître ces accords à Darlan et à Juin. Mais ne paraît-il pas quelque peu vexant pour les " Cinq " d'aller remettre ces documents à leurs adversaires qui bénéficieraient ainsi gratuitement du résultat de tant d'efforts ?... Finalement le bon sens et le patriotisme l'emportent sur l'amertume et la fureur. Les conjurés chargent donc Chrétien de demander à Juin une audience pour Saint-Hardouin. Dans l'après-midi, à 16 heures, ce dernier très ému, et porteur des accords, en fait part au général qui, par son amabilité, rompt la glace.
---------Peu après, un coup de téléphone de Tunis annonce que les Allemands commencent à débarquer des troupes à l'aérodrome d'El-Aouina, sans que les troupes françaises, pourtant postées sur les abords du terrain, interviennent.
---------Presque en même temps, les conversations reprennent - le général Clark n'étant toujours pas arrivé - entre Darlan et Ryder. Ce dernier communique aux Français un projet de convention d'armistice, manifestement préparé à l'avance (les Américains avaient, en effet, rédigé deux études, l'une prévoyant un traitement amical ; la seconde prévoyant un statut d'adversaires pour les forces françaises). Darlan, tout en s'affirmant détenteur des pouvoirs pour traiter, souligne qu'il n'a pas ceux de signer un texte que son gouvernement ne connaît pas.
---------L'Américain réplique que, puisqu'il en est ainsi, il sera obligé de prendre des mesures de sécurité, d'autant plus qu'il vient d'apprendre que Vichy a donné son accord à l'entrée des forces allemandes en Tunisie. La conversation prend un tour de plus en plus aigre. Juin, heureusement présent, fait remarquer qu'on ne peut pas faire l'affront à ses troupes de leur retirer leurs armes puisque, dans quelques jours, elles seront probablement amenées à combattre aux côtés des forces américaines. Quant à Murphy, il objecte que, si le gouvernement français n'accepte pas les conditions du cessez-le-feu, les troupes françaises seraient alors en mesure d'agir dans le dos des Alliés. Catégorique, Ryder rappelle qu'au premier acte d'hostilité, il n'hésitera pas à faire bombarder Alger par les navires de sa flotte.
Finalement, le général Koeltz prend l'engagement personnel qu'il ne se passera rien et l'on s'accorde, enfin, sur le maintien du statu quo. -Sur ces entrefaites arrive enfin Clark qui dit avoir été retenu par la résistance opposée à Oran à ses soldats par la garnison française. Apprenant que Darlan attend une réponse de Vichy, l'adjoint d'Eisenhower estime inutile la poursuite de la discussion, qu'il reporte au lendemain matin.
C'est à leur retour aux Oliviers que, par un appel de Chrétien - qui demande un rendez-vous pour Lemaigre-Dubreuil - Juin et Dorange apprennent l'arrivée de Giraud.
---------À son arrivée à Blida, ce dernier a été accueilli fraîchement par le colonel Montrelay, commandant la base, et a gagné immédiatement la villa Mahieddine, où les Cinq sont réunis. À vrai dire, ceux-ci sont fort énervés car ils ont peu goûté la désinvolture du général qui, après avoir accepté la responsabilité suprême de l'affaire, avait laissé ses adjoints civils sans nouvelles. Sous son calme légendaire, Rigault cache une rage froide. A l'inverse, Lemaigre-Dubreuil exhale, lui, sa colère. Méditatif, Saint-Hardouin se tient dans une grande réserve. Pour donner une explication à l'attitude de Giraud, Rigault laisse tomber, non sans humour
---------- Le général a pour le moins un mauvais secrétariat !
---------Mécontent, froid, en arrière de la main, Giraud rétorque qu'il n'est pas commandant en chef et que les discussions de Gibraltar n'ont, à ses yeux, rien donné. Il
paraît d'autre part ulcéré du peu d'égards qu'on lui a manifesté à son arrivée. Pis, on a égaré son uniforme. Avant toute chose, et ne pouvant rien faire. sans être revêtu de sa tenue, il exige qu'on parte à la recherche de ses effets militaires ! L'assistance est médusée, sauf peut-être Rigault, qui, dès sa première rencontre à Lyon avec le général, l'avait jaugé. Après ces préliminaires, Giraud entend un exposé de la situation, bref sur le passé, plus détaillé sur les difficultés du moment
(présence de Darlan, attitude très vichyste de l'armée, engouement des Américains pour la flotte). D'abord silencieux, Giraud écoute puis lâche, désabusé et écoeuré
---------- Bon, il va falloir maintenant que je prenne ma décision.
---------- Non, mon général, laisse tomber sèchement Rigault, votre décision, vous l'avez prise définitivement à Lyon.

l'étonnante entrevue Dorange-Giraud

---------Il était effectivement question, dans l'esprit de Giraud, " puisque Darlan était là ", de s'effacer et d'aller faire le héros à la tête d'un corps franc. Complètement démonté par les événements, il déclare
" Je vais voir si je continue. " L'un après l'autre, les " Cinq " le persuadent que la partie est loin d'être perdue : les Américains ont de grosses difficultés avec Darlan ; l'amiral n'est pas dans une position confortable du tout ; et, de surcroît, les Etats-Unis ne sont pas bien disposés en sa faveur. Ces raisonnements remontent le moral du général, et un programme s'ébauche, complétant celui que les " Cinq " avaient dressé après avoir bu le champagne chez Murphy. Les conjurés assiègent Giraud, car il est capital qu'il entre en contact avec l'armée et ses chefs, avec Juin surtout, pour se renseigner et connaître l'attitude exacte du corps des officiers en face des événements et envers le grand chef de la conjuration. Quant aux Américains, ils ne connaissent encore de Giraud que l'image reflétée par sa carrière et son évasion.
---------À l'heure du dîner, Lemaigre-Dubreuil, mi-confident, mi-dramatique, annonce, à la cantonade, au Saint-George, que Giraud a d'importants entretiens, en particulier avec Clark ; il insiste pour que Juin se rende à la villa Mahieddine. Il ne veut pas croire, comme on le lui affirme, que Juin refusera de se compromettre en allant au-devant de Giraud: Un compromis intervient : c'est Dorange qui, en tant que chef de cabinet, se rendra au rendez-vous. A 10 heures du soir, Chrétien embarque Dorange dans sa voiture. Méfiant, car il a parfaitement réalisé que son rôle dans la nuit du 7 au 8 novembre lui a valu des inimitiés féroces chez les conjurés, le second prend un revolver et laisse des ordres afin que, s'il n'est pas revenu à minuit, on se mette immédiatement à sa recherche.
---------À Mahieddine des jeunes des Chantiers de jeunesse montent la garde dans un grand désordre et en proie à une vive exaltation. A l'intérieur de la villa, beaucoup de monde autour de-l'état-major de la conjuration. Le moral semble en hausse. Seuls Saint-Hardouin et Lemaigre-Dubreuil font bonne mine au chef de cabinet de Juin, qui insiste pour voir Giraud en tête à tête. Au général, Dorange montre son plan soumis à juin et à Battet et qui, selon lui, résume la position de l'armée : " Le général Giraud légal, oui ; le général Giraud rebelle, non. " Avec beaucoup de calme, voire de bienveillance, le général rétorque qu'il est d'accord sur toute solution qui permettra de reprendre les armes contre les Allemands le plus rapidement possible. Il estime, en effet, nécessaire de jeter les forces françaises dans la bataille immédiatement, désireux qu'il est de se consacrer uniquement à la direction des opérations, et prêt à transmettre à d'autres la charge du gouvernement. Confiant dans les vertus de la hiérarchie militaire, Giraud pense que Juin - de beaucoup son cadet - ne fera aucune difficulté pour accepter un commandement sous ses ordres. Quant à Pétain et à Darlan, le général " leur réserve un grand rôle ", espérant que le Maréchal et l'amiral vont se retirer sur la côte méditerranéenne où, avec l'armée d'armistice et les partisans de la reprise des hostilités contre l'Allemagne, ils prépareront une tête de pont pour permettre aux Alliés de débarquer dans le midi de la France ! Très disert, Giraud poursuit en rappelant ce qu'a été sa carrière, ses pénibles conditions d'existence en zone libre depuis son évasion, les " méchancetés " de la police de Laval, etc.
---------Enfin, le général demande s'il lui est possible de rencontrer Juin. Dorange, pas très sûr de l'acceptation de son chef, se saisit du téléphone et appelle la villa des Oliviers :
---------- Je m'excuse, mon général, de vous réveiller (il est 3 heures du matin), mais le général Giraud souhaiterait venir vous rendre visite et demande si vous accepteriez de le recevoir.
---------- À cette heure-ci ? réplique juin. Mais c'est ridicule ! Est-ce qu'on va en finir avec ces histoires de roman policier ?...
---------Chez Juin, c'est une douche glacée qui s'abat sur la tête de Giraud:
---------- ... Vous n'êtes rien, ici...