sur site le 9/10/2002
-Les Pachas et les Deys
Les prises de Fez et de Bougie - 1 -
Il serait bon que nous rappelions qu'ils existait une grande différence entre la civilisation particulière et la psychologie des Berbères et celles des Arabes. C'est une aussi grande erreur que de vouloir traiter ces peuplades, marquées par une si grande dissimilitude, de manière identique pour tout ce qui concerne la vie quotidienne.
pnha n°64, janvier1996

23 Ko
retour
 
-----Il serait bon que nous rappelions qu'ils existait une grande différence entre la civilisation particulière et la psychologie des Berbères et celles des Arabes. C'est une aussi grande erreur que de vouloir traiter ces peuplades, marquées par une si grande dissimilitude, de manière identique pour tout ce qui concerne la vie quotidienne.
------Cette disparité est bien plus apparente dans les oasis qui comportent un Ksar (village) ou plusieurs Ksour (pluriel de village) et lorsque l'agglomération est d'une importance moyenne, une Kasba est construite. Celle-ci sert de refuge aux Berbères ; ils ne l'occupent pas, mais elle contient les magasins à vivre de la population qui ne s'y réfugie qu'en cas d'attaque. Les Berbères sont égalitaires, démocrates et d'esprit républicain.
-----Les Arabes ne s'opposent pas seulement à la démocratie, mais ils sont "antidémocrates". Ce sont, en fait, des royalistes et des féodaux. Leur Kasba est habitée par la famille maîtresse de l'oasis, rappelant la France du Moyen-Age avec ses bourgades à l'abri des remparts des châteaux forts.
-----Ces explications permettront peut-être de faire prendre conscience aux politiciens des deux bords de la Méditerranée combien est complexe le gouvernement d'un tel pays dont la caractéristique essentielle qui perdure, lourde de conséquences, est un défaut d'esprit national. Il a fallu, depuis des millénaires y suppléer pour grouper les tribus divisées. Même, lorsqu'il se dressèrent contre les actions espagnoles, elles n'y parvinrent pas. Seule la France, sous son drapeau tricolore réussit les unir à elle.
-----Abandonnés par celle qui fut leur "Mère-Patrie", les tribus, les hommes se redivisent, au grand dam des populations privés de Liberté et de l'économie du pays et bien sûr pour le mécompte de la France et de celui de l'Europe où un grand nombre vient s'y réfugier pour les uns, tout simplement, vivre, les autres, organiser des bases arrières pour les clans tant politiques que religieux qui continuent à s'entre-déchirer.
-----Il nous faut rappeler aussi la signification des mots employés ou que nous emploierons dans la suite de notre narration.
-----La Porte ou Sublime Porte est le nom donné au gouvernement ottoman.
-----
L'oudjeac ou oudjak est au sens éthymologique turc, l'âtre du foyer, fourneau. Par extensions successives il devint un groupe de miliciens vivant par ce fourneau, puis "Milice". Nous l'avons dit précédemment, Baba Aroudj en est le fondateur après avoir tiré profit de l'enseignement des chevaliers de Rhodes au cours de ses deux années de captivité dans la République Militaire de cet Ordre.
Seffara (Seffari au pluriel) est un groupe de 20 hommes commandés par 3 officiers, en garnison, qui prend nom de Kreubba, en campagne.
-----Nouba est la réunion de plusieurs Sefari, en garnison. Elle prend le nom de Mehalla en campagne.
-----Bey, veut dire, littéralement, en turc, "Trésorier". C'est le Gouverneur d'une province.
-----Dey, veut dire, aussi littéralement, en turc, "oncle". Ce fut le chef de la Régence.
-----Beylik, est le territoire d'un Bey, se traduit par "Province".
-----Le Pacha de la Porte est le chef, le chef suprême de l'armée et préside le Grand Divan. Il est nommé par La Porte. Le titre a varié et s'appelait auparavant Sultan (1516-1519), suivi de Beylerberg (vice-roi) remplacé successivement par Pacha triennal, Agha, Dey. A partir de 1671 ce fut un Pacha Dey, jusqu'en 1830.
-----Le Grand Divan est un Conseil de gouvernement comprenant des Ministres et des Secrétaires d'Etat.
-----
Le Divan est une copie du Grand Divan à l'echelle du gouvernement du Beylik, de la province.
-----Pachalik est le territoire d'un Pacha. Il y en avait trois en Afrique du Nord
o Pachalik d' Alger, l'actuelle Algérie qui comprenait
- Un gouvernement central à Alger
-Trois Beyliks : Constantine (siège à Constantine), Alger (siège à Médéah), Oran (siège à Mascara)
- Pachalik de Tunis, l'actuelle Tunisie. A l'origine le Pacha partageait le pouvoir avec le Dey et les Beys, avant de devenir, en 1705, héréditaire.
- Pachalik de Tripoli dont l'autorité s'étendait sur la Tripolitaine, le Fezzan et la Cyrénaïque.
-----La domination turque résulta jusqu'alors de la puissance des frères Barberousse qui étaient de fervents musulmans animés d'une haine implacable contre les Chrétiens.
-----Les Algériens dont bon nombre aventuriers, soldats ou corsaires, servirent ces corsaires pirates afin d'en tirer de bons profits. Ils se placèrent, de façon délibérée, sous la suzeraineté du grand seigneur de Constantinople, le sultan Selim. Celui-ci les autorisa à battre monnaie en son nom, mais se réserva l'inverstiture du chef de l'odjeac et fit entretenir, à la solde de ce gouvernement, à Alger, une milice turque.
-----Les Turcs n'étaient aimés ni des Berbères, ni des Arabes. Turbulents, ils étaient soumis par la force et la violence des milices.
-----La disparition de cet homme fort qu'était Hassan-Agha qui s'apprêtait à lancer une expédition contre Tlemcen et les Espagnols, fut à l'origine d'une révolte des janissaires qui proclamèrent gouverneur de l'odjeac un Turc, nommé Agi. Celui-ci leur avait probablement promis de les mieux payer. Ceci déplut au grand seigneur qui donna l'investiture du gouvernement d'Alger à Hassan, fils du cadet des Barberousse. Commandant une escadre de douze galères transportant des troupes de débarquement, il eut tôt fait de rétablir l'ordre turc dans Alger.
-----Dès 1551 (958 de l'Hégire), un nouveau compétiteur pour la suprématie en Afrique du Nord apparaît en la personne du Sultan du Maroc, le Chérif Mohammed El Mehdi, appelé par certains historiens Abou Abdallah Mohammed El Cheikh El Mahadi.
-----Tlemcen et sa province souffraient de divisions intestines entretenues par les Espagnols qui voulaient s'emparer de la ville ; Abd-Halla et Muley-Hamed, les fils d'Abu-Hamu se disputaient le trône de celui-ci. Abd-Halla était soutenu par les Espagnols qui campaient tout près de Mostaganem, alors que les Turcs, soutenant Muley-Hamed, arrivaient en force, obligeant les Espagnols à lever le camp.
-----Alors que les Espagnols battaient en retraite pour atteindre le bord de la mer pour assurer leur sauvegarde, Hassan reprend Tlemcen et y installe celui qui deviendra vassal du grand-seigneur, Muley-Hamet. Mais si les indigènes et les Turcs ne s'aimaient pas, les querelles intestines des premiers facilitèrent la tâche de Hassan qui pour mieux régner attisa la division des tribus. Chacune de celles?ci afin de mieux dominer sa ou ses rivales ennemies, cherchait l'appui d'Hassan-Pacha. Pour y parvenir elle lui donna, non seulement des marques d'amitié, mais aussi main forte dans ses luttes armées contre les tribus berbères rebelles aux Ottomans.
-----Tlemcen et ses dépendances, que Muley-Hamed avait abandonnées, furent annexées à la régence d'Alger qui abolit l'autorité des princes maures. C'est alors que fut constitué le Beylick de Tlemcen et que quinze cents janissaires, commandés par Safer avec le titre de caïd, y tinrent garnison.
 

-----Grâce aux discordes fomentées par Hassan parmi les tribus guerrières berbères, la domination turque s'affermissait et étendait les limites de la régence d'Alger : " l'Algérie".
-----C'était un grave danger pour les Espagnols, maîtres d'Oran.
-----En 1553, les Turcs marchent sur Fez alors que les flottes de France et de Turquie sont commandées par le fameux Dragut qui a sous ses ordres l'amiral français Paulin de la garde, pour conquérir la Corse, sur ordre du roi de France, Henri II.
-----Pour la petite histoire, disons que si Bastia se rend sans résistance, Bonifacio résiste. Après l'envoi d'un officier français comme parlementaire, la ville se place sous le protectorat de la France.
-----C'est alors qu'entré dans la ville, Dragut mécontent de cette reddition laissa ses Turcs massacrer une partie de la garnison et des habitants, ce qui irrita les Français devant une telle violation des conditions de la capitulation. Dragut abandonna alors la flotte française.
-----Salah-Reïs veut rétablir les Marinides sur le trône de Fès. II fait prisonnier Bou Hassoun, dont le vrai nom est Abou'l Hassen Ali ben Mohmmed Cheikh el-Ouattasi qui commandait une flotte de 6 vaisseaux donnés par le roi du Portugal pour l'appuyer dans sa lutte contre le roi d'Alger qui dévastait alors les côtes de Majorque. Mais Bou Hasoun était le fils du fondateur de la dynastie Marinide, ce qui les conduisit à s'entendre. Salah-Reïs pousse son armée vers le Maroc alors que Bou Hassoun rassemble ses partisans et qu'une flotte arrive d'Alger sur Mélilla et le Riff.
-----L'armée du roi de Fès, surprise, est repoussée de Taza et se replie sur Fez.
-----Renforcée par les guerriers de Bou Hassoun, l'armée de Salah-Reïs, à laquelle s'étaient joints les guerriers du cheik de Calla, force les troupes du Sultan à évacuer Fès qui est pillée. Salah-Reïs reste quatre mois à Fès et proclame Bou Hassoun, sultan marinide de Fez.
-----Mohammed el-Mechdi se retire à Marrakech dont il fera le siège de son gouvernement, pour se lancer à nouveau sur Fès qu'il reprend à Bou Hassoun qui est assassiné par un Turc de sa garde, soudoyé par le Chérif, au cours de la Bataille de Messelma, en Septembre 1554.
-----C'est alors que le luxe, l'architecture orientale et les beaux-arts se développèrent à Alger, Turcs et Maures rivalisant dans le somptueux, pour se loger.
-----Hassan gouvernait dans un bonheur et une paix relatifs, tout en poursuivant l'embellissement d'Alger. Cela excita des convoitises. Le gendre même du sultan, Rustan-Pacha, était de ceux qui, au sérail, voulaient le renverser. Il fut destitué alors qu'il faisait route pour Stamboul et remplacé par un des compagnons de campagne du Capitan-Pacha Barberousse : Salah-Reïs. Celui-ci était un homme de grande valeur guerrière, grave et réfléchi dans l'action ; ses expéditions maritimes l'avaient rendu célèbre par la terreur qu'il suscitait au monde chrétien. En Algérie il fit régner la terreur afin de décourager ceux qui seraient tentés de se soulever et fit une expédition exemplaire aux confins du Sahara pour châtier le cheik de la tribu de Tricarte qui ne reconnaissait pas son autorité et refusait de payer tribut. Après la victoire de son armée, forte de douze mille hommes dont les Turcs et renégats n'excédaient pas trois mille, les Arabes et les Berbères dont la famille d'Abd-el Aziz formant le gros de la troupe, il fit massacrer les habitants. Il attaqua la tribu de Huerguela qui ne voulait également pas reconnaître son autorité et refusait de payer tribut. Après cette seconde victoire il emmena à Alger cinq mille esclaves nègres et quinze cents chameaux chargés de butin. Mais le chef berbère de Callah, ce même Abd-el-Aziz ami, se soulève ralliant ses éternels ennemis de la tribu berbère de Koubou.
Ceci démontre l'esprit d'indépendance et de révolte, quasi permanente, des tribus indigènes. C'est un trait de caractère qui perdure, qu'elles soient ou non sous domination étrangère.
-----Le pacha Salah-Reïs (ou Sahl-Arraez), roi d'Alger, envoya une nouvelle armée commandée par son fils pour tenter vainement de battre le chef berbère Abd-el-Aziz
qui devenait, chaque jour, plus puissant. Ce fut alors une succession d'actions de guerre conduites à terre par l'armée et en mer par sa flotte, que le représentant de la Porte entreprit pour affermir la domination turque. C'est ainsi que le royaume de Fès fut pris et la ville saccagée livrée au pillage. Seuls les juifs qui, prudemment, avaient traité avec les Turcs furent épargnés. Le roi Muley-Buhazon fut alors replacé sur le trône par celui qui l'en avait dépossédé, allié alors à ce chef berbère devenu, par la suite, son redoutable ennemi. En effet, il défit l'armée du pacha et mit à mort tous les Turcs. C'était le 6 Janvier 1554 (961-962 de l'Hégire).
Bougie était aux mains des Espagnols. Salah-Reïs (ou Sahl-Arraez) était persuadé que la domination des Turcs en Afrique ne pourrait être totale tant qu'ils ne se seraient pas installés dans cette ville portuaire. Alors tout en préparant une expédition contre ce port, il entreprit le soulèvement des tribus contre les chrétiens et partant, les Espagnols qui se croyaient bien à l'abri derrière leurs murailles et forteresses. -----L'action fut menée avec la collaboration d'une caravelle française qui, avec deux galères algériennes, transportèrent les canons qui devaient participer au siège de Bougie.
-----A cette époque, le Comte d'Alcaudète était gouverneur d'Oran menacée aussi par Salah-Reïs alors que l'Espagne était en guerre contre la France.
-----Mais la prise de Bougie, défendue par une garnison de 500 hommes mal armés, était, pour le roi d'Alger, le but à atteindre en priorité. Il fait partir sa flotte avec le matériel de siège et déboule avec les guerriers du sultan de Koukou par la vallée de l'ouest Sahel.
-----Le 28 septembre 1555, après 24 jours de résistance, sans vivres et sans espoir d'être secourue, la garnison de Bougie capitule. Tous les Espagnols, hommes, femmes et enfants sont réduits à l'esclavage. Mais Abd-el-Aziz facilite les évasions des Espagnols et crée une milice chrétienne de canonniers.
-----Le commandant de la garnison Don Luis de Peralda, autorisé, avec vingt personnes de son entourage, à embarquer pour l'Espagne, est arrêté dès son débarquement, par ordre de Charles-Quint.
-----Traduit devant un Conseil de guerre il est condamné à avoir la tête tranchée, sur la grande place de Valladolid, pour n'avoir pas su mourir à son poste.
-----Maître de Bougie, Salah-Reïs, réalisant que les montagnes Kabyles et le caractère indépendant de ses habitants pouvaient être un frein de l'influence turque sur toute l'Afrique, n'y transféra pas le siège de son gouvernement, comme il l'avait prévu et le laissa à Alger

Colonel Gaston Bautista.