Alger
- l'Algérie
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Texte, illustrations
: Georges Bouchet
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o FOUKA Historiquement le village de Fouka est un village Bugeaud créé par et pour des militaires libérés de leurs 7 ans de service militaire. Mais Guyot fut néanmoins étroitement associé à cette fondation, ainsi qu'il l'explique lui-même fort bien.
Ce texte fait clairement allusion à deux villages : celui du futur Fouka créé en 1842 et celui du futur Fouka-Marine que Bugeaud et Guyot tentèrent de créer en 1846. Il laisse entrevoir les différences d'appréciations entre le Gouverneur Général et son Directeur de l'Intérieur, de la Colonisation et des Travaux Publics. Comme le village de l'intérieur a connu un certain succès, et que l'autre a échoué tout de suite, c'est Fouka qui a laissé le plus de traces dans les ouvrages. De plus Fouka a précédé Fouka-Marine.
FOUKA ( ou Aïn Fouka)
En 1841 Bugeaud vint en personne haranguer tous les libérables
du contingent de 1834 réunis à Alger, pour les exhorter
à participer à l'uvre de peuplement et de mise en
valeur de cette nouvelle province française, la Régence
d'Alger ayant été officiellement annexée le 22
juillet 1834. Il entretenait une correspondance à ce sujet avec le Maréchal Soult, Président du Conseil. Il lui demanda l'autorisation d'accorder aux 60 volontaires, pour commencer, une solde de 1 franc par jour, doublée les jours de garde dans un des blockhaus de protection de l'enceinte. En août 1842
il obtint de Soult la permission d'accorder un congé de trois mois
aux 20 soldats les plus méritants afin qu'ils aillent à
Toulon se choisir une épouse. Les 20 soldats furent désignés
pas le commandant de la place de Koléa ; les demoiselles furent
sélectionnées par le maire de Toulon qui semble avoir été
un ami de Bugeaud. Le lendemain de leur arrivée à Toulon,
les soldats furent mis en présence des jeunes filles à la
mairie de Toulon. Ces dernières avaient été choisies
parmi des domestiques de la bourgeoisie et des employées de commerce
; la plupart étaient orphelines. Les futurs mariés eurent
donc trois mois pour s'entendre : ce qu'ils réussirent à
faire " après maintes péripéties, échanges
de fiancées entre camarades, ruptures et raccommodements ".
Les couples ainsi formés furent mariés tous ensemble "
en grande pompe avec tambour, clairon, discours et sermons. Précédés
d'une fanfare, ils défilèrent sous une pluie de fleurs,
partant joyeux et fiers pour l'Afrique ". Ces " mariages
au tambour " ne furent pas moins solides que les autres, d'autant
que le divorce civil était interdit depuis 1816 (et jusqu'à
la loi Naquet de 1884). Sur 20 Toulonnaises, 15 s'enracinèrent à Fouka ; c'est beaucoup : et beaucoup mieux que le pourcentage observé chez les célibataires. Les raisons avancées pour expliquer les défections des célibataires (1 ou 2 sur 3 ?) sont les conditions imposées par Bugeaud : organisation commune des défrichements et du travail de la terre sous la surveillance d'un officier (ici le Capitaine Blanchet), puis partage des revenus. C'était une organisation militariste et quasi communiste, un " Kholkoze " avant la lettre. Certains colons partirent dès 1843 ; les autres demandèrent à être désassociés afin de travailler chacun pour soi. Le Capitaine Blanchet approuva l'idée du curé d'Aïn Fouka d'écrire à deux de ses collègues de l'Isère pour leur demander de trouver des remplaçants mariés. Ils en trouvèrent 10. Soult ayant accordé le financement pour l'acheminement de 13 couples, Bugeaud trouva dans le Var trois autres couples ; ce sont donc treize couples qui arrivèrent en 1844 avec femme et enfants. Fouka avait perdu des célibataires et gagné des ménages. Les débuts de Fouka durent être moins difficiles qu'ailleurs, et surtout que dans les zones paludéennes. Un argument en faveur de cette hypothèse est fourni par la liste des colons ayant obtenu une aide. Les noms figurent dans un document signé le 31 décembre 1847 par le Lieutenant Général commandant la division : on y trouve les noms, le village, l'aide souhaitée et l'aide obtenue. Pour 30 noms de colons de Mahelma, autre colonie militaire, il y en a un seul (celui d'un dénommé Despan) de Fouka. Il avait demandé une paire de bufs et obtenu 250 francs. Les cultures des premiers temps furent comme partout ailleurs
les céréales et les fourrages ; et quelques légumineuses
robustes tels les fèves ou les pois. Il est très probable qu'après la guerre, la vigne céda quelques hectares au profit des cultures maraîchères, mais moins qu'à Douaouda ou qu'à Staouéli, car les possibilités d'irrigation étaient bien moindres. Il fallait se contenter de cultures en terre sèche, moins rémunératrices. En 1848 arrivèrent dans les deux communes voisines de Tefeschoun et de Castiglione, par le " 4è convoi ", des ouvriers parisiens éloignés de France après les émeutes de juin 1848. Ces 2 villages font partie des 42 " colonies agricoles " dites de 1848. La plupart de ces colons avaient des opinions républicaines et anticléricales. Même si beaucoup repartirent dès qu'ils le purent, les autres auraient influencé leurs voisins de Fouka dans un sens contestataire qui fit de cette circonscription électorale un bastion hostile à Napoléon III et au Second Empire. Fouka, comme Douaouda, a été rattaché à la commune de Koléa devenue CPE en 1851. Elle l'est encore en 1886, si l'on en croit la Géographie de l'Algérie d'Achille Fillias. J'ignore la date de son émancipation : si un lecteur connaît cette date, qu'il en informe Bernard Venis. Merci d'avance.
FOUKA-MARINE (ou N.D de Fouka) A vrai dire le rivage était fréquenté, à la belle saison, par des pêcheurs venus d'Italie, de Sicile ou de Malte avec leurs provisions et leur stock de sel pour la conservation des poissons pêchés. Cette " population flottante prenait tout sans rien donner en échange "écrit A. Bernard. Cependant assez vite certains équipages ne retournèrent pas au pays, se fixèrent et firent venir femme et enfants. Ainsi fut créé spontanément un Fouka-Marine, par des familles sûrement italiennes et peut-être siciliennes comme dans le petit port voisin de Chiffalo. Fouka-Marine est néanmoins un " port de pêche " sans port, avec juste une plage, mal abritée des vents du nord, où on pouvait haler les barques non pontées sur le sable. Les bancs de poissons saisonniers étaient proches de la côte : il s'agissait de poissons dits bleus, notamment de sardines et d'anchois. Il y avait dans les années 1930 une usine de conserve de poissons : sardines ou anchois ? je ne saurais dire. Beaucoup plus tard une très modeste station balnéaire familiale vint aligner ses cabanons, puis ses villas, à côté de la plage des pêcheurs. Elle était, paraît-il la plage des Européens de la région de Blida. Ce ne fut possible que lorsque le parc automobile fut assez développé, donc pas avant 1930, et plutôt après 1945 ou 1950. Quelques dates
Le territoire communal Cette commune est l'une des plus petites du Sahel : 3 km du nord au sud pour 4km d'est en ouest, soit environ 1200 ha. Son territoire est sûrement le plus homogène : pas de collines, pas de ravins encaissés, pas de versants abrupts, pas de grande vallée, pas de forêt. Juste deux plateaux séparés par un talus intermédiare en partie couvert de broussailes. Le plateau supérieur est à 120-130m d'altitude, l'autre qui est en bordure de mer ne dépasse pas les 40m. Les espaces plats dominent très largement. Ils sont presque entièrement cultivés par des colons exploitant de modestes propriétés, en faire valoir direct, ou en location plus rarement car il n'y a pas de grands domaines. La platitude du relief est confirmée par les routes rectilignes, à l'exception de celles qui dévalent le talus entre Fouka et Fouka-Marine. Elle a permis aux chemins qui desservent les parcelles cultivées de former un réseau de damiers. Le plateau du bas surplombe la Méditerranée par une falaise morte d'une dizaine de mètres de haut au grand maximum. La côte est rocheuse, escarpée, mais presque rectiligne. Les criques y sont peu enfoncées dans les terres et n'offrent qu'un abri incertain à la mauvaise saison. Sur la carte des années 1930 les mechtas sont rares : leurs points noirs ne se voient qu'au nord du village, vers le talus. Pourtant les musulmans étaient déjà largement majoritaires en 1930. Et en 1954 seules les communes de Mahelma et de Draria avaient, dans le Sahel, un pourcentage de non musulmans plus faible : à savoir 8% à Mahelma, 11% à Draria et 14% à Fouka, soit un européen pour 7 musulmans. Un regard, même attentif sur la carte, ne permet pas de visualiser cette disproportion, même si l'on remarque les deux marabouts. Le village centre
La taille des parcelles cultivées jusqu'aux limites
du village en haut de la photo, fait songer à des cultures maraîchères,
plutôt qu'à des vignes. Il n'y a pas de place perdue.
Si la photo de droite est celle d'une plage familiale
de la fin des années 1950 à n'en pas douter, il me Les maisons ont été bâties au pied de la falaise, et si près de la mer que c'en est étonnant : on semble ne pas avoir craint les tempêtes, à juste titre sûrement. La desserte de la commune fut assurée de 1903 à 1935 par les trains des CFRA. Une station, sur la ligne de Castiglione existait à Fouka-Marine ; étant donné la proximité du village centre, un kilomètre à peine, il y avait sans doute une correspondance assurée en diligence avant l'essor du trafic par autobus. La route littorale était parcourue par les cars de trois sociétés : celle des Transports R. et A. Roques, celle des Messageries du Littoral et Transports Mory, et enfin celle des Routes Nord-Africaines. Seuls les cars de cette dernière société montaient sur le plateau pour desservir le village. Suppléments sur les aides apportées par les militaires à la colonisation Sans les militaires il n'y aurait eu aucune colonisation rurale avec peuplement européen. On sait, certes, qu'au début la création de villages de colons dans le Sahel a été en partie spontanée et en partie accidentelle. Je pense aux 415 Allemands bloqués dans le port du Havre et échoués finalement en Algérie, que l'on installa tant bien que mal à Kouba et à Dély Ibrahim dans des tentes montées en hâte par l'armée près de ses camps. Le décret de création officielle du village ne fut d'ailleurs signé qu'en septembre 1832 alors que les familles étaient là depuis février. Dans le Sahel, il n'y eut aucune création de village sans sécurisation du nouveau centre par une enceinte de protection et des tours de guet. Nos villages ont été créés au milieu d'une population indigène hostile, et souvent dépossédée de ses terres pour les avoir " libérées " en " émigrant " à l'automne 1839, vers les zones tenues par les partisans d'Abd el-Kader. Cela nous permit de saisir ces terres libérées et donc vacantes. Quand, un siècle plus tard, l'armée ne fut plus capable d'assurer la sécurité des fermiers, même au prix d'immenses dépenses de maintien de l'ordre, le Gouvernement français, sous de Gaulle, mit fin à cette colonisation de peuplement engagée au milieu d'une population hostile. Les colons bouclèrent même leurs valises avant que les soldats aient terminé leurs paquetages, laissant à leur tour leurs biens vacants. Tant il est vrai qu'après 1839 et après 1962 il a existé en Algérie trois catégories morales : le Bien, le Mal, et le Bien Vacant qui transcendait les deux autres en rendant possibles des appropriations hors norme. Bref, les militaires furent à la base de tout, indispensables d'un bout à l'autre de la période et d'un bout à l'autre du territoire, même si on a eu parfois tendance ici ou là, à l'oublier. Leur rôle ne se borna pas, surtout au début, à assurer la sécurité : il fut multiple. Je me propose d'en survoler quelques aspects en privilégiant les exemples observés dans le Sahel, sans m'interdire quelques coups d'il hors de cette région qui fut la première à connaître une colonisation officielle systématique.
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L'aide au peuplement européen o
La construction des infrastructures Le service de santé de l'armée, médecins, chirurgiens et pharmaciens fut au service des militaires et des civils. C'est lui qui assurait par exemple l'importation de la quinine distribuée ensuite par les commerces civils, cabarets ou auberges notamment. C'est lui qui construisit les premiers hôpitaux, à Alger et Douéra. Pour mener à bien ces travaux tout en lançant
quelques opérations militaires d'envergure, mais sans suite, dans
le Titteri notamment, les effectifs dont disposèrent les premiers
Gouverneurs Généraux furent de l'ordre de
30 000 hommes. La défaite des Hadjoutes le 31 décembre
1839 n'établit pas aussitôt une totale sécurité.
En 1840 près de Koléa un détachement de reconnaissance
sans doute trop léger, est attaqué : il y eut 60 soldats
tués. Il débarque à Alger le 22 février
1841. Entre sa nomination et son
arrivée, l'intérim de Valée avait été
tenu par le plus vieux Général présent en Algérie,
le général Schramm. Il trouve aussi une armée d'Afrique très
renforcée avec des effectifs portés à 78
000 hommes. L. Veuillot est sans doute pessimiste. Bugeaud, pour mener à bien ses missions de conquête et de colonisation demanda des renforts. Il les obtint ; c'est en 1846 que (du moins au XIXè siècle) il y eut le plus de soldats français, troupes indigènes comprises : soit 107 000 dont 4 ou 5 000 indigènes. o
Les villages civils du Sahel Partout le Génie a construit les routes d'accès, traçant dans tout le Sahel un réseau routier à mailles serrées appuyées sur les trois routes de ceinture prévues par le plan Guyot de 1842. Partout le Génie a procédé aux travaux
de terrassement indispensables sur certains sites, ainsi qu'à l'aménagement
du damier des rues bordées de trottoirs. Ce damier est inscrit
dans un carré ou un rectangle, celui du périmètre
de protection, chaque fois que le relief ne s'y oppose pas. Le plus souvent l'armée bâtit les équipements collectifs nécessaires pour acheminer et fournir l'eau indispensable à la vie quotidienne des gens et du bétail : conduites, abreuvoir et bassin. Elle détacha quelques escouades de soldats pour, aux tout débuts, donner un coup de main aux défricheurs de broussailles à palmiers nains. Exceptionnellement le Génie construisit des maisons qui, alors durent être achetées par leurs bénéficiaires. o
Les villages militaires du Sahel et d'ailleurs Bugeaud proposa à Paris trois vastes projets de colonisation militaire : ils furent tous repoussés. Il réussit néanmoins, malgré les réticences de Soult et de Guizot, à expérimenter sur place, les trois formules que nous avons déjà rencontrées dans le Sahel. A Fouka ce fut le
peuplement par des soldats volontaires, libérés de leurs
7 ans de service. Ailleurs en Algérie des soldats libérés
demandèrent et obtinrent des concession dans des villages civils
" normaux " sans que leur passé militaire leur vaille
privilège ou handicap particulier. Ainsi à Orléansville,
en 1845, donc sous Bugeaud, il y avait 79 colons ex-militaires et 35 civils.
Bien sûr ce n'était pas un cas fréquent. Après
Bugeaud, donc après 1847 o
L'évolution d'ensemble Les militaires cessèrent aussi de s'occuper des infrastructures civiles : il y avait les Ponts et Chaussées pour les routes et des entrepreneurs privés pour les villages (et des compagnies privées pour les chemins de fer). o
Les exceptions politiques de la période 1847-1852 On avait demandé au Gouverneur général
Charon, dans l'urgence de prévoir
l'aménagement de 42 villages pour recevoir des ouvriers, parisiens
essentiellement, éloignés de France pour raisons politiques.
Ce n'étaient pas des déportés : ils étaient
volontaires pour tenter l'expérience. Ils furent amenés
en Algérie en 17 convois de 600 à 800 personnes. Ils ne
trouvèrent sur place que des baraquements provisoires sans confort
et rien de ce qu'on leur avait promis : semences, bétail, outils.
Ils eurent l'impression d'avoir été bernés. De surcroît
les récoltes de 1849 et 1851 furent dévastées par
des vols de sauterelles, et celle de 1850 diminuée par un printemps
sec. Quand ce fut possible une bonne partie des colons de 1848 retournèrent
en France. En 1852 nous avons
rencontré le cas des Transportés à Douéra.
En fait ce sont deux camps militaires du Sahel, ceux de Douéra
et de Birkhadem,
qui furent mis à contribution pour héberger et trier quelques
centaines de républicains transportés pour s'être
opposés ou coup d'état. Il s'agissait de choisir ceux que
l'on enverrait peupler de nouveaux villages ou travailler sur des chantiers
de routes. Aucun village du Sahel ne reçut de transportés
: le village le plus proche qui en reçut fut Birtouta, limitrophe
de Crescia. o
Une étrangeté oubliée : les zmoul de Spahis
Les smalahs de cavaliers sont une forme de colonisation
militaire que nos Bureaux Arabes, recréés en février
1844, ont empruntée aux Turcs. Ces smalahs ottomanes étaient
des groupes de cavaliers auxquels le Dey d'Alger concédait des
terres ; à charge pour eux de les cultiver, tout en assurant la
sécurité des voyageurs et la surveillance du bled Siba (région
mal soumise, par opposition au bled Makhzen). Elles étaient postées
sur les axes de communication majeurs. Les smalahs françaises installées sous l'Empire
ne furent qu'une adaptation de ce modèle turc. Chaque spahi devait prendre soin de son fusil et de son
cheval. Ses missions non agricoles étaient de servir de sentinelle
en renseignant les autorités françaises sur l'état
d'esprit des populations, et de participer à des enquêtes
de police ou à des arrestations dans les tribus voisines. En 1871, quand les Bureaux Arabes furent supprimés par la République, il y avait 16 smalahs correspondant chacune à un escadron. Aucune, bien évidemment, n'était située dans le Sahel algérois. Mais cette expérience exceptionnelle de colonisation française par des soldats-cultivateurs arabes, a dépassé de beaucoup, en importance et en durée (les deux dernières furent dissoutes après 1918) celle des soldats-colons de Bugeaud dans le Sahel, pourtant mieux connue. C'est la raison de ce rappel historique un peu en marge de mon sujet.
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