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-L'Afrique romaine
130 pages - 15, -5 x 23,5 - 52 photographies
chapitre 2: Organisation administrative de l'Afrique romaine
par Eugène Albertini,
membre de l'Institut, professeur au Collège de France, Inspecteur Général des Antiquités (il a oublié de m'inspecter !!!) et des Musées de l'Algérie
Texte obtenu par OCR. Il reste certainement des "coquilles". Vous pouvez me le faire savoir.Merci.

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---------Après avoir dit par quelles étapes s'était réalisée la conquête romaine, et dans quelles limites territoriales elle s'était tenue, nous avons à indiquer maintenant les grandes lignes de l'administration appliquée par Rome au pays occupé. Nous y reconnaîtrons, comme premier trait dominant, la souplesse, la plasticité de l'administration romaine : elle n'a nullement le goût des principes immuables, appliqués mécaniquement et indifféremment à toutes les circonstances ; elle ne cherche pas l'uniformité, ne désire pas faire rentrer dans un cadre imposé les gens et les choses. En second lieu, nous avons à constater la part très grande que, dans le fonctionnement du système administratif, - je parle naturellement pour les deux premiers siècles de l'Empire, - Rome a laissée aux indigènes. Enfin, nous regarderons en particulier l'organisation militaire de l'Afrique romaine, et nous y constaterons l'application de la même maxime générale : collaboration des Romains et des indigènes dans l'œuvre de surveillance et de mise en valeur du pays.

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---------L'Afrique du Nord n'a jamais été une unité administrative. A aucun moment il n'y a eu un fonctionnaire suprême, un gouverneur unique qui exerçât sont autorité de la Tripolitaine au Maroc ; à aucun moment il n'y a eu une ville qui fût le chef-lieu de tout le pays, le siège d'institutions communes à tous les Africains ou de bureaux compétents pour toute l'Afrique. Carthage, qui était de beaucoup la ville la plus peuplée, la plus commerçante, était une espèce de capitale morale, mais, officiellement, n'était rien de plus que le chef-lieu d'une des provinces entre lesquelles l'Afrique était divisée.
---------Ces provinces, aux trois premiers siècles de l'Empire, étaient au nombre de quatre : l'Afrique proconsulaire ou Afrique au sens propre du mot, la Numidie, la Maurétanie Césarienne et la Maurétanie Tingitane.
---------L'Afrique proconsulaire comprenait la Tripolitaine, la Tunisie, et une bande du terrain qui est aujourd'hui algérien ; elle allait sur la côte jusqu'à quelque distance à l'Ouest de Bône. http:// perso. wanadoo.fr/bernard.venisSouk-Ahras, Guelma, et peut-être aussi, depuis la fin du premier siècle, Tébessa, lui étaient rattachées. Elle était donc constituée par la partie de l'Afrique du Nord où la domination romaine était la plus étendue et la plus compacte ; c'était une région où l'influence civilisatrice de Carthage s'était exercée depuis longtemps, où la vie agricole et commerciale s'était développée dès avant l'arrivée des Romains ; il n'y subsistait plus, à l'intérieur du pays romain, de noyaux barbares hostiles ; les Musulames, nomades de la région de Tébessa qui donnaient encore quelques inquiétudes aux Romains sous les premiers empereurs, furent définitivement pacifiés et fixés vers la fin du premier siècle. C'est en tant que pays tout à fait pacifié que cette province était confiée à un proconsul, nommé en principe pour un an, et résidant à Carthage, d'où le nom qu'elle portait. Tout le régime impérial reposait sur la fiction d'un partage de la souveraineté entre l'empereur et le peuple, représenté par le Sénat ; les deux pouvoirs étaient supposés se faire équilibre ; et, conformément à cette théorie, Auguste avait partagé l'ensemble du monde romain en deux séries de provinces : les provinces sénatoriales, gouvernées par des proconsuls que désignait le Sénat, et dont les revenus allaient au trésor public ; les provinces impériales, gouvernées par des propréteurs ou des procurateurs que l'empereur nommait à son gré, et dont les recettes allaient au fiscus ou caisse de l'empereur. Cette séparation de pouvoirs était plus apparente que réelle, car en fait, dès les premiers empereurs, le Sénat fut à peu près entièrement dans la main du prince ; en outre, des empiètements progressifs réduisirent petit à petit la part d'autonomie administrative que le Sénat gardait au début dans ses provinces ; des procurateurs, agents directs de l'empereur, se substituaient peu à peu dans les diverses branches de l'administration financière des provinces sénatoriales aux questeurs, fonctionnaires publics. Néanmoins, une différence intrinsèque subsistait entre les deux catégories de provinces : celles que l'empereur avait confiées au Sénat étaient plus paisibles, plus romanisées que les autres ; elles pouvaient se passer de garnison ; car Auguste, tenant par dessus tout à réserver à l'empereur seul la disposition de la force militaire, n'avait pas voulu, en règle générale, mettre dans le lot du Sénat les provinces où la présence des troupes était nécessaire. L'Afrique proconsulaire, province civile, était donc la région d'Afrique dont la population était la plus dense, la plus prospère, et la plus pénétrée d'influences romaines.

---------Ensuite venait la Numidie, qui avait pour limite occidentale l'embouchure de l'Oued-el-Kebir, puis une série de vallées, délimitation qui mettait Djemila en Numidie, Sétif en Maurétanie ; plus au Sud, la Numidie comprenait l'Est et le Sud de la plaine du Hodna. La Numidie était gouvernée par le légat commandant la légion qui était l'élément principal du corps d'occupation de l'Afrique ; ce légat, qui portait le titre de propréteur, était désigné directement par l'empereur, qui le laissait en fonctions le plus souvent pendant plusieurs années.
---------A vrai dire, cette province de Numidie n'eut d'existence officielle, comme province indépendante et sous ce nom, qu'à partir des premières années du troisième siècle. Jusquelà, elle fit théoriquement partie de l'Afrique proconsulaire. Mais comme il était contraire aux règles posées par Auguste qu'une province proconsulaire, donc sénatoriale, contînt une légion, et comme il était anormal de subordonner à un proconsul désigné par le Sénat un propréteur chargé par l'empereur d'un important commandement militaire, dès le règne de Caligula une séparation de fait avait distingué l'Afrique proconsulaire proprement dite du territoire du légat, territoire pour lequel la dénomination de Numidie entra dans l'usage bien avant d'être officiellement reconnue. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venisDans ce territoire, délimité comme je viens de l'indiquer, l'autorité du légat propréteur fut, dès Caligula, entière, et le légat n'avait de comptes à rendre qu'à l'empereur ; sa subordination au proconsul n'était plus qu'une fiction, bien avant d'être définitivement abrogée à la fin du II" siècle ; il exerçait, en même temps que le commandement militaire, les pouvoirs administratifs et judiciaires d'un gouverneur.
---------Sa résidence était au quartier général de la légion, qui, après avoir été à Ammaedara, puis à Tébessa, fut, à partir du commencement du II" siècle, à Lambèse. De ce point, le légat propréteur administrait et commandait les fractions de ses troupes détachées à la garde de la frontière, soit à l'Ouest, vers Messad, soit vers le Sud-Est, sur le limes tunisien et tripolitain. Une partie du territoire soumis à son administration avait perdu depuis longtemps le caractère de marche militaire que conservait la région avoisinant l'Aurès : je veux parler de la partie de la Numidie la plus voisine de la mer, dont la ville principale était l'ancienne capitale numide de Cirta ; mais le rattachement de cette contrée à la zone du légat, chef militaire, se justifiait par l'origine d'une bonne partie de la population : c'étaient les vétérans du condottiere Sittius qui avaient, à l'époque de César, peuplé Cirta et les villes voisines. D'autre part, une large autonomie municipale, accordée à Cirta et aux villes qu'elle groupait autour d'elle, supprimait les inconvénients qui auraient pu résulter pour cette région du fait que le légat propréteur résidait au Sud, dans une position excentrique, et du fait que ses attributions militaires se conciliaient imparfaitement avec la conduite d'un pays dont l'activité était surtout pacifique et commerçante.

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De l'Oued-el-Kébir à la Moulouya s'étendait la Maurétanie Césarienne, qui prenait son nom de son chef-lieu (Caesarea, Cherchel). D'étendue moindre que la Proconsulaire et la Numidie, puisqu'elle se réduisait en somme à une bande de terrain allongée entre la mer et la limite Nord des Hauts-Plateaux, - d'occupation plus récente, de ressources moins abondantes ou moins exploitées - elle était gouvernée par un procurateur, agent impérial qui réunissait en sa personne les attributions civiles et militaires, et n'était que de rang équestre, à la différence des proconsuls et propréteurs qui étaient d'ordre sénatorial. L'empereur nommait et changeait les procurateurs avec une liberté entière ; ils étaient, le plus souvent, maintenus en fonctions pendant plusieurs années.

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La Maurétanie Tingitane, à l'Ouest de la Moulouya, avait un procurateur, comme la Maurétanie Césarienne ; il résidait à Tingi, Tanger.

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Ainsi, l'Afrique du Nord est divisée, par les Romains, en quatre compartiments distincts, et, pour ces quatre provinces, trois systèmes de gouvernement sont appliqués : le gouvernement par proconsul, le gouvernement par propréteur, le gouvernement par procurateur. On pourrait peu-têtre voir, dans ce compartimentage et dans cette variété d'organisation, la marque d'un sentiment de méfiance à l'égard, soit des administrés, soit des administrateurs : Rome aurait pu se proposer de briser l'Afrique en tronçons, pour y rendre impossible la formation d'une unité et d'une résistance nationale ; elle aurait pu aussi redouter de confier au même homme une force trop grande en mettant sous ses ordres un pays très étendu. Très probablement, ce ne sont pas des craintes de ce genre qui ont amené la solution adoptée. Cette solution s'est réalisée comme d'elle-même, sans calcul ni volonté délibérée, déterminée par la nature des choses. Différentes par leur passé, par leur date d'entrée dans l'Empire romain, par leur degré de civilisation, par leur pénétrabilité à l'influence romaine, les diverses régions d'Afrique ont reçu le traitement qui semblait le mieux s'accommoder à chacune d'elles, sans aucune tendance vers l'unification ou l'uniformité. Le morcellement géographique de la Berbérie, ce morcellement naturel dont la constatation s'impose à tous ceux qui observent le pays, se traduit sur les cartes de l'Afrique romaine, aux trois premiers siècles de l'Empire, par la division provinciale.

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---------Si l'on regarde, à l'intérieur de chaque province, la condition des collectivités et des individus, on constate la même variété, la même aversion pour les classements rigides. Il y a, pour chaque habitant de l'Afrique pris à part, et pour chaque groupe d'habitants, toute une série de possibilités.
---------Une ville peut être colonie romaine, c'est-à-dire avoir reçu un groupe d'habitants en possession de tous leurs droits de citoyens romains, et avoir été, à cette occasion, déclarée colonie : elle est considérée comme une fraction de Rome détachée au delà de la mer ; ses habitants sont, au regard de la loi, aussi pleinement romains que ceux de Rome même.
---------Une ville qui n'est pas colonie peut être municipe romain, c'est-à-dire qu'elle a, comme la colonie, des institutions calquées sur celles de Rome, un conseil municipal qui est l'image du Sénat, des duumvirs qui sont l'image des consuls, des édiles et des questeurs qui ont les mêmes titres et les mêmes fonctions que les magistrats de Rome ; mais les biens fonciers, dans les municipes, sont soumis à des charges dont les colonies sont exemptes.
---------Une ville qui n'est ni colonie, ni municipe romain, peut être municipe latin : elle possède alors les mêmes institutions qu'un municipe romain, mais ses habitants n'ont qu'un droit de cité diminué, inférieur, qu'on appelle le droit latin ; http://perso.wanadoo.fr/bernard.venispour obtenir le droit de cité romaine dans un municipe latin, il faut avoir été appelé par l'élection populaire soit à la fonction de décurion ou conseiller municipal, c'est le cas pour les plus favorisés des municipes latins, soit à la fonction de duumvir ou magistrat municipal, c'est la règle pour les moins favorisés.
---------En dehors de ces catégories, il existe des communes pérégrines, dont la population est presque entièrement indigène, tantôt sédentaire, tantôt nomade ; la vie d'une commune pérégrine peut prendre bien des formes : parfois Rome se contente de reconnaître et de consacrer l'autorité du chef indigène sur sa tribu ; parfois elle laisse subsister des institutions de type carthaginois ; parfois elle crée un conseil qui pourra se transformer plus tard en conseil municipal de type latin ou romain. Et dans toute commune, quelle qu'en soit la classe, il existe encore une différence juridique très marquée entre les habitants du centre urbain, lorsqu'il existe, et ceux qui vivent épars, dans des hameaux ou des maisons isolées, sur le territoire de la commune.
---------Il y a donc toute une hiérarchie de groupements, hiérarchie dont les degrés sont multipliés à l'infini par le jeu des exemptions d'impôts, ou des tarifs spéciaux appliqués, suivant les localités, aux différents droits perçus par les gouverneurs.
---------Il en est de même pour les individus ; leur condition n'est pas déterminée de façon immuable par celle du groupe communal auquel ils appartiennent, car chacun peut toujours être l'objet d'une faveur individuelle qui l'élève audessus de ses concitoyens. Le pérégrin peut recevoir le droit latin, le citoyen de droit latin peut devenir citoyen romain ; le citoyen romain qui s'est distingué dans les fonctions municipales peut recevoir, de l'empereur, le rang de chevalier, et être appelé aux emplois de l'Etat ; le chevalier qui s'est distingué dans les emplois de son ordre peut être élevé, en sa personne ou en la personne de son fils, jusqu'à l'ordre sénatorial.
---------Ici, la variété, l'élasticité dont fait preuve l'administration romaine répond à une politique : en proposant aux Africains, d'étape en étape, une situation juridique et sociale plus haute, plus avantageuse, plus respectée, Rome détermine chez eux un concours d'émulation, un effort pour mériter d'être appelés à la cité romaine, puis aux ordres privilégiés de cette cité. Elle détermine, dans l'ensemble de la population, un mouvement d'ascension vers la vie romaine, un appel par l'effet duquel les différentes couches du personnel romain puisent, pour se renouveler, dans le fond indigène, de génération en génération.

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---------C'est qu'en effet Rome, la Rome impériale, n'a pu occuper, coloniser, mettre en valeur l'Afrique qu'avec le concours très actif de la population indigène.
---------L'époque à laquelle Rome a la volonté de coloniser l'Afrique se trouve être en même temps celle à laquelle l'Italie se dépeuple. Dès le début de l'Empire, dès le règne d'Auguste, on voit avec inquiétude, à Rome, les naissances devenir de plus en plus rares, les campagnes se dépeupler, ainsi que les villes d'importance moyenne : seules les très grandes villes comme Rome échappent à ce mouvement. La dépopulation s'accentue malgré les mesures législatives prises par les empereurs ; et l'Afrique ne peut pas être, pour Rome, une colonie de peuplement, parce que Rome et l'Italie n'ont pas de travailleurs à envoyer au delà des mers.

 

----------En fait, si nous cherchons à déterminer l'importance numérique du contingent des immigrés romains ou italiens en Afrique, nous avons tout lieu d'admettre qu'il a été faible ; et il ne grossit pas beaucoup même si nous y ajoutons les immigrés non-italiens. Ces immigrés comprennent les hauts fonctionnaires, mais le personnel subalterne des bureaux se recrute sur place ; quelques gros propriétaires fonciers, mais le plus souvent ils résident à Rome et sont représentés en Afrique par des intendants et des fermiers, dont beaucoup d'origine locale ; quelques commerçants italiens, orientaux ou espagnols, dans les villes de la côte et dans quelques grosses localités de l'intérieur comme Cirta. http:// perso. wanadoo.fr /bernard.venis. Ce sont là des apports qui ne changent pas le caractère berbère de la population ; et l'énorme prépondérance numérique de l'élément berbère oblige à lui laisser une large place dans tous les domaines.
---------Les administrations communales ont des attributions étendues ; non seulement elles ont un budget communal qu'elles règlent sous le contrôle du gouverneur, mais elles ont une compétence judiciaire dans les limites prévues par la loi, la charte de chaque commune. Les Africains de famille riche ou aisée sont appelés, de père en fils, car les suffrages consolident en général les situations acquises, à ces fonctions municipales ; ils y prennent l'habitude de l'administration, et l'empereur, comme nous l'avons dit, fait passer les meilleurs d'entre eux au service de l'Etat. Ils exercent leurs fonctions soit dans d'autres provinces, soit en Afrique même ; mais, même lorsqu'ils sont absents de leur province natale, ils y restent attachés, y conservent des propriétés, des intérêts, font des dons à leurs concitoyens, leur rendent des services, protègent ceux de leurs compatriotes qui sont aptes à remplir à leur tour des emplois publics. Ces familles de bourgoisie municipale ont été les agents les plus actifs de la romanisation : mais il ne faut pas perdre de vue qu'elles étaient de souche indigène, et que, dans la plupart des cas, elles ne s'étaient unies par mariage qu'à des familles indigènes aussi.
---------Un des moyens par lesquels Rome s'assura le mieux la collaboration de la population sujette fut l'organisation du culte impérial. Dans chaque ville on rend un culte, non pas à la personne de l'empereur, mais au caractère sacré de sa fonction, en associant à l'empereur vivant les empereurs divinisés après leur mort ; et dans chaque chef-lieu de province se réunissent, pour célébrer le même culte, les délégués des différentes cités. Ces délégués sont les personnage les plus en vue des villes qui les ont envoyés, et celui d'entre eux qu'ils élisent prêtre de la province apparaît comme le représentant de la province tout entière. Ils ont qualité pour s'entretenir de leurs intérêts, de leurs désirs, et pour en entretenir le gouverneur ; si c'est du gouverneur précisément qu'ils ont à se plaindre, ils peuvent s'adresserdirectement à l'empereur ; leurs voeux, leurs félicitations, leurs blâmes sont recueillis par l'empereur comme une expression de l'opinion des provinciaux ; les administrés sont admis ainsi à orienter eux-mêmes, en quelque mesure, l'administration.

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---------Cette part faite aux indigènes dans l'oeuvre de colonisation de l'Afrique, nous la constatons très clairement dans le domaine militaire.
---------En Afrique comme ailleurs, l'armée romaine comprenait deux éléments : la légion, où ne servaient que des citoyens romains, soit qu'ils eussent cette qualité par droit de naissance, soit qu'ils l'eussent reçue de l'empereur le jour de leur entrée au service ; les corps auxiliaires, où servaient des non-citoyens, recrutés parmi les populations mal civilisées, non encore groupées en villes, qui vivaient à l'intérieur de l'Empire : l'auxiliaire recevait, en général, le droit de cité romaine à sa libération, lorsque vingt-cinq années passées au service de l'Empire l'avaient romanisé.
---------L'Afrique avait pour garnison une légion, la IIIè Auguste, dont l'effectif moyen était de 5.500 hommes. Elle détachait une cohorte, soit un dixième de son effectif, à Carthage, pour servir d'escorte et de force publique au proconsul. Tout le reste était réparti dans les différentes garnisons de la Numidie, le quartier général et le noyau principal étant, depuis le début du IIe siècle, à Lambèse. A la légion, troupe d'infanterie, s'ajoutaient, en Numidie, des corps auxiliaires, les uns à cheval, les autres à pied, les premiers plus nombreux que les seconds ; leur effectif total était sensiblement équivalent à celui de la légion. Dans les deux Maurétanies, il n'y avait pas de légion, mais seulement des troupes auxiliaires, dont l'effectif total était d'environ 15.000 hommes. La province proconsulaire, vide de soldats par définition, ne comprenait, outre la cohorte légionnaire détachée comme escorte auprès du proconsul, qu'une force de police, chargée de maintenir l'ordre dans la ville de Carthage c'était une cohorte urbaine, détachée de Rome à Carthage, et qui comptait un millier d'hommes. On arrive ainsi, pour le corps d'occupation de toute l'Afrique, à un effectif d'environ 27.000 hommes.
---------Ces soldats étaient, en principe, enrôlés par conscription : tout citoyen romain était, comme à l'époque républicaine, obligé en principe au service militaire ; toute peuplade de non-citoyens devait fournir un certain nombre de recrues pour les corps auxiliaires. Mais, en fait, l'obligation restait presque toujours, sous l'Empire, purement théorique, parce que les engagements volontaires suffisaient à alimenter le recrutement. Il est exceptionnel, sous l'Empire, qu'un soldat entre au service autrement que de son gré.
---------Or, non seulement l'Italie se dépeuplait, mais sa population était de moins en moins disposée à servir dans les provinces éloignées où les légions tenaient garnison. Les empereurs, de leur côté, ne cherchaient pas à réveiller chez les Romains et les Italiens l'esprit militaire ; ils se sentaient beaucoup plus maîtres de leurs soldats si ces soldats venaient de régions lointaines, récemment appelées à la culture romaine. On constate, sous l'Empire, que les éléments italiens disparaissent progressivement de l'armée, suivant un mouvement assez rapide ; les soldats se recrutent exclusivement dans les provinces ; et, par une suite naturelle de ce mouvement, on arrive à recruter, dans chaque province, les soldats chargés de la garder. Vers le milieu du II, siècle, sous l'empereur Hadrien, cette réforme est acquise : alors que la légion d'Afrique comprenait une assez forte proportion de Gaulois au premier siècle, et d'Orientaux au début du second, c'est l'Afrique qui fournit vers 150 presque toutes les recrues de la III, légion ; et parmi les soldats qui entrent au service, beaucoup sont nés à Lambèse ou dans les différentes garnisons de Numidie, d'un père qui était légionnaire lui-même.
---------Il n'en est pas autrement pour les corps auxiliaires un certain nombre d'entre eux portent des noms qui indiquent qu'ils ont été formés hors d'Afrique : ce sont des Pannoniens, des Asiatiques, des Espagnols, des Thraces, des Bretons, des Sardes, des Corses, des Dalmates, des Gaulois, des Sicambres. Mais si, à l'origine, le corps a bien été recruté dans la nation dont il porte le nom, ce nom n'est plus qu'un souvenir sans portée pratique lorsque, depuis plusieurs dizaines d'années, le corps tient garnison dans une province différente : au milieu du second siècle, les troupes auxiliaires de l'armée d'Afrique se recrutent presque exclusivement en Afrique, comme la III, légion. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis.Une seule exception vaut d'être notée : celle des corps d'auxiliaires Syriens, où les Syriens authentiques furent toujours en majorité.
---------En somme, l'armée a fait entrer en Afrique, au ler siècle, un certain nombre d'hommes venus des autres provinces de l'Empire. Mais la proportion de cet élément non-africain est allée en s'affaiblissant jusqu'à devenir, vers 150, pratiquement nulle. Ce sont des Africains qui ont assuré l'ordre en Afrique, pour le compte de Rome. Et ce fait apparaît plus nettement encore si l'on note que plusieurs corps auxiliaires, cantonnés en Afrique, portent des noms qui indiquent qu'ils ont été levés dans le pays - Musulames, Maures -, si l'on songe aussi qu'outre les troupes régulières, les Romains ont employé, en Afrique, des contingents irréguliers fournis par les tribus et correspondant à nos goums.
---------Cette méthode était possible, parce que le service militaire était un instrument efficace de romanisation. Qu'ils aient reçu le droit de cité en entrant au service ou en le quittant, soldats de la légion ou des corps auxiliaires avaient passé vingt ou vingt-cinq ans sous la discipline romaine, parlant latin, se formant aux moeurs et aux idées des Romains. Libérés, ils restaient attachés à leurs souvenirs ; les vétérans formaient des groupes qui, parfois, étaient envoyés officiellement en colonie dans quelques villes nouvelles, et qui, dans d'autres cas, se massaient spontanément sur les terres que l'empereur concédait avec libéralité, au voisinage de la frontière ou sur quelque point stratégique. Garnisons de troupes actives et groupes de vétérans occupaient non seulement le limes, mais encore, à l'intérieur des provinces, les positions d'où l'on pouvait surveiller et commander un massif où l'on regardait comme éventuelle une menace d'insurrection : on note de telles lignes de surveillance, par exemple, autour de l'Aurès, dans la Grande et la Petite Kabylie, aux abords des massifs du Dahra et de l'Ouarsenis. L'occupation militaire, dans l'Afrique romaine, consiste en réalité au II' Siècle à faire imposer la paix romaine par des Berbères
romanisés à des Berbères non romanisés, et, en même temps, à s'efforcer d'attirer les réfractaires, par l'exemple des avantages accordés à leurs congénères mieux adaptés.

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---------En résumé, ce qui est le plus remarquable dans l'organisation administrative de l'Afrique romaine, c'est l'économie des moyens : envoi en Afrique d'un nombre minimum de Romains et d'Italiens, force armée qui n'atteint pas 30.000 hommes et dont le pays fournit de bonne heure la plus grande part. Cette économie était possible, grâce à la souplesse des méthodes employées, qui s'adaptaient partout aux circonstances locales, ne brusquaient point la population indigène, lui permettaient au contraire de s'élever progressivement et de faire entendre sa voix. Cette prudence a permis un brillant développement économique dont nous aurons maintenant à nous occuper