AÏN-FRANIN
extraits du numéro 130, juin 2010, de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"


mise sur site : septembre 2014

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Aïn Franin
Un coin de
paradis
par Monique Vicedo-Bertier

Les origines, petit rappel historique

Aïn Franin se trouve à treize kilomètres à l'est d'Oran. Descendant de la Montagne des Lions, quelques sources l'alimentent en eau, cette denrée si rare et si précieuse dans le monde méditerranéen.

Les Romains utilisèrent même la source d'eau chaude qu'ils baptiseront Ipsala, depuis les Portus divini (Oran) et Portus deorum (Mers el-Kébir). Après l'arrivée des envahisseurs arabes, c'est au tour des Espagnols de faire leur apparition dans cette partie de l'Afrique du Nord.

Le 11 septembre 1505 des troupes débarquent au Cap Falcon. Le 13, Marzalquivir est enlevée. Sans eau et sans espace pour déployer les troupes la forteresse est difficile à défendre. Les Espagnols y demeurent enfermés, se ravitaillant par des " sorties " périlleuses. La prise d'Oran apparaît donc nécessaire.

Le dimanche 20 mai, Ximenes entre enfin en vainqueur dans la ville. Malgré d'incessantes difficultés, les Espagnols tiendront les deux places fortes jusqu'en 1792, date à laquelle ils quitteront définitivement la région, après qu'un tremblement de terre ait ruiné les remparts et la ville d'Oran, à moitié détruite par le séisme.

En 1830, l'armée française entreprend la conquête de l'Algérie. Le gouvernement militaire va peu à peu organiser et faire mettre en valeur les nouveaux territoires.
C'est ainsi qu'une ordonnance royale du 4 décembre 1846 crée sur les lieux- dits de Santa Cristina, Isabel et San Fernando, les centres de population de Christine et de Joinville.

Le colon doit faire une demande d'attribution d'un de ces lots, accompagnée d'un certificat du maire de la commune de résidence attestant de la composition de la famille et des ressources du candidat. Le colon reçoit alors un titre de concession provisoire qui précise les travaux de mise en valeur qu'il doit accomplir dans un certain délai, faute de quoi, il perdra ses droits.

Les premiers colons


En mars 1847, la compagnie Veyret et Delbasso construit une ferme à Tazout (San Fernando), une autre à Aïn Franin et un véritable village à Kristel.

En juillet 1850, le " Bureau arabe " installe provisoirement les frères Hubert, sur un terrain vacant dans une vallée située sur la commune de Christine dans l'ancien territoire de la tribu des Phranins. La concession est de 35 ha. En juillet 1855, les autorités contrôlent les travaux réalisés par les frères Hubert: " Ceux-ci ont bâti une ferme qu'ils habitent. Elle comporte des écuries, des hangars, un four à pain, le tout entouré d'un mur en maçonnerie formant une cour et un four à chaux. Ils ont creusé un puits de 34 m de profondeur surmonté d'une tour à manivelle, ont planté une vigne d'environ 20 ares et défriché 6 ha ". Toujours en juillet 1855, sur Christine, des " demandes de concessions sont formulées par l'indigène Ben Keir Ben Beccoucha ".

Une partie de la propriété de Mohamed Bel Caïd située sur cette commune, au-dessus du Belvédère, deviendra le douar d'Aïn Franin où vivent actuellement les descendants d'Habib, le jardinier de ce lieu.

En 1856, les 35 ha touchant aux concessions de la Compagnie Veyret et des Servajean sont définitivement attribués aux frères Hubert.

Aïn Franin qui, à cette époque, fait partie du domaine de la commune de Christine, sera plus tard géré par l'administration des Eaux et Forêts et rattaché à la commune d'Assi-ben-Okba. Il est desservi par la route qui relie, en passant par Canastel, Oran à Kristel. Il se blottit au pied de la Montagne des Lions, entre le Cap Roux et la Pointe de l'Aiguille, ce Djebel Khar, culminant à 611 m.

Avant 1962, cinq lieux-dits se suivaient d'ouest en es t: La Source, la Mine, le Hameau, le Bassin, le Petit Port, Mon Rêve-Passaro.

La " Source d'eau chaude ": Yepserra


Elle est située en contrebas du Belvédère qui offre une vue exceptionnelle sur toute la baie, au lieu baptisé par les Espagnols " La Plâtrière ".

Dans les années cinquante, c'est le docteur Bergali, propriétaire des lieux qui, intrigué par la présence de filets d'eau, fit creuser une excavation d'environ 2 m de profondeur.

Il retrouva ainsi la source dont le souvenir s'était estompé dans la mémoire des hommes. Il la baptisa " Yepserra ", nom tiré du castillan " yesera ", plâtrière, et du valencien " geps ", plâtre. Avec l'idée de l'exploiter, il fit étudier cette eau chaude qui se révéla être une eau minéralisée. Bicarbonatée, sulfatée, calcique et carbogazeuse, elle présentait les caractéristiques des sources de Royat par son gaz carbonique, de Vittel par son sulfate de calcium et de Vichy par ses bicarbonates. Elle soignerait la dyspepsie et les maux cardio-vasculaires. La source débitait 800 m3 par jour, à une température de 36,5°.

Nous allions nous y baigner assez souvent et nos grands-parents y faisaient de pittoresques " trempettes " pour s'y débarrasser de leurs maux !
Un projet de développement d'une exploitation thermale de boisson et de bains thermo-gazeux fut sérieusement étudié, puis abandonné pour des raisons que nous ignorons (*)
* Le Dr Bergali n'aurait reçu l'agrément pour ces installations qu'après son retour en France. Une crise cardiaque l'aurait emporté le lendemain.

La Mine

La Mine tire son nom du graphite qui y sera exploité jusqu'en 1942-1943. Elle fut ensuite abandonnée.

A environ 2 km à l'est de la " Source d'eau chaude ", on découvre une autre source à l'eau claire, abondante et merveilleusement fraîche, parfaitement adaptée au " traitement " de l'anisette.

En 1850 un lot de colonisation y est attribué à une famille composée des deux parents et de leurs trois enfants. Ils n'ont pour toute fortune qu'un âne, deux chèvres et quelques hardes.
D
'autres concessionnaires les suivront sans beaucoup de succès, semble-t- il.

Cette source a contribué à faire de ce coin, assez éloigné d'Oran, à une époque où les automobiles étaient encore assez rares, un lieu de vacances inoubliables.

Dès 1935, au hasard d'une promenade, bucolique, Camille Mugnier fut conquis par la tranquillité et la beauté du site. Il y fit construire sa villa le long d'un chemin carrossable, dans une forêt de pins odorants, montant vers les contreforts de la Montagne des Lions. Par-delà un vaste champ de blé - exploité alors par Habib Benselka - le regard embrassait toute la baie, du Cap Roux à la pointe de l'Aiguille.

Au fil des ans, quelques cabanons transformés pour certains en villas, y trouvent refuge. Ceux des Mugnier, Simon, Salord, Espinosa, Laffargue et Estève. (M. Salord, bijoutier à Oran, revendra son cabanon à M. Freynet qui en fera le restaurant bien connu " Villa Jeanne d'Arc ". M. Espinosa, gérant de " La Boule d'argent " à Oran cédera le sien aux Fernandez-Camallonga).

Le courant électrique n'arrivant pas encore jusque-là, chacun s'éclairait en fonction de ses goûts et de ses possibilités : éoliennes, batteries, lampes à carbure ou à pétrole et parfois même simples bougies... Cette lumière parcimonieuse et vacillante, qui nimbait les ombres de mystère, ajoutait encore à la magie des longues soirées.

Fabriquer son électricité faisait partie des corvées quotidiennes et le bruit des moteurs rechargeant les batteries avant la veillée déchirait la quiétude du crépuscule.
Plus tard, dans les années 1955 une ligne téléphonique fut tirée jusqu'à La Mine grâce à l'entregent de Marc Freynet qui avait besoin de cette commodité pour la bonne marche de son restaurant.

Malgré le nombre restreint de familles, l'endroit " grouillait " d'enfants. Nous étions une bonne vingtaine à laquelle venaient s'ajouter ceux qui accompagnaient leurs parents, séjournant chez les " résidents ", comme Roland ou Gérard Billaut, ou déjeunant à la " Villa Jeanne d'Arc ". Nous formions une petite troupe toujours sous les armes et prête à toutes les aventures. Des " francs- tireurs " de passage, Guy Macia, Jean-Louis Cornuet, André-Paul Bonifacio..., venaient parfois soutenir les unités régulières lors d'opérations spéciales. Ces équipées enfantines donnent naissance à une foule d'anecdotes que nous nous racontons avec gourmandise lorsque nous nous rencontrons. Anecdotes qui paraissent ésotériques au non-initié qui, par mégarde, s'aventure dans la conversation. Un simple mot, qui entraîne une foule d'images toujours présentes en arrière-plan déclenche une hilarité incoercible. Dans un flash-back étourdissant nous voyageons dans le temps à la vitesse de la pensée. Instantanément nous nous retrouvons plongés au coeur du siècle dernier, en proie à ces fous rires qui nous laissaient hors d'haleine mais en pleine béatitude.
Te souviens-tu...

Ain Franin: Le Hameau

En suivant la départementale 75 qui vient d'Oran, à quelques encablures de La Mine, en direction de Kristel, on arrive au hameau proprement dit d'Aïn Franin.
A gauche un chemin ombragé aboutit à la maison du garde-champêtre, la " Maison Forestière ", construite sur une esplanade qui surplombe un terrain de volley et le Petit Port. La vue sur toute la baie est splendide.

Cette maison abritait la famille de M. Duhan, nommé à ce poste de 1940 à 1952. Son prédécesseur lui avait raconté comment il capturait les vipères dites :
Vipères d'Arzew qu'il expédiait à Alger pour que leur venin y soit étudié. Ce venin qui pouvait provoquer la mort en une heure, était utilisé à des fins médicales.
C'est M. Arnaud qui succéda à M. Duhan.

Le Petit Port

Un second chemin descendait vers le Petit Port, avec sa jetée, ses bateaux de pêche et une petite plage de galets. Les habitants du petit port ne bénéficiaient pas de l'eau courante comme à La Mine.

Y résidaient les familles Bar Christiane, Barres-Ferrant, Calistro, Chaffanel, Fonquernie, Gonzalez, Herrero-Lopez G., Ladreyt, Mellado-Cabrera, Ortigosa-Montesinos, Quilès, Robles-Servole, Rodriguez-Parra, Rosensweg, Sala Jean, Sempere-Simon, Simon, Storto, Terol...

Le Bassin

La maison d'Habib Ben Selka, l'assistant du garde forestier, se dressait juste dans le prolongement de la maison forestière. On y accédait par un chemin de terre dans l'ombre épaisse de caroubiers vénérables, de faux poivriers et d'eucalyptus à l'odeur entêtante. Nous " tombions " alors sur un bassin d'arrosage. L'eau qui jaillissait du tuyau d'alimentation produisait un murmure envoûtant qui renforçait le mystère du lieu. De nombreux poissons rouges nageaient entre deux eaux, sans bruit. Puis dans un éclaboussement sonore, ils bondissaient à demi hors de l'eau pour gober un insecte imprudent. Ces maisons et ces jardins appartenaient au service des Eaux et Forêts.

A droite de la route vivaient les familles Mage, Leninger, Chanu, Mas et d'autres familles encore dont j'ignore le nom.
En suivant toujours la route départementale, il y avait une très jolie roseraie. En continuant notre promenade nous parvenions à hauteur des villas des familles Rouge (des huileries Rouge d'Oran).

Mon Rêve - Passaro

Vers la gauche, un chemin de terre menait au restaurant " Mon Rêve ", situé sur une falaise qui surplombait la mer. En période estivale, chaque samedi, le restaurant se transformait en salle de cinéma à la plus grande joie des jeunes et des moins jeunes.

Aïn Franin restera à jamais gravé dans mes souvenirs comme un petit coin de paradis terrestre où il faisait bon vivre...