| Petite histoire de la 
        Compagnie de Navigation MixteQuatrième partie : 1957 - 1962
 Bernard Bernadac
 La Compagnie de Navigation Mixte commanda aux Chantiers de Graville un 
        cargo livrable fin 1956, mais ce n'est que l'année suivante qu'il 
        fut mis en service.
 
 Les établissements du Havre des Forges et Chantiers de la Méditerranée 
        livrèrent le 4 janvier 1957 le cargo Canigou de 1500 tonnes 
        de port en lourd. Il fut présenté à Marseille le 
        28 janvier.
 
 Le 28 novembre 1957 un incendie se déclara à bord du Kairouan 
        alors que le navire se trouvait en cale sèche. Le sinistre avait 
        éclaté dans un moteur auxiliaire. Il fallut une demi-heure 
        pour en venir à bout.
 
 Pendant l'année 1957 les navires de la Compagnie avaient passé 
        à la mer un total d'heures équivalent à quatre ans 
        et onze jours. Ils avaient parcouru 542241 milles marins ce qui équivaut 
        à vingt-cinq fois le tour de la terre.
 
 Le 21 janvier 1958, au cours d'un voyage Oran/Port-Vendres, le Président-de-Cazalet 
        (commandant Fraisse) se déroutait pour assister le paquebot Lyautey, 
        de la Compagnie Paquet, stoppé à 35 milles de Barcelone. 
        Après une manoeuvre parfaitement exécutée, le Cazalet 
        remorqua le Lyautey jusque dans l'avant-port de Barcelone où ils 
        arrivèrent le même jour vers 23 heures. La veille, le Kairouan 
        avait effectué sa première escale à Port-Vendres 
        et inauguré ainsi la ligne maritime la plus rapide de tous les 
        temps sur
 Alger et Oran au départ de Port- Vendres.
 
 La nouvelle darse du port était juste assez large pour recevoir 
        le paquebot et lui permettre de manuvrer.
 
         
          | Attentat sur 
              le Président-de-Cazalet Le 5 septembre 
              1958 le Président-de-Cazalet quittait Marseille pour 
              Bône et Philippeville. Il y avait à bord 900 passagers 
              dont 250 militaires et 200 enfants revenant de colonies de vacances. 
              Départ de la Joliette vers 10 h 30 par beau temps. Tout le 
              monde était encore réuni autour du déjeuner 
              soit comme convive, soit comme serveur, lorsqu'une très forte 
              explosion secoua le navire et fut violemment ressentie dans tous 
              les locaux.
 Quelques minutes avant l'explosion, le chef mécanicien Paul 
              Muzi se trouvait devant les ventilateurs de chauffe afin de vérifier 
              le fonctionnement des paliers nouvellement mis en place. Il raconte 
              : " Je fus appelé sur la passerelle par le commandant. 
              C'est en arrivant sur le pont des premières classes que j'entendis 
              la déflagration et vis la cheminée cracher tous les 
              matériaux qui volaient en éclat. Je me précipitai 
              dans les machines afin de remettre en route un groupe électrogène 
              et porter assistance aux blessés.
 
 Tout était stoppé, la lumière était 
              éteinte. Avec mes officiers et le personnel valide nous fîmes 
              une ronde générale sur les chaudières où 
              deux foyers d'incendie furent rapidement circonscrits. J'allai au 
              compartiment des ventilateurs et me rendis compte que nous étions 
              bien immobilisés et qu'il n y avait aucune possibilité 
              de dépannage. J'en avisai le commandant puis je continuai 
              mes investigations dans les fonds de la machine pour vérifier 
              si aucune voie d'eau ne s'était manifestée.
 
 La bombe, car c'en était une, avait été posée 
              entre les deux ventilateurs de chauffe placés sur l'arrière 
              dans la partie médiane sur un pont aboutissant à la 
              cale arrière. Ce compartiment se trouvait placé à 
              l'extrémité avant des coursives équipage bâbord 
              du personnel machine, et à tribord du personnel pont. Les 
              deux ventilateurs et leurs armoires électriques de commande 
              automatique avaient été pulvérisés par 
              cette bombe au plastic dont le poids fut évalué plus 
              tard entre 10 et 15 kg. Les deux coursives et toutes les cabines 
              du personnel avaient été soufflées au ras du 
              sol. La cloison étanche entre la machine et la chaufferie 
              avait été complètement déchirée, 
              ce qui avait causé la rupture des soupapes Cockburn qui sont 
              des vannes anglaises servant de registre pour l'admission de la 
              vapeur aux turbines à la sortie des collecteurs numéro 
              un (vapeur surchauffée). Elles comportaient des soupapes 
              de purge qui avaient été arrachées par la déchirure 
              de la cloison. De ce fait les chaudières s'étaient 
              vidées de leur vapeur (35 kg au cm2 et 400° de température) 
              dans le compartiment de la machine où régna subitement 
              une chaleur intolérable. La porte de la chaufferie fut également 
              arrachée et blessa le maître de quart. L'officier mécanicien 
              Bataille fut projeté sur le pupitre et plié en deux 
              (contusionné seulement).
 
 Heureusement, à l'heure du repas, les locaux qui furent détruits 
              étaient à peu près inoccupés. Cette 
              circonstance avait sûrement sauvé un certain nombre 
              de vies.
 
 Il y eut tout de même onze blessés parmi le personnel 
              des machines, plus un novice et une passagère. Le chauffeur 
              Barreda, de quart devant les chaudières, fut projeté 
              au sol et gravement blessé à la tête. Il décéda 
              le dimanche suivant à l'hôpital Paul-Desbief de Marseille.
 
 Il n y eut pas de panique à bord bien que l'on craignit une 
              deuxième bombe à retardement dans la machine. Heureusement 
              rien d'anormal ne se produisit ".
 
 L'alerte fut rapidement donnée par radio. Deux remorqueurs 
              de haute mer, le Marius-Chambon et le Provençal 12 
              appareillèrent de Marseille tandis que le Djebel-Dira 
              (commandant Court) de la Compagnie venant de Philippeville et qui 
              allait entrer au port, faisait demi-tour pour aller assister le 
              Cazalet. Vers 14 heures, celui-ci fut pris en remorque avec difficulté 
              (car il n'y avait plus d'énergie pour faire fonctionner les 
              guindeaux et cabestans sur le paquebot) par le Djebel-Dira. 
              Le convoi fit alors route vers Marseille, escorté par les 
              deux remorqueurs qui prirent la remorque à l'entrée 
              du port.
 Vers 20 heures le Président-de-Cazalet arrivait à 
              la Joliette. Le navire fut amarré au poste 88 vers 21 heures 
              et, tandis que les blessés étaient immédiatement 
              emmenés par les ambulances, les services de la police procédaient 
              aux premières constatations.
 
 Les investigations faites ne permirent pas de douter du geste criminel 
              11 était probable que l'engin placé à bord 
              l'avait été pendant le séjour à Marseille. 
              Cela n'avait pas dû être difficile et les responsables 
              de cet acte devaient connaître les navires en général 
              et le Cazalet en particulier.
 
 Un journal de l'époque démontre bien l'état 
              d'esprit et l'anxiété des Français à 
              cette période de la guerre d'Algérie : " Maintenant 
              les blessés sont hospitalisés, les passagers ont été 
              acheminés par d'autres navires ou par avion. Le bâtiment 
              sera réparé assez vite mais demain ? ". " 
              Tous les jours d'autres navires partent. Quand on sait avec quelle 
              facilité on peut aller et venir à leur bord, on a 
              le droit d'être inquiet ".
 
 Le Président-de-Cazalet resta amarré au poste 
              122 pour réparations. Il fut effectivement remis en état 
              en un temps record de vingt-et-un jours par les Chantiers et Ateliers 
              de Provence. Il reprit son service le 26 septembre 1958. Entre temps, 
              la Transat avait prêté en remplacement le Gouverneur-Général 
              -Chanzy
 |  Les horaires des paquebots pour la saison hiver-printemps 1958-1959 subirent 
        d'importants changements par rapport aux années précédentes. 
        La réduction du trafic " passagers " sur la Tunisie en 
        raison de l'indépendance conduisit la Compagnie à étudier 
        avec la Compagnie Générale Transatlantique des horaires 
        coordonnés, mieux adaptés aux nécessités du 
        trafic. C'est ainsi que les lignes de Tunisie furent desservies suivant 
        un horaire commun aux deux armements comme l'était depuis plusieurs 
        années la ligne Alger-Marseille.
 
 Chaque semaine, les paquebots de l'une ou de l'autre compagnie assuraient 
        un service direct Marseille- Tunis et un deuxième via Bizerte. 
        Ce nouveau programme permettait d'affecter à la desserte du Constantinois 
        l'un des deux paquebots El-Djezaïr ou Président-deCazalet 
        pendant 24 semaines.
 
 Le 6 octobre 1958 à une heure de l'appareillage, le Président-de-Cazalet 
        eut des avaries de ventilateur de chauffe. Il fut remplacé par 
        l'El - Djezaïr qui était arrêté pour maintenance.
 Le 25 février 1959 à 17 heures, 
        l'Edjelé fut lancé à Saint-Nazaire. Premier 
        pétrolier portant les couleurs de la Compagnie, il avait un port 
        en lourd de 44 788 tonnes. Le pétrolier fut immédiatement 
        affrété par la Société Maritime Shell qui, 
        pour son utilisation, signa avec la Mixte le 26 janvier 1956 une charte- 
        partie de huit ans. L'Edjelé effectua son voyage inaugural le 16 
        juin 1959. Un mois jour pour jour après le lancement de L'Edjelé, 
        le 25 mars 1959, fut lancé le cargo Relizane, deuxième cargo 
        de 1900 tonnes de port en lourd de la série Canigou. Le Relizane 
        fut livré à la Compagnie le 19 décembre 1959 pour 
        effectuer la ligne Marseille, Oran, Mostaganem, Port-Vendres.
 Le 17 avril 1959 l'El-Djezaïr fut drossé par la tempête 
        contre le quai des Torpilleurs à Philippeville. La brèche 
        occasionnée à la coque fut obstruée par un batardeau. 
        Le paquebot rejoignit Marseille le 23 avril et fut remis en service le 
        5 mai 1959.
 
 En 1959, les navires de la Compagnie de Navigation Mixte avaient transporté 
        23 487 véhicules et 18 % de passagers de plus que pendant la saison 
        1958. Les navires avaient passé un total de 39 197 heures à 
        la mer, soit l'équivalent de quatre ans, cinq mois, vingt- trois 
        jours et cinq heures. Ils avaient parcouru 605 710 milles marins, soit 
        près de vingt-sept fois le tour de la Terre et transporté 
        413 000 passagers et 421 000 tonnes de marchandises.
 
 Le Djebel-Dira 
        qui était affrété depuis le 21 janvier 1960 par la 
        Société Générale des Transports Maritimes 
        pour une période de trois mois fut rendu à la Compagnie 
        le 14 avril. Le 19 septembre de la même année, il heurtait 
        le Sampiero-Corso au cours d'une manuvreà la Joliette à 
        Marseille. Quelques dégâts de part et d'autre.
 
 Au cours de l'armée 1960, les navires de la Compagnie de Navigation 
        Mixte avaient transporté 460 000 passagers, 400 000 tonnes de fret 
        et 35 000 véhicules.
 
         
          | Le putsch d'Alger 
              vu del'E1-Djezaïrpar le chef-mécanicien Jean-Marie Rabatu
 " Le jeudi 
              20 avril 1961 l'El-Djezaïr appareilla de Marseille à 
              midi pour Alger, en horaire, avec sa clientèle habituelle 
              de militaires et de civils.
 L'arrivée à Alger se fit comme prévu le 21 
              avril vers 8 heures. Tout paraissait calme dans la ville, les dockers 
              étaient à leurs postes pour embarquer 600 tonnes de 
              pommes de terre à destination de la métropole.
 
 Le samedi 22 avril je fus réveillé vers 6h 30 par 
              le maître d'hôtel des premières classes qui me 
              dit que quelque chose s'était sûrement passé 
              dans la nuit.
 
 Du bord on voyait des mouvements de troupes, la radio diffusait 
              des marches militaires interrompues par une annonce disant qu'à 
              7 heures une déclaration importante serait faite.
 
 En effet, à 7 heures on entendit: " Pour que l'Algérie 
              reste française, l'armée a pris le pouvoir en Algérie... 
              ". Puis suivirent une quantité d'ordres et de consignes.
 
 Naturellement tout le monde à bord fut rapidement au courant 
              mais personne ne pensa une minute que nous allions être coincés 
              dans ce piège.
 
 Le chef-mécanicien se rendit ainsi que de nombreux membres 
              de l'équipage au traditionnel " Marché de la 
              Lyre "; quant à moi, je descendis prendre mon quart 
              pour faire l'allumage des chaudières et le processus d'appareillage 
              prévu pour midi.
 
 Vers 10 heures, le commandant Miaille me convoqua en l'absence du 
              chef mécanicien et me donna l'ordre de mettre bas les feux: 
              le départ était reporté, ordre de l'Amirauté. 
              Consternation à bord, mais tout le monde resta calme et essaya 
              de prendre le maximum de nouvelles à la radio.
 
 Vers 11 heures, un lieutenant parachutiste et une douzaine d'hommes 
              en armes montèrent la coupée tandis que quelques paras 
              prenaient position sur le quai à l'avant et à l'arrière 
              du navire.
 
 Le lieutenant parachutiste demanda au lieutenant-commissaire où 
              se trouvait la passerelle qu'il avait ordre d'occuper. Jouant sur 
              les mots le lieutenant-commissaire, voyant que le militaire ignorait 
              tout des navires, lui dit: " Mon lieutenant, vous y êtes, 
              la passerelle c'est ici ! ". Et il lui montra la coupée.
 De ce fait, durant tout le putsch, les paras restèrent cantonnés 
              dans ce coin du navire. Le téléphone intérieur, 
              la machine, la radio du bord, la passerelle restèrent entre 
              nos mains sans surveillance des militaires.
 
 Dans le port se trouvaient quelques navires dont le Sidi - Mabrouk, 
              de la Société Générale des Transports 
              Maritimes, et le Touggourt (commandant Allée), de la Compagnie.
 
 Le dimanche 23 avril, vers 8 heures FEl-Mansour (commandant Court) 
              venant de Port-Vendres arriva et accosta à la gare maritime 
              dans la plus grande confusion.
 
 Toute la journée du dimanche se passa à attendre un 
              ordre d'appareillage car les généraux avaient commencé 
              à libérer les soldats du contingent dont ils n'étaient 
              pas sûrs et décidèrent de les renvoyer rapidement 
              en métropole.
 
 Malheureusement ce fut l'El-Mansour, resté sous pression, 
              qui appareilla sous nos yeux dans la soirée avec quelque 
              700 militaires tout heureux de rentrer chez eux.
 
 Tout commençait à se gâter à bord; dans 
              la soirée l'équipage devint nerveux quand à 
              la radio on entendit l'appel du général De Gaulle 
              qui se terminait par cette phrase: " J'interdis à tout 
              Français, à tout soldat, d'exécuter aucun de 
              leurs ordres ! ".
 
 Quelques membres de l'équipage voulurent demander au commandant 
              Miaule d'appareiller dans les plus brefs délais et les palabres 
              durèrent une partie de la nuit.
 
 Le lundi matin 24 avril, stupéfaction ! Le Sidi-Mabrouk avait 
              disparu du port en catimini : il avait appareillé dans la 
              nuit.
 
 On commençait à déceler un certain flottement 
              et une certaine lassitude chez les insurgés; des rumeurs 
              nous parvinrent: la flotte appareillait de Toulon, l'Amirauté 
              avait abandonné Alger et avait rallié Mers el-Kébir, 
              etc...
 
 Devant cet état de fait, le commandant prévint l'équipage 
              que nous tenterions de nous enfuir la nuit suivante.
 
 Après avoir allumé les chaudières alternativement 
              pour faire le moins de fumée possible et ne pas éveiller 
              l'attention de nos paras, nous fûmes prêts à 
              appareiller vers 22 heures.
 
 Depuis la tombée de la nuit nos " geôliers " 
              n'étaient plus à bord mais sur le quai où régnait 
              une certaine confusion parmi les militaires.
 
 De la ville nous parvenaient les échos d'une fusillade nourrie 
              et prolongée.
 
 Nous avions tapissé de matelas l'intérieur de la passerelle 
              et le gaillard, car le commandant craignait que deux mitrailleuses 
              lourdes qui se trouvaient sur la jetée, servies par des putschtistes, 
              ne nous prennent pour cible lors de notre passage à leur 
              hauteur; nous constations à ce moment qu'elles n'étaient 
              heureusement plus en place. Tout avait été minuté. 
              On coupa les amarres à l'avant et à l'arrière. 
              Pas question de descendre sur le quai pour décapeler. En 
              même temps la machine coupait le courant et plongeait le navire 
              dans l'obscurité totale.
 
 Et nous appareillions alors que la radio annonçait la fm 
              du putsch et la reprise normale des émissions.
 
 L'odyssée était terminée, nous rentrions à 
              Marseille avec notre plein de pommes de terre et deux clandestins 
              ".
 |  Les " événements " 
        d'Algérie continuaient, même les navires faisant la liaison 
        France-Algérie ne furent pas épargnés par les attentats 
        et le 23 janvier 1962 le Djebel-Dira fut plastiqué à Bône.
 Vers 6 heures du matin une charge de plastic placée dans le trou 
        de jaumière du gouvernail, par l'extérieur, explosa.
 La mèche du gouvernail fut cisaillée et les tôles 
        d'alentour plus ou moins déformées.
 
 Le navire ayant subi d'importants dégâts et ne pouvant plus 
        naviguer par ses propres moyens on envisagea le remorquage. Celui-ci fut 
        confié à la Compagnie Chambon qui envoya le remorqueur Laurent 
        Chambon, commandant Cambiaggi, à la rescousse.
 
 En raison du mauvais temps qui régnait en Méditerranée, 
        le convoi passa dans l'est de la Sardaigne et de la Corse.
 
 Parti le 28 janvier de Bône le convoi relâcha à Bastia 
        du 30 janvier au 1er février. Ayant repris la mer ce jour-là 
        vers 11 heures, il arriva à Marseille le 2 février vers 
        16 h 30.
 
 Le Djebel-Dira avait pu aider au remorquage en utilisant quelque 
        peu sa machine, ce qui avait permis de réaliser de bonnes moyennes 
        de route.
 
 Les travaux de réparation du navire s'effectuèrent à 
        Marseille et furent menés à bien. Miraculeusement, il n'y 
        eut qu'un seul blessé à bord, un garçon du service 
        restaurant.
 
 En mai 1962 le Président-de-Cazalet fut affrété 
        par la Défense nationale pour le transport de troupes et de matériels. 
        La France accordait l'indépendance totale à l'Algérie.
 
 Le 30 juin 1962 eut lieu la première arrivée de rapatriés 
        à Toulon sur le Djebel-Dira venant de Philippeville suivi 
        du Fort-Saint-Louis et du Napoléon de la Transat 
        venant d'Oran.
 
 Le cargo Touggourt fut affrété par la Compagnie générale 
        Transatlantique pour transporter les voitures et les cadres de mobilier 
        des rapatriés.
 
 On ne peut imaginer les terribles conditions dans lesquelles se déroulèrent 
        les embarquements, les voyages et les arrivées des Pieds- Noirs 
        dans un pays que la plupart d'entre eux ne connaissaient pas.
 
 Le rapatriement, c'était le déchirement de laisser son pays, 
        ses attaches, sa maison, la tombe de ses ancêtres. C'était 
        le sentiment d'avoir été trahi, battu, d'être impuissant 
        devant les événements.
 
 L'embarquement c'était se battre pour pouvoir arracher à 
        son sol natal le peu qui pouvait être sauvé. On entassait 
        dans des valises les quelques objets de valeur et les souvenirs de famille 
        sauvés du vol ou du pillage.
 
 Ceux qui avaient la chance de pouvoir acheter ou louer, à un prix 
        exorbitant, des cadres pour le mobilier construits à la hâte, 
        les voyaient quelquefois s'écraser sur les quais lors de l'embarquement 
        par manque de solidité; ou bien ils avaient la désagréable 
        surprise de constater à leur ouverture qu'ils avaient été 
        pillés, la majorité des meubles et objet de valeur ayant 
        disparu.
 
 Certains même trouvèrent leurs cadres complètement 
        vides. D'autres encore ne revirent plus leurs cadres et leurs meubles 
        " confiés " à des " maisons de transport 
        " créées de fraîche date, et qui avaient loué 
        le même cadre à plusieurs clients différents.
 
 Et tant d'autres...
 
 " Les navires de la Compagnie, ainsi que tous ceux des autres 
        Compagnies desservant l'Afrique du Nord furent amenés à 
        dépasser leur capacité réglementaire de passagers, 
        par exemple: le Relizane, au lieu de 12 passagers, embarqua plusieurs 
        dizaines de personnes, limitant leur nombre en fonction de la capacité 
        des canots et des radeaux ainsi que du nombre des brassières de 
        sauvetage " (commandant Rocck).
 
 Sur les navires c'était la consternation et l'abattement. Entassés 
        en quatrième classe dans la chaleur étouffante des entreponts, 
        les rapatriés arrivaient en France dans un état physique 
        et moral lamentable et c'était pire lorsqu'il faisait mauvais temps 
        et qu'il y avait des malades. Il y avait certes dans les ports de Marseille, 
        Sète, Toulon et Port- Vendres des centres d'accueil où des 
        personnes bénévoles et la Croix- Rouge française 
        étaient chargées d'accueillir ces malheureux:
 
 " Nous allions, avec des camarades de mon âge (12 ans) lorsque 
        nous n'avions pas classe, au centre d'accueil situé dans le hall 
        de la Compagnie Mixte à Port- Vendres, pour essayer d'aider, dans 
        la mesure de nos faibles moyens, les déracinés qui arrivaient 
        de plus en plus nombreux.
 
 Nous portions leurs lourdes valises arrachées de force au pays 
        qu'ils venaient de quitter, les conduisions au centre d'accueil, aidions 
        les vieux, portions les bébés et nous sentions notre impuissance 
        devant ce grand malheur " (Bernard Bernadac).
 
 Pour les rapatriés, le drame continuait en France. Une fois arrivés 
        de l'autre côté de la Méditerranée, que faire 
        et où aller ? Quelques-uns avaient la chance d'avoir des parents 
        en métropole, mais les autres...
 
 Ils furent entassés dans des appartements réquisitionnés 
        à la hâte et durent chercher du travail et s'adapter à 
        leur nouvelle vie.
 
 Les navires arrivaient de plus en plus nombreux chargés de rapatriés. 
        " Quelque temps auparavant c'était les soldats qui partaient 
        pour l'Algérie; et - la gorge serrée - nous écoutions, 
        dans le calme de midi, lorsque l'El-Mansour ou l'El-Djezaïr 
        appareillait pour Oran ou Alger, les voix mâles de ces jeunes 
        appelés entassés sur le pont du navire chantant la vieille 
        complainte scoute: " Ce n'est qu'un au revoir ", ce chant si 
        émouvant et si terrible à la fois ".
 
 Et combien de fois l'avions-nous déjà entendu auparavant 
        ce chant ?
 
 Mais que de joie, lorsque les navires revenaient d'Algérie transportant 
        les militaires libérés, débordant d'une gaieté 
        bruyante, jetant à la mer avant l'accostage, parmi les hourras, 
        d'énormes quilles en bois peint taillées dans un tronc d'arbre...
 
 Mais le plus terrible, c'était lorsque les paquebots ramenaient 
        dans leurs flancs des cercueils contenant la dépouille de ces jeunes 
        hommes tués ou assassinés dans un pays que la plupart ne 
        connaissaient pas auparavant.
 
 Je les ai vues ces caisses rectangulaires de bois blanc aux planches mal 
        jointes, entassées les unes sur les autres dans les
 hangars de la Compagnie, à peine recouvertes d'une bâche 
        trop courte et d'un pavillon national trop petit, attendant d'être 
        acheminées par voie ferrée vers leurs familles qui ne comprenaient 
        pas la nécessité d'une telle guerre.
 
 C'est pourquoi, ceux qui ont assisté à ces départs 
        et à ces arrivées lèvent encore les yeux au ciel 
        en entendant les premières mesures de " Ce n'est qu'un au 
        revoir... " (Bernard Bernadac).
 
 L'El-Djezaïr, le Djebel-Dira et le Tafna furent affrétés 
        en novembre 1962 par le ministère des Armées pour le transport 
        des troupes et l'évacuation de l'Algérie.
 (À suivre)
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