
           
 
          
          Une conférence 
        Pour 
          exposer le projet des grandes courses automobiles sahariennes, gui auront 
          lieu en 1930, à l'occasion du Centenaire de l'Algérie, 
          nul n'était mieux .désigné que le capitaine Lehuraux, 
          que dans notre fervente admiration nous voulons appeler " le grand 
          saharien ". 
          Lui seul pouvait nous montrer à l'aide de son expérience 
          des choses du désert, tout ce que l'initiative prise par le Gouverneur 
          de l'Algérie avait de réalisable et comment elle pourra 
          accroître le rayonnement du nom français dans le monde 
          entier. 
          C'est ce qu'il fit au cours de la conférence qui eut lieu lundi 
          dernier au Splendid-Cinéma plein air, et dont nous détachons 
          le passage suivant relatif à l'exhumation des restes du Père 
          de Foucauld. 
          
          Après un instant de recueillement sur sa tombe et sur celle du 
          général Lapérrine, j'ai tenu à revoir la 
          modeste maisonnette où l'ermite passa dix années de sa 
          vie austère et laborieuse. Hélas ! de cette demeure qui 
          accueillit tant de Français, il ne reste plus que les murs menaçant 
          ruine, ainsi que le banc en pierre où le Père aimait à 
          méditer le soir, après un travail acharné, devant 
          le panorama chaotique de la Koudia, ou à s'entretenir avec ses 
          amis les touaregs. Faisant un retour vers le passé, je revoyais 
          le " marabout ", vêtu de sa blouse blanche plaquée 
          d'un cur en drap rouge et ceinturé d'un chapelet monacal, 
          nous tendre les mains d'un geste paternel, mais avec une humilité 
          qui nous mettait dans un grand embarras, et nous faire les honneurs 
          de son minuscule logis. Lorsque notre séjour à Tamanghasset 
          se prolongeait un peu, il ne manquait jamais de nous faire admirer son 
          jardin dont il était très fier, puis les cultures qu'il 
          avait réussi à faire entreprendre par les imrads Dag Rali, 
          pour lesquels il avait une préférence marquée. 
          Il réunissait aussi les touaregs pour leur parler de la France 
          et leur présenter ceux désignés pour les administrer 
          et les commander. Ces réunions étaient vraiment charmantes 
          car le Père, sévère pour lui-même, était 
          l'indulgence même pour les autres et ne s'offusquait jamais des 
          réflexions toutes militaires que certains d'entre nous laissaient 
          parfois échapper malgré eux. 
          Ce petit ermitage de Tamanghasset qui, bien plus que la massive forteresse 
          en face de laquelle le Père fut assassiné, fut le témoin 
          de son apostolat dans le Hoggar, de son labeur inimaginable, de ses 
          espoirs dans une vie meilleure pour ses semblables, ne tardera pas à 
          disparaître si l'on n'y prend garde. Pourquoi ne conserverait-on 
          pas cette humble demeure, dans laquelle l'ermite du désert passa 
          presque toute sa vie saharienne, et ne la transformerait-on pas en un 
          sanctuaire où viendraient prier ou se recueillir les croyants 
          ou les simples admirateurs de l'illustre défunt ? Puisque l'on 
          va béatifier, dit-on, le Père de Foucauld, une pareille 
          mesure ne s'impose-t-elle pas et ne convient-il pas que l'ancien logis 
          d'un saint soit respecté comme une véritable relique ? 
          
          Le 18 avril, nous assistons, avant de quitter Tamanghasset, à 
          la cérémonie émouvante de l'exhumation du corps 
          du Père de Foucauld. Avant cette triste opération, le 
          général Meynier m'avait prié d'indiquer à 
          l'amenokal des Hoggar, Akhammouk ag Ihemma, une vieille connaissance, 
          les raisons pour lesquelles les Français venaient chercher le 
          corps du " marabout ". Avec toute la prudence voulue, j'expliquai 
          donc à Akhammouk que nous avons, nous aussi, comme les touaregs, 
          le culte du souvenir ; dans notre pays, les grands morts, ceux qui, 
          durant leur vie, ont consacré tous leurs instants à faire 
          le bien, à protéger les faibles, à servir leur 
          patrie, ceux qui, enfin, ont laissé de leur passage sur cette 
          terre des exemples de grandes vertus civiques et morales, sont l'objet 
          d'une vénération profonde. Les Français aiment 
          venir méditer sur les tombeaux de ces illustres disparus et puiser 
          ainsi de nouvelles énergies pour lutter contre les forces invisibles, 
          les mauvais esprits, qui cherchent à détourner les humains 
          de leur devoir. Les touaregs savent combien le Père de Foucauld, 
          dont la charité et la bonté n'avaient pas de limite, était 
          aimé de tous ; aussi le respect profond que tous les Français 
          ont voué à sa mémoire ne saurait les surprendre. 
          Mais Tamanghasset est loin ; bien que les automobiles en facilitent 
          aujourd'hui l'accès, seuls quelques rares privilégiés 
          peuvent venir s'incliner devant la sépulture du Père. 
          C'est pour permettre à tous les admirateurs du " marabout 
          " de prier sur sa glorieuse dépouille que d'autres " 
          marabouts " sont arrivés du Nord et qu'ils procéderont 
          dans quelques instants à l'exhumation des restes de l'ami des 
          touaregs pour les transférer à El-Goléa, où 
          ils seront définitivement inhumés. Toutefois, les Français 
          n'oublient pas que le Père de Foucauld a offert sa vie au désert, 
          afin de contribuer à apporter dans le Hoggar le bien et la paix 
          ; ils ont donc décidé de laisser dans ce pays, auprès 
          des touaregs qu'il aimait fraternellement, ce qui fut le meilleur de 
          lui-même : son cur généreux qui battit tant 
          de fois si puissamment pour l'amour de tous, pour la réalisation 
          d'un idéal et la gloire de sa patrie. 
          
          Je dois à la vérité de dire que l'émotion 
          qui m'étreignait en prononçant ces paroles et que partageaient 
          ceux qui m'écoutaient, ne parut pas se communiquer à l'amenonkal 
          qui, sans un mot, leva simplement les mains, dans un geste pouvant signifier 
          : " Faites ce que bon vous semble " et qui se rendit ensuite 
          au thé qui lui était offert en causant gaiement avec ses 
          familiers. Mais peut-on connaître les véritables sentiments 
          de ces primitifs que les plus grandes douleurs laissent impassibles 
          et dont les impressions intimes, jalousement gardées au fond 
          d'eux-mêmes, ne sauraient même pas être surprises 
          sur leur visage presque entièrement caché par le litham 
          ? Je crois que l'événement a trouvé Akhammouk tout 
          à fait indifférent ; mais j'ai aussi la conviction que 
          son prédécesseur immédiat Moussa ag Amastane, qui 
          fut un grand ami du général Lapérrine et du Père 
          de Foucauld, plus " civilisé " que Akhammouk, à 
          l'intelligence plus vaste et plus prompte, aurait été 
          fortement ému lors de la cérémonie d'exhumation. 
          
          
          Cette cérémonie eut lieu en présence de Mgr Nouet, 
          du général Meynier, des militaires français et 
          indigènes de la garnison ainsi que d'une délégation 
          de touaregs rassemblés autour de leur chef. Et tandis que des 
          mains pieuses dégageaient avec précaution le corps du 
          martyr scellé à la terre et dont les traits du visage 
          étaient encore reconnaissables, je me remémorais les événements 
          tragiques de 1916. 
          C'était le 1er décembre. Le Père, seul dans son 
          nouvel ermitage, petite forteresse imprenable, ignorait la présence 
          d'un groupe de rebelles Ajjers venus de la Tripolitaine et parvenus 
          à Tamanghasset pendant la nuit dans le plus grand secret, Attiré 
          par traîtrise hors de sa demeure, il fut saisi brutalement, confié 
          à un gardien qui, peu après, le tua lâchement d'un 
          coup de fusil à la tète, alors qu'agenouillé, il 
          priait peut-être pour ses agresseurs et faisait à son Dieu 
          le sacrifice de sa vie. 
          
          Le corps du supplicié fut jeté nu par les assassins dans 
          une excavation en face de l'ermitage. C'est la qu'il fut retrouvé 
          deux jours après par le capitaine de la Roche qui lui donna une 
          sépulture chrétienne en plaçant sur la tombe une 
          croix confectionnée avec deux branches d'arbre. Trois semaines 
          plus tard, me trouvant sur les lieux tragiques, appelé au Hoggar 
          pour remplacer le capitaine de la Roche au commandement de la région, 
          je fis rendre par mon détachement les honneurs suprêmes 
          au grand patriote et rassemblai précieusement les livres ainsi 
          que les manuscrits du Père, que mon prédécesseur 
          n'avait pu emporter, afin de les mettre en lieu sûr à Fort 
          Motylinsky où, à cette époque, étaient installés 
          les services militaires et administratifs de la région. 
          
          C'est en 1917 que l'ermite du Sahara fut enterré à l'endroit 
          où il reposait encore il y a quelques jours et, détail 
          émouvant, ce fut le général Lapérrine qui 
          présida à la translation du corps après avoir choisi 
          personnellement l'emplacement de la nouvelle tombe. Il ne se doutait 
          pas, le grand saharien, qu'un destin inexorable du martyre au désert 
          et comme à son ami, l'auréole du martyre au désert 
          et que ce petit cimetière allait devenir pour lui-même, 
          trois années plus tard, l'éternel champ de repos ! 
          
          Des années s'écoulèrent. Pendant que M. René 
          Bazin accumulait avec une conscience remarquable les matériaux 
          qui devaient lui permettre de se faire le puissant historiographe du 
          missionnaire défunt, des âmes pieuses préparaient 
          patiemment les documents destinés à obtenir de la cour 
          pontificale la béatification du Père de Foucauld. En 1927 
          eut lieu la reconnaissance du corps ; celui-ci était, parait-il, 
          parfaitement conservé ; les chairs demeurées fermer présentaient 
          même l'apparence de la fraîcheur à l'endroit de la 
          blessure et la barbe grisonnante était restée intacte. 
          Le 18 avril 1929 ce ne furent que de pauvres débris paraissant 
          calcinés que l'on plaça religieusement sur une civière 
          capitonnée de satin blanc et que l'on transporta en cortège 
          dans l'ermitage où les Pères Blancs procédèrent 
          à la mise en bière. 
          
          Au cours de mon voyage, j'entendis maintes fois ces réflexions 
          qui me vinrent à l'esprit : Pourquoi ne pas laisser le Père 
          de Foucauld reposer auprès de son grand ami, le général 
          Lapérrine, dans cette rude terre du Hoggar, dans ce pays qu'il 
          avait définitivement adopté et qu'il croyait ne jamais 
          quitter ? Pourquoi ne pas avoir respecté les dernières 
          volontés du défunt qui, dans un testament déposé 
          au bureau des affaires indigènes d'In-Salah, avait nettement 
          spécifié qu'il voulait " être enterré 
          à l'endroit même où il tomberait, sans cercueil, 
          sans autre ornement qu'une simple croix de bois " ? Certainement 
          si ces mânes errent dans le séjour réservé 
          aux bienheureux, elles doivent réprouver cette inobservation 
          de suprêmes désirs terrestres, car le Père de Foucauld 
          qui fut, selon la belle expression de Fontenelle, de ces hommes " 
          qui rejettent tout ce qui est recherché avec le plus d'ardeur 
          et qui ont un amour sincère pour tout ce que les autres fuient 
          ", était tout humilité ; son détachement complet 
          des choses de ce monde était bien connu et j'ai la conviction 
          que, dans son extrême simplicité, il se serait jugé 
          indigne des magnifiques honneurs que sa dépouille mortelle va 
          recevoir. 
          
          L'Église catholique ne l'a pas apprécié ainsi ; 
          elle estime que les cendres de ses enfants morts en odeur de sainteté 
          lui appartiennent souverainement ; partant de ce principe, elle a décidé, 
          en accord avec la famille du défunt, que les pieuses reliques 
          de l'ermite seraient déposées dans un lieu sanctifié 
          où il sera possible de prier sur son tombeau et de se rendre 
          en pèlerinage. C'est El-Goléa, station chrétienne 
          la plus avancée dans le Sahara, qui a eu le grand honneur d'être 
          choisie pour recevoir le précieux dépôt et cette 
          délicieuse petite oasis va devenir ainsi un pôle d'attraction 
          religieuse dont le lumineux rayonnement attirera de nombreux croyants, 
          des mystiques ou simplement des français qui voudront apporter 
          leur hommage reconnaissant à celui qui contribua, avec tant de 
          ferveur, à la grandeur de la patrie. 
          
          La conquête du Sahara reste marquée des traits indélébiles 
          que lui ont imprimés les deux hommes qui, par des voies différentes, 
          mais avec la plus haute communauté d'idéal, ont réalisé 
          la soudure des terres méditerranéennes et des terres soudanaises. 
          Qu'il s'agisse des habiles et fécondes entremises du général 
          Lapérrine ou des exemples d'une vertu plus qu'humaine, multipliée 
          pendant toute une vie par le Père de Foucauld, la caractéristique 
          de la pénétration saharienne, c'est qu'elle s'est efforcée 
          de gagner les curs en même temps qu'elle poussait toujours 
          plus loin ses occupations territoriales. 
          
          L'apôtre et le soldat se savaient indispensables l'un à 
          l'autre pour leur fraternelle politique d'apprivoisement et leur prestige 
          personnel a été si grand que, pendant la guerre, en plein 
          Sahara, les touaregs de Moussa ag Amastane n'ont senti s'ébranler 
          leur foi dans la France que le jour où l'apôtre est tombé 
          et qu'il leur a suffi d'apprendre le retour du soldat pour qu'ils redevinssent 
          de courageux compagnons d'armes. D'Ouargla à In-Salah, de Tamanghasset 
          à Tombouctou, la France ne paraît si belle et si douce 
          aux indigènes sahariens que parce qu'ils l'ont vue à travers 
          les nobles figures d'un Lapérrine et d'un de Foucauld. Les tribus 
          qui les ont aimés continueront à veiller sur la dépouille 
          du général ainsi que sur le cur de l'ermite déposé 
          dans la même tombe et ce dépôt sacré restera 
          en quelque sorte le gage de leur attachement à une lointaine 
          patrie adoptive.