| -----------Depuis 
        la disparition prématurée de Jean Launois, tous nos regards, 
        nos espoirs, se sont portés sur Charles Brouty qui, de caricaturiste, 
        est devenu un grand dessinateur, celui que toute époque exige en 
        l'attendant.
 -----------Brouty 
        qui avait fait ses premières études à l'École 
        des Beaux-arts de Nîmes, vint après la guerre 1914-1918 en 
        Algérie avec le régiment de tirailleurs que commandait son 
        père, le Chef de bataillon Brouty, et y fut démobilisé. 
        Il ne devait plus en repartir. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis. 
        C'est qu'il trouvait dans notre pays un monde nouveau qui comblait sa 
        jeune curiosité d'artiste. Il eut, sans trop tarder, deux amitiés 
        électives que lui offrirent les pensionnaires de la villa Abd-el-Tif 
        à cette époque : un Jean Launois, dont il ne devait plus 
        se séparer, un Étienne Bouchaud. Les randonnées de 
        ces trois mousquetaires de la peinture - et il n'y manquait point le quatrième 
        - tant à Marseille, rue de Boutry, qu'à la Casbah d'Alger, 
        marquaient les préférences que partageait un Toulouse-Lautrec. 
        Le quatrième, à ses heures, fut le grand Pascin, dont, aujourd'hui 
        encore, Brouty reconnaît qu'il fut son unique maître.
 
 -----------On 
        a célébré, en 1950, le vingtième anniversaire 
        de la mort volontairement tragique - Pascin s'est suicidé dans 
        son atelier à Paris, à l'âge de 45 ans - de Julius 
        Pincas, dit Pascin, d'origine espagnole lointaine, dont la famille émigra 
        vers la France, la Hollande, la Bulgarie et la Roumanie. Ce persécuté 
        portait une lourde hérédité juive orientale avec 
        ses rêves, son goût du néant et de la mort, son amour 
        de la beauté morbide des choses et des êtres. De 1905 à 
        1930, il fut un familier sympathique des bars de Montparnasse, de Montmartre 
        et des bords de la la Marne. Pascin, que tout le monde pittoresque de 
        l'aube aimait, savait embellir la misère des hommes et surtout 
        celle des femmes. Son oeuvre est connue et à l'importance de celle 
        d'un Modigliani.
 
 -----------Voilà un des secrets dévoilé 
        de l'art de Charles
 Brouty. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis. Qu'il ait regardé 
        du côté de Toulouse- Lautrec, de Degas comme les modèles 
        de ses affinités foncières, de Raoul Dufy pour l'esprit 
        aigu du graphisme moderne, l'aventure de Brouty a été modelée 
        par Pascin.
 
 -----------Brouty 
        fait ses premières armes dans le journalisme, c'est-à-dire 
        qu'il fournit des dessins humoristiques, scènes de la rue, figures 
        politiques à l'ancien quotidien du soir l'Algérie, 
        que dirige le sénateur Jacques Duroux. C'est là que je l'ai 
        connu, grand garçon aux yeux verts, à l'accent provençal 
        qu'il n'a jamais complètement perdu. Nous sommes en 1924. Il signe 
        " Vlan " ses pochades combative qui se répandent 
        partout car Brouty est l'homme de la rue.
 
 -----------Il 
        est déjà fort connu à Alger, des " bistrots 
        du port à la rue Kataroudjil, au faîte de la Casbah en passant 
        par l'ancien quartier de la marine. Pour tous ceux que ces lieux hantaient, 
        il était le guide bien accueilli partout et continue de l'être.
 
 -----------Ses 
        croquis du folklore algérien s'amoncelaient. Après les Assus, 
        Drack-Oub, Herzig, i devient l'illustrateur spécialisé de 
        la littérature algérienne. C'est Lucienne Favre qui lui 
        demande sa collaboration pour " Tout 
        l'inconnu de la Casbah d'Alger ", Robert Randau, pour 
        " Professeur Martin ", René Janon, pour " 
        Hommes de peine et filles de joie ", Edmond Brua, pour ses 
        " Fables bônoises ", Paul Achard, pour " Salaouètches 
        " qui ressuscite l'Alger populaire de 1900, alors que Cagayous, adolescent, 
        remplissait le faubourg Bab-el-Oued de ses hauts faits. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis. 
        Et si Brouty, trop jeune, n'avait pu connaître les types de cette 
        époque lointaine, il en avait assez observé les descendants,
 pas tellement différents, pour pouvoir les faire renaître 
        dans toute leur truculence et leur fantaisie.
 
 -----------Ses 
        collaborations à la presse politique ou satirique ne se comptent 
        plus. Son crayon, sa plume soulignaient la verve de nos plus ardents polémistes, 
        les Auguste Beuscher, Charles Hagel, Alfred Klepping. Il fut l'hôte 
        assidu du Salon 
        des humoristes pendant plusieurs années.
 
 -----------Mais, 
        entre temps, le dessinateur qui s'était tant humanisé, avait 
        été gagné par la couleur - la peinture à l'eau 
        seulement - celle qui, par sa fluidité, allait laisser à 
        son trait toute sa spontanéité. Depuis trente ans, que d'expositions 
        de Brouty n'aurons-nous pas vues ! Elles révélaient, au 
        fur et à mesure, l'évolution en profondeur de son talent. 
        Et quelle surprise, au début, d'un Brouty délicat et sensible 
        devant la nature, raffiné dans ses couleurs... S'il se refusait 
        à l'huile, contraire à son tempérament, la gouache 
        et l'aquarelle suffirent à son émotion pour constituer une 
        uvre peinte égale aux meilleures.
 
 -----------En 
        1925, il se rendit en Italie et ses études colorées du Piémont, 
        de Venise faisaient bien augurer de l'avenir. Il obtint en 1933 la Bourse 
        de la Casa Velasquez et l'Espagne, si bien pressentie dans nos faubourgs, 
        se révèle à lui dans la grandeur de son multiple 
        visage.
 
 -----------En 1927, 
        Brouty n'avait pas craint d'exposer, salle du Crédit municipal, 
        les notations de ses visites dans les mauvais lieux. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis. 
        Certains esprits chagrins s'en étaient offusqués n'ayant 
        vu qu'obscénités " que l'art se dégrade 
        à vouloir reproduire ". Je retrouve la juste défense 
        prise par mon éminent prédécesseur et regretté 
        ami G.S. Mercier, dans l' " Écho d'Alger " et qui situe 
        déjà l'art de Brouty tel que nous l'admirons aujourd'hui." Il faut avoir l'esprit bien enclin au 
        mal, écrivait-il, pour
 garder avec des yeux salaces tristes échantillons d'êtres 
        que Brouty a dessinés d'un crayon pitoyable de réalisme 
        et de vérité.C'est la débauche sous sa forme la plus 
        affligeante ; c'est la femme tombée au dernier degré de 
        la déchéance ! Et c'est par là que les dessins et 
        pastels de M. Brouty touchent à la plus navrante humanité. 
        Ah ! certes, ils découvrent un monde que la morale méprise 
        et relègue aux bas-fonds de la société mais où 
        toutes les plus noires tristesses, les plus fausses joies, les tares les 
        plus dégradantes se sont réfugiées. Rouault peint 
        sous les couleurs les plus sombres ce monde damné. M. Brouty, moins 
        sinistre, satirise, mais sans amertume ni mépris, et son crayon, 
        quoique cruel, se fait indulgent pour décrire ces dames et les 
        messieurs de ces dames. Il trouve dans le type du souteneur et de la fille 
        arabes, des modèles d'un caractère qui ne se rencontre qu'ici. 
        Il les peint d'une couleur plutôt triste mais où éclate 
        cependant la note joyeuse du paillon qui scintille, du foulard de couleur 
        qui brille dans l'ombre et certains détails nous font sourire, 
        car dans le monstrueux, il y a parfois un comique tragique. "
 
 -----------En 
        se libérant de certaines influences, le dessin de Brouty acquérait, 
        d'année en année, une originalité toujours plus personnelle. 
        L'artiste déplaçait sans cesse son objectif pour passer 
        des bas-fonds vers l'innombrable armée roulante des clochards algérois, 
        si totalement différents de ceux de Paris, de nos romanichels, 
        les gitanos, diseurs de bonne aventure, rempailleurs de chaises, tondeurs 
        de chiens, évoqués toujours avec un réalisme sans 
        le moindre romantisme et une puissance extraordinaire.
 
 -----------Nous 
        sommes en 1929. Son projet de timbre pour le Centenaire de l'Algérie 
        est adopté et Brouty ne tardera plus à recevoir le Grand 
        prix artistique de l'Algérie qui, en 1934, consacre officiellement 
        sont talent. Il avait, entre temps, obtenu la Médaille d'Or des 
        peintres orientalistes français.
 
 -----------Décorateur 
        ingénieux et inventif, Brouty décore le Café maure 
        du Pavillon de l'Algérie à l'Exposition 
        coloniale en 1931, présente les vitrines de l'OFALAC, avenue de 
        l'Opéra à Paris, pendant l'Exposition de 1937, et décore 
        les Pavillons de l'Algérie à la Foire de Bruxelles de 1937 
        et de l'OFALAC à la Foire-Exposition d'Alger en 1938.
 
 -----------Avec 
        les années qui passent le talent de Brouty prend un accent de plus 
        en plus humain. Certes, il n'ignore plus rien d'un métier dont 
        il sait tirer tous les effets possibles, mais la maturité le fait 
        constamment gagner en profondeur.
 
 -----------Cet 
        aspect de vérité et de sincérité qui, dès 
        le début, avait frappé, nous ne le trouvons pas que dans 
        ses figures ; il éclate dans ses gouaches, dans ses dessins aquarellés 
        clairs, lumineux, pleins de vie. Cette vie bouillonne intense dans les 
        dessins tracés d'une main rapide et que quelques touches de couleur 
        font plus vibrants que des peintures achevées. C'est l'instant 
        pris sur le vif et qu'on ne peut retoucher.
 
 -----------Depuis 
        quelques années, l'artiste voue à l'enfant une tendresse 
        particulière. Son trait s'affinant et devenu plus sensible, en 
        exprime le charme sans apprêt, l'étrangeté du type. 
        http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis. Ce sont les visages d'enfants gitans, 
        malingres et chétifs et pourtant résistants et nerveux comme 
        des petits félins ; des fillettes et garçons kabyles, rieurs 
        ou graves, précocement mûris ; du poulbot algérois 
        que représente le petit cireur des places et des cafés. 
        C'est par centaines que les dessins de Brouty se sont répandus 
        chez les collectionneurs, les musées, les particuliers.
 -----------On 
        en compte à la Résidence générale du Maroc, 
        au musée d'Alger, à Tunis. Il expose à Paris, Tunis, 
        le Caire, Rabat.
 
 -----------Un 
        nouvel album d'une sélection de ses récents dessins, édité 
        par " Rivages ", intitulé " 
        Un certain Alger ", vient d'être publié avec 
        une spirituelle et sensible préface d'Emmanuel Roblès.
 
 -----------Brouty 
        est resté pur de tout conformisme. Aucun des courants nouveaux 
        du XX" siècle - de sa première moitié - ne l'auront 
        influencé. Il demeure un " dessinateur " qu'il faut rattacher 
        aux maîtres de la fin du XIX' siècle en remontant à 
        Daumier, génie romantique, Constantin Guys, dont la sensualité 
        renforce les courbes, Degas qui procède d'Ingres et trouve la puissance 
        d'un Rubens pour tordre la chair du corps féminin, Toulouse-Lautrec, 
        érotique avec grandeur, dont le trait est un coup de fouet.
 
 -----------Pascin 
        lui a fait concilier l'héritage de ces maîtres et la nouveauté 
        que nous apportaient, au début de ce siècle, les dessins 
        de Bonnard, Matisse, Marquet, Segonzac que le jeune artiste ne pouvait 
        ignorer. Mais c'est dans le choix des sujets qui l'inspire, la curiosité 
        du spectacle de la rue, le comportement dans la vie, que Brouty s'identifie 
        à son génial aîné. Rien de ce qui est humain 
        ne lui est étranger. Si son réalisme se teinte d'humour 
        c'est pour voiler la tendre piété que lui inspire la classe 
        déshéritée de la société. Cette prédilection 
        s'est transformée en lui en une forme d'amour, de toutes les amours...
 Louis-Eugène ANGELI.
 
 |  |  
        
           
            |  Gitanes d'Alger
 |   
            |  la plage
 |   
            |  la balseta (site : ou la "bassetta"?)
 |   
            |  jeune femme arabe dans un intérieur
 |   
     |