| Le port 
        d'Alger | 
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| Chalutiers d'Alger En Algérie, le départ en pêche 
        se réduisait à un banal appareillage effectué de 
        nuit, depuis un port ou une crique, souvent sous le vent d'une mer glacée. 
        Par contre, le retour d'une modeste " pastéra ", d'un 
        palangrier trapu ou d'un chalutier avec ses lourds filets pendus au mât 
        arrière, était un spectacle. Le mythe de la pêche 
        miraculeuse toujours vivace, reste chargé de symboles bibliques. 
        Pour nos esprits de latins, la pêche se pare toujours un peu d'un 
        prestige religieux. Le môle de pêche 
 Le déchargement des chalutiers terminé, 
        les charretons grinçants sous le poids des casiers, ayant rejoint 
        l'intérieur de la Halle aux poissons, les pleins d'eau et de glace 
        en poudre faits avec parfois l'échange d'un filet, le patron de 
        pêche mettait en panne le moteur, qui s'arrêtait dans un dernier 
        soubresaut, marquant la fin d'une longue journée commencée 
        dès trois heures du matin. Les membres de l'équipage libérés, 
        enjambaient alors le bordage avec leur couffin contenant la gamelle vide 
        du repas pris à la hâte, entre deux calées, et la 
        part de poisson obtenue chaque jour selon l'importance de la pêche. 
        Par les escaliers 
        de l'ancienne Pêcherie, ils rejoignaient le domicile 
        familial situé principalement, depuis la démolition du quartier 
        de la Marine, à la " Consolation ", aux " 
        Trois-Horloges " ou aux " Messageries ", à Bab-el-Oued. 
        Après 1945, aussi difficle qu'il soit, le métier de marin 
        à bord d'un chalutier n'avait rien de comparable avec celui que 
        connurent " nos anciens " quelques années auparavant. 
        Pour eux, après la navigation à voile, au temps de la machine 
        à vapeur, il fallait prendre son tour au ponton du service des 
        eaux pour l'indispensable plein de la chaudière et, un jour sur 
        deux, procéder au chargement du charbon, briquettes ou " cardiff 
        " à partir d'un chaland amarré le long de la jetée 
        Pierre Émile Watier. Or, ils étaient vingt chalutiers à 
        pratiquer la pêche " aux boeufs " (Pêche 
        aux boeufs: pêche avec un filet tiré entre deux chalutiers 
        naviguant parallèlement.) en ce temps-là à 
        Alger. Alors, jugez de la contrainte ! Heureusement que par la suite, 
        avec la généralisation du moteur " diesel " sur 
        les bateaux et l'utilisation du fuel, combustible admis aux droits réduits, 
        directement distribué sur le quai par des camions citernes, de 
        même que la réglementation de l'heure de sortie de nuit, 
        une amélioration sensible au dur labeur du métier des marins 
        pêcheurs était apportée. Toutefois, nous devons signaler 
        que le chalutier représentait pour les marins pêcheurs du 
        port d'Alger le " haut de gamme " de la corporation. Il était 
        difficile d'obtenir un embarquement sur ces bateaux, particulièrement 
        sur ceux dont les armements étaient solides et les maîtres 
        de pêche de grande notoriété. Dans ce métier, 
        le marin de chalutier était considéré comme un " 
        fonctionnaire " par ses pairs. Il avait un emploi stable et était 
        assuré d'une rémunération " au mois ": 
        un salaire mensuel de base défini par contrat inscrit sur le rôle 
        d'équipage, accompagné du droit à une part journalière 
        de poissons, variable selon la pêche du jour. Cette part de poissons 
        deviendra un revenu substantiel quand l'usage de la vente au couffin " 
        s'étendra le soir, du môle de pêche au marché 
        des Trois- Horloges à Bab-el-Oued ! À Alger, en ces fins 
        de journées, s'exhalait du môle Jérôme Tarting, 
        l'inoubliable confusion des effluves de la brise marine et du poisson 
        frais. C'est à ce moment qu'intervenait, connu de tous les habitués 
        du port, " Mimi ", coiffé de sa casquette de marin. Cet 
        ancien inscrit maritime, invalide civil, victime d'un accident de travail, 
        rachetait la part des pêcheurs et la cédait, aussitôt 
        après dans d'excellentes conditions, aux amateurs de petits pageots, 
        rougets, sardines. Les mères de famille trouvaient des anchois 
        frais pour le bocal familial, des araignées pour la bouillabaisse, 
        le " caldero " ou " l'aqua bassa ", des gambas pour 
        le repas du soir. Les pêcheurs du dimanche achetaient leurs crevettes 
        grises pour leur partie de pêche derrière la jetée 
        Butavant. Les Algéroises appréciaient les belles sardines 
        étincelantes de fraîcheur pour une recette de beignets dont 
        elles détenaient jalousement le secret. Pour un de nos francs 1960, 
        il était possible d'acquérir la nacre d'un gros brachiopo 
        de marin à coquille bivalve: le triton à bosses, appelé 
        " toffe " par le pêcheur napolitain. Les achats de cette 
        clientèle étant faits, Mimi s'en allait aussitôt après 
        aux " Trois- Horloges " où il était attendu des 
        connaisseurs, amateurs de petits sépias, rougets, sardines ou allaches 
        dont le fumet s'étalait dans le quartier et autour des cafés 
        et des restaurants. Alors, la tête pleine de souvenirs, habitués, 
        spectateurs et pêcheurs éblouis par la vue de tous ces poissons 
        et satisfaits de la qualité de leurs achats rejoignaient par l'ascenseur 
        ou les escaliers de la Pêcherie, les boulevards de la République 
        et Anatole-France.  C'était un retour de pêche des 
        chalutiers, un soir de semaine de l'année 1947 dans le port d'Alger. |