| --------L'incendie 
        éclata dans la nuit du 19 Mars (le 
        Déjanté : ah! date prémonitoire?)1882. Il 
        était exactement trois heures un quart.--------Le 
        pompier de service, M. Evariste Pommirol, effectuait une ronde, lorsque 
        son attention fut attirée par un bruit insolite.
 --------Il 
        alerta le concierge, persuadé que des gens mal intentionnés 
        se cachaient dans quelque coin. Puis, passant sur la scène, il 
        aperçut de longues flammes qui déjà atteignaient 
        le cintre et le tambour du lustre. Alors, il donna l'alarme.
 --------Les 
        Algérois, réveillés par le clairon d'appel, accoururent 
        nombreux place 
        Bresson, où étaient rassemblés pompiers, 
        sapeurs du génie, tirailleurs, zouaves et marins.
 --------Le 
        général Loysel, entouré de plusieurs officiers, se 
        tenait à l'angle de la rue 
        Bab-Azoun où le rejoignaient le Préfet ; le Maire 
        M. Guillemin ; les adjoints MM. Huré et Portier ; le Secrétaire 
        général du Gouvernement, et M. Fromant, qui devait, plus 
        tard, prendre la direction de l'Opéra reconstruit.
 --------Six 
        pompes de la ville, secondées par celles du Génie et de 
        la Douane, furent mises en action. Les soldats, les civils, voire des 
        femmes, " faisaient la chaîne ". L'eau ne manquait pas, 
        mais l'incendie redoublait d'intensité et le feu alimenté 
        par la masse des décors, ravageait la scène.
 --------Sous 
        l'effet de la chaleur, une conduite se rompit, libérant un gros 
        volume d'eau qui vint inonder les dessous du plateau ; aide imprévue 
        pour les sauveteurs.
 --------Peu 
        à peu les flammes devinrent moins agressives et moins dangereuses 
        pour les immeubles voisins. Cependant, le feu trouvait des aliments faciles 
        dans les boiseries et les charpentes. À chaque instant les spectateurs 
        impuissants et navrés percevaient le fracas de nouveaux écroulements, 
        fermaient les yeux devant un nouveau flamboiement infernal. À quatre 
        heures le dôme cédait, s'effondrait d'un seul coup, entraînant 
        le lustre avec grand bruit. Une gerbe d'étincelles jaillit alors 
        avec une violence inouïe, et la foule se replia en désordre 
        jusqu'aux premiers arbres du square.
 --------Les 
        artistes étaient accourus. Beaucoup d'entre eux avaient laissé 
        leurs costumes dans les loges : une fortune. Les cris se mêlaient 
        aux pleurs. Et aussi les prières. Une première chanteuse 
        suppliait un pompier de sauver sa plus belle robe - une robe de huit cents 
        francs - un chef-d'uvre.
 --------À 
        six heures, le magasin aux costumes, la salle des archives, la bibliothèque, 
        étaient complètement embrasés. Aliment facile, dont 
        la destruction contribua à l'exaspération du drame.
 --------Grâce 
        aux portes de fer, le vestiaire des artistes fut épargné. 
        On put sauver, avec peine, de nombreuses corbeilles et l'on conçoit 
        la joie avec laquelle ténor, basse, mezzo, soprano ou maîtresse 
        de ballet, accueillirent les sapeurs chargés de leur précieux 
        bien notons en passant, que la fameuse robe de huit cents francs se trouvait 
        dans l'une des corbeilles.
 --------Le 
        Foyer fut aussi épargné.
 --------Quelques 
        lézardes s'étant produites dans les murs latéraux, 
        on fit sur-le-champ évacuer les abords immédiats du théâtre, 
        où la foule stationnait depuis plus de cinq heures.
 --------Je 
        ne reviendrai pas sur l'émoi, l'anxiété, la stupeur 
        qui, tour à tour, se partagèrent les sentiments de cette 
        foule.
 --------Un 
        chat, un simple chat de gouttières, la tint en haleine une heure 
        durant. Le fait d'ailleurs - un menu fait - vaut d'être rapporté, 
        parce qu'on le raconta dans toute la ville, et que, longtemps, il fut 
        une des principales péripéties du sinistre.
 --------Un 
        chat donc, un des nombreux chats adoptés par les magasiniers et 
        qui font partie de la maison, pressé par le feu, trouva refuge 
        sur la toiture, que des flammes léchaient par endroits ; affolé, 
        il allait et venait le long d'une corniche, s'arrêtant, miaulant, 
        regardant vers le sol, puis reprenant sa course désordonnée. 
        Des curieux, naïvement, lui indiquaient du doigt, en l'appelant, 
        un chemin de salut. Enfin, l'instinct guida l'animal qui réussit 
        à se glisser au pied d'une statue, sur la façade intacte, 
        puis, de là, sur le balcon du Foyer et, d'un bond, sur la terre 
        ferme. Il disparut, emportant avec lui un peu d'histoire...
 --------Les 
        pompiers et la troupe demeurés sur place toute la journée 
        suivante, se rendirent enfin maîtres du feu. Le général 
        Loysel, le Préfet, le Maire tinrent à rendre hommage à 
        leur dévouement et à leur courage.
 --------Les 
        dégâts, on s'en doute, étaient considérables 
        : costumes, matériel, accessoires, décors, irrémédiablement 
        perdus. La bibliothèque, assez richement dotée et qu'on 
        évaluait alors à trois cent mille francs, n'était 
        plus qu'un amas de cendres.
 --------L'événement 
        causa une impression profonde dans la ville. Innombrables ceux qui, de 
        tous les quartiers, vinrent se recueillir devant les murs fumants.
 --------Les 
        causes de cet incendie ne furent jamais précisées. Des experts 
        se mirent en campagne, fournirent leur rapport, mais ne s'appuyèrent 
        que sur des hypothèses.
 --------Le 
        lecteur voudra bien nous excuser d'avoir insisté, un peu trop peut-être, 
        sur cet événement ; mais son retentissement fut grand à 
        l'époque et nous lui devions un large souvenir.
 ******** --------Ce 
        sinistre, qui privait près de deux cents personnes de leur unique 
        moyen de subsistance, détermina un très bel élan 
        de solidarité.
 --------À 
        ce sujet, la presse publia la note suivante
 " Nous apprenons et annonçons avec le plus vif plaisir que 
        la " société des " Amigos réunidos " 
        organise pour dimanche prochain, au Théâtre Malakoff, à 
        Bab-el-Oued, une représentation " extraordinaire suivie d'un 
        bal, dont le produit est destiné à " venir en aide, 
        dans les conditions indiquées par la souscription " ouverte 
        au " Moniteur ", aux artistes et employés victimes de 
        " l'incendie du Théâtre Municipal ".
 --------De 
        son côté, Mme Novel, propriétaire du même théâtre, 
        mettait fort aimablement la scène de sa maison à la disposition 
        des artistes du Municipal.
 --------Un 
        peu plus tard on construisit sur le bastion Waïsse une salle provisoire, 
        dont la direction fut confiée à M. Coste.
 ********* --------L'Opéra 
        était assuré pour huit cent mille francs. Sa reconstruction 
        devait en coûter douze cent mille.--------Trois 
        jours après le sinistre, c'est-à-dire le 22 Mars 1882, le 
        Conseil Municipal se réunit.
 --------Il 
        s'agit de se prononcer sur un projet de reconstruction du Théâtre 
        au même emplacement, avec utilisation des murs épargnés. 
        Les avis sont partagés et il se manifeste d'irréductibles 
        oppositions.
 --------Enfin, 
        un vote favorable au projet met fin à tous commentaires et l'architecte 
        Oudot est chargé de la reconstruction. M. Oudot est un homme de 
        talent, par conséquent il a des ennemis qui, jusqu'au bout, combattront 
        son uvre et agiront pour en retarder ou compliquer l'exécution 
        sans résultat il est vrai. Car, en un temps record, le nouvel édifice 
        est remis sur pied, si je puis dire. Sept mois et vingt jours ont suffi 
        à M. Oudot, soutenu en la circonstance par M. Clodius Portier, 
        adjoint aux Travaux Publics, pour déblayer, reconstruire, installer, 
        meubler et décorer...
 --------Sept 
        mois et vingt-huit jours.
 --------Un 
        journal du temps se plaît à rappeler à ce sujet que 
        déjà, à Paris, en 1871, un théâtre avait 
        été reconstruit à un train... vertigineux : l'Opéra 
        dressé par Lenoir, Porte Saint-Martin, en soixante-quinze jours 
        !
 --------Empressons-nous 
        d'ajouter qu'il s'agissait là d'un bâtiment provisoire, simple 
        et dépourvu de tout style ornemental.
 --------Le 
        nouveau théâtre d'Alger occupe une superficie de mille neuf 
        cent quatre-vingt-onze mètres carrés - mille quatre cent 
        trente étaient occupés par l'ancien - et compte un plus 
        grand nombre de places. La scène, considérablement agrandie, 
        est suivie d'une salle des fêtes rappelant le style hispano-mauresque 
        et qui subsiste aujourd'hui. La superficie réservée à 
        la scène et à l'arrière-scène atteint près 
        de sept cents mètres carrés, soit pour le plateau un gain 
        de cinq cents mètres carrés.
 --------M. 
        Oudot avait dû, pour donner à la scène ces nouvelles 
        proportions, sacrifier une petite place située derrière 
        le monument, au pied des murs de soutènement du marché 
        de la Lyre.
 --------Il 
        fut question, un moment, d'orner cette petite place d'un buste du poète 
        Regnard, esclave à Alger de 1678 à 1681, qui raconta ses 
        romanesques et assez invraisemblables aventures dans un livre exquis : 
        " La Provençale ".
 
 ******** -------M. 
        Oudot n'a pas modifié le style Renaissance de la façade 
        ; il l'a chargée de mosaïque de verre à sujets polychromés, 
        masques, médaillons, guirlandes...
 --------Les 
        mascarons que Chassériau avait placés au-dessus des fenêtres 
        jumelées ont disparu. Les statues allégoriques n'ont pas 
        subi le même sort. Elles demeurent, mais ont abandonné leur 
        socle primitif en bordure du Foyer des fumeurs, pour occuper les têtes 
        de colonnes réparties sur toute la largeur de la façade.
 --------D'aucuns 
        reprochèrent à Oudot d'avoir couvert les terrasses d'avant 
        corps d'un toit d'ardoises : ce même toit que nous pouvons voir 
        aujourd'hui. Sans doute avaient-ils raison, car il semble bien que l'Opéra 
        de Chassériau, avec ses terrasses, répondait mieux à 
        sa destination algérienne.
   |  | --------Mais pénétrons 
        dans l'intérieur du bâtiment.Le vestibule aussitôt retient l'attention. Il est vaste, bien équilibré, 
        joliment décoré. Une galerie, desservant les premiers balcons, 
        le domine sur toute sa largeur.
 --------À 
        droite et à gauche, au second plan, se trouvent les emmarchements 
        de deux escaliers de marbre, recouverts d'un épais tapis.
 --------Par 
        ces escaliers on accède, tout d'abord, à un palier couronné 
        d'un lustre de bronze, dont deux grandes glaces très habilement 
        disposées multiplient les feux à l'infini.
 --------Le 
        fumoir, situé au-dessus de ce palier, est confortablement meublé. 
        Le dallage est constitué par une mosaïque de Paray-leMonial, 
        aux tons chauds et harmonieux.
 --------Sous 
        les combles, on a ménagé un atelier à l'usage des 
        peintres de décors. Installation peu commode, supprimée 
        dans le réaménagement actuel. Aujourd'hui ces ateliers ont 
        trouvé une place logique aux environs immédiats de la scène.
 
 ********* --------L'inauguration 
        du théâtre rénové eut lieu le 1" Décembre 
        1883 au soir. Le succès fut grand. La foule des amateurs ne s'était 
        guère inquiétée de la campagne 
        absurde d'une feuille locale qui doutait de la solidité des murs, 
        conservés après l'incendie, et prédisait un écroulement 
        certain.--------Le 
        public manifesta d'ailleurs son enthousiasme. Il admira sans réserves 
        l'effort accompli. Tout lui devenait prétexte à exclamations, 
        à échange de vues, à rappel de vieux souvenirs.
 --------Bordant 
        et sommant les loges d'avant-scène, se dressaient les cariatides 
        du sculpteur Léon Fourquet, professeur à la Société 
        des Beaux-arts, mort tout récemment. Fourquet, Second grand prix 
        de Rome, était un artiste apprécié, doué d'une 
        subtilité très personnelle, et qui a laissé une uvre 
        sincère, précise et forte.
 --------Détail 
        à retenir : aux premiers balcons, sur le pourtour de la décoration 
        extérieure, on remarquait une série de médaillons 
        représentant en cariatide le portrait de l'architecte Oudot...
 --------Le 
        plafond avait été décoré par Martin, un spécialiste 
        de Montpellier, praticien épris de son métier, qu'il servait 
        avec beaucoup d'intelligence et de rares moyens.
 --------Notons 
        le grand lustre, forgé par MM. Goelger et Poumaroux, de Paris, 
        ce grand lustre aux belles lignes, un peu lourd peut-être, que la 
        Municipalité Altairac fit décrocher en 1901, pour le remplacer, 
        sans avantage, par un plafond lumineux.
 --------Notons 
        les rideaux de velours aux longues franges et aux glands d'or ; et surtout, 
        l'opulent rideau de scène, avec ses plis ordonnés, ses reflets, 
        ses chromatiques de rouges...
 --------La 
        machinerie établie sur les plans de celle du Châtelet de 
        Paris, permit au Théâtre d'Alger, de monter des pièces 
        de grande féerie.
 
 --------Messieurs les officiels, conduits par le 
        Directeur du Théâtre, M. Fromant, purent entendre, au pied 
        des décors qu'on allait présenter au public après 
        la partie musicale, les explications de M. Godin, premier machiniste, 
        constructeur du complexe appareil de machinerie qui, à cette époque, 
        se présentait déjà comme un des mieux compris et 
        des mieux agencés.
 --------L'orchestre 
        de quarante musiciens, sous la direction de M. Duval, joua différentes 
        ouvertures et les " meilleures valses du répertoire ". 
        Puis, comme il se doit en pareille circonstance, le régisseur général 
        M. Faure, aidé de son adjoint M. Trouffy, révéla 
        aux invités un choix de décors brossés par le peintre 
        Rousselot, professeur à l'École Nationale des Beaux-arts 
        d'Alger.
 --------Parmi 
        ces décors figurèrent ceux de la " Juive ", des 
        " Huguenots ", de " Rigoletto ", etc...
 --------Une 
        substitution de lointain, laissant apparaître sous la lumière 
        pâle d'un jour naissant, la perspective impressionnante d'une grande 
        ville, rallia tous les suffrages et fut l'objet de très chaleureux 
        applaudissements.
 --------Immédiatement 
        après cette présentation, se place l'intermède le 
        plus savoureux de la cérémonie.
 --------Dans 
        un décor médiéval, planté à l'avance 
        sur les monte-fermes et surgi pour ainsi dire du deuxième dessous, 
        M. Fromant, le Directeur, remit à l'architecte, M. Oudot, fort 
        embarrassé, une ravissante couronne de lauriers d'or, offerte par 
        un groupe d'admirateurs. Ce geste fut suivi de nombreux discours et de 
        nombreuses répliques, dont on imagine aisément le thème 
        et l'inévitable longueur.
 ******* --------Le lendemain 
        de cette soirée d'inauguration M. Fromant publia le tableau de 
        sa troupe pour la saison 1883-1884. --------Voici ce 
        tableau, à titre documentaireAdministration
 --------Fromant, 
        Directeur
 --------Duval, 
        Chef d'orchestre Faure , Régisseur Général --------Trouffy, 
        second régisseur
 --------Rousselot, 
        peintre décorateur
 Répertoire
 --------Grand 
        Opéra ; Opéra Comique ; Traductions ; Opérette
 Interprètes
 --------MM. 
        Doria, Pamvels, Pombley, Bach, Kolletz, Varenne, Déthurens, Crépaux, 
        Lorrivé, Gourmoy, Douchet,
 Lacroix.
 --------Mmes 
        Rabany, Marielle, Savelli, Lamorrie, Vanderwal, Doriani.
 Trente choristes, hommes et dames.
 Orchestre
 --------Quarante 
        musiciens et un corps de ballet très important dirigé pendant 
        longtemps par M. Cerri.
 
 
 
     |