|  L'Algérie dans les lettres françaisesplus de trois siècles d'histoire
 La France, en centre trente-deux années 
        de présence en Algérie, a créé une civilisation 
        nouvelle. Aussi bien sur le plan des moeurs que de l'agriculture, de l'architecture, 
        ou de l'industrie, une civilisation est née, sans rapport direct 
        avec ce que l'armée du maréchal de Bourmont avait découvert.
 La création d'une société nouvelle franco-algérienne 
        devait donc amener naturellement l'essor d'une littéture algérienne 
        d'expression française.
 
 Mais cette littérature prend racine longtemps avant la conquête. 
        Bien que la contrée algérienne soit considérée, 
        dès la fin de l'Empire romain, comme un domaine étranger 
        à la civilisation occidentale, fermé et hostile, qui a rejeté 
        tout ce que les Romains avaient créé pour l'unir à 
        l'Occident, des missionnaires, des prisonniers, des voyageurs ont découvert 
        cette terre et l'ont fait connaître par des récits à 
        leurs compatriotes.
 
 Les premiers récits remontent au XVIe siècle. Des captifs, 
        capturés par les barbaresques, malgré les traités 
        qui unissaient la France à la Sublime Porte, racontent une fois 
        libérés les souffrances qu'ils ont subies, en même 
        temps qu'ils décrivent la terre incomparable dont ils ont été 
        les hôtes forcés.
 
 Le père Dan, par exemple, publie, en 1637, un ouvrage décrivant 
        la mission de rachat qu'il avait effectuée en 1634 en Algérie. 
        Il s'agit d'un père trinitaire, dont l'ordre est voué au 
        rachat des captifs, soit par les fonds reçus de la charité 
        des fidèles, soit par les rançons que leur remettent des 
        familles pour libérer leurs captifs. Il nous décrit Alger.
 
 " Cette ville se présentant insensiblement à la vue 
        et comme par degrés et qui va en montant à la façon 
        d'un amphithéâtre, s'étend sur une petite colline 
        ; elle laisse voir à découvert toutes les maisons qui n'ont 
        pour toits que des terrasses du haut desquelles on a plaisir à 
        regarder la mer, sans que les bâtiments s'empêchent l'un l'autre. 
        "
 
 Vingt ans plus tard, un autre religieux, le père d'Aranda, nous 
        décrit tous ces marins du monde rassemblés comme prisonniers 
        à Alger qui racontent leurs aventures, leurs rencontres et parlent 
        du pays.
 
 Le premier écrivain de profession qui ait abordé l'Algérie 
        est le futur académicien Regnard. 
        Prisonnier en 1678-1679 il nous laisse un roman, la Provençale, 
        narrant les aventures d'une captive provençale, sa compagne d'infortune, 
        mais son roman n'a aucune couleur locale, l'histoire pourrait se passer 
        n'importe où.(Voir 
        feuillets d'El-Djezaïr)
 
 En revanche, un de ses compagnons de chaîne et de capture, 
        Fercourt, publie un récit de leur aventure et décrit 
        le travail forcé auquel ils étaient contraints, les discussions 
        sur le rachat, la rançon, la tentative d'évasion de Regnard 
        qui vaudra à tous ses compagnons la bastonnade. Les prisonniers 
        étaient affectés au travail de la laine, Regnard cardait, 
        Fercourt dévidait. Mais le récit nous montre surtout un 
        Regnard différent de l'aspect que lui-même a voulu nous laisser 
        : brusque de son naturel, peu complaisant et s'aimant beaucoup lui-même.
 
 Avec le siècle des lumières, les explorateurs commencent 
        à arpenter l'Algérie. Ce sont des scientifiques : Laugier 
        de Tassy qui publie, en 1725, ses Histoires du Royaume d'Alger 
        ; Pessonnel, médecin naturaliste 
        ; Des Fontaines, savant marseillais 
        qui écrit en 1784.
 
 Pour eux, l'Algérie est un signe de contradiction ; ils rejettent 
        les récits des religieux qui, " marqués par des préjugés 
        chrétiens basés le plus souvent sur la foi de quelques moines 
        espagnols, débitent mille fables pour faire valoir les services 
        qu'ils rendent au public, en allant en Barbarie pour le rachat des esclaves. 
        "
 
 Mais si les religieux ont exagéré la brutalité des 
        Algériens, les scientifiques sont bien obligés, malgré 
        leur amour du rousseauisme et de l'homme primitif et bon, de considérer 
        que l'Arabe est plus souvent un hôte brutal et intéressé 
        qu'un bon sauvage. Et ils soulignent à l'envi la différence 
        qui existe entre " une nation éclairée par des lois 
        et les hordes errantes, livrées à toutes les dépravations 
        d'une nature avilie ".
 
 C'est avec la conquête que commence réellement la littérature 
        algérienne d'expression française. Elle commence très 
        timidement. Tout d'abord un petit livre de Merle, paru en 1830, Anecdotes 
        pour servir l'histoire de la conquête. L'écrivain est discret, 
        il fait l'éloge du maréchal de Bourmont dont la carrière 
        est interrompue par la Révolution de 1830 et qui passe presque 
        inaperçu en France, à la grande colère d'Alfred de 
        Vigny. Celui-ci, dans un article de la Revue des Deux-Mondes de 1831, 
        proteste contre le silence sur la campagne d'Alger et plaint les Français 
        de cette discrétion honteuse.
 
 " Peu s'en faut, dit-il, que chaque conquérant en revenant 
        en France, ne se cache de sa conquête comme d'une mauvaise action 
        et ne l'efface de ses états de service. Les faiseurs de réputation 
        fouillent partout pour trouver des héros et ne s'informent pas 
        de ceux-là qui sont tout faits. Voilà la gloire des faits 
        d'armes en l'an de grâce 1831."
 
 Après les débuts timides de Merle, 
        toute une littérature militaire va naître. 
        Clauzel, avec le secours de Frédéric Soulié, 
        publie des souvenirs en 1837. Le duc d'Orléans, 
        avec le concours de Charles Nodier, narre son expédition aux Portes 
        de Fer. Bugeaud, grâce à 
        Christian d'Idewille et Louis Veuillot publie ses souvenirs en 1845.
 
 Un grand écrivain toutefois : le général du 
        Barrail dont les mémoires écrits dans un style 
        alerte, racontent les campagnes d'Algérie, avant d'aborder sa carrière 
        française.
 
 Mais une autre forme de littérature réside dans les lettres 
        que les officiers envoient à leurs familles. Le plus célèbre 
        d'entre eux sera le futur maréchal de 
        Saint-Arnaud dont les lettres au maréchal de Castellane 
        pour n'être publiées qu'en 1898, sont un des récits 
        les plus saisissants de l'épopée de la conquête.
 
 Sainte-Beuve lui donnera ses lettres de noblesse lorsqu'il écrit 
        : " Il est le premier des épistolaires du bivouac, sa langue 
        est svelte, son bon sens fin et spirituel, sa gaîté excellente, 
        son naturel saisissant, son expression prompte est presque toujours celle 
        que la réflexion eût choisie. "
 Récits 
        pittoresques Plus tard on publiera des lettres de soldats, 
        Jules Miles ou Les cahiers du sergent Walter 
        qui ne manquent pas de pittoresque.
 Le clergé, à son tour, va apporter une contribution importante 
        à cette littérature naissante. L'abbé 
        Suchet, ancien curé de Saint-Saturnin de Tours, vicaire 
        général de Mgr Dupuch et débarqué à 
        Alger en 1840, est certainement le plus notable. Son ouvrage, intitulé 
        Lettres édifiantes et curieuses sur l'Algérie, paraît 
        en 1840. Ce sont des récits pittoresques, des descriptions hautes 
        en couleur, avec les préjugés que ce bon chanoine apporte 
        de France : l'Arabe est bon par nature et va se convertir peu à 
        peu à la religion du Christ, le militaire est difficile de rapport 
        et certaines de ses actions, notamment les razzias, sont tout à 
        fait condamnables ; enfin, le colon est une personnalité inquiétante 
        et un troupeau de fidèles difficiles à convertir.
 
 Il porte sur eux des jugements assez abrupts. Ces colons se composent 
        de Français, de Maltais, d'Espagnols, d'Italiens et d'Allemands 
        et " vous le savez, dit-il à son correspondant, que ce n'est 
        pas ce qu'il y a de plus sain dans ces différentes nations qui 
        vient en Afrique. Ceux qui n'ont aucun intérêt à quitter 
        leur pays natal n'y viennent pas. Quoi qu'on en dise, il en coûte 
        toujours beaucoup à s'expatrier. Il faut donc quelque circonstance 
        malheureuse, indépendante de leur volonté, quelques violentes 
        secousses, quelques affreuses tempêtes qui arrachent ces gens du 
        sol natal et les transplantent dans ces terres incultes et sauvages où 
        ils s'étiolent nécessairement et meurent bien souvent de 
        chagrin et de misère. Ou bien ce sont des têtes exaltées, 
        des esprits inquiets qui ne sont bien qu'où ils ne sont pas, des 
        jeunes gens qui aiment la nouveauté, la vie aventureuse, des hommes 
        imprudents qui veulent s'enrichir à tout prix, des hommes qui ont 
        eu quelque mauvaise affaire. "
 Un glorieux héritage Mais, où notre abbé est meilleur 
        prophète c'est qu'il pressent que, dans ce magma de déracinés 
        de toute l'Europe occidentale, il y a les éléments pour 
        bâtir une nation nouvelle.
 " Ceux qui habitent l'Algérie ne sont pas, pour le présent, 
        dans un état normal. Ce sont différents éléments 
        qui ont été déplacés, qui se remuent, s'agitent 
        en tous sens, qui sont dans une sorte d'effervenscence, d'ébullition 
        en attendant qu'ils se fondent, se refroidissent et se consolident en 
        une masse homogène. "
 
 Cette consolidation qui demandera plus de cinquante ans aboutira à 
        la création de l'Algérie française.
 
 Tandis que ces littérateurs de fortune tentent d'intéresser 
        la France à l'Algérie, quelques écrivains célèbres 
        de France évoquent cette contrée nouvelle que les armes 
        viennent de leur apporter. Mais ils le font avec un bonheur divers.
 
 Louise Collet nous donne des vers 
        contestables sur l'épopée du marabout de Sidi-Brahim.
 
 Théophile Gautier, en 1846, consacre un drame à 
        l'Algérie : la Juive de Constantine.
 
 Balzac pressent la colonie en puissance 
        qui aboutira à civiliser ce beau pays. Mais d'un autre côté 
        il déclare : " On s'enfuit à Alger quand on n'a pas 
        la conscience tranquille. "
 
 Stendhal y voit la plus grande des 
        folies et des puérilités dont les Français ont donné 
        le spectacle au monde.
 
 Seul, Lamartine, dans son discours 
        à la Chambre des députés de 1837, voit dans la conservation 
        de l'Algérie un devoir national.
 
 " Ma pensée est qu'Alger est un glorieux héritage que 
        nous a laissé le gouvernement précédent, que c'est 
        un noble adieu, un noble souvenir qu'il a donné à la France 
        au moment où elle était perdue pour lui ; ma pensée 
        est qu'Alger doit être un appendice du territoire français, 
        que nous devons garder non seulement le littoral qui nous donnera une 
        influence immense dans la Méditerranée, mais que nous devons 
        occuper l'intérieur même et y choisir des points importants 
        pour y asseoir notre influence à toujours. "
 
 Victor Hugo, bien entendu, dans les 
        Châtiments, ne pourra que décrier cette Algérie où 
        sont transplantés les ennemis de l'usurpateur et, pour lui, la 
        plainte de Cayenne répond aux sanglots de l'Afrique.
 
 George Sand, pour les mêmes 
        raisons, participe à cette même aversion de l'Algérie 
        qui représente, pour elle, un des deux pays malsains, l'autre étant 
        la Guyane où l'on expédia les insurgés de juin, les 
        réfractaires du 2 décembre et les suspects de 1858.
 
 L'action psychologique de l'Armée d'Afrique aménera toutefois 
        quelques écrivains de talent à décrire cette contrée, 
        essentiellement Louis Veuillot et 
         Xavier Marmier. Mais l'un et l'autre 
        ne sont que des chantres officiels et leurs récits manquent singulièrement 
        de relief, parfois leur prophétisme est violemment contredit par 
        les événements puisque Louis Veuillot annonçait : 
        " Les derniers jours de l'islamisme sont venus, Alger, dans vingt 
        ans, n'aura plus d'autre Dieu que le Christ. Les Arabes ne seront d'ailleurs 
        français que lorsqu'ils seront chrétiens. Il faut que le 
        pouvoir civil favorise le culte catholique et autorise les conversions 
        et même qu'il les favorise. "
 
 Mais à côté de ces récits officiels, ces mêmes 
        auteurs savent noter la création toute nouvelle d'une société 
        dans Alger. Louis Veuillot nous décrit " un bal chez le gouverneur 
        où l'on voyait un mufti, des cadis, des imans, un rabbin, le président 
        du consistoire, un commissaire de police, des Juifs, des mulâtres, 
        des hommes de lettres, des Turcs, des Arabes, des Maures, des Prussiens, 
        des Anglais, une quantité d'épaulettes de toutes graines 
        et les civils même s'en étaient chargés autant qu'ils 
        avaient pu ; mais les toilettes européennes ne sentaient pas du 
        tout leur province, Alger malgré les diligences et les chemins 
        de fer est plus près de Paris que Pontoise ou Chartres. "
 
 Après ces laudateurs officiels de l'oeuvre de l'armée en 
        Algérie, une nouvelle génération d'écrivains 
        va débarquer. Ce sont les orientalistes, ceux qui viennent chercher 
        des impressions de ce monde étranger et nouveau qui les émerveille, 
        et qui pensent avec Théophile Gautier que pour voir l'Orient il 
        suffit d'aller à Alger et que " l'Algérie est un pays 
        superbe ". Mais en même temps ce qui les gêne dans leurs 
        visions et dans leurs rêves pour retrouver l'Orient, c'est la présence 
        française qui commence à civiliser cette contrée. 
        Et Théophile Gautier ajoute : " A Alger il n'y a que 
        les Français de trop. "
 
 Eugène Fromentin participera 
        à cette attitude littéraire et dans ses trois grands récits, 
        Loin de Paris (1855), l'Eté dans le Sahara (1856) et Une année 
        dans le Sahel (1858), l'optique est la même que celle de Théophile 
        Gautier ou que celle des Goncourt.
 Pourtant, malgré leur léger vieillissement les récits 
        d'Eugène Fromentin constituent une des plus belles pièces 
        des trésors de la littérature algérienne.
 
 Loti ne verra dans l'Algérie 
        que la projection de ses fantasmes et ses Trois dames de la Casbah n'ont 
        guère de vraisemblance.
 
 Mais l'on se lasse du romantisme en métropole, l'orientalisme ne 
        fait plus recette. Les naturalistes débarquent donc à Alger, 
        prennent le relais et apportent leurs notations précises, exactes, 
        leur misérabilisme, qui fait le délice de la classe littéraire 
        française.
 
 Flaubert, le premier, va dépeindre 
        avec hargne ces casernes et ces fortifications qui poussent partout, ces 
        officiers bureaucrates, ces militaires stupides, fonctionnaires ridicules 
        avec leurs tenues martiales, ces indigènes pitoyables : " 
        Cela, dit-il, sent le paria, cela est d'une pauvreté et d'une malédiction 
        supérieure. Des colons minables, leurs femmes labourant et sarclant 
        en veste et en chapeau d'homme, la civilisation perçue par son 
        plus ignoble côté. " (Notes de voyage avril-juin 1858.)
 
 Mais Flaubert pressentait en même temps que l'Algérie était 
        un thème littéraire étonnant et il conseilla à 
        Ernest Feydeau de faire un " grandissime " roman sur l'Algérie. 
        " Il y a plus à faire sur ce pays que Walter Scott n'a fait 
        sur l'Ecosse et un succès non moindre attend ce ou ces livres-la." 
        Feydeau écrira donc une trilogie 
        : Alger (1862), le Secret du bonheur (1864) et Souna (1874), faisant là 
        une oeuvre éprise d'une vision romantique de l'Algérie à 
        la Fromentin mais moins empreinte de la vision réaliste que les 
        naturalistes lui ont enseignée.
 
 Daudet, dans ses charmants contes, 
        résumera l'expérience de neuf semaines de voyage, de décembre 
        1861 à février 1862. La mule du Cadi, Le Caravansérail, 
        Un décoré du 15 août, Les Sauterelles, Les Oranges 
        sont des récits exquis, d'une inaltérable fraîcheur.
 
 Tartarin va immortaliser le Daudet algérien. Or, Tartarin est une 
        oeuvre parodique. De la même manière qu'il a su décrire 
        le caractère misérable des banlieues naissantes, Daudet 
        peindra cette Algérie dont il dénonce les ridicules avec 
        une certaine cruauté.
 Il en aura d'ailleurs des remords puisque, dans Trente ans de Paris, il 
        convient " qu'il y avait, certes, autre chose à écrire 
        sur la France algérienne que les aventures de Tartarin. Par exemple, 
        une étude de moeurs, cruelle et vraie, l'observation d'un pays 
        neuf aux confins de deux civilisations, le conquérant conquis par 
        le climat, par les moeurs molles, l'incurie, la pourriture d'Orient. Que 
        de révélations à faire sur la misère de ces 
        moeurs d'avant-garde : l'histoire d'un colon, la fondation d'une ville 
        au milieu des trois pouvoirs en présence : armée, administration, 
        magistrature. Au lieu de tout cela je n'ai rapporté que Tartarin, 
        un éclat de rire, une galéjade. "
 
 Maupassant lui-même, décrivant 
        en 1881 l'Algérie, se séparera peu de ses devanciers du 
        naturalisme. Le portrait de la vieille alsacienne qu'il nous laisse dans 
        Au soleil montre à la fois l'inadaptation radicale des premiers 
        colons à la civilisation algérienne et aux exigences climatiques, 
        et, en même temps, le caractère touchant et dérisoire 
        de leurs efforts.
 
 " Elle était coiffée, la vieille Alsacienne, d'un bonnet 
        blanc, cheminant courbée, un panier au bras gauche ; exténuée 
        elle s'assit dans la poussière, haletante sous la chaleur torride 
        et se mit à pleurer. Puis elle me conta son histoire bien simple 
        : on leur avait promis des terres, ils étaient venus, la mère 
        et les enfants ; maintenant trois de ses fils étaient morts sous 
        ce climat meurtrier, il en restait un, malade aussi ; ses champs ne rapportaient 
        rien bien que grands car il n'y avait pas une goutte d'eau. Elle répétait 
        la vieille : de la cendre, Monsieur, de la cendre brûlée, 
        il n'y a pas un chou, pas un chou, pas un chou..., s'obstinant à 
        cette idée de chou qui devait représenter pour elle tout 
        le bonheur terrestre. "
 Une nouvelle race A partir de 1900, une vision différente 
        apparaît de l'Algérie dans la littérature française. 
        Gide, Isabelle Eberhardt, Montherlant vont apporter une vision qui n'est 
        plus celle de l'orientalisme mais une vision admirative et sympathique 
        qui n'est pas non plus celle du naturalisme.
 Pour Gide, l'Algérie c'est 
        la découverte d'un monde libre qui lui donne la vie physique et 
        morale. Le soleil, la nature, l'ardeur des plantes, les jeunes créatures, 
        la simplicité des amours, le libèrent à la fois de 
        sa maladie physique et du climat moral dans lequel il a vécu.
 
 C'est à Biskra que je devais guérir Nathanaél je 
        ne crois plus au péché.
 
 Ce sont alors les descriptions de l'Algérie, des oasis, et, notamment, 
        d'El Kantara que Francis Jammes exaltera, 
        à son tour, en 1896.
 
 Isabelle Eberhardt se présente 
        comme la messagère d'un certain idéal de vie indépendante, 
        quêteuse et apologiste de la solitude, particulièrement dans 
        ses carnets de route.
 
 Quant à Montherlant il proclame 
        son amour pour l'Algérie. Il proclame qu'" il y a encore des 
        paradis " :
 " Sur les sept ans, six mois que j'ai passés hors de France, 
        entre 1925 et 1933, j'ai passé trois ans, dix mois à Alger. 
        Comme je n'y étais pas forcé, il faut croire que cette ville 
        m'agréait. Stendhal se voulait citoyen milanais, jusqu'à 
        nouvel ordre, je me tiens pour citoyen algérois. "
 
 Epris de cette solitude que lui donne le dépaysement, loin de Paris, 
        il découvre non seulement le mirage de l'orientalisme mais également 
        " cette plèbe barbaresque, ce prolétariat de corsaires 
        qui ne prennent plus à l'abordage que les tramwlys, avec de vieilles 
        capotes et des bandes molletières de soldat, des vestons en lambeaux, 
        des gourdins qui vont s'élargissant vers le bas. Et sous ces défroques, 
        le type est souvent assez beau, les yeux plus petits, les traits plus 
        accusés, à la fois plus fiers, plus délicats que 
        ceux des Tunisiens et le turban, couronne de blancheur vaguement bleutée, 
        est bien plus gracieux que la chéchia ".
 Mais le véritable chantre de la nouvelle race française 
        de l'Algérie, c'est Louis Bertrand. Lorsqu'il arrive à Alger, 
        venant de sa Lorraine natale, il découvre une contrée qui 
        n'est peuplée ni d'autochtones ni d'émigrés, mais 
        désormais de créoles : quatre millions d'Arabes, plus d'un 
        million d'Européens.
 
 Et quand on demande à ces fils de sang-mêlé : " 
        Etes-vous Français ? ", ils répondent avec Cagayous 
        : " Algériens nous sommes. "
 
 Ce sera alors la série de grandes fresques sur l'Algérie, 
        éprises à la fois d'une description du petit peuple et de 
        la théorie du herbérisme, survivance de l'Algérie 
        romaine : Le sang des races, Pépète le bien-aimé, 
        les Villes d'Or, Saint Augustin, San- guis Martyrum.
 
 " On bâtissait l'Alger moderne, écrit-il dans Le sang 
        des races, la fièvre de construction qui dure encore commençait 
        à répandre dans les faubourgs tout un monde remuant et bariolé 
        de travailleurs ; on édifiait les voûtes du port et le boulevard 
        de l'Impératrice, les rues d'Isly et de Constantine s'ébauchaient, 
        entraînant comme deux grands canaux, le flot montant des populations 
        neuves vers les plages et les ravins fleuris de Mustapha. "
 
 L'oeuvre de Louis Bertrand est une 
        oeuvre d'amour. Elle date déjà et son latinisme apparaît 
        un peu trop appuyé mais il n'est pas possible de ne pas s'y référer 
        lorsqu'on veut décrire la présence française en Algérie 
        et la création d'une civilisation mixte, composée à 
        la fois des éléments autochtones et de l'apport de ces Français 
        qui, déjà installés depuis plusieurs générations, 
        sont devenus eux aussi à leur tour des autochtones.
 
 Des écrivains, les frères Tharraud, 
        vont apporter une contribution importante à cette description de 
        l'Algérie du début du XXe siècle.
 
 Attirés par le peintre Etienne Dinet, qui s'était établi 
        à Bou-Saada, ils rapporteront une oeuvre importante la Fête 
        arabe qui, dans l'esprit de Dinet, devait évoquer cette épopée 
        algérienne de la même manière que Dingley avait contribué 
        à célébrer l'épopée des Boers d'Afrique 
        du Sud. C'est ce roman, la Fête arabe, qui va les faire connaître 
        de Lyautey et qui leur permettra de terminer la guerre de 1914-1918 au 
        Maroc. Ils en rapporteront leurs oeuvres, désormais classiques, 
        Rabat ou les heures marocaines, Marrakech ou les Seigneurs de l'Atlas, 
        Fez ou les Bourgeois de l'Islam.
 
 Il faut faire une place particulière à l'oeuvre d'Auguste 
        Robinet, dit Musette, un fonctionnaire algérien, devenu 
        journaliste qui décrira, à partir de 1895, dans des petits 
        fascicules vendus 10 centimes, les aventures d'un titi d'Alger, le pittoresque 
        Cagayous.
 En une oeuvre, savoureuse non seulement par la description de son héros 
        mais également par le langage qui s'ébauche et qui est le 
        langage même de Bab el-Oued, il décrit ce menu peuple :
 
 " Moi, dit Cagayous, si je suis pas français naturel, j'suis 
        algérien ; rue d'Orléans je suis né ; d'abord, ma 
        mère elle touche la carte du bureau de bienfaisance, preuve qu'elle 
        s'a fait française. "
 Des écrivains 
        vigoureux Robert Randau, 
        le fondateur, avec d'autres écrivains, d'un mouvement littéraire, 
        l'Algérianisme, se situe, avec son Professeur Martin, petit bourgeois 
        d'Alger, dans la même ligne que Louis Bertrand tout en donnant à 
        l'indigène " une part plus importante.
 Ses quatre romans algériens : les Colons (1907), les Algérianistes. 
        (1911), Cassard le berbère (1920), le Professeur Martin 1935, constituent 
        un tableau expressif et exact de ce monde nouveau qui s'est créé. 
        Il dépeint les colons, il montre l'attirance viscérale vers 
        la terre d'Algérie et même lorsqu'ils deviennent comme un 
        de ses héros, le docteur Lavieux, un érudit, un médecin, 
        ils ont en eux cet amour de la terre qui fera retourner à la ferme 
        paternelle le médecin. Robert Randau note avec exactitude cette 
        réaction d'autochtone qu'a désormais le Français 
        d'Algérie contre celui qu'il estime être un envahisseur et 
        qui n'est autre que l'Arabe.
 Parmi les écrivains d'entre les deux guerres, Ferdinand Duchêne, 
        Gabriel Esquer, Louis Lecoq, Lucienne Favre, Paul Achard, Jean Pomier 
        et bien d'autres savent créer une littérature particulière 
        qu'il convient d'étudier et de comparer avec la littérature 
        métropolitaine de l'époque avant de porter un jugement définitif.
 
 A la veille de la Deuxième Guerre mondiale, des écrivains 
        vont dépasser le cadre de leur province et se faire entendre de 
        Paris. Ce ne sont pas des Français découvrant l'Algérie, 
        tombant sous son charme et narrant leurs conquêtes, mais des autochtones 
        ou des hommes ayant beaucoup vécu en Afrique du Nord.
 
 Albert Camus, né à Mondovi 
        en 1913, va être un des types les plus achevés de cette littérature 
        nouvelle.
 
 Subissant l'influence de Gabriel Audisio, 
        le méditerranéen, amoureux d'Alger, le poète de Jeunesse 
        de la Méditerranée, celle de Jean Grenier, auteur des Inspirations 
        méditerranéennes, il publie en 1937 son premier grand livre 
        : L'envers et l'endroit, dans lequel il met en scène ces types 
        d'humanité algérienne que sont les pauvres, les vieillards, 
        les malades, les humbles, tout ce petit peuple qu'il connaît bien 
        puisqu'il est l'un des siens.
 
 L'Etranger, la Peste se déroulent en Algérie, même 
        si Oran apparaît peu dans ce dernier roman.
 
 Toute une littérature va éclore autour de Camus, René-Jean 
        Clot, Canavaggio, Jean Pelegri, Emmanuel Roblès, Mouloud Ferraoun, 
        Mohamed Dib, Mouloud Mammeri, pour n'en citer que quelques-uns.
 
 La guerre d'Algérie fera naître une littérature nouvelle, 
        la littérature militaire. Marquée souvent par des prises 
        de position politiques, elle présentera toujours un intérêt 
        d'information au-delà même de la fiction.
 
 Cette littérature aura pour auteurs, entre autres, 
        Lartéguy et ses Centurions, le 
        général Buis, avec la Grotte, Cecil 
        Saint-Laurent et Philippe Heduy avec 
        le Lieutenant des Taglaïts.
 
 Ce qu'il est intéressant d'étudier et qui va naître, 
        c'est la saga, c'est-à- dire une littérature qui évoque, 
        à travers un récit romancé, l'histoire d'un peuple 
        ou, mieux, l'histoire de ceux qui le composent : colons de 1830, expulsés 
        de 1852 qui, à force d'acharnement, de travail, de courage et de 
        sang, construisent une race et une nation.
 
 Jeanne Montupet, avec la Fontaine 
        Rouge avait publié, dès 1953, une trilogie où elle 
        s'efforçait de raconter la geste algérienne des Vermorel, 
        in- carnée par trois générations successives, propriétaires 
        du domaine de la Fontaine Rouge. Cette histoire d'une famille algérienne 
        depuis 1837 ne manque ni de conviction ni d'exactitude même si les 
        besoins du récit donnent parfois une atmosphère un peu artificielle 
        au roman.
 
 Après l'Indépendance, Jules Roy, 
        avec les Chevaux du Soleil, Jean Bogliolo, 
        avec l'Algérie de Papa seront les continuateurs de ce genre littéraire 
        qu'il serait souhaitable de voir se perpétuer car il est, plus 
        que dans des romans séparés, révélateur d'une 
        civilisation qui ne doit pas mourir.
 
 En sont la preuve ces écrivains, nés en Afrique du Nord, 
        et qui nous donnent des oeuvres si diverses mais toujours originales : 
         Augustin Ibazizen, Frédéric Musso, 
        Daniel Saint- Amont, Marie Elbe, Anne Loesch, Anne Bragance, Charles Manguso 
        et bien d'autres...
 
 Si Rome a oublié l'Algérie dont il ne reste plus de trace 
        dans ses préoccupations et dans sa littérature dès 
        la fin de l'ère constantinienne, c'est parce que l'Algérie 
        est morte dans sa littérature populaire. Les souvenirs de l'Afrique 
        romaine ont peu à peu totalement disparu dans la pensée 
        de l'Occident car, loin des contacts étroits avec cette terre d'Afrique, 
        loin des contacts littéraires, Rame en a perdu jusqu'au souvenir 
        en se repliant sur Byzance et sur Aix-la- Chapelle.
 
 En revanche, le souvenir du sud américain vit actuellement comme 
        il n'a jamais vécu. L'épopée sudiste est plus fervente 
        encore dans les esprits que l'épopée Peau-Bouge. A quoi 
        tient cette survie ? C'est parce qu'elle a trouvé son expression 
        littéraire et cinématographique.
 
 Que l'Algérie conserve l'empreinte française de cent otrente-deux 
        ans de civilisation. Qu'elle demeure dans nos coeurs et dans nos esprits 
        grâce à la littérature algérienne d'expression 
        française.
 André DAMIEN.Me Damien est né à Philippeville, il est maire de Versailles 
        et algérianiste.
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