|  XII CERTAINES ont des parents qui savent et qui 
        les ont reniées... Certaines ont des parents qu'elles vont voir 
        chaque fois qu'elles le peuvent et qui ne savent pas... Petits cultivateurs... 
        bons ouvriers... employés diligents de toutes races et de toutes 
        contrées qui mourraient de rupture d'anévrisme - en mettant 
        les choses au mieux car la mort lente est plus dure - s'ils apprenaient 
        brusquement le métier qu'exercent leurs filles. Bienfaisance du 
        mensonge mais seulement s'il parvient à durer toute la vie. Pour 
        chacun d'eux, la fille est en service... Oui, elle gagne bien !.. Certain 
        jour, la Casbah des prostituées européennes subit une rude 
        alerte... Le père de l'une d'entre elles (qui avait imprudemment 
        fourni à sa famille son adresse véritable pensant que personne 
        ne viendrait jamais puisque tout le monde avait une telle horreur de traverser 
        l'eau) débarquait à l'improviste. Subitement liguée, 
        la Casbah des filles (y compris les mauresques) dut composer au pied levé 
        une admirable comédie qui permit au vieux, étourdi de musique 
        orientale, aveuglé de couleurs mouvantes, séduit d'une nouveauté 
        de costumes, de coutumes, saoulé de chaleur, nourri et surtout 
        abreuvé avec un faste excessif, de repartir content et de croire 
        que sa fille était au service d'une très riche musulmane.
 Ce fut une manière de chef-d'oeuvre et quand on eut rembarqué 
        le vieux, parfaitement quiet, toute la délégation qui l'avait 
        escorté jusqu'au bateau pleura d'abord tout son saoul en revenant 
        du ponton puis se saoula copieusement ensuite.... Celle qu'on avait préservée 
        du désespoir d'un brave homme de père, décongestionna 
        son livret de caisse d'épargne, engagea ses bijoux pour payer à 
        ses comparses la boisson spiritueuse qu'elles méritaient bien... 
        Car maintenant et jusqu'à la mort, ce vieux demeurerait persuadé 
        du bonheur et de l'honneur de son enfant qui se prostituait chaque soir 
        aux pas-
 
 - 146 -
 
 sants de la haute Casbah... Puis, d'un commun accord, pour rattraper la 
        dépense de cette réception, elles augmentèrent le 
        tarif de leurs clients pendant une quinzaine.
 *** La Casbah grouille d'enfants de souches diverses 
        et de nationalités mêlées. Beaucoup sont musulmans 
        mais il est aussi des fils d'artisans juifs, de besogneux italiens, espagnols 
        qui logent dans ces parages et tout naturellement montent pour s'amuser 
        à l'assaut des ruelles escarpées, pleines de marchands de 
        bonbons et de femmes à la bouche sucrée, à la langue 
        alerte. De sorte que dans certaines de ces rues, parfois, vers le crépuscule, 
        avant de s'attaquer au gros gibier : l'homme, les filles plaisantent avec 
        les gamins, rient aux gosses qui passent. Elles s'ennuient, elles les 
        provoquent. A moins qu'ils ne commencent les premiers. Quand la riposte 
        verbale ne suffit pas, si le gosse est taquin comme un moustique, on en 
        vient aux jeux de mains. De cette lutte en plein air à d'autres 
        exercices à huis clos il n'y a pas tant d'intervalle.
 C'est ainsi qu'un enfant dont la famille besogneuse loge à proximité 
        de la Casbah des Magasins spéciaux, commence à penser très 
        tôt à l'amour... Le terme n'est pas trop noble pour si pauvre 
        chose... Car l'attente du désir magnifie tout ! " On verra 
        ça l'année prochaine ! " plaisante la garce... L'enfant, 
        pour peu qu'il soit imaginatif ou puissamment doué, se met à 
        mûrir plus vite sous ce regard d'abord narquois puis intéressé. 
        Il ne faut désormais qu'un sirocco de plein août et quelques 
        francs volés dans la poche maternelle pour que cette contradictrice 
        narquoise se change subitement en dispensatrice de délices.
 
 A bien y regarder, les jeunes fils de prolétaires habitant la Casbah 
        ne sont pas plus spécialement en danger que tant d'autres. Le lycée 
        de garçons est immédiatement placé sous les rues 
        du quartier spécial. C'est une dangereuse situation. Si les femmes 
        étaient conseillères municipales, elles eussent déjà 
        compris cela. Il suffit d'être consigné dans quelque dortoir 
        du lycée, pour, en levant les yeux, apercevoir sur le belvédère 
        qui termine la rue Kataroudjil, le troupeau d'hommes qui attendent leur 
        tour tandis que le Soleil, les Trois Etoiles, et les autres boîtes 
        ont refermé momentanément leurs portes sur un surcroît 
        brusque de clientèle... Parfois, une prostituée pourchassée, 
        pourchassant un homme, apparaît demi-nue ou vêtue d'une façon 
        provocante. D'aussi loin elle semble gracieuse, adorable, étrange 
        et même un mauvais élève de rhétorique peut 
        incarner en elle les plus illustres entités féminines. Peut-être 
        ira-t-il, dès la prochaine sortie, confronter la réalité 
        avec ces mythes classiques.
 
 - 149 -
 ***
 Si l'on veut étudier la rue Barberousse, 
        la rue Kataroudjil et leurs environs ( voir 
        plan Déjanté), il faut disposer d'un observatoire 
        élevé, de préférence une terrasse de maison 
        musulmane au parapet suffisamment haut pour que l'on puisse s'accroupir 
        derrière en cas d'alarme. On ne peut, dans cette ville étrange, 
        obtenir de confidences ou tout au moins contempler certains abandons significatifs, 
        qu'au prix d'une longue patience, de certaine dissimulation, d'une discipline 
        sévère, comme d'une tenue rigoureusement courtoise. Les 
        gens de ces parages n'aiment pas les guetteurs, même ceux qui paient. 
        Tout ce qui fait figure d'étranger et de touriste est suspect; 
        devant eux, aussitôt, l'on modifie sa voix, on truque sa réplique. 
        On peut bien leur accorder un moment de distraction mais non la vérité 
        intime de sa vie ! Et puis il y a tellement de clients, par ici, qui préfèrent 
        garder l'incognito !
 Quand on a fait un stage suffisant de guet, et de jour comme de nuit, 
        au sommet de certaines terrasses de la rue Kataroudjil ou de la rue Barberousse, 
        on apprend combien, dans le désir commun de la fille publique, 
        certains hommes de tous âges, de tous les mondes, des fractions 
        sociales les plus distinguées comme les plus vulgaires, de confessions 
        différentes se rejoignent momentanément, réalisent 
        enfin une sorte d'union sexuelle sacrée. Car ce sommet de la Casbah 
        n'est pas voué uniquement, comme le pensent tant d'épouses 
        placides de la basse ville, à des matelots en bordée, des 
        soldats légèrement ivres, des arabes sans principes. Elles 
        y pourraient parfois, vers le crépuscule, croiser non seulement 
        leurs fils mais leurs conjoints. A ce moment là, un homme doué 
        de sang-froid et de prompts réflexes peut évidemment prétendre 
        qu'il se documente en vue d'une statistique.
 ***
 " Magasins " spéciaux de 
        la haute Casbah !.. Boutiques exiguës où la chair se débite 
        à la minute comme ailleurs l'étoffe au mètre et le 
        fruit au kilog...
 Un tout jeune homme pénètre, à la suite de Chérifa, 
        dans son antre. Il en sort peu après... A peine Chérifa 
        a-t-elle pris le temps d'allumer une cigarette et de retrouver, sur sa 
        porte, son attitude provocante habituelle, qu'un nouveau client se présente 
        qui, pas plus que le premier, ne s'attardera... Il en sera ainsi pendant 
        des heures.
 
 - 150 -
 
 Parfois l'armée française, c'est-à-dire la garde 
        de zouaves qui dans la Casbah tient un poste de guet permanent, est appelée 
        à trancher sur le champ un cas litigieux. Au seuil d'un " 
        Magasin " gesticule un homme qui achève de se rhabiller, cependant 
        que la fille hausse les épaules. L'homme s'estime volé parce 
        qu'on lui fit payer double tarif et la commerçante réplique 
        :
 
 - Un soir pareil, tu penses, il est resté plus d'un quart d'heure 
        chez moi !
 
 Mais, en général, les hommes qui viennent là sont 
        plutôt courtois (tant qu'ils n'ont pas trop bu) . Les arabes surtout 
        environnent d'une sorte de poésie cet amour marchand et celles 
        qui en sont les dispensatrices.
 
 Pour un indigène, la femme légitime, ce n'est jamais que 
        pour la race et les enfants. Un arabe ne flirte, ne badine qu'avec une 
        courtisane. Même ceux du samedi soir ont avec elles, dans la cour 
        publique, avant de monter dans les chambres, des attitudes, des attentions, 
        des caresses légères, une faiblesse sentimentale que leurs 
        épouses ne connaîtront jamais.
 *** Les portes des maisons de filles publiques 
        arabes et les magasins de certaines autres dames sont ouverts le matin 
        assez tôt. Les vrais luxurieux comme les alcooliques entendent probablement 
        l'appel du désir au premier chant du coq. Certains hommes absorbent 
        des anisettes ou des mêlé-cassis dès l'aube... Tels 
        autres personnages que leurs rêves freudiens agitent viennent hygiéniquement 
        s'en délivrer ici les sens et la mémoire au plus tôt.
 Il est aussi, parmi ces clients du matin, des petits jeunes gens sentimentaux 
        qui dédaignent l'argent au point qu'ils ne sauraient en donner 
        non plus qu'en recevoir. Des généreux qui procurent au moins 
        l'illusion gratuite du bonheur à certaines jeunes femmes, aux moments 
        creux du trafic, à marée basse, quand cette joie ne risque 
        pas de leur faire perdre une vente fructueuse, de mécontenter le 
        client. Ce sont les bienfaiteurs charnels de ces bouges, leurs rédempteurs 
        sans prétention. Ceux qui redonnent momentanément à 
        certains gestes leur valeur artistique. Ce sont des officiants indispensables 
        pour maintenir une foi suffisante chez ces créatures qui chaque 
        jour offrent leur corps et risquent leur sang.
 
 Au matin, dans la Casbah, les filles reçoivent ceux qui ne sont 
        pas leurs souteneurs et qui sont leurs vrais amants.
 
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 Le souteneur est souvent ici celui dont on a peur et qu'on paie pour qu'il 
        vous protège, comme un mari, comme un garde du corps. On se prête 
        à lui ainsi qu'au client et sans nécessairement en éprouver 
        de la joie sentimentale ou du plaisir sportif, plutôt une impression 
        de sécurité indispensable.
 
 Les visiteurs matinaux de ces dames de la Casbah sont des virtuoses. Il 
        en est de toutes conditions sociales et de toutes nations. Ils sont ceux 
        avec lesquels on fait le plus beau des échanges vibratoires... 
        les spécialistes seuls capables de réveiller la chair des 
        demi-mortes blasées par l'excès du désir des hommes 
        qui paient ou qu'on paie.
 *** Certains soirs, la rue Barberousse, la rue 
        Kataroudjil et la rue Bologhine, ornées de leurs plus belles filles 
        campées devant leurs porches bariolés dans les attitudes 
        et les costumes les plus propices aux jeux de la lumière artificielle, 
        offrent une atmosphère magnifique où tout semble construit 
        exprès, choisi pour stimuler le goût le plus blasé, 
        réussi à tel point que l'on comprend que les figurantes 
        elles-mêmes se sentent fières de participer à un tel 
        chef-d'oeuvre... Et d'autant que, toujours, les figurantes ont espéré 
        jouer les premiers rôles, dans l'avenir...
 Rues-aux-filles de la Casbah d'Alger ! Plus séduisantes, certainement, 
        que les filles elles-mêmes... Couleur... Couleur... Couleur... Jusqu'à 
        en être ébloui, débordé, saoul !.. Musique 
        brutale, aussi, qui vous violente... Le son de certaines raïtas, 
        quel massage vibratoire... Et cette odeur d'encens mêlée 
        de poivre et de cannelle.... Danse !... Danse !... Danse !... Danse!.. 
        Une femelle, ivre de bière, tourne dans une cour bleue et verte 
        tandis que la derbouka et la flûte la pourchassent et la traquent 
        dans l'angle où elle tentait de se réfugier, de se reposer, 
        de reprendre haleine !.. Danse !.. Danse!.. Danse!.. Danse!.. On finit 
        par être envoûté tant par le décor que par tout 
        ce qui le déborde et l'amplifie... Et si bien que les chairs des 
        femmes semblent offertes comme un complément fatal, un accessoire 
        de cette ambiance. On prend leurs corps, des fois, comme on saisirait 
        une matière plus ductile, pour la pétrir et parce qu'il 
        faut concentrer sur quelque chose ou quelqu'un cette espèce de 
        rage possessive que la chaleur, la couleur, le son, l'odeur ont exaspérée 
        à l'extrême limite... On les prend, ces garces insipides, 
        parce que l'on ne peut pas modeler cette muraille, pénétrer 
        ce parfum, violer cette nuance, se satisfaire dans cette vasque de marbre! 
        On étreint parfois, ici, une créature médiocre, simplement 
        pour saisir enfin quelque frag-
 
 - 152 -
 
 ment infime d'un Tout trop prodigieux, surtout trop vaste pour se contenir 
        dans ces poignes humaines de dimensions réduites, hélas 
        !
 ***
 C'est au plein de l'été, par 
        certaines fins d'après-midi de dimanche, qu'il faut voir le quartier 
        des filles de la Casbah d'Alger. Car il devient une sorte de chaos génésiaque, 
        il dégage une vapeur charnelle qui n'est proprement comparable 
        à rien. La sueur et la buée émanant des corps masculins 
        qui s'efforcent de monter à l'assaut des citadelles de filles, 
        l'étroitesse des rues où les chalands s'accumulent, se coudoient, 
        s'affrontent, se heurtent ; la variété des races qui se 
        mêlent, l'anarchie extravagante des costumes, la fusion des langages, 
        le verbe se trouvant ramené à deux modes d'expression éternels 
        : argent... jouisssance... La chaleur qui non seulement tombe du plafond 
        du ciel bas mais monte aussi du sol, des gens, des antres où le 
        marchand fait cuire ses brochettes de viande sur la braise; tout ce qu'une 
        consommation d'alcool exagérée, tant du côté 
        des hommes que du côté des filles qui ont besoin d'entrain 
        un jour aussi fructueux, peut créer de bouillonnements dans cette 
        cuve en pleine fermentation, est unique... Les cris des filles, mais plus 
        encore le vautrement de leurs corps largement dévêtus sur 
        la marche d'entrée des maisons ou des tanières... ce que 
        l'idée d'un terme en retard, d'un mois de nourrice à payer 
        ou d'un gigolo exigeant peut sournoisement ajouter à leur désir 
        de plaire. L'irritation mise en commun de tant de nerfs particulièrement 
        excités par des raisons si différentes, la certitude pour 
        les uns que le plaisir est là et pour les autres qu'il se solde... 
        la facilité de tout prendre et de tout abandonner sans souci, momentané 
        au moins...
 Il n'y a vraiment que par certains dimanches du plein été, 
        dans la Casbah d'Alger, que l'on puisse comprendre ce qu'est le péché, 
        son attirance irrésistible. Comme il n'y a que le mercredi après-midi 
        que l'on peut connaître quelle en est la sanction inévitable.
 
 Car c'est le Mercredi après-midi que se tient la principale visite 
        des filles, au dispensaire situé Place de la Bombe (sans aucune 
        idée de jeu de mots) .
 
 Nulle égalité même chez les filles publiques de la 
        Casbah. Elles paient toutes de leur argent réputé mal gagné 
        (ce que d'ailleurs la plupart des gens ignorent) mais connaissent, selon 
        leur opulence, des régimes différents.
 
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 Les lundis, jeudis, samedis matins sont réservés à 
        celles qui peuvent donner jusqu'à vingt francs. Les plus riches 
        ou les plus délicates ont même la faculté de demander 
        une inspection à domicile moyennant au moins trente francs... Les 
        filles des maisons publiques européennes sont visitées dans 
        leur chambre par les soins de l'établissement qui les exploite.
 
 La consultation massive, congestive du mercredi après-midi (au 
        cours de laquelle un seul médecin doit inspecter deux cents femmes 
        en moins de deux heures) ne coûte que dix francs. On fait crédit 
        au besoin, pour une semaine, aux plus malheureuses, quand elles avouent 
        que leurs affaires ont mal marché et qu'elles sont encore trop 
        pauvres pour payer ce bas tarif.
 
 C'est un contraste affreux que de revoir une partie de la troupe éclatante 
        qui paradait dans les rues le samedi et le dimanche, parquée maintenant 
        comme un pauvre bétail dans ces salles et ces couloirs laidement 
        administratifs. Pourquoi, même en Afrique, la peinture de nuance 
        chocolat est-elle si couramment employée, qu'il s'agisse d'un bureau 
        des contributions, d'un hôpital ou d'une prison... Il est vrai que 
        ce bâtiment-ci réunit à lui seul ces trois attributions 
        : on y acquitte d'abord une taxe, on y passe une visite ensuite, on y 
        est emprisonnée enfin à l'étage supérieur, 
        immédiatement, si l'on est reconnue malade.
 
 En attendant l'arrivée du docteur, elles se déshabillent 
        dans une salle spéciale où les filles françaises 
        et indigènes les plus soignées y doivent coudoyer les échantillons 
        les plus vermineux de leur espèce. Parfois ce déshabillage 
        en commun ne va pas sans cris, disputes, tumulte. Alors une autorité 
        masculine entre-bâille la porte, passe la tête et conseille 
        le calme en termes énergiques. La porte se referme, les voilà 
        qui parlent moins haut pour un instant, cependant que certaines particulièrement 
        expertes, chez les filles arabes surtout, continuent de maquiller les 
        tares de leurs compagnes.
 
 Le médecin arrive... C'est une ruée à qui passera 
        la première... S'il donne un avis favorable, il n'est plus que 
        de faire tamponner la carte de service par les agents des moeurs qui attendent 
        dans une pièce voisine, d'ailleurs largement ouverte sur le cabinet 
        médical de sorte qu'ils assistent entièrement à la 
        visite. Elles tendent presque toutes au tampon libérateur leur 
        carte d'un geste fébrile. Il en est qui sourient, d'autres plus 
        dignes qui se contiennent pour ne pas sourire tandis que le coin de leur 
        bouche tremble un peu. Mais si le médecin crie, de sa place, le 
        nom précis de la maladie bénigne ou cruelle, même 
        avant d'être descendue du fauteuil d'auscultation, la fille
 
 - 154 -
 
 atteinte commence à pleurer, à hurler, à sangloter, 
        tandis qu'un des agents s'avance pour la faire monter à l'étage 
        supérieur où elle restera emprisonnée pendant la 
        durée du traitement.
 
 Il faut voir la joie enfantine de celles qui, leur carte dûment 
        timbrée en poche et de ce fait certifiées indemnes, rient, 
        s'embrassent et se serrent les mains dans les couloirs... Les filles arabes 
        surtout qui se montrent là plus démonstratives et sont en 
        surnombre... C'est comme une sorte de sacristie bizarre où l'on 
        se félicite mutuellement. Et la vieille gardienne de ce temple 
        a bien du mal à les pousser dehors " Allez... Allez, sortez 
        puisque pour vous c'est fini ". Les heureuses partantes se croisent 
        avec celles qui ont retardé tant qu'elles ont pu le moment redoutable, 
        soit parce qu'elles se savent malades, soit parce qu'elles préfèrent 
        arriver à la fin de la visite pour moins attendre...
 Aux étages supérieurs, derrière les barreaux des 
        fenêtres, les malades guettent cette rumeur joyeuse des chanceuses 
        qui ont échappé à la maladie... ou au contrôle...
 
 Un peu plus bas, les soutiens de ces dames guettent aussi pour savoir 
        le sort réservé à celles qui leur sont chèrement 
        attachées... Elles ne se pressent pas toujours autant qu'il conviendrait 
        d'aller les rassurer. Un instant, sur le terre-plein inondé de 
        soleil, elles demeurent ensemble, baignées et épurées 
        de cette chaude lumière. Une fille arabe jeune et dorée, 
        avec un charmant visage de persane des miniatures, essuie ses yeux en 
        souriant... " Oh ! Ourida, pourquoi pleures-tu ? " Ah ! le médecin, 
        pour me taquiner, il s'est amusé à me faire peur... Il dit 
        " Toi, je te garde " et ce n'était pas vrai... Mais moi, 
        mon coeur s'est mis comme ça, à battre... Et quand il a 
        dit : " Non, va t'en ", je ne sais pas pourquoi je m'ai mis 
        à pleurer... Ah ! Ah ! je suis bête... " Elle s'en va, 
        moitié rire et moitié pleurs...
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