| Souvenirs historiquesLes Canons
 On a vu précédemment, quelles 
        formidables défenses les Turcs avaient élevées autour 
        d'Alger. Celles-ci étaient entretenues avec grand soin.
 "Les batteries de cette ville, dit le capitaine Barchou qui visita 
        celles-ci en 1830, étaient bâties avec une magnificence extrême. 
        Les pavés, les murailles, les embrasures étaient faits avec 
        un luxe de matériaux, un fini de travail dont on ne saurait se 
        faire une idée."
 
 "Je vois encore l'admiration sans fin de nos artilleurs sous les 
        voûtes casematées du môle. Les embrasures se trouvaient 
        garnies de pièces dont quelques-unes étaient remarquables 
        par les riches ciselures qui les recouvraient; d'autres, par leur histoire. 
        La Consulaire était du nombre de ces dernières."
 
 Beaucoup de ces canons furent fondus à Alger, à Dar-en-Nhas 
        (la maison du cuivre), sous la direction d'ingénieurs européens. 
        Mais le plus grand nombre étaient des prises de guerre. Aussi, 
        les forts d'Alger possédaient-ils des bouches à feu de tous 
        les calibres et de toutes les origines, ce qui ne laissait pas de causer 
        parfois quelque embarras aux Tobgis (Tobgis 
        : Artilleurs turcs. Leurs chefs portaient le nom de Bach-Tobgis.) 
        chargés de leur service.
 
 Ce fut à l'Amirauté que les pirates accumulèrent 
        le plus de pièces d'artillerie. On en trouva 300, en 1830.
 
 Le nombre total des pièces de bronze que comprenait l'armement 
        d'El-Djezaïr, était de 900. Celles-ci avaient en leur ensemble, 
        un poids de 3.000 quintaux.
 
 Dès la prise d'Alger, une compagnie de Juifs offrit à M. 
        de Bourmont d'acheter pour sept millions, l'artillerie tombée en 
        son pouvoir, proposition que, naturellement, le général 
        en chef s'empressa de repousser.
 
 Un certain nombre de ces canons fut conservé pour la défense 
        de la cité, les autres furent, par les soins de l'amiral Duperré 
        et du capitaine de vaisseau de Massieu, expédiés en France.
 
 Quelques-unes de ces pièces, ainsi . qu'il a été 
        dit plus haut, offraient un grand intérêt artistique et historique. 
        Aussi, sur le rapport du Ministre de la Guerre, le général 
        Gérard, et conformément à la demande du général 
        Clauzel, chef de la nouvelle Colonie, le roi décida, le 9 octobre 
        1830, que vingt-quatre d'entre-elles seraient envoyées aux Invalides.
 
 Seize ( Ces pièces ont environ 
        six mètres de long.) furent disposées de chaque 
        côte de l'entrée, et constituèrent avec six autres 
        de provenances diverses ( Trois canons 
        chinois, un cochinchinois et deux français, le Thésée 
        et le Sanglier. Ces derniers, du calibre de 12, appartenaient à 
        l'équipage de siège débarqué à Saint-Jean-d'Acre 
        (1799), où ils furent abandonnés. Ils servirent ensuite 
        à armer un vaisseau égyptien, détruit à la 
        bataille de Navarin (1827). Tous deux restitués à la France 
        par le Gouvernement grec (Général Niox). L'un de ces deux 
        canons fut placé à la gauche du groupe des pièces 
        de la Batterie-Trophée.), ce que l'on appelle la Batterie-Trophée
 
 Ces canons sont tous couverts d'inscriptions. Sur la culasse de la plupart, 
        sont écrites les phrases suivantes en langue arabe rimée 
        :
 
        
          | Il a été fait sous 
              le règne du sultan des sultansDu maître des rois de l'Orient et de l'Occident
 Le Sultan Abd-ul-Hamid Khan
 De la famille d'Osman
 Fils du Sultan Ahmed-Khan
 A El-Djezaïr l'Occidentale, la bien défendue,
 Par l'ordre de celui que tous les doigts désignent aux regards,
 Méhemed-Pacha, fils d'Osman.
 - Que le Roi, source de tous les bienfaits (Dieu),
 Lui accorde son aide ! -
 Année, 1191, (1778)
 |  Au-dessous, est écrit le nombre de 
        quintaux que pèse chacun de ces canons. Sur le milieu est indiqué 
        le nom du fondeur.
 Il y a, dit M. F. Damico, de la Société du Vieux-Paris, 
        à qui nous empruntons les détails que nous donnons ici, 
        quelques différences dans les inscriptions portées sur la 
        culasse de ces diverses pièces, mais elles sont peu importantes.
 
 Plusieurs canons présentent cette inscription en français 
        :
 " Fait par François Dupont, fondeur en chef du roi de France 
        à Alger. En 1775." (Mentionné à : La 
        Casbah et à : Dar-en-Khas).
 
 Près de la bouche de ces canons se trouvent ces mots en caractères 
        turcs : "Les montagnes elles-mêmes ne résisteraient 
        pas à sa force" (3Plusieurs 
        portent comme symbole religieux des cyprès.).
 
 Les pièces non fondues par Dupont portent des inscriptions arabes 
        qui sont tirées du Coran ou des formulaires religieux des musulmans.
 En voici quelques-unes :
 
         
          |  - "O toi qui domptes les opiniâtres, 
              soumets-nous ceux qui résistent".- "O toi qui inspires les sages desseins, ouvre-nous la porte 
              de la victoire".
 - "Quiconque déploiera son zèle dans cette voie, 
              son nom vivra environné de gloire. - Tous ceux qui le verront, 
              feront des voeux pour lui; Dieu lui donnera pour récompense, 
              les jardins éternels et les eaux du Fleuve (le Kaouter, fleuve 
              du paradis musulman)".
 - "Bonheur à toi qui combats avec ardeur dans la voie 
              divine. Quand seront placées les balances du bien et du mal, 
              il te suffira de le dire et alors Dieu (le Créateur), te 
              recevra avec un visage riant".
 - "O mon Dieu! Le meilleur des soutiens ! secours-nous contre 
              les Infidèles !"
 - "Quiconque fait du bien à un des frères et 
              se conforme aux ordres du Prophète, montrant son zèle 
              pour les saintes révélations : à cet homme 
              qui fait le bien, les jardins du paradis et les eaux du Kaouter 
              !"
 |  D'autres petits canons ont des inscriptions 
        indiquant qu'ils furent fondus par ordre d'Hussein sous le règne 
        du sultan Mahmoud.
 Tout près du fossé qui borde l'avant-cour de l'Hôtel 
        des Invalides, à droite et à gauche de la Batterie Triomphante, 
        furent placés deux mortiers algériens, en bronze, du calibre 
        12, et longs de 1 m. 05. Ces pièces portent en relief :
 -------1° l'énonciation de leur poids : 1.272 kilogrammes pour 
        l'une et 1.396 pour l'autre;
 -------2° un écusson sur la culasse où l'on peut lire 
        en caractères arabes, le nom du fondeur : Ouali ben Abd-Allah;
 -------3° comme ornement, une tougra ou chiffre du sultan Sélim;
 -------4° une autre inscription arabe : Par l'ordre de Méhemet-Pacha, 
        à qui Dieu rendra facile tout ce qu'il voudra accomplir.
 
 Les autres pièces ont été disposées dans la 
        cour d'honneur, à chacune des entrées du Musée de 
        l'Armée.
 
 Deux entre elles, dressées le long de la muraille, attirent les 
        regards par leurs riches décorations où se remarquent des 
        palmettes et des pommes de pin. Ces pièces, respectivement du calibre 
        0,178 et 0,218, sont partagées, l'une en dix-sept parties égales 
        et l'autre en quinze par des cordons saillants, parallèles. Elles 
        portent trois inscriptions arabes.
 
 Au premier cordon :
 
         
          | Sous le règne du puissant 
              Sultan, fils de Sultan,Sultan Salim-Pacha,
 Dieu protège sa puissance!
 |  Au deuxième cordon : 
         
          | Fait par ordre du puissant EmirDjajezuhbah-Pacha
 Dieu le protège!
 Commencement du mois de Ramadan 985. (Avril 1581).
 |   Au troisième cordon : 
         
          | Fait par Djafer, constructeur à 
              Alger  |  On voit aussi là, une bouche à 
        feu turque, du calibre de 0,070, s'ornant d'attributs français. 
        Elle porte, en effet, un cordon de fleurs de lis, autour de la plate-bande 
        de culasse. Six fleurs semblables dans la longueur du premier et du deuxième 
        renfort, et sept autres sur la volée. 
 Sur le deuxième renfort, un cartouche renferme cette légende 
        en turc :
 
         
          | Le Roi du siècle, ombre 
              de Dieu sur l'Univers,Le Monarque du Monde, Sultan Salim Khan
 Etant monté sur le trône,
 Le haut personnage, Payeur du Port
 Hussein-Agha, Badjous, Kadri, s'étant entremis,
 Le Sultan, dans sa gracieuse bonté
 A manifesté sa bienveillance
 Pour les guerriers de l'islamisme dans l'Odjak
 L'an 1206, ce Monarque du siècle,
 Cédant à sa générosité
 Leur a octroyé ce canon.
 |  Mais les pièces les plus intéressantes 
        pour nous, et dont il a déjà été dit un mot 
        à l'article : La 
        Casbah, sont celles où apparaissent les armes de Louis 
        XII et de François I. Celles-ci, que nous croyons avoir été 
        perdues par les Français à la bataille de Pavie, durent 
        être amenées en 1541, à Alger, par Charles-Quint, 
        lequel, on le sait, se trouva dans l'obligation d'abandonner aux Turcs 
        une grande partie de son artillerie.
 L'une de ces pièces, du poids de 1.870 kilogs, présente 
        près de la volée, un semis de fleurs de lis, et à 
        sa partie postérieure, sous une couronne de France, le porc-épic, 
        symbole adopté, jadis, par la famille d'Orléans ( Ce 
        symbole était, sur les écussons de la famille, suivi de 
        cette devise : Cominus et Eminus, (de près et de loin). Un membre 
        des d'Orléans créa, d'ailleurs, en 1393, l'ordre dit, du 
        Porc-Epic.).
 
 Une seconde pièce, parée également de fleurs de lis, 
        est blasonnée de la couronne royale et de la salamandre, emblème 
        que se donna François Ier, avec cette devise : "Nutrico 
        et extinguo" (Je me nourris du feu et je l'éteins). Son 
        poids est de 1.858 kilogs ( Rappelons 
        ici qu'une pièce française, décorée d'une 
        H avec la couronne royale, et marquée Poitevin, tomba aux mains 
        des Français à la bataille de Staouëli.).
 
 Deux autres canons figurent aussi en cette collection avec les attributs 
        précités, mais ces derniers proviennent, non d'Alger, mais 
        de Constantinople. Ils furent restitués à la France par 
        le sultan Abd-ul-Aziz.
 
 Il y a en outre, dans la Cour d'Honneur, deux lourdes pièces portant 
        chacune, selon leur origine, les armes de Castille et l'aigle de Prusse.
 
 Près de l'entrée du Musée d'Artillerie, se trouve 
        (mentionnée déjà), une pièce curieuse à 
        neuf bouches, qui, en 1576, fut rapportée de Fez par les Algériens. 
        Cette pièce de 726 kilogrammes faisait partie de l'artillerie du 
        Bordj-el-Goumereg, lequel se trouvait au haut de la jetée Kheïr-ed-Din 
        et fut détruit en 1867, lors de la construction du boulevard de 
        l'Impératrice. On y lit cette inscription arabe : " Saïd 
        ben Haçan l'a fabriqué. Que Dieu le préserve !"
 
 L'Hôtel des Invalides possède aussi d'autres pièces 
        algériennes. Citons trois petites pièces de bronze coulées 
        par ordre d'Abd-el-Kader et montées sur affût anglais; cinq, 
        provenant du siège de Tlemcen (1842); un canon en fer avec affût, 
        don de la comtesse de Martimprey.
 
 Citons encore deux pièces de 4.000 kilos fondues sous Sélim 
        Ill, et deux obusiers qui figurèrent au siège de Tlemcen 
        et qu'offrit à Napoléon Ill, le Vice-Roi d'Egypte, en 1857.
 
 Le nombre total des anciennes pièces, tant arabes que turques, 
        que possèdent les Invalides, est de trente-quatre.
 
 Il nous reste à faire connaître que la pièce légendaire, 
         la Consulaire, dont, nous avons précédemment 
        évoqué le souvenir, avait été en principe, 
        désignée pour figurer au nombre des trophées de l'Hôtel 
        des Invalides. Mais, à la suite d'une demande qu'adressa à 
        son sujet, au Ministre de la Marine, l'amiral Duperré, ce canon 
        fut envoyé à Brest où il fut érigé 
        en 1833, dans la cour de l'arsenal.
 
 Cette pièce mesure sept mètres de long. Sa portée 
        était de 4.872 mètres. Elle fut fondue en 1542, par un Vénitien 
        en commémoration de l'achèvement du môle. Les Turcs 
        l'avaient dénommée : Baba Mezroug, Père Fortuné.
 
 Lors de la mise à mort du P. Levacher, la charge employée 
        fut si forte, que le canon se fendit à la culasse. Il ne servit 
        plus dès lors, que comme pièce de parade. Ce fut par une 
        toile goudronnée que les Turcs masquèrent la blessure qu'avait 
        reçue, près de la lumière, la terrible pièce.
 
 Voici le texte de l'inscription que présente le piédestal 
        sur lequel repose, cet historique canon. Il est à remarquer que 
        le nom du Maréchal de Bourmont, à qui l'on doit la conquête 
        d'Alger, ne figure pas sur cette inscription
 
         
          | LA CONSULAIREPrise à Alger, le 5 juillet 1830
 Jour de la conquête de cette ville
 Par les armées françaises,
 Le Baron Duperré commandant l'escadre.
 Erigée le 27 juillet : 1833
 S. M. Louis-Philippe régnant.
 Le V. A. Comte de Rigny, ministre de la Marine.
 Le V. A. Bergeret, préfet maritime.
 |  Un souvenir peut encore être donné 
        ici, aux 36 canons qu'abandonna le duc de Beaufort après la malheureuse 
        expédition de Djidjelli 
        (1664).
 L'un d'eux, conservé au Bordj de Beni-Mansour, présente 
        cette inscription: Anno Dei 1635, Deus me juvet (Que Dieu m'aide).
 
 Quatre autres qui se trouvaient chez les Beni-Abbés à Kalâa, 
        furent transportés à 
        Bordj-bou-Arreridj, sur l'ordre du commandant Payen.
 
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