| L'alfa en Algérie 
         L'Alfa n'est pas une plante cultivée ; c'est une 
        graminée vivace et spontanée dont l'aire est limitée 
        au pourtour de la Méditerranée sub-occidentale. On le trouve 
        en abondance sur les hauts-plateaux nord- africains ; il existe aussi, 
        mais en quantité beaucoup moins importante, en Espagne et en Tripolitaine.
 L'Afrique du Nord française possède donc le monopole presque 
        exclusif de la production alfatière et elle le conservera certainement 
        pendant longtemps. En effet, à supposer que les essais d'acclimatation 
        de l'alfa dans certains pays jouissant d'un climat analogue à celui 
        de nos hauts-plateaux, soient couronnés de succès, il est 
        peu probable que les peuplements ainsi créés artificiellement 
        puissent entrer en production avant une quarantaine d'années .
 
 PROTECTION DES PEUPLEMENTS.
 
 Les touffes d'alfa composant les alfateries ont certainement plusieurs 
        siècles d'existence. Malgré une fructification assez abondante, 
        on ne rencontré que très rarement de jeunes plantes. Cette 
        absence de régénération naturelle justifie les mesures 
        de protection qui ont été prises depuis longtemps en Algérie 
        pour éviter l'appauvrissement progressif des peuplements soumis 
        à l'exploitation. Au premier rang de ces mesures, il convient de 
        placer l'interdiction de la cueillette des feuilles pendant la période 
        de végétation active de la plante - mars à juillet 
        - et la mise au repos des nappes donnant des signes d'épuisement.
 
 SUPERFICIE ET PROTECTION.
 
 La nappe alfatière nord-africaine qui occupe :
 4 millions d'hectares environ 
        en Algérie ;
 2 millions d'hectares au Maroc 
        ;
 1.200.000 hectares en Tunisie,
 peut produira normalement
 en Algérie 250.000 tonnes
 au Maroc 125.000 tonnes
 en Tunisie . 75.000 tonnes
 ensemble 450.000 tonnes
 
 Les 4 millions d'hectares d'alfa d'Algérie appartiennent presque 
        exclusivement à l'Etat et aux communes, les particuliers ne possédant 
        qu'une cinquantaine de milliers d'hectares.
 
 Jusqu'à présent, l'exploitation n'a porté que sur 
        3 millions d'hectares environ, un million d'hectares étant restés 
        jusqu'ici à peu près improductifs, soit en raison de leur 
        éloignement des routes et des voies ferrées, soit par manque 
        de main-d'uvre, soit enfin par suite du mauvais état des 
        peuplements.
 
 Si l'on rapproche les superficies indiquées ci-dessus, on constate 
        que le rendement en feuilles est, en moyenne, inférieurà 
        un quintal par hectare. C'est évidemment là une production 
        extrêmement faible mais qui ne saurait pourtant être notablement 
        augmentée sans risque pour la conservation des peuplements.
 
 La carte 
        ci-jointe donne une vue d'ensemble de la répartition 
        de l'alfa en Algérie. On remarquera que c'est dans le département 
        d'Oran qu'il occupe les plus vastes étendues, d'où le nom 
        " mer d'alfa " parfois donnée aux grandes zones alfatières 
        de ce département. -
 
 UTILISATION DE L'ALFA.
 
 La feuille d'alfa, qui renferme de 48 à 52 % de cellulose, est 
        une matière de premier choix pour la fabrication du papier. La 
        pâte d'alfa, comparable aux meilleures pâtes chimiques de 
        bois, possède, en. outre, des qualités spéciales 
        : le papier d'alfa est doux, léger, bouffant et, suivant l'expression 
        consacrée, a " de l'amour pour l'encre ", c'est-à-dire 
        que les caractères alphabétiques ou les traits de gravure 
        s'y impriment sans décoloration ni bavures ; aussi est-il recherché 
        pour les belleséditions, pour le papier à lettres et à 
        chèques ; en raison du pouvoir absorbant de la cellulose d'alfa, 
        il est très employé pour la confection des filtres.
 
 L'alfa, bien qu'il ait été utilisé pendant la guerre 
        en remplacement du jute pour la fabrication des sacs et, à défaut 
        d'autres fibres dures, dans l'industrie de la brosserie, ne paraît 
        pas appelé à un grand avenir comme textile, sa fibre ayant 
        l'inconvénient d'être courte, cassante, et peu " accrochante 
        ". En revanche, son emploi dans la fabrication du crin végétal 
        paraît susceptible d'un large développement et les expériences 
        effectuées dans les laboratoires sur son utilisation pour la fabrication 
        de la soie artificielle et des matières plastiques méritent 
        d'être suivies avec la plus grande attention.
 
 L'ALFA ET LA PAPETERIE.
 
 Cependant, l'industrie de la papeterie demeure, pour le moment, le principal 
        débouché de la production alfatière. Il s'ensuit 
        que le prix de l'alfa est fonction du prix des autres fibres utilisées 
        en papeterie et de qualité à peu près égale, 
        c'est-à-dire des pâtes chimiques de bois blanchies de Suédé 
        qui, non seulement lui font concurrence, mais encore interviennent toujours 
        en mélange avec les pâtes d'alfa dans la fabrication du papier.
 
 L'industrie du papier d'alfa, née en Angleterre vers 1865, y a 
        rencontré un ensemble de conditions très favorables à 
        son développement : abondance et pureté des eaux, bas prix 
        du charbon (Le traitement chimique anglais 
        à la soude requiert un minimum de 4 tonnes d'eau parfaitement pure 
        et de 2 tonnes de charbon par tonne de pâte fabriquée.), 
        goût inné des Anglais pour le beau papier.
 
 Si l'Angleterre n'a plus aujourd'hui le monopole exclusif de la fabrication 
        du papier d'alfa, elle conserve cependant la première place dans 
        cette industrie. Ses papeteries traitent, annuellement, 350.000 tonnes 
        d'alfa brut provenant de l'Afrique du Nord et, pour une faible partie, 
        de l'Espagne. Loin après elle, viennent la France et l'Italie, 
        avec une consommation annuelle ne dépassant pas 30.000 tonnes dans 
        chacun de ces pays.
 
 Ce n'est qu'après la guerre de 1914-1918 que l'emploi de l'alfa 
        en papeterie a pris une certaine importance en France. Le premier élan 
        fut donné par la Société " L'Alfa " ; cette 
        société, fondée en 1923 par un groupe de papetiers 
        français, entrepris à La Traille (Vaucluse), dans l'ancienne 
        poudrerie de Sorgues, mise à sa disposition par lé Ministère 
        de la Guerre, le traitement de l'alfa pour la production de la pâte 
        à papier. L'usine de La Traille travaille, annuellement, environ 
        15.000 tonnes d'alfa brut qu'elle tire de la concession alfatière 
        qui lui a été attribuée dans l'annexe de Djelfa. 
        Quelques années après, la Société des Papeteries 
        Navarre s'intéressait, à son tour, à l'alfa ; cette 
        dernière traite, annuellement, dans son usine de Montfourat (Gironde), 
        7 à 8.000 tonnes d'alfa.
 
 La belle qualité de la pâte obtenue par la Société 
        " L'Alfa " à la Traille et des papiers fabriqués 
        à Montfourat par les Papeteries Navarre, ont amené peu à 
        peu la papeterie française à s'intéresser à 
        l'alfa plus qu'elle ne l'avait fait dans le passé. On s'étonne 
        pourtant, devant de tels résultats, de voir la France n'utiliser 
        encore que moins d'un dixième de la production alfatière 
        dé ses territoires nord- africains ; la raison en est sans doute 
        dans le prix du papier d'alfa qui est sensiblement plus élevé 
        que celui des autres papiers à cause du coût de la matière 
        première et des frais d'usinage.
 
 L'INDUSTRIE ALGERIENNE DE L'ALFA.
 
 Les 
        possibilités.
 
 Mais ce qui surprend encore plus, c'est de constater qu'il n'existe encore 
        en Algérie aucune grande industrie de cellulose d'alfa et de fabrique 
        de papier ; tout le monde aperçoit pourtant les avantages que de 
        telles industries auraient retirés de leur installation sur les 
        lieux mêmes de production, en particulier sous le rapport de leur 
        approvisionnement en matière première, du fait de la suppression 
        des frais de transport à longue distance qui grèvent lourdement 
        le prix de l'alfa. Ce n'est pas que la question n'ait 
        jamais été examinée sous cet angle, mais il semble 
        que l'on ait reculé devant les difficultés rencontrées 
        pour l'alimentation des usines en eau (quantité et qualité 
        de l'eau), et aussi en combustible qu'il fallait faire venir de l'étranger.
 
 A ce double point de vue, les grands travaux entrepris par le Service 
        de l'Hydraulique pour accroître les ressources en eau de l'Algérie 
        et la mise en exploitation des mines de charbon de Kenadza et de Colomb-Béchar, 
        ont contribué à créer une situation beaucoup plus 
        favorable à l'industrie de l'alfa en Algérie. Encore convient-il 
        d'ajouter que les industriels qui bientôt ouvriront la porte de 
        leurs usines aux balles d'alfa et en sortiront de la cellulose et de beaux 
        papiers, ont trouvé auprès de l'Administration une aide 
        qui a fait défaut à ceux qui, avant eux, avaient formé 
        les mêmes projets. Ils ont, en effet, largement bénéficié 
        des mesures prises sous différentes formes par le Gouvernement 
        de l'Algérie pour favoriser le développement de l'industrialisation.
 
 .... et les projets.
 
 Déjà, trois projets dé création d'industries 
        d'alfa, en vue de la production du papier, dus à l'initiative de 
        la Société nord-africaine de Cellulose, de la Société 
        des Papeteries modernes et de la Société
 Alfa et Asphodèle ", sont en voie de réalisation, les 
        deux premiers dans la banlieue d'Alger, le troisième dans la région 
        de Bougie. Lorsqu'elles auront atteint leur stade de fonctionnement normal, 
        les trois usines projetées pourront traiter, annuellement, 35.000 
        tonnes d'alfa représentant une production de 14.000 tonnes de pâte 
        à papier.
 
 LE PLAN D'EXPLOITATION ALFATIERE.
 
 La nécessité d'assurer l'approvisionnement en matière 
        première de ces nouvelles industries, tout en continuant à 
        servir l'industrie métropolitaine qui tend elle aussi à 
        se développer, a conduit l'Administration à établir 
        un Plan d'exploitation alfatière reposant sur une répartition 
        de la production d'après la destination des alfas. la priorité 
        étant réservéeà l'industrie nationale.
 
 Stimulée par la reprise des transactions avec l'Angleterre et la 
        perspective de débouchés nouveaux, l'exploitation alfatière 
        paraît devoir reprendre rapidement son niveau d'avant-guerre. La 
        cueillette annuelle qui était tombée à quelque20.000 
        tonnes depuis 1941, contre 170.000 tonnes en moyenne pendant la période 
        décennale 1931-1940, s'est déjà relevée à 
        120.000 tonnes pour la dernière campagne (juillet 1946 à 
        février 1947). Les besoins à couvrir permettraient de la 
        porter à 200.000 tonnes, soit 80.000 tonnes pour la consommation 
        intérieure Algérie-Métropole et 120.000 tonnes pour 
        l'exportation.
 
 LES PRIX.
 
 Ce résultat né paraît toutefois pouvoir être 
        obtenu qu'en augmentant la rémunération attribuée 
        aux cueilleurs d'alfa ; celle-ci, qui est actuellement de 50 francs par 
        quintal d'alfa vert, ne représente, en effet, sur la base d'un 
        rendement de 2 quintaux pour un ouvrier adulte, qu'un salaire journalier 
        bien minime de 100 francs.
 
 Lé relèvement du prix de l'alfa à la production que 
        tout le monde s'accorde à reconnaître équitable et 
        nécessaire, pose pourtant un problème important, celui de 
        l'équilibre entre le prix de revient et le prix de vente de l'alfa. 
        L'alfa étant utilisé à concurrence de 90 % de sa 
        production en papeterie, son prix doit être tel que la pâte 
        d'alfa ne revienne pas à plus de 20 à 25 % plus cher que 
        la pâte chimique de bois ; cette marge ne peut être franchie 
        sans que la demande d'alfa en soit très sérieusement affectée.
 
 Or, les grandes zones alfatières étant situées, comme 
        le montre la carte, à une distance moyenne de la côte de 
        plus de 200 kilomètres et généralement éloignées 
        des routes et des voies ferrées, les alfas supportent ici des frais 
        de transport tellement élevés que le prix de revient de 
        la tonne rendue départ rejoint, à peu de chose près, 
        le prix de vente de 3.600 fr., lequel n'est pas susceptible d'être 
        actuellement augmenté.
 
 C'est donc dans une réduction des autres éléments 
        du prix de revient, notamment dans la révision des tarifs ferroviaires, 
        que l'on doit rechercher les économies qui permettront de donner 
        satisfaction aux légitimes revendications de la main-d'uvre.
 M. DE BEAUCOUDREY,Inspecteur des Forêts, au Gouvernement Général.
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