LE DISCOURS DU GÉNÉRAL 
          DE GAULLE
        C'est le propre de la guerre 
          que ses épreuves ne cessent de grandir jusqu'au moment où 
          l'équilibre étant rompu par la défaillance de l'un 
          des deux camps, tous les malheurs du monde refluent sur le seul vaincu. 
          Or, nous n' en sommes pas encore là. Si l'Allemagne a dû 
          essuyer, pendant l'année qui se termine, les coups les plus durs,si, 
          en ce moment même , elle subit de très graves pertes morales 
          et matérielles, si d'immenses préparatifs sont actuellement 
          en
          cours pour lui livrer à ?????? .'Est, de l'Ouest et du Sud, l'assaut 
          concentré qui doit détruiee sa puissance, a l'heure qu'il 
          est l'Allemagne. nous oppose toujours une résistance acharnée. 
          C est dire que le camp de la Liberte n' est pas aux termes de ses peines.
          
          Il n'y a donc point à compter que les efforts et les sacrifices 
          de la Nation française ci, des saillantes populations dont le 
          sort est lié à son sort, aillent en diminuant avant le 
          jour de la victoire. Je n'hésite pas à le dire avec netteté 
          et fermeté. Notre pays mesure, d'ailleurs, très clairement, 
          la distance qui sépare le
          point ou il en est du point où il veut aller. La France qui, 
          depuis deux mille ans, vit une existence de risque, la France qui est 
          accoutumée aux abîmes et
          aux catastrophes comme elle a l'habitude de la gloire et de la grandeur, 
          la France sait combien longuement et durement il lui faut encore lutter, 
          souffrir, travailler. d'abord pour jouer son rôle dans la victoire, 
          ensuite pour réédifier sa puissance.
          
          Oui, certes, le combat et le redressement de la France s'accomplissent 
          dans des conditions, dans une ambiance particulièrement cruelles. 
          Les millions et les millions d'hommes, de femmes, d'enfants, qui chez 
          nous, subissent depuis trois ans et demi le martyre moral et matériel 
          de l'invasion et de l'oppression; les deux millions et demi de Français 
          qui sont détenus par l'ennemi, les combattants de la résistance 
          qui. presque sans armes,traqués,torturés, décimés, 
          redoublent en ce moment d'efforts et de courage pour ébranler 
          la machine de guerre de l'ennemi et mettre les traîtres hors d'état 
          de nuire, tous ceux-là ne connaissent que trop ce que coûtent 
          la lutte et l'effort dans les circonstances terribles où la patrie 
          se trouve placée. L'Empire français et la Corse, coupés 
          de la métropole, dépourvus de beaucoup des objets et matières 
          les plus nécessaires et, pour certains de leurs territoires, 
          soumis encore à l'heure qu'il est à un régime limitatif 
          de la souveraineté française, mais qui, néanmoins, 
          prodiguent pour la guerre leurs ressources, leurs hommes, leurs sacrifices, 
          mesurent à quel point une pareille situation alourdit et complique 
          leur tâche.
          
          Nos armées de terre, de mer et de l'air, qui ne disposent actuellement, 
          en fait d'armes modernes, que de celles qui proviennent de nos alliés, 
          mais qui cependant aspirent aux champs de bataille de toute leur ardeur 
          et de toute leur valeur, éprouvent le surcroît de peine 
          que leur impose cet état de choses.
          Mais quels que soient aujourd'hui, et quels que doivent être demain 
          les obstacles accumulés sous les pas de la France, je puis dire 
          en son nom, très simplement et très tranquillement, qu'elle 
          est résolue à les surmonter, qu'elle est sûre d'en 
          avoir la force et qu'elle entend cette fois en tirer toutes les leçons.
          
          Je dis dis bien en tirer les leçons. Car, si la nation française 
          n'entrevoyait sa libération que comme le moyen de redevenir, 
          sans y changer rien, ce qu'elle était avant le drame, s'il ne 
          s'agissait pour ses fils et ses filles que de retrouver intacts leurs 
          biens et leurs habitudes, s'il n'était question pour le pays 
          que de reprendre telles quelles les données du jeu d'avant-guerre 
          : pratiques politiques, conjonctures extérieures, régime 
          social, bref, si dans un monde que tout pousse à se transformer, 
          la France devait pour la première fois depuis qu'elle est la 
          France prétendre demeurer figée dans son passé, 
          alors il serait inutile de parler de redressement; notre pays, une fois 
          éteints les lampions et enroulés les drapeaux de la victoire, 
          n'aurait plus qu'à parcourir les étapes de la décadence.
          
          Mais rien n'est plus éloigné de ce que rêve et de 
          ce que veut la France qui se refond au creuset des douleurs. Qu'il s'agisse 
          de ses institutions, de son activité économique, des conditions 
          de vie de ses enfants, de ses rapports avec les autres peuples, du développement 
          de son Empire, les voies qu'elle entend suivre ne sont pas celles d'une 
          routine paresseuse, mais bien celles du renouveau.
          
          Or, si après cette guerre, dont l'enjeu est la condition humaine, 
          chaque nation aura l'obligation d'instaurer au dedans d'elle-même 
          un plus juste équilibre entre tous ses enfants, des devoirs plus 
          vastes encore s'imposent aux pays qui, comme le nôtre, se sont 
          depuis l'âge des grandes découvertes, associés d'autres 
          peuples et d'autres races. Il appartient a la France de faire honneur 
          au contrat. En prouvant, dans les conditions effroyables de ces quatre 
          dernières années, leur unité profonde, tous les 
          territoires de la communauté impériale française 
          ont fait crédit à la France. A la France, c'est-à-dire 
          à l'évangile de la fraternité des peuples, de l'égalité 
          des chances, du maintien vigilant de l'ordre pour assurer à tous 
          la liberté.
          
          Cette volonté de renouveau qui anime la nation tutélaire 
          à mesure qu'elle voit approcher la fin du drame et s'entrouvrir 
          la porte de l'avenir, l'Afrique du Nord lui offre l'occasion, lui impose 
          le devoir de se donner sereinement carrière. Les événements 
          font en sorte que l'Afrique du Nord est le terrain où commence 
          à s'épanouir la force renaissante et l'espérance 
          immortelle de la France. Ici reparaissent ses propres libertés. 
          Ici siège son gouvernement de guerre. Ici s'est formée 
          l'Assemblée oui donne à l'opinion une expression qualifiée. 
          Ici s'assemblent les premiers éléments de ses armées 
          de demain. Ici se trouvent les représentants que de nombreuses 
          puissances étrangères ont délégués 
          auprès d'elle, marquant ainsi qu'elles savent bien, par delà 
          certaines formules de circonstance, avec qui bat le coeur de la patrie. 
          Ici auront été prodiguées à la France par 
          l'ensemble des populations les preuves d'une fidélité 
          à quoi l'étendue de ses propres malheurs donne un caractère 
          décisif qui, non seulement l'émeut jusque dans ses profondeurs, 
          mais, dès à présent, l'oblige.
          Oui, l'oblige, à l'égard notamment des musulmans de l'Afrique 
          du Nord. La France, en accord et par traités conclus avec leurs 
          souverains, a donné au Maroc et à la Tunisie un développement 
          qu'il s'agit de poursuivre en y associant chaque jour plus largement 
          les élites de la société locale. Dans les trois 
          départements de l'Algérie française, la tache comporte 
          des exigences différentes.
          
          Quelle occasion meilleure pourrais-je trouver d'annoncer que le Gouvernement, 
          après un examen approfondi de ce qui est souhaitable et de ce 
          qui est actuellement possible, vient de prendre à l'égard 
          de l'Algérie d'importantes résolutions. Le Comité 
          de la libération a décidé d'abord d'attribuer immédiatement 
          à plusieurs dizaines de milliers de musulmans français 
          d'Algérie leurs droits entiers de citoyens sans admettre que 
          l'exercice de ces droits puisse être empêché ni limité 
          par des objections fondées sur le statut personnel. En même 
          temps va être augmentée la proportion des musulmans français 
          d'Algerie dans les diverses assemblées qui traitent des intérêts 
          locaux. Corrélativement, un grand nombre de postes administratifs 
          seront rendus accessibles à ceux qui en auront la capacité. 
          Mais c'est aussi à l'amélioration absolue et relative 
          des conditions de vie des masses algériennes que le Gouvernement 
          a résolu de s'attacher par un ensemble de mesures qu'il fera 
          très prochainement connaitre. Personne ne peut contester que 
          ce soit là une oeuvre de longue haleine, que l'état de 
          guerre et la situation présente de la métropole ne laissent 
          pas de compliquer à l'extrême. Personne ne peut, d'autre 
          part, mettre en doute que certaines dispositions utiles aient déjà 
          été prises à cet égard. Personne ne peut, 
          enfin, nier que rien ne serait concevabl sans le labeur acharné 
          de nos colons qui fit jaillir du pays les richesses de la nature.
          
          Mais le plan d'ensemble concernant l'Algérie et dont l'exécution 
          sera commencée aussitôt avec ses moyens disponibles montrera 
          à tous que la France nouvelle a mesuré ici tous ses devoirs.
          
          Dans cette phase, la plus rude de notre rude existence de peuple, à 
          chaque jour suffit sa tâche, mais une tache doit remplir chaque 
          jour. Entre Français de bonne volonté, ce n'est point 
          l'heure des doutes ni des querelles. Pour atteindre le but, c'est sur 
          nous-mêmes Français, qu'il nous faut d'abord et essentiellement 
          compter. Qu'est-ce à dire, sinon que nous avons besoin de compter 
          les uns sur les autres ?