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         SAOULA  Historiquement Saoula 
        est un village du plan Guyot, dont Guyot ne dit presque rien dans l'exposé 
        de son plan adressé à son Ministre. Je ne recopie pas ce 
        texte. Par contre, dans son rapport destiné au Gouverneur Général 
        Bugeaud, il est si prolixe que je me permets quelques coupures pour ne 
        retenir que l'essentiel.  
         
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                | Le territoire comprend une superficie de 
                    470ha. Il est traversé dans sa plus grande longueur 
                    par l'oued Kerma qui, grossi en cet endroit des petits affluents 
                    qu'il a rencontrés dans sa course, présente 
                    en tout temps un volume d'eau assez considérable. Il 
                    sera donc possible aux colons, de pratiquer dans les terres 
                    qui leur seront concédées, des irrigations toujours 
                    fructueuses et même d'établir quelques usines 
                    
 La bonne qualité d'une partie des 
                    terres, de celles surtout qui sont contiguës aux environs 
                    de Drariah, compensent amplement l'aridité que l'on 
                    remarque dans la partie du territoire qui s'étend au 
                    sud du village, dans la direction de la plaine. Cette partie, 
                    couverte de broussailles, nous paraît très propre 
                    à l'élevage des bestiaux
 Toutes les familles pour lesquelles j'ai 
                    à soumettre des propositions, ont visité les 
                    lieux et attendent avec impatience la délivrance de 
                    leurs lots. Les travaux d'enceinte et de défense ont 
                    été concertés avec le Génie militaire, 
                    ainsi que le veut l'arrêté du 18 avril
Ces 
                    travaux sont considérables ; ils s'élèvent 
                    à 50 000francs, c'est-à-dire à un cinquième 
                    de plus que pour les autres villages
 Ce village est 
                    le plus avancé et le plus éloigné des 
                    grandes routes de communication : rien ne devait être 
                    négligé pour placer la sécurité 
                    hors de toute question
 |  |   Dans ce texte le Comte Eugène Guyot, Directeur 
        de l'Intérieur, souligne la prégnance des préoccupations 
        sécuritaires dans l'esprit des responsables de la colonisation 
        à Alger, et aussi le fait qu'à moins de 4km du grand camp 
        militaire de Birkhadem la sécurité est encore précaire.
 Il a vu juste en opposant la fertilité du nord de la commune et 
        la médiocrité des terres du côté de la plaine. 
        Mais il surestime le débit d'étiage de l'oued Kerma qui 
        n'a permis ni d'irriguer, ni d'installer des usines. Cet oued ne traverse 
        pas, mais longe la commune à l'est.
 
 Le résumé du texte de l'arrêté du 18 avril 
        1841 se trouve dans la monographie sur Draria.
 Le souci sécuritaire est confirmé par la 
        lettre que l'architecte de la Province, Monsieur Guiauchain, a adressée 
        au Comte Guyot le 9 février 1843. Les deux points à retenir 
        sont le creusement d'un fossé de 1350m de long, et la construction 
        de 4 corps de garde aux 4 coins du périmètre protégé, 
        dont une tour à un étage. Ce projet n'est pas resté lettre morte. Il a même 
        été réalisé si complètement et si solidement 
        que son tracé apparaît sur la carte du Sahel de 1873. C'est 
        le seul village du Sahel représenté sur cette carte qui, 
        à cette date, a gardé son glacis de protection. Il faut 
        croire que la contrée avait été plus longtemps hostile 
        aux implantations de colons qu'ailleurs. La superficie de 470ha ne concerne que les terres concédées 
        aux colons, qui ont dû recevoir des lots d'une dizaine d'hectares. 
        Au village les 44 lots prévus initialement avaient chacun 600m². 
        Chaque concessionnaire avait alors l'obligation de bâtir une maison 
        sur son lot et de l'entourer d'une clôture solide et continue de 
        telle sorte qu'il n'y ait pas d'espace non protégé entre 
        les lots voisins. Sur le plan extrait de la carte de 1873, il semble que 
        l'architecte ait vu grand quand il a fixé les limites du village. 
        En 1873 il reste encore beaucoup de places vides à l'intérieur 
        de l'enceinte.
 J'ai rajouté les limites d'une toute petite propriété 
        dont il sera question dans le supplément.
 
         
          | Cliquer 
              sur l'image pour une meilleure lecture ( 104 ko)lettre que 
              l'architecte de la Province, Monsieur Guiauchain, a adressée 
              au Comte Guyot le 9 février 1843
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          | Cliquer 
              sur l'image pour une meilleure lecture ( 39 ko)plan extrait de 
              la carte de 1873
 |  Sur cette carte le " haut " n'indique pas la 
        direction du nord, mais approximativement celle du N.N.E.Les ouvrages de défense encore présents ne sont plus nécessaires. 
        Une ferme isolée est déjà construite à un 
        kilomètre du village. Il y en aura bientôt bien d'autres, 
        notamment autour des routes de Draria et de Crescia.
 Et le nouveau cimetière a été lui aussi déplacé 
        à un kilomètre sur la route de Crescia, et hors de la vue 
        du village.
 Quelques dates  
         
          | 1843 - | Fondation d'un centre de peuplement européen 
            rattaché à la commune de Birkhadem |   
          | 1859 - | Premier mariage enregistré, entre 
            Vidal Jorge et Bonet Francesca, deux Mahonnais peut-être. Le registre ne précise pas l'église du sacrement ; Sainte 
            Philomène à Birkhadem (village le plus
 proche) ou Saint-François-Régis de Saoula dont j'ignore 
            la date de construction. Le projet Guyot
 avait rattaché Saoula à la paroisse de Douéra 
            trop éloignée (9km).
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          | 1860 - | Ouverture de la voie ferrée d'Alger 
            à Blida avec un arrêt dans la commune, à Baba 
            Ali. Cet arrêt desservait en fait plutôt Birkhadem, grâce 
            à une grande route directe ouverte en 1845,
 qui était parcourue par des services de corricolos.
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          | 1884 - | Saoula devient Commune 
            de Plein Exercice |   
          | 1920 - | Inauguration du monument aux morts de 
            la Grande Guerre |   
          | 1930 - | Inauguration de la cave coopérative 
            de Saoula-Crescia |   
          | 1954 - | Nuit du 31/10 au 1/11 : un attentat du 
            FLN provoque des dégâts à l'usine Cellunaf de 
            Baba Ali |   
          | 1956 - | 6 mai Trois conseillers municipaux musulmans 
            sont enlevés et assassinés par le FLN |   
          | 1961 - | Assassinat du Maire Baptiste Deschamps, 
            74 ans. Il était Maire depuis 1947 et avait succédé à 
            Nicolas Huss.
 |  Le territoire communal 
         
          | Cliquer 
              sur l'image pour une meilleure lecture ( 120 ko)Territoire communal de Saoula
 |  Comme toutes les communes de la bordure sud du Sahel, 
        le territoire dépendant de Saoula empiète sur la Mitidja. 
        C'est même le seul dont la limite sud est repoussée jusqu'à 
        la rive gauche de l'oued el Harrach. Il est donc triple. Le nord est un plateau 
        vallonné limité à l'est par la vallée un peu 
        encaissée de l'oued Kerma (branche occidentale). C'est d'ailleurs 
        un peu en aval de Saoula que se rejoignent les deux branches, dites orientale 
        et occidentale, de cet oued qui fut un lieu d'embuscade dans les années 
        1830. C'est là qu'il y a le plus de fermes, le plus de routes et le plus 
        de vignes. C'est le Saoula des petits colons qui fait partie intégrante 
        du Sahel viticole.
 
 L'oued Kerma est à 100m d'altitude, et les collines culminent à 
        200m en bordure du talus sur la Mitidja.
 Le talus, comme dans 
        la commune voisine de Crescia domine de façon assez abrupte la 
        plaine. Il est entrecoupé de ravins sans écoulement pérenne, 
        et largement recouvert de broussailles. C'est le Saoula laissé 
        aux indigènes par la colonisation. Il y a très peu de fermes 
        et, du moins en 1930, il n'y avait aucune route directe vers la plaine. 
        En 1950 il y en avait une qui prenait, au village, derrière la 
        poste, continuait à travers les terres des Ouled bou Zoa et rejoignait 
        le chemin de ferme qui aboutissait dans la plaine à une auberge 
        signalée par la carte.C'est la partie la moins européenne de la commune.
 La plaine de l'Harrach 
        est très basse : 20 mètres à peine. Elle était 
        marécageuse avant les travaux de drainage du XIXè siècle. 
        Dans les zones bien drainées on avait planté de la vigne. 
        Bien que située dans la commune de Saoula, les gens résidant 
        ici se sentaient plus proches de Birkhadem ou de Kouba que de Saoula, 
        car les routes étaient bien meilleures.
 Dans cette bordure nord de la Mitidja passent et la voie ferrée 
        de Blida-Oran, et la RN1, celle de Blida et du grand sud par Djelfa et 
        Laghouat. La station de Baba Ali est située à l'endroit 
        où route et voie ferrée divergent : la route continue à 
        suivre la limite basse du talus tandis que la voie ferrée coupe 
        au plus court à travers la Mitidja pour atteindre Boufarik.
 
         
          | 
               Il sortait 
              de ses ballastières 600m3 par jour de graviers de toutes 
              tailles |  Baba Ali a longtemps été un simple arrêt, 
        puis une gare somnolente. Elle n'a pris d'importance qu'avec l'installation 
        d'ateliers industriels, avec en particulier une usine de travail de l'alfa, 
        celle de la cellunaf, comme cellu 
        pour cellulose et af pour alfa. On y fabriquait toutes sortes de papier, 
        et notamment des papiers à écrire de qualité. Le 
        papier sortait de l'usine par camion et les déchets étaient 
        déversés dans l'oued sans traitement : l'odeur était 
        ainsi acheminée jusqu'à Maison-Carrée où elle 
        constituait un élément de reconnaissance olfactive de la 
        ville. On savait qu'on s'approchait de la ville grâce à ce 
        parfum, surtout en périodes de basses eaux, les plus durables. 
        
 Après 1945 on a mis en exploitation une gravière en bordure 
        de l'oued. Les besoins de construction liés à la croissance 
        du Grand- Alger et les chantiers de route lui offraient une clientèle 
        assurée. Il sortait de ses ballastières 600m3 par jour de 
        graviers de toutes tailles. La photo représente l'une d'elles.
 
 C'est la partie industrielle de la commune de Saoula. Elle est extérieure 
        au Sahel des géographes, même si elle y était administrativement 
        rattachée. C'est un bout de Mitidja.
 Le village centre
 Il a un plan en damier classique, mais perturbé par le relief car 
        il a été bâti sur les deux pentes d'un vallon : à 
        l'est la pente est faible, mais à l'ouest, du côté 
        de la mechta, elle est beaucoup plus forte. La route de Birkhadem à 
        Douéra le traverse au prix de deux tournants à angle droit.
  La rue la plus basse est séparée de l'oued 
        Maktar par une zone inondable plantée d'eucalyptus. Cet arbre originaire 
        d'Australie s'est si bien adapté à L'Algérie, qu'il 
        en paraît originaire, tout comme le figuier de Barbarie. 
 L'eucalyptus est venu d'Australie. Il aurait été essayé 
        à Bordj Menaïel, en Kabylie, vers 1860. Il connut ensuite 
        un succès très rapide car le climat lui convient et parce 
        qu'on lui prêtait la capacité d'éloigner les moustiques. 
        Quand la pluviométrie le permettait, on en a planté à 
        proximité de tous les villages de colonisation.
 
 L'église consacrée à Saint François-Régis 
        était en bas du village, dans la même rue que les deux cafés, 
        mais à l'autre bout. Les deux cafés se trouvaient en bordure 
        d'un grand espace non bâti : c'était commode pour les joueurs 
        de boules qui avaient soif. L'école était proche de l'église.
 La rue la plus pentue conduisait au village arabe( la 
        mechta de la carte) et desservait au passage un stade au sol de tuf (pas 
        de gazon en Algérie) et sans tribunes. Il existait avant 1939. 
         
          | Deux photos prises à 30 ou 40 
            ans d'intervalle ; celle en couleurs est de 1963. Sur les deux on voit le clocher de l'église.
 |   
          | 
              
              La photo en 
              noir et blanc a le mérite de montrer quelques fermes des 
              environs. | Sur celle 
              en couleurs les 3 maisons de gauche donnent sur la rue qui montait 
              vers le stade et la mechta. La route est celle de Crescia-Douéra.
           |  Sur l'autre agglomération de la commune 
        Baba Ali, je ne possède et n'ai trouvé ni photo, 
        ni carte, ni texte : seulement les allusions aux deux usines déjà 
        citées. Je ne possède que la grille horaire des trains d'Oran 
        pour 1871. Je ne les mets pas ici car les horaires ont sûrement 
        changé, et il y a peu de commentaires à faire, sinon que 
        les trains ne faisaient pas tous halte à Baba Ali, et, qu'à 
        cette époque il n'y avait pas de train de nuit. La desserte de Baba 
        Ali était donc assurée par quelques trains omnibus, et celle 
        de Saoula par les autocars de la société Seygfried, jusqu'au 
        rachat de cette dernière par les Auto-Cars Blidéens. Saoula 
        était le terminus d'une ligne qui montait d'Alger par Belcourt, 
        le ravin de la femme sauvage et Birkhadem. Supplément sur un minuscule 
        colon
 Il fut un temps où les journalistes paresseux ou malveillants associaient 
        systématiquement l'adjectif gros au mot colon. Qu'il y ait eu des 
        colons obèses (financièrement) c'est exact : mais pas plus 
        que de gros exploitants agricoles beaucerons, picards ou artésiens.
 
 Je ne peux pas rédiger un paragraphe sur les gros colons : il n'y 
        en avait pas dans ma famille. Dommage pour moi. Mais je puis parler, en 
        connaissance de cause, non pas d'un petit, mais d'un minuscule colon que 
        j'appellerai Ferdinand. Dommage pour lui.
 Ce colon avait acquis en 1939, en copropriété 
        avec deux de ses surs, et grâce à un prêt consenti 
        à des conditions très favorables par l'ancien patron de 
        son père décédé à Kaddous, une propriété 
        de 4,75ha. L'inflation du temps de guerre avait heureusement allégé 
        la dette qui fut remboursée sans peine. Mais les 4,75ha, dont les 
        ¾ plantés en vigne, n'ont pas grandi. La vigne, elle, a 
        vieilli ; elle rapportait de moins en moins et des ceps commencèrent 
        à mourir.Sans verser dans un misérabilisme excessif je tiens à souligner 
        ce que fut le destin d'un colon des plus modestes et d'un Français 
        d'Algérie né en 1903.
 Sa date de naissance lui a épargné et la 
        mobilisation en 1914-1918, et sa montée au front en 1939-1945. 
        Mais elle lui a tout de même valu quelques années sous l'uniforme. 
        Je rédige le paragraphe ci-dessous tout particulièrement 
        aux lecteurs trop jeunes pour voir été " appelés 
        sous les drapeaux ".       ·   Le 
        cursus militaire, banal, d'un Français d'Algérie né 
        en 1903Il a eu la chance de bénéficier, de justesse, de la loi 
        du premier avril 1923 qui annulait la loi du 7 août 1913 et ramenait 
        la durée du service de 3 ans à 18 mois. Pour suivre le parcours 
        militaire des gens de son âge en Algérie (pas en métropole 
        après 1940) le mieux est que je dresse le tableau récapitulatif 
        de ses rappels sous les drapeaux.
 
         
          | 
               
                | 1923 -1924 | Service militaire dans le 39è 
                  régiment de tirailleurs algériens |  
               
                | 1929 | Rappel pour une période 
                  de 21 jours |   
                | 1939 | Rappel pour une période 
                  de durée non précisée. Restant dans les 
                  environs d'Alger il obtint 3 permissions agricoles de 10 jours chacune.
 |   
                | 1940 | en juin, il est muté au 
                  29è régiment de zouaves ; mais en août la 
                  défaite et l'armistice signé le 22 juin à Rethondes ont 
                  mis Ferdinand en congé
 pour une durée illimitée
 |   
                | 1943 | Rappel le 7 juin dans la brigade 
                  mobile des sapeurs pompiers Envoi en juillet en Tunisie après la capitulation des 
                  forces de l'axe à Tunis
 le 13 mai.
 
 De juillet à décembre il est à Sousse.
 
 Il faut savoir qu'à la suite du débarquement anglo-américain 
                  du 8 novembre
 1942, il y eut en Algérie mobilisation générale 
                  des Français d'origine
 européenne. Il n'y eut rien de semblable en métropole 
                  après le débarquement
 du 6 juin 1944
 |   
                | 1944 | , en septembre il est mis en " 
                  affectation spéciale agricole " grâce au soutien 
                  du maire de Saoula et renvoyé dans ses foyers, sans être 
                  démobilisé
 |   
                | 1945 | il est officiellement démobilisé 
                  le 30 juin, à 42 ans |   
                | 1951 | ,il est libéré de 
                  toute obligation militaire, à 48 ans |  |  En 1943 et 1944 il était donc dans l'incapacité 
        de s'occuper de sa ferme où vivaient alors ses surs et sa 
        mère. La guerre qui l'avait éloigné, fournit à 
        ses surs une main d'uvre gratuite en mettant à leur 
        disposition des prisonniers de guerre allemands de l'Afrika Korps ramenés 
        de Libye et internés au camp de Paul Cazelles (Aïn Oussera). 
        Il suffisait de les loger et de les nourrir. La ferme de Saoula obtint 
        3 prisonniers dont 2 nés dans la partie autrichienne du troisième 
        Reich. Ces deux Autrichiens se sont révélés les plus 
        utiles. 
 Dans cette affaire tout le monde y a trouvé son compte : la Direction 
        du camp avait 3 soldats de moins à nourrir et surveiller, la ferme 
        eut 3 ouvriers désireux de n'être pas renvoyés à 
        Paul Cazelles et donc dociles, et les soldats se trouvaient mieux à 
        la ferme qu'au camp de prisonniers.
 
 L'allemand fut renvoyé à Paul Cazelles début 1945, 
        à la demande de Ferdnand, et les deux autres à l'automne, 
        en octobre ou novembre, à la demande du camp.
       ·   Les 
        Travaux et les Jours d'un minuscule colon
 Ferdinand ne pouvait payer un ouvrier permanent : il assurait donc seul 
        l'essentiel des travaux de la ferme, à l'exception du piochage 
        de la vigne, au crochet, et des vendanges. Que le colon soit gros ou minuscule 
        il devait respecter les salaires minima journaliers souvent réajustés 
        en cette période de forte inflation : voir le tableau officiel 
        reproduit ci-dessous. Les communes du Sahel étaient en zone I.
 En réalité les ouvriers préféraient 
        être payés à la tâche plutôt qu'à 
        la journée. Et pour les vendanges les porteurs étaient mieux 
        payés que les coupeurs.
 Les ouvriers étaient le plus souvent des " guiblis " 
        (gens du sud) de la région de Tablat ; mais s'ils avaient le choix 
        les colons préféraient les Marocains.
 
 Pour transporter son raisin à la cave coopérative Ferdinand 
        utilisait un vieux char à bancs reconverti et un mulet de location. 
        La cave était à environ un kilomètre de le ferme. 
        La photo montre l'opération du déchargement du raisin à 
        la cave, après que le char a été pesé.
  Ferdinand accomplissait seul toutes les autres tâches 
        : la plus délicate étant la taille de la vigne dont dépendait 
        la récolte. Les sarments coupés étaient apportés 
        à la ferme pour être utilisés dans la cuisinière 
        à bois. 
 Il y avait aussi, au printemps, les traitements chimiques contre les maladies 
        et les parasites de la vigne : oïdium, mildiou et eudémis 
        notamment. Il fallait surveiller l'apparition des vers de l'eudémis 
        et les taches des maladies. L'oïdium se signale par un feutrage blanc 
        et la boursouflure des feuilles. Il faut traiter avant que l'atteinte 
        ne dépasse 15%. On saupoudre ou pulvérise du soufre en solution. 
        Le champignon responsable du mildiou est américain ; il aurait 
        débarqué en Europe en 1878. C'est à Bordeaux qu'on 
        a trouvé la parade dès lors appelée " bouillie 
        bordelaise ". Il s'agit d'une solution bleuâtre de sulfate 
        de cuivre additionné de chaux et dilué dans l'eau. Ce produit 
        devait être légèrement toxique : en général 
        ceux qui l'utilisaient régulièrement avaient des mains très 
        calleuses. Cette mixture était répandue, aussi souvent que 
        nécessaire, grâce à une " sulfateuse " accrochée 
        sur les épaules et portée sur le dos.
 
 Lui seul attachait les rameaux et effeuillait partiellement quelques ceps 
        pour aider à la maturation des grappes. A l'automne il s'efforçait, 
        par marcottage, de remplacer les pieds manquants.
 La vigne était l'occupation principale de Ferdinand 
        et le seul revenu monétaire de la ferme qui devint bientôt 
        insuffisant à cause du vieillissement des ceps. Heureusement la 
        compétence nologique de Ferdinand lui valut d'être 
        chargé de la vinification et de la surveillance des vins à 
        la cave coopérative de Saoula-Crescia. Ce complément de 
        revenu fut le bienvenu sans assurer l'aisance. Les autres récoltes n'étaient destinées 
        qu'à la consommation familiale : pommes de terre, fèves, 
        pois chiches et, près de la maison, des légumes poussant 
        sans irrigation : des artichauts, mais pas de tomates. Une polyculture 
        vivrière des plus modestes. A l'automne s'ajoutait la cueillette 
        des poireaux sauvages qui poussaient dans les vignes après les 
        vendanges.
 Comme il était normal dans toutes les petites fermes on trouvait 
        dans celle-ci élevage de volailles, de lapins et d'un porc. Ce 
        sont les dames qui allaient ramasser l'herbe pour les lapins.
 Bien sûr le travail n'était pas harassant 
        tous les jours : il y avait des semaines chargées et d'autres non 
        où Ferdinand descendait au village faire sa belote le soir ou sa 
        partie de pétanque le dimanche. Mais jamais de vacances, jamais 
        de voyage. S'il a pris le train pour Tunis c'est comme militaire. Il n'a 
        jamais pris le bateau ; et comme il est mort en avril 1962, avant l'exode, 
        il n'a jamais mis les pieds en France métropolitaine. ·   Confort 
        et inconfort des bâtiments de la ferme
 Il ne faudrait pas que ces trois bâtiments fassent 
        illusion. Ils sont tous les trois modestes. Le plus vieux est à 
        gauche. C'est une maison classique de colon au XIXè siècle 
        : une entrée par la cuisine et une pièce de chaque côté. 
        Dans le prolongement une grande pièce où ranger l'outillage 
        et le char à bancs. Après 1939 cette vieille maison a servi 
        de débarras, et de chambre lors de grandes réunions familiales. 
        De 1943 à 1945 c'est là que dormaient les prisonniers allemands. 
        
 La maison de droite est des années 1920 : c'est la maison d'habitation 
        de Ferdinand et de ses surs. Il y a 4 pièces : 2 chambres, 
        une salle à manger et une petite cuisine. La véranda protège 
        l'entrée dans la cuisine.
 Le bâtiment du fond a été rajouté en 1939 pour 
        offrir un espace où installer une écurie et un WC. Derrière 
        ce bâtiment il y avait une chambre pour héberger les ouvriers 
        de passage.
         ·   Enumérer 
         les éléments de confort 
        sera vite fait : il y avait les murs, le toit et l'électricité. Les murs et le toit ont rempli leur rôle sans défaillir 
        en protégeant les personnes et leurs biens contre les intempéries.
 L'électricité servait à l'éclairage et pour 
        un poste de radio posé sur une étagère et qu'on ne 
        déplaçait jamais. Et c'est tout.
 
 Le café était moulu à la main ; et l'eau bouillante 
        était versée sur la poudre retirée du petit tiroir 
        dans un entonnoir recouvert d'un linge de réforme à la texture 
        appropriée.
 
 ·   J'appelle 
        éléments d'inconfort tout 
        ce qui manquait et qui nous paraît aujourd'hui indispensable.
 Il n'y avait pas l'eau courante. L'eau était fourni par une citerne 
        alimentée par les eaux de pluie ruisselant sur la toiture. La ferme 
        n'a jamais manqué d'eau pour les besoins quotidiens des gens et 
        des animaux. Mais on ne pouvait pas irriguer. L'eau était pompée 
        par une pompe manuelle fixée au-dessus de la citerne, et qu'il 
        fallait réamorcer de temps à autre.
 
 Il n'y avait donc pas de robinet dans la maison, ni de salle de bains, 
        ni de WC.
 
        
          |  |  Il n'y avait pas de chauffage. Pas de cheminée, 
        pas de poêle, pas de radiateur.Il n'y avait que la cuisinière à bois qui réchauffait 
        un peu la cuisine où l'on mangeait. En cas de grand froid restait 
        à se réchauffer les mains, le jour, au-dessus des braises 
        d'un kanoun (voir photo), et la nuit, avec des bouillottes au fond du 
        lit. Le gel et la neige étaient rares, mais pas inconnus.
 Il n'y avait aucun appareil électrique autre que 
        la radio. Le lavage se faisait dans une bassine pour le petit linge, et 
        dans une lessiveuse pour les draps et les serviettes. La grande lessive 
        était une opération rare qui s'étalait sur deux jours, 
        rinçage et étendage compris. Il n'y avait pas le téléphone. Trois progrès 
        sont tout de même apparus entre 1939 et 1962.
 Un WC a été aménagé dans le bâtiment 
        au fond de la cour, avec porte , mais sans chasse d'eau.
 Un réchaud à gaz butane a été acheté 
        et remplacé la cuisinière à bois, sauf en hiver.
 Un petit frigidaire à pétrole a permis vers 1950 de boire 
        frais et de conserver les aliments les plus périssables. Sa flamme 
        avait une très jolie couleur bleue. Auparavant on mettait des chiffons 
        humides autour d'une gargoulette (cruche poreuse) pour que l'eau se rafraîchisse 
        par évaporation de l'humidité.
 Pour mettre fin à ces banalités d'un autre 
        âge je voudrais évoquer le cas d'un animal très familier 
        et injustement persécuté :il ne pique pas, il ne mord, mais 
        il bourdonne, ajoutant ainsi du son au spectacle des lumières de 
        l'été. Il s'agit de la mouche dont la présence n'était 
        pas souhaitée, surtout dans la cuisine. Au-dessus de la table pendaient 
        un ou deux rubans tue-mouches où les mouches venaient se coller 
        et longuement agoniser. Le ruban était contenu dans un petit cylindre 
        de carton, avec une boucle de fil au-dessus. On tirait sur la boucle pour 
        dérouler le ruban que l'on accrochait où l'on voulait. Le 
        spectacle était poignant ! On n'imagine mal pire maltraitance : 
        comme la glu n'était pas toxique, la mouche ne mourait que de faim 
        :ça prenait du temps.
 Il est surprenant que de nos jours, si portés sur la repentance 
        collective tous azimuts, aucun responsable de haut niveau n'ait songé 
        à ajouter au calendrier des commémorations une journée 
        de la mouche engluée, voire de pénaliser la négation 
        de ce cruel supplice.
 
 Contre les mouches et les guêpes il y avait aussi le globe en verre 
        avec bain de vinaigre. Les insectes savaient entrer mais s'efforçant 
        de sortir a travers le verre, s'épuisaient et se noyaient dans 
        le vinaigre. Les mouches avaient une chance de s'en sortir, mais seules 
        les surdouées avaient l'idée de faire demi-tour et de prendre 
        le chemin d'arrivée à l'envers.
 
 Quant à nous, descendons au village, là 
        en-bas, pour prendre le car Seygfried
 
        
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