| --------------ASSISTANT 
        à la pose de la première pierre de la nouvelle Bibliothèque 
        nationale d'Alger, ce matinradieux du 20 avril 1954, en présence de M. Julien Cain, directeur 
        des Bibliothèques de France. représentant le ministre de 
        l'Education nationale, de M. Léonard, gouverneur général 
        de l'Algérie. de M. Gau, recteur de l'Université, et de 
        Mlle Germaine Lebel, administrateur de la Bibliothèque nationale, 
        qui allait être véritablement l'âme et le coeur de 
        l'immense construction prévue au Parc 
        des Tagarins, en surplomb des bureaux du Gouvernement et du 
        fameux 
        forum, nous nous sentions non pas sceptiques, mais vaguement 
        inquiets. Nous évoquions le vieux palais mauresque de la rue de 
        l'Etat-Major (maintenant rue Emile-Maupas ), les heures exquises de notre 
        lointaine jeunesse estudiantine (avant 1914 quand nous allions somnoler 
        dans la fraîche obscurité des salles en couloirs qui sentaient 
        la poussière et le vieil imprimé, au murmure du jet d'eau 
        dans la vasque du patio de marbre. Nous songions à l'accueil bleu 
        et blanc des carreaux de Delft de la sqîfa, derrière la massive 
        porte aux clous de cuivre, au buste bienveillant du grand arabisant Louis 
        Jacques Bresnier, entre les plantes vertes, dans la cour.
 
 --------------La 
        paix y régnait plus encore qu'au Musée municipal, sur la 
        caserne des pompiers de la rue de Constantine (aujourd'hui Aletti ) et 
        ce n'était pas peu dire.
 
 --------------Certes, 
           
        la vétuste Bibliothèque nationale d'Alger 
        ne pouvait plus vivre dans la basse Casbah. Pleine à refus, elle 
        rejetait le flot de volumes neufs qui lui arrivait chaque jour et que 
        l'on ne savait plus où déverser ; les initiés n'ignoraient 
        point que l'humidité de l'ancienne résidence du Dey Mustapha 
        Pacha piquait et rongeait les manuscrits précieux, les livres rares 
        qui y étaient déposés ; enfin, avec l'extension extraordinaire 
        des facultés, des lycées et, en général, de 
        la vie intellectuelle algérienne, c'est-à-dire de la demande 
        de lecture, le service de la Bibliothèque devenait impraticable 
        à cause de l'exiguïté des pièces sans air ni 
        lumière, des recoins multiples et inutiles, des escaliers tortueux 
        et de l'absence de tant de condition nécessaires à une bibliothèque 
        moderne.
 
 --------------Qu'aurions-nous 
        à la place ?
 
 --------------On 
        allait donc construire, sur les plans de l'excellent architecte Louis 
        Tombarel et de son distingue collaborateur, l'ingénieur Schulz, 
        de vastes bâtiments depuis longtemps attendus, que Mlle Lebel avait 
        demandés en 1948, dès sa nomination, après la retraite 
        de son éminent prédécesseur, Gabriel Esquer, en soulignant 
        l'urgence d'un transfert et la nécessité d'une réorganisation 
        fondamentale de la Bibliothèque nationale. <
 --------------Ces projets, largement approuvés 
        par M. Lelièvre, inspecteur général des Bibliothèques, 
        qui, sur place. s'était rendu compte de leur bien-fondé, 
        fortement appuyés par le Rectorat d'Alger, allaient enfin aboutir. 
        On avait trouvé le terrain, propriété de la Direction 
        générale de l'Education nationale (Education physique et 
        Sports) ; on associait aux dépenses de l'entreprise, considérables 
        autant que l'ensemble à construire, le Service de la Mécanographie 
        des Finances, qui cherchait des locaux et qui allait en avoir, au rez-de-chaussée, 
        complètement séparés de ceux de la Bibliothèque.
 
 --------------On 
        posait donc le premier bloc de l'édifice, au milieu des discours 
        optimistes et dans l'allégresse des Algérois, au moins de 
        ceux qu'intéressait la lecture. Quel en serait l'avenir ?
 --------------La 
        réponse nous est magnifiquement donnée aujourd'hui. Quel 
        habitant d'Alger, quel Algérien connaissant un peu la capitale 
        ne serait fier de ce splendide bâtiment, orgueil de la ville et 
        du pays, qui fait l'admiration des étrangers de passage et un peu 
        l'envie des spécialistes, même venus d'Amérique. La 
        nouvelle Bibliothèque nationale, élevée sur la colline 
        des Tagarins, dans l'axe du large boulevard central où se dressent 
        la Grande Poste, la Direction des Douanes, le Monument aux morts d'Alger, 
        la Délégation générale, domine l'admirable 
        paysage de la baie avec le port de l'Agha 
        et, au-delà, dans la courbe des terres qui se déroule depuis 
        le cap 
        Matifou, les agglomérations de Fort-de-l'Eau, 
        de Maison-Carrée, 
        d'Hussein-Dey, 
        de Mustapha, dont les mille lumières, le soir, font des guirlandes 
        enchantées sur le bleu sombre de la mer. C'est désormais 
        un lieu de prédilection des citadins, un but de promenade pour 
        les touristes, au milieu des jardins où flamboient les fleurs d'hibiscus 
        et de bougainvillées, des stades où toute une jeunesse vigoureuse 
        se livre au plaisir des sports. Le quartier, d'ailleurs, est presque entièrement 
        voué à l'Université puisque les anciennes Facultés, 
        maintenant trop étroites, ne sont qu'à quelques minutes 
        de là et que les constructions prévues au plan d'urbanisme 
        ont surgi, pour l'Institut d'études nucléaires, la Maison 
        de l'ingénieur, etc., groupées dans ce remarquable site 
        autour de la Bibliothèque. En outre, l'avenue De Lattre de Tassigny, 
        qui longe la façade de celle-ci, relie Alger àEl-Biar 
        et à Ben-Aknoun, 
        d'ou descendent pour travailler, avant même d'avoir atteint le coeur 
        de la ville, étudiants et étudiantes des Cités universitaires.
 
 --------------Considérons, 
        avant d'y pénétrer, l'extérieur de la Bibliothèque 
        nationale. La façade orientée vers le soleil levant, revêtue 
        de marbre vert de Vérone, nous offre de grandioses proportions 
        : 122 m de long et 17 m de haut. Le toit, aménagé en terrasse 
        (superficie de 2 860 m2 ), est orné d'un jardin suspendu (provisoirement 
        non accessible au public ). Au pied de la façade s'étend 
        un vaste parvis, dallé de beige et de bleu, prolongé par 
        les plates-bandes qui bordent le boulevard, fleuries autour d'arbustes 
        exotiques, de pervenches, fuchsias et lantaniers. Des jets d'eau complètent 
        ce ravissant jardin que la municipalité d'Alger, dès les 
        premiers jours, eut à coeur d'entretenir avec grand soin. A mi-hauteur 
        de la façade, une puissantes horizontales du bâtiment que 
        font valoir vingt hautes colonnes.
 
 --------------Sur 
        le parvis, au niveau du premier sous-sol, un garage a été 
        aménagé pour le stationnement des voitures.De part et d'autre 
        de la façade, des rampes conluisent, vers la gauche, à l'entrée 
        de la bibliothèque et
 de ses principaux services ; vers la droite, à la salle d'exposition 
        et au nouveau e département " de la musique, si ce nom n'est 
        pas trop prétentieux. Les deux façades latérales 
        mesurent 35 m de profondeur.
 
 --------------On 
        entre dans le vaste hall-vestibule par un escalier de vingt marches de 
        marbre blanc et vert et un monumental portail de verre, qu'une grille 
        de fer ajouré descend protéger aux heures de fermeture. 
        On découvre de là une perspective (qu'un visiteur romantique 
        qualifierait de babylonienne), laissant voir, sur une 
        profondeur de plus de cent mètres, la salle du catalogue et des 
        fichiers, puis l'immense salle de lecture (une réussite qui provoque 
        invariablement l'enthousiasme du passant), dans laquelle se pressent chaque 
        jour, en permanence, de 300 à 500 lecteurs. Tout à l'extrémité 
        s'ouvrent le " Fonds arabe" et la salle de la Réserve.
 
 --------------L'édifice 
        intérieur, en dehors de ce plan réservé au public 
        habituel, s'étage sur dix niveaux différents, 
        entre les cotes 84 et 109, aménagés en magasins de livres, 
        desservis par plusieurs ascenseurs et monte-charge. La répartition 
        des locaux a été conçue en raison des différents 
        services que la Bibliothèque abrite et selon le rôle qu'elle 
        est appelée à jouer comme centre culturel. L'institution 
        présente, en effet, le double aspect d'une bibliothèque 
        nord-africaine, centralisant tout ce qui concerne l'Afrique du Nord et 
        les questions islamiques, et d'une bibliothèque de documentation 
        générale, à caractère encyclopédique, 
        représentative de la pensée française et de la civilisation 
        européenne. De plus, elle est le siège de la régie 
        du dépôt légal et elle fonctionne comme Bibliothèque 
        de Prêt pour le service de la lecture publique 
        en Algérie. Enfin, , des sections annexes ont été 
        créées, depuis l'ouverture des nouveaux locaux, et comprennent 
        une importante bibliothèque musicale, une riche discothèque, 
        un service de microfilm et de photocopie, et l'organisation d'expositions 
        périodiques sur des sujets historiques ou actuels.
 
 --------------Mais revenons 
        à ce hall d'entrée, d'où nous pourrons parcourir 
        l'intérieur de la bibliothèque, guidés par Mlle Lebel, 
        qui joint à une incontestable autorité une compétence 
        rare et une exquise amabilité.
 
 --------------Cette 
        antichambre, qui n'a pas moins de 30 m de long, bien éclairée 
        par un vaste lanterneau, est compartimentée par des colonnes qui 
        séparent une banque de prêt de la salle des catalogues.
 Contre les murs sont de claires vitrines où se renouvellent souvent 
        de petites expositions de livres et
 manuscrits précieux, consacrés au fonds arabe et au fonds 
        français; on s'y arrete, à peine arrivé, déjà 
        plein d'impressions extremement agreables. A droite du hall, on aperçoit 
        le vestiaire et les bureaux administratifs, secrétariat, comptabilité, 
        , rédaction des fiches, etc. ; à gauche, les lavabos et 
        un grand local, en cours d'aménagement, qui sera la salle des périodiques. 
        Le long comptoir en acajou verni de la banque de prêt permet la 
        distribution directe des livres aux emprunteurs. Cette bibliothèque 
        de prêt est ouverte au grand public comme aux étudiants. 
        Quant à la salle des catalogues, au bout du hall d'entrée, 
        elle contient plus de 500 fichiers métalliques de format international 
        (plus les 36 fichiers de l'ancien catalogue ) comprenant un catalogue 
        alphabétique des auteurs, plus les anonymes, un catalogue alphabétique 
        des matières, le catalogue méthodique ainsi que celui des 
        collections, des périodiques, du fonds oriental, de la musique 
        et des disques, des fonds spéciaux (Stéphane Gsell, Savorgnan 
        de Brazza, etc...), enfin le catalogue du fonds de prêt. Complétant 
        l'installation, une petite salle de bibliographie a été 
        aménagée pour la consultation, par les lecteurs, des différents 
        ouvrages et tables de référence.
 
 --------------Munis 
        de nos renseignements, notre bulletin de demande convenablement rempli, 
        nous pénétrons de plain-pied dans la silencieuse, la studieuse 
        salle de lecture du fonds général, aux lignes sobres et 
        grandioses, dont seize colonnes colossales supportent le haut plafond, 
        d'où tombe, le soir, un éclairage par tubes fluorescents 
        sous plaques diffusantes. De jour, l'éclairage est assuré 
        par quinze larges portes-fenêtres en glace securit ouvrant sur la 
        terrasse couverte, avec pour toile de fond la lumineuse baie d'Alger et 
        les bleues montagnes de l'Atlas. Cette immense salle est séparée 
        magasins à livres par une cloison métallique vitrée 
        de verre armé dépoli.
 
 --------------La 
        superficie de 1 000 m2 est occupée par des tables de chêne 
        clair revêtu de vernis vitrifiant, aménagées pour 
        quatre ou six lecteurs, avec fauteuils assortis, au siège recouvert 
        de tissu vinylique gris bleu, soit 312 places. Au fond, une salle à 
        mi-cloison de 21 places est réservée aux professeurs de 
        l'Université et aux personnalités désireuses de travailler 
        isolément ; des meubles bas à casiers l'entourent, contenant 
        les fascicules récents des principaux périodiques.
 
 --------------Les 
        places sont marquées par des numéros en matière plastique 
        bleue, très lisibles sur le bois clair.
 
 --------------Ayant 
        retenu sa place, le bulletin complété par le numéro 
        de cette place, le lecteur remet sa demande au comptoir de distribution 
        des livres (en chêne clair comme tout l'ameublement), comptoir semi-circulaire 
        au centre de la salle, en face de la terrasse. Les bulletins de demande 
        partent par tubes pneumatiques aux divers étages des magasins ; 
        des renseignements complémentaires peuvent être éventuellement 
        communiqués aux garçons de magasins par un système 
        d'interphones. Enfin, des appareils de signalisation lumineuse avisent 
        automatiquement l'usager que les ouvrages réclamés sont 
        à sa disposition. Tout se passe vite et en silence.
 
 --------------Le 
        long des murs de la grande salle courent des rayonnages, accessibles à 
        tous, pourvus des dictionnaires, encyclopédies, biographies, recueils 
        de droit, de médecine, de sciences, de technologie, souhaitables 
        par l'étudiant le plus scrupuleux, le chercheur le plus exigeant.
 
 --------------Si 
        le lecteur ne craint ni l'enchantement ni la distraction d'une ambiance 
        pleine de charme, il peut passer de la grande salle de lecture à 
        la terrasse-loggia où 54 places s'offriront à son choix, 
        dans un décor
 de rêve avec un mobilier - métal et formica gris clair - 
        spécialement conçu pour le séjour en plein air. C'est 
        surtout d'avril à octobre que les amateurs se disputent les sièges, 
        mais l'agrément n'est pas exclu de la lecture dehors par un beau 
        matin de janvier, quand le soleil emplit la loggia de ses rayons, et même 
        par temps de pluie, dont on est totalement protégé, s'il 
        ne fait pas froid.
 
 ---------------Continuant 
        notre visite, nous trouverons une seconde salle de lecture, moins vaste, 
        sans doute, que la précédente, et plus intime, mais pareillement 
        meublée et susceptible encore de recevoir une centaine de lecteurs. 
        La vue y est la même, sur la Méditerranée et les lointains 
        monts de Kabylie. Nous pourrons consulter là les savants et pittoresques 
        livres du fonds arabe, aux beaux caractères, sous la surveillance 
        aimable d'un bibliothécaire spécialisé. On y aura 
        aussi les volumes de la " Réserve " dont l'utilisation, 
        dans une pièce plus à la mesure de l'homme, sera plus facilement 
        contrôlable.
 
 ------------En 
        fin de promenade, presque à l'extrémité du plan, 
        on arrive à la bibliothèque musicale, dont le premier fonds 
        fut constitué par un dépôt de la vieille Société 
        des Beaux-Arts d'Alger (créée en 1851) dont les locaux étaient 
        devenus insuffisants pour contenir la masse de partitions acquises ou 
        recueillies surtout de-puis une trentaine d'années. Le recensement, 
        en juin 1960, accusait 22 371 partitions de musique d'orchestre, de chambre, 
        d'instruments seuls ou accompagnés, enfin d'opéras, oratorios 
        ou choeurs ; mais le chiffre actuel, compte tenu des apports nouveaux, 
        dépasse certainement 24 000. Les prêts de musique à 
        l'extérieur sont exceptionnels, car cette bibliothèque est 
        destinée à la documentation et à l'étude, 
        non à des répétitions et exécutions par des 
        tiers, sauf cas spéciaux. Des tables et des chaises sont à 
        la disposition des lecteurs : il n'est pas interdit de souhaiter qu'un 
        jour un bon piano s'y trouve aussi, pour le déchiffrage des oeuvres.
 
 --------------Ayant 
        parcouru de bout en bout le plan principal de la Bibliothèque nationale, 
        on serait tenté de se croire très renseigné sur cette 
        splendide réalisation. En fait, on n'en aura vu que la partie la 
        plus banale.
 
 --------------Toutes 
        les annexes, toutes les activités hors du public habituel méritent 
        pourtant d'être connues et révélées.
 
 ---------------Puisque 
        nous étions parvenus à l'extrémité nord des 
        bâtiments, il nous faut visiter les deux niveaux aménagés 
        en salie d'exposition, niveaux superposés : l'un à l'entresol, 
        d'une surface d'exposition de 200 m2, avant son entrée par la rampe 
        extérieure à droite en regardant la façade, avec 
        une porte en dalles de verre ouvrant sur un tambour ; l'autre au premier 
        étage, d'une surface de 117 m2, avec entrée par le palier 
        de la bibliothèque musicale. Ces deux plans sont réunis 
        par un élégant escalier hélicoïdal. Selon l'importance 
        de l'exposition, il est possible d'utiliser ainsi les vitrines murales 
        ou centrales de l'un ou l'autre niveau, nu des deux ensemble.
 
 --------------On 
        se souvient de l'intéressante exposition organisée la par 
        Mlle Lebel et ses collaborateurs, lors de l'inauguration officielle de 
        la Bibliothèque nationale. Des manuscrits et documents émouvants 
        du Père de Foucauld, d'une part ; des manuscrits arabes, turcs 
        et persans du Moyen Age avec enluminures, d'autre part,
 réalisaient un ensemble rare, une sorte de passionnante synthèse 
        d'un rapprochement de l'Orient et de l'Occident.
 -------------A l'autre extrémité des 
        locaux, à un étage au-dessus du plan principal auquel on 
        accède par un autre escalier agréable, nous verrons d'abord 
        les bureaux de l'Administrateur, de ses secrétaires, du standard 
        télé-phonique, locaux clairs, de décoration simple 
        et somptueuse à la fois ; puis les installations d'une discothèque, 
        déjà fort riche, avec bureau du préposé, armoires 
        à disques, et deux cabines d'audition, spécialement aménagées 
        et insonorisées, pouvant recevoir chacune trois personnes assises 
        à l'aise.
 
 --------------Plus 
        loin se trouvent encore un atelier de micro-film et de photocopie, avec 
        laboratoires annexes pour le développement et le séchage 
        des films ; une salle de lecture des microfilms, avec les appareils d'optique 
        et de projections adéquats. D'autres locaux, spacieux mais non 
        encore aménagés (tout ne peut être fait à la 
        fois) sont prévus à proximité pour le service des 
        cartes et plans.
 -
 -------------Mais la plus forte impression que l'on 
        ressentira au cours de cette intéressante visite sera réservée 
        au passage le long des couloirs des magasins à livres. Sur dix 
        étages, climatisés, asséchés, chauffés 
        par air pulsé, dix étages munis d'un appareillage perfectionné 
        de détection d'incendie (la moindre fumée dégagée 
        déclenche l'alarme), 36 kilomètres de rayonnages métalliques 
        sont prévus pour le rangement de 1 200 000 volumes. A l'heure actuelle, 
        17 kilomètres seulement ont été aménagés 
        et abritent environ 470 000 volumes imprimés. L'éclairage 
        des travées se fait par fenêtres étanches donnant 
        sur la cour anglaise derrière les bâtiments, munies de vitres 
        spéciales " athermic ", absorbant les rayons calorifiques 
        du soleil. Il va sans dire qu'un immense réseau électrique 
        de lampes au néon vient s'ajouter à la lumière naturelle.
 
 --------------On 
        se promène, d'un niveau à l'autre, en ce labyrinthe entre 
        les files de livres sans fin, avec l'idée - imagination d'un profane 
        ! - qu'on s'y perdra pendant les rêves de la prochaine nuit, où 
        l'on doit périr noyé au flot montant des volumes.
 
 --------------Et 
        l'on est comme soulagé lorsque l'ascenseur vous descend jusqu'au 
        rez-de-chaussée, au niveau du boulevard, où l'on parcourra 
        encore les salles du dépôt légal et de la lecture 
        publique (430 m2 pour celle-ci), puis le garage, après les salles 
        de manutention et d'emballage, les locaux sanitaires, le vestibule d'entrée 
        du personnel avec ses vestiaires et son horloge de pointage ; le garage 
        où se profilent, parmi les camion-nettes de service, les bons " 
        bibliobus " qui vont porter périodiquement des livres à 
        la population et aux écoliers de plus de 350 centres de lecture 
        à travers plaines et monts, chemins et pistes de l'Algérie 
        et du Sahara.
 
 --------------Telle 
        est la nouvelle Bibliothèque nationale d'Alger... qui ne nous fait 
        pas regretter l'ancienne. Avec la collaboration de tout un personnel, 
        Européens et musulmans, derrière la vaillante directrice 
        qui, jour après jour - j'en peux témoigner - en assura énergique-ment 
        l'extraordinaire réalisation, elle porte la marque du génie 
        de la France ; elle est ouverte largement au travail et à l'avenir 
        d'une jeunesse ardente, dans une Algérie pacifiée, heureuse 
        et féconde.
 
 --------------On 
        pourrait aisément remplir plusieurs numéros d'Algéria 
        avec les descriptions des merveilles, littéraires ou iconographiques, 
        que recèle la bibliothèque. Ceux qui s'y intéressent 
        ont la possibilité d'aller les voir. Mieux vaut peut-être 
        s'arrêter sur cette éloquente liste de renseignements que 
        j'ai transcrits d'après les données du ler juillet 1961 
        :
 --------------Nombre 
        de lecteurs réguliers inscrits au Secrétariat de la Bibliothèque 
        : 14 791, dont 2 383 musulmans. La grosse majorité de ces lecteurs 
        est faite de membres de l'enseignement et d'étudiants.
 --------------Moyenne 
        mensuelle de lecteurs: plus de 7000.
 --------------Le 
        fonds oriental comprend: 3 000 manuscrits arabes, turcs et persans 
        ; et environ 30 000 volumes imprimés.
 --------------Le 
        fonds français comprend : environ 450 000 volumes imprimés.
 --------------Les 
        périodiques atteignent le nombre de 2 138 revues et journaux.
 --------------La 
        bibliothèque musicale comprend: environ 24 000 partitions.
 --------------La 
        discothèque rassemble 1 600 disques microsillons.
 --------------Le 
        service de la Lecture publique dessert 357 centres de lecture dans 
        les 12 départements algériens et le Sahara, avec une collection 
        d'environ 55 000 volumes.
 
 
         
          | Gabriel ESQUER --------------L 
              E monde des lettres algériennes a subi cette année 
              une grande perte à la disparition de Gabriel Esquer, archiviste-paléographe, 
              ancien administrateur de la Bibliothèque nationale d'Alger, 
              décédé le 14 avril 1961.--------------Il était né 
              en 1876, dans le Minervois, près de Carcassonne, et après 
              d'excellentes études achevées à Paris, au lycée 
              Janson-de-Sailly, il était brillamment entré à 
              1'Ecole des Chartes. Sa thèse sur le dernier Valois François 
              d'Alençon et d'Anjou fut remarquée.
 --------------Dès cette époque, 
              il ne dédaignait point le journalisme et donnait des billets 
              au Voltaire, au Cil Blas, à l'Aurore de Georges Clemenceau. 
              Pendant quelques mois secrétaire du Théâtre 
              des Mathurins, il eut l'occasion de se lier d'amitié avec 
              des artistes et des écrivains célèbres : Réjane, 
              Sarah Bernhardt, Mounet-Sully, Robert de Flers, Jules Renard, Emile 
              Faguet, Catulle-Mendès.
 --------------Il quitta Paris en 1903, 
              pour être archiviste en chef du département du Cantal. 
              Séjournant cinq ans à Aurillac, il y écrivit 
              une étude sérieuse sur La Haute Auvergne à 
              la fin de l'Ancien Régime.
 --------------Il devint Algérien 
              au début de 1909, ayant accepté sans hésitation 
              la nomination offerte d'archiviste du Gouvernement général. 
              Du 8 février 1909 à sa mort, pendant cinquante-deux 
              ans, il ne devait plus quitter ce pays auquel il s'était 
              profondément attaché, où il allait s'illustrer 
              aussi bien par une opiniâtre activité de chercheur, 
              de critique, d'historien, que par des ouvrages de haute classe et 
              d'une renommée internationale.
 --------------Il fait la guerre 1914-18 
              dans l'Armée d'Afrique, en grande partie au front d'Orient. 
              (On connaissait bien le fanion de son bataillon de zouaves qu'il 
              conservait, en pieux souvenir, dans son petit bureau de l'ancienne 
              Bibliothèque nationale.) A sa démobilisation, il est 
              désigné comme administrateur de cette Bibliothèque, 
              succédant à Emile Maupas. Il est également 
              chargé de cours à la Faculté des Lettres d'Alger, 
              où des générations d'étudiants, à 
              son enseignement incisif et spirituel, découvrent les sciences 
              auxiliaires de l'histoire.
 --------------Enfin, la Société 
              historique algérienne, la Fédération des Sociétés 
              savantes de l'Afrique du nord lui demandent d'être leur secrétaire 
              général. Longtemps, il assurera la publication de 
              l'importante Revue africaine. Il sera encore l'un des fondateurs 
              des Amis de la musique d'Alger.
 --------------Son oeuvre historique, 
              considérable, basée sur une rigoureuse méthode, 
              unit une conscience scrupuleuse à un rare talent littéraire. 
              Spécialisé par ses fonctions dans les questions nord-africaines, 
              il a publié deux oeuvres monumentales, qui font autorité 
              : La prise d'Alger, 1830 et l'Iconographie historique 
              de l'Algérie (3 volumes, grand in-folio).
 --------------Moins connus du grand 
              public, mais d'un intérêt non moindre, sont ses livres 
              de la collection " Documents inédits sur l'Histoire 
              de l'Algérie ", les Correspondances du Duc de 
              Rovigo (3 volumes), du Général Voirol, 
              du Général Drouet d'Erlon, du Maréchal 
              Clauzel (2 volumes) ; l'édition de la Reconnaissance 
              des ville, forts et batteries d'Alger par le chef de bataillon Boutin.
 --------------Il 
              travaillait, quand la mort est venue le prendre, à l'énorme 
              publication de la Correspondance du Maréchal Bugeaud, 
              que son estimé collaborateur Pierre Boyer, archiviste de 
              la Région d'Alger, terminera seul.
 --------------Enfin, Gabriel Esquer 
              a encore écrit, entre autres, un ouvrage sur le débarquement 
              allié de 1942, 8 novembre 1942, premier jour de la Libération, 
              une Histoire de l'Algérie (Horizons de France), une 
              Petite Histoire de l'Algérie (coll. " Que sais-je 
              ? "), Alger et sa région (sites et monuments). 
              Il collabora au journal Combat pendant la Résistance, à 
              la revue Simoun, avec les savoureux essais sur La Vie intellectuelle 
              en Algérie, La vie de Petrus Borel le Lycanthrope, et, presque 
              jusqu'à ses derniers jours, au Journal d'Alger, où 
              il tenait la rubrique des livres nouveaux.
 --------------Le souvenir de ce savant 
              éminent demeurera longtemps en Algérie. Sa conversation, 
              souvent caustique, toujours éblouissante d'intelligence et 
              d'à-propos, était un régal. Son opinion, comme 
              son patriotisme et sa morale, avait la rectitude et la rigueur d'une 
              règle. Il fut un homme de travail, de devoir, et, pour ses 
              élèves et ses familiers, un ami sûr et fidèle.
 L.-L. B.
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