| --------Créée 
      cinq ans seulement après la prise d'Alger, la Bibliothèque 
      Nationale se trouve être le plus ancien établissement culturel 
      de l'Algérie. C'est à Genty de Bussy, intendant civil de la 
      Régence d'Alger, ami des livres et poète à ses heures, 
      qu'on doit l'idée première de sa fondation - idée féconde, 
      mais dont la réalisation devait exiger plusieurs années. " 
      Nous allons bientôt posséder une bibliothèque 
      ", annonçait, optimiste, le Moniteur Algérien, du 3 novembre 
      1832. Il fallut néanmoins attendre le 13 octobre 1835 pour qu'à 
      la demande du maréchal Clauzel, une décision du Ministre de 
      la Guerre vînt charger Adrien Berbrugger " 
      de la fondation et de la conservation d'une bibliothèque à 
      Alger ". --------Pendant 
        trois ans, l'existence de la Bibliothèque restera d'ailleurs purement 
        théorique. Dépourvue d'un budget pour l'achat des livres, 
        elle devra limiter ses collections aux seuls dons des particuliers, assez 
        rares, puisque, au cours des années en question, elle recevra, 
        en tout et pour tout, deux ouvrages : l'Essai historique 
        et politique sur la Révolution belge, par Nothomb, 
        offert par M. Lecoq d'Ambaud, Consul général de Belgique, 
        et un exemplaire de la Grande Encyclopédie, 
        dû à la munificence d'un ancien avoué de Paris, M. 
        Pillaut-Debit. Bibliothécaire sans livres ni lecteurs, Berbrugger 
        disposera de nombreux loisirs. Il les occupera, pour notre plus grand 
        profit, à suivre les colonnes de l'armée, recueillant çà 
        et là les précieux manuscrits qui formeront le noyau du 
        fonds arabe actuel. --------L'année 
        1838 s'ouvre pourtant sous de meilleurs auspices : la Bibliothèque, 
        d'abord abritée dans une maison domaniale 
        de l'impasse du Soleil (rue Philippe), est transférée dans 
        la caserne des Janissaires de Bab-Azoun, non loin de la porte du même 
        nom, à peu près sur l'emplacement de la rue Littré. 
        Le Collège occupe déjà une grande partie du bâtiment, 
        mais deux belles salles, en façade, sont disponibles pour la Bibliothèque 
        et le nouveau Musée, qu'on a groupés sous une même 
        direction. Dans les locaux de la Bibliothèque s'abritent également 
        un embryon de Musée zoologique - quelques armoires remplies d'animaux 
        empaillés, plus ou moins mités - et la chaire d'arabe où 
        Louis Bresnier enseigna de 1836 à 1869. --------Cependant, 
        grâce à la bienveillance du nouvel intendant civil Bresson, 
        la Bibliothèque bénéficie d'importants envois de 
        livres du Ministère, en même temps qu'un budget régulier 
        lui est enfin alloué - budget bien modeste, il est vrai, qui s'élève, 
        pour l'année 1838, à 6.600 fr.!
 --------Malgré la modicité des crédits, 
        les collections s'accroissent, si bien qu'en 1845, il faut mettre à 
        la disposition du Conservateur dix chambres de la Djénina, destinées 
        à servir de dépôt
 --------Mais ces 
        mesures ne sont que palliatives et, en 1848, un nouveau transfert se révèle 
        nécessaire. On installe, cette fois, la Bibliothèque dans 
        un bâtiment situé au n° 18 de la rue des Lotophages. 
        C'est une maison particulière de style mauresque, qu'on dit avoir 
        coûté de plus de 500.000 fr. avant la Conquête : le 
        consul d'Amérique, Shaler, le maréchal Clauzel, la Direction 
        politique du Gouvernement Général y ont tour à tour 
        résidé. L'édifice ne manque pas de charme, bien qu'il 
        soit impropre à son emploi. Mais, en 1862, la construction d'un 
        mur du rempart, élevé précisément devant les 
        fenêtres de la Bibliothèque, achève de transformer 
        les salles, déjà obscures, en caves privées d'air 
        et de lumière. Un nouveau déménagement devient donc 
        indispensable.
 --------Il 
        est d'abord question de construire, près du Théâtre, 
        un bâtiment qui abriterait à la fois la Direction des Mines, 
        la Bibliothèque et l'Exposition permanente. Mais ce projet, jugé 
        trop grandiose, n'aboutit pas et l'on finit par se rallier à l'avis 
        de Berbrugger, qui préconisait l'installation de la Bibliothèque 
        Nationale dans l'ancienne résidence du dey d'Alger, Mustapha-Pacha, 
        dont on connaît l'histoire.
 
         
          |  La 
              porte, en bois massif, décorée de clous à tête 
              ronde cliquer sur l'image pour l'agrandir
 |  -------D'origine 
        modeste - il avait, dit-on, été charbonnier puis balayeur 
        à la porte du Chef de la Marine - Mustapha, après avoir 
        été le Ministre des Finances de son oncle Hasan -Dey, avait 
        pu succéder à celui-ci grâce à l'appui des 
        Juifs Jacob Cohen Bacri et Nephtali Busnach, ceux-là même 
        dont les noms sont à l'origine de l'expédition de 1830. 
        Mais cette protection, qui lui avait valu le pouvoir, devait plus tard 
        causer sa perte. Nephtali Busnach fut tué, par la suite, le 28 
        juin 1805, par un janissaire, comme il sortait de la Djénina et 
        Mustapha-Pacha n'allait pas tarder à subir le même sort. 
        Sortant, lui aussi, de la Djénina un certain jour de 1806, il fut 
        reconnu par la populace, poursuivi aux cris de " Voilà le 
        protégé des juifs ". Il tenta de se réfugier 
        dans une mosquée, mais fut néanmoins massacré et 
        son corps traînédans les rues jusqu'à la porte Bab-Azoun.
 --------Le Palais 
        de la rue de l'Etat-Major, construit en 1799 - 1800, servait donc de résidence 
        particulière à Mustapha. Sa famille y logeait et lui-même, 
        habitant officiellement la Djénina, s'y rendait le jeudi, après 
        la prière du dhohr (1), escorté de ses gardes qui venaient 
        l'y reprendre le lendemain à midi.
 --------Après la mort de Mustapha, le Palais 
        passa à son fils Ibrâhîm, puis à son petit-fils 
        Mustapha-Pacha. En 1846, les héritiers de Mustapha contractèrent, 
        contre un intérêt de 15%, un emprunt de 170.000 fr. envers 
        MM. de Vialar, Châtel et Beuret, avec garantie hypothécaire 
        sur les immeubles de la succession. Les intérêts n'ayant 
        pas été payés, la maison de la rue de l'Etat-Major 
        se trouva, après un long procès, adjugée, le 15 octobre 
        1859, à MM. de Vialar, Maignal, Châtel et de Sulauze, pour 
        la somme de 100.000 fr.. Le Département devait s'en porter acquéreur 
        en 1863.
 ********** --------Au  
        fond d'une ruelle pittoresque, malaisée à découvrir, 
        s'offre à la vue l'un des plus beaux spécimens de l'architecture 
        mauresque du XVIIIè siècle du moins l'un des plus authentiques, 
        l'un de moins remaniés.
 --------L'entrée 
        de la Bibliothèque Nationale s'ouvre dans un redan formé 
        par la rue - précaution utile, ménagée par l'architecte, 
        pour permettre, en cas d'émeute, de prendre les assaillants en 
        enfilade. L'ouverture pratiquée au-dessus de la porte, aux interstices 
        quadrillés de la dimension d'un canon de fusil, semble avoir eu 
        la même raison d'être.
 
 --------La porte, en bois massif, décorée 
        de clous à têtes rondes, est particulièrement remarquable, 
        avec sa serrure en arabesque et ses deux heurtoirs en forme d'anneaux, 
        dont l'un est placé très haut à l'usage des cavaliers.
 
 --------Après un vestibule, orné de 
        bancs en marbre où s'asseyaient jadis l'eunuque noir faisant office 
        de portier et le mameluk chargé de garder 
        la maison, on parvient à une deuxième porte, au-dessus de 
        laquelle figure une inscription en arabe, qui traduit bien l'émerveillement 
        du visiteur pénétrant en ce lieu
 
         
          | ----" 
              Quel agréable et délicieux palais élevé 
              par le pacha d'Alger, Moustafa!--------C'est 
              l'asile de la félicité, de la gloire, de la puissance, 
              de l'intelligence, de la splendeur, réunis au calme et à 
              la placidité.
 --------" 
              L'esprit émerveillé s'écrie en le voyant. Il 
              a été achevé au moment du plus favorable augure, 
              de l'indice le plus assuré de prospérité et 
              d'abondance,
 --------" 
              L'an quatorze après deux cents et mille de l'hégire 
              du Prophète, dans l'an 1214. "
 |  --------Vient ensuite 
        la sqîfa, long vestibule flanqué de bancs en marbre, qui 
        servait à la fois de salon de réception et de salle d'attente. 
        Là, le dey donnait ses audiences et recevait les hôtes de 
        distinction. La " clientèle " - au sens romain du mot 
        - s'asseyait sur les bancs du pourtour. --------Des colonnettes 
        jumelées, à cannelures torses, réunies par des arcs 
        surbaissés aux fines dentelures, divisent en huit petites niches 
        les murs tapissés de magnifiques faïences : les unes, jaunes 
        et vertes, de provenance sicilienne, les autres bleues et violettes, charmants 
        spécimens de la céramique de Delft. D'innombrables navires, 
        différant tous les uns des autres par quelque détail, encadrent 
        des motifs composés de bouquets et de vases de fleurs, signés 
        J.V.M. ou J. Van Maak, le fabricant Hollandais.
 --------À 
        gauche de la sqîfa, deux portes massives séparées 
        par un petit vestibule donnent accès à cette partie de la 
        maison réservée à l'intimité : celle où 
        vivent les femmes et les enfants avec leurs serviteurs. Détails 
        caractéristiques : la porte donnant sur le patio se ferme de l'extérieur 
        et non pas du dedans. Dans l'imposte, au lieu du judas des autres portes, 
        se trouve un treillage en bois, aux interstices très serrés, 
        permettant de voir sans être vu.
 
 --------La 
        cour, grand carré de plus de 7 m. de côté, est entourée 
        de galeries à arcades, formant cloître. C'est le patio classique 
        des maisons algériennes, au bassin central dont le jet d'eau fait 
        entendre son doux murmure.
 
 --------Le 
        long des portiques, des salles longues et étroites, obscures et 
        mal aérées, servaient de pièces d'habitation. L'une 
        d'elles, à droite, au plafond particulièrement ornementé, 
        passe pour avoir été la chambre de l'épouse du dey.
 
 --------À 
        gauche de la cour, un couloir mène à la Jouira (maisonnette), 
        partie de l'habitation strictement réservée au maître, 
        qui y recevait ses intimes, y traitait de ses affaires ou de ses plaisirs.
 --------Un large 
        escalier de marbre, aux faïences d'un vert éclatant, conduit 
        au premier étage. A mi-course, remarquons une sorte de loge en 
        retrait, où le dey aimait à se tenir en été, 
        pour prendre des rafraîchissements et fumer sa pipe. 
         
          | 
               Galerie 
              du premier étage
 cliquer 
              sur l'image pour l'agrandir
 |  --------La galerie 
        du premier étage, avec ses colonnes cannelées à godrons, 
        patinées par le temps, sa fine balustrade de bois sculpté, 
        ne le cède en rien aux splendeurs du rez-de-chaussée. Les 
        portes, en bois de cèdre, richement décorées, sont, 
        dit-on, uvre de Labladji, 
        amin (syndic), de la corporation des menuisiers et artiste de talent. 
        Une seule d'entre elles valait, à l'époque, 250 fr.. Elles 
        représentent, avec la balustrade, les seuls produits de l'industrie 
        locale, les autres matériaux étant importés de l'étranger 
        : les colonnes, de Toscane ou de Gênes, les faïences de Sicile 
        ou de Hollande.
 --------Notons 
        encore, au même étage, la chambre dite de Mustapha, aux faïences 
        d'un bleu sombre, la cuisine aux somptueuses colonnes de marbre lisse, 
        ornées d'un croissant et le bain maure - actuel bureau de l'Administrateur 
        - tapissé, lui aussi, d'une flotte de petits navires mauves et 
        bleus. A côté, la " chambre du froid " où 
        le maître de maison faisait la sieste, après le bain.
 
 --------Au deuxième 
        étage, se trouve la terrasse réservée jadis aux femmes. 
        Dans le mur d'appui qui sert de balustrade, on peut encore voir huit anneaux 
        de marbre, destinés à recevoir les poteaux du vélum 
        qui recouvrait la cour, en été. La décoration de 
        cet étage consiste en bandeaux de faïence d'un vert éclatant.
 --------Quant 
        aux pièces du troisième étage, elles sont, à 
        coup sûr, les mieux décorées de l'édifice, 
        après la sqî f a et les galeries.
 
 --------La 
        plus grande, celle de droite, divisée en trois parties par des 
        arcs doubleaux, est ornée de charmants placards sculptés 
        et peints de couleurs vives. Les fenestrelles, aux vitraux généralement 
        bien conservés, ont des teintes agréables, rouge et rose, 
        jaune, bleu et blanc. Leur dessin consiste en bouquets de roses et illets. 
        Les plafonds, faits de solives serrées, sont peints en vert, jaune 
        et rouge. Les mêmes couleurs se retrouvent sur les portes couvertes 
        de peintures de style turc, représentant des bouquets et des vases 
        de fleurs.
 
 La pièce de gauche, aux dimensions plus modestes, est également 
        bien décorée. Sur la terrasse adjacente se dresse une souche 
        de cheminée, à la mode turque du XVIIIè siècle, 
        particulièrement curieuse. Enfin, un escalier très raide 
        conduit à la troisième terrasse, d'où l'on peut encore 
        apercevoir la mer.
 
 --------Ajoutons, 
        pour les amateurs de mystère, qu'une légende longtemps vivace 
        fait allusion à l'existence d'un trésor, caché quelque 
        part dans le palais de Mustapha. À plusieurs reprises, on effectua 
        des sondages, on creusa les sous-sols, cherchant, du même coup, 
        le souterrain qui relie, dit-on, la Casbah au port. Mais, jusqu'à 
        présent, les murs ont gardé leur secret. Les seuls trésors 
        palpables sont les livres de la Bibliothèque, avec les richesses 
        spirituelles qu'ils renferment.
 ********* --------Les différents 
        Conservateurs qui se succédèrent à la tête 
        de la Bibliothèque Nationale, depuis 1835, furent tous des savants 
        de valeur et des personnalités marquantes, bien que très 
        diverses.
 --------Adrien 
        Berbrugger, ancien élève de l'École des Chartes, 
        avait commencé sa carrière d'historien par une mission aux 
        Archives de la Tour de Londres en 1834. Après s'être occupé 
        quelque temps de propagande fouriériste, il devint secrétaire 
        du maréchal Clauzel, qu'il accompagna en Algérie. Rédacteur 
        du Moniteur Algérien, organe officiel de l'Administration, directeur 
        de la Bibliothèque Nationale et du Musée Archéologique, 
        telles sont les fonctions qu'il eut à assumer dès les premières 
        années de son séjour à Alger.
 
 --------Berbrugger n'avait rien d'un rat de bibliothèque. 
        En ce temps où le métier de bibliothécaire était 
        encore dangereux, il unissait le dynamisme d'un pionnier au sang froid 
        d'un vétéran. " Vous apprendrez 
        avec étonnement " écrit-il, " que 
        moi, paisible bibliothécaire, j'ai suivi nos braves soldats et 
        leur illustre chef sur les champs de bataille, que, comme eux, j'ai entendu 
        siffler les balles, subi les inconvénients du bivouac, les fatigues 
        des marches, en un mot, que j'ai mené la vie du troupier pendant 
        trois mois ".
 
 --------Les aventures ne lui manquent pas. À 
        Mascara, il avait réussi à rassembler un certain nombre 
        de manuscrits arabes et les avait placés dans une malle, qu'on 
        avait chargée sur un chameau, en même temps qu'une caisse 
        de biscuits. Hélas, au passage d'Aïn-K'bira, par temps de 
        brouillard et de grêle, l'animal glissa et roula dans un précipice, 
        avec son précieux fardeau. Les manuscrits furent perdus. Mais, 
        remarque
 Berbrugger, " on ne s'apitoya nullement sur 
        les livres, la caisse de biscuits eut seule une oraison funèbre 
        ".
 
 --------À 
        Constantine, il entre dans la ville, le 13 octobre 1837, avec la 2è 
        colonne, commandée par le colonel Combe.
 " Arrivé sous la voûte qui conduit 
        à la rue des Épiciers", écrit-il, 
        " je ne pus pas, pour le moment, avancer davantage, car on se battait 
        avec acharnement dans cette rue et le feu de la mousqueterie était 
        beaucoup trop vif pour qu'il me fût possible 
        d'entreprendre les investigations toutes pacifiques dont j'étais 
        chargé... ".
 
 --------Berbrugger 
        se voit ensuite confier par le Ministre de la Guerre une importante mission 
        au Sahara. De juin 1850 à avril 1851, il parcourt la Tunisie et 
        la Tripolitaine, d'où il gagne l'oued Souf, Touggourt, Témacine, 
        Hadjira N'Gouça, Ouargla et Guerrara, pour rentrer en Alger par 
        Laghouat. Il rédige, à son retour, une série de mémoires 
        accompagnés de cartes et de plans, publie une brochure sur les 
        puits artésiens de nos oasis et un grand nombre d'articles dans 
        les journaux locaux.
 
 --------En 1854, il devient Inspecteur Général 
        des Monuments historiques et des Musées Archéologiques de 
        l'Algérie et préside, deux ans plus tard, à la fondation 
        de la Société historique algérienne, ainsi qu'à 
        la publication de la très vivante Revue africaine, instrument de 
        travail incomparable qui n'a cessé de paraître depuis lors. 
        Lui-même est l'auteur de nombreux ouvrages relatifs à l'histoire 
        et à l'archéologie algériennes, parmi lesquels l'Algérie 
        historique, pittoresque et monumentale, trois grands volumes in-f° 
        illustrés de 145 planches, édités en 1843.
 
 --------Archéologue et bibliothécaire, 
        Berbrugger ne dédaigne pas, pour autant, de s'intéresser 
        à la vie publique : il pose sa candidature aux élections 
        de 1848 et accepte d'assumer les fonctions de colonel de la milice d'Alger.
 
 --------Napoléon 
        III, lors de son voyage en Algérie, en 1865, tint à visiter 
        la Bibliothèque Nationale et remit à son conservateur la 
        Cravate de Commandeur de la Légion d'honneur.
 
 --------Berbrugger 
        devait mourir quatre ans plus tard, le 2 juillet 1869, épuisé 
        par le travail.(le Déjanté: et on dira 
        que le travail, c'est la santé!!N'évoquons pas certains 
        rebutés par le travail qui se retrouvent parfois à la Santé!)
 
 --------Oscar 
        Mac-Carthy lui succéda. C'était un géographe passionné 
        de son métier.
 
 -------Déjà 
        connu pour sa participation à plusieurs grands recueils d'érudition 
        publiés à Paris, de 1835 à 1849, Mac-Carthy se voit 
        confier, par Lamoricière, la rédaction d'un petit ouvrage 
        pratique destiné aux émigrants, l' " Almanach 
        de l'Algérie pour 1849 ". Afin de lui permettre 
        de poursuivre ses travaux, le Ministre de la Guerre le charge d' " 
        une mission d'exploration des territoires algériens 
        " et l'adjoint au 16è convoi colons dirigé 
        sur Bône.
 --------Dès 
        son arrivée, Mac-Carthy est acquis corps âme à cette 
        terre d'Afrique qu'il ne pourra plus quitter."Voyez-vous 
        ", disait-il, " ce pays est le mien, il 
        m'a adopté ". Pendant quatorze ans, de 1849 
        à 1863, il ne cesse de parcourir l'Algérie dans tous les 
        sens. Seul et sans armes, protégé par son dénuement, 
        il explore des régions encore mal soumises, toujours bien accueilli 
        par les Arabes dont il aime à partager la vie. II assiste, en spectateur, 
        au siège de Zaatcha et à la prise de Laghouat. " Sur 
        tout ce qu'il voit, il prend des notes précises, détaillées, 
        il lève des plans, fait des observations, ramasse des échantillons 
        de pierre et de marbre, des plantes, des graines, portant partout un esprit 
        curieux et investigateur ".
 
 -------------Eugène 
        Fromentin, qui l'a connu lors de son second voyage en Algérie, 
        le représente dans son livre " Une 
        année dans le Sahel ", sous le pseudonyme de Louis 
        Vandell. " Maigre, efflanqué, brûlé 
        comme un Saharien , montant une bête fort maigre, mal harnachée 
        à l'arabe et d'un blanc sale, il portait en bandoulière 
        quelque chose comme un long baromètre contenu dans un fourreau 
        de cuir et un volumineux cylindre de fer blanc ". 
        Les indigènes l'appelaient, pour cette raison, Bou-Djâba, 
        l'homme au canon de fusil. Au moment de quitter Fromentin, Vandell tient 
        à lui offrir un petit souvenir personnel : Il tire de sa poche 
        un bâton de réglisse noir qu'il rompt en deux, puis une pelote 
        de ficelle, dont il lui donne la moitié, en témoignage d'amitié 
        !---Cependant, 
        un vaste projet hante l'esprit de Mac Carthy et 
        ne cessera de l'obséder, sa vie durant. Il n'envisage rien moins 
        que de se rendre à Tombouctou, par Ghât et Agadès, 
        il rêve de relier l'Algérie au Sénégal par 
        la voie du désert. Mais les circonstances ne sont pas encore propices 
        à l'accomplissement d'un tel dessein. Faute d'appui et de ressources, 
        il lui faut, d'année en année, remettre le périlleux 
        voyage. Du moins amasse-t-il une documentation considérable sur 
        la géographie du Sahara et du Soudan, précieux matériaux 
        qu'il mettra généreusement à la disposition de tous 
        les chercheurs.
 --------Grâce 
        à sa science, à son affabilité proverbiale, la Bibliothèque 
        Nationale devient le lieu de rendez-vous de tous les savants et lettrés 
        algériens, l'office de renseignements de tous les explorateurs. 
        Le vicomte Charles de Foucauld, qui vient de quitter l'armée et 
        prépare, en 1883, son expédition au Maroc, vient souvent 
        travailler sur la galerie du Palais de Mustapha. Là, Mac-Carthy 
        lui fait connaître celui qui sera son guide, le juif Mardochée.
 
 --------Après avoir publié un nombre 
        considérable de travaux, Mac-Carthy doit prendre sa retraite en 
        1890. La Bibliothèque et le Musée, jusque-là réunis, 
        sont alors séparés. La Direction du Musée est confiée 
        à de La Blanchère, tandis qu'Émile Maupas est nommé 
        Conservateur-Administrateur de la Bibliothèque Nationale.
 
 --------Émile 
        Maupas est une espèce particulière de Chartiste : un Chartiste 
        converti à la biologie.
 
 --------À 
        peine sorti de l'École des Chartes, il se découvre une passion 
        pour le piano, mais ses doigts gourds lui interdisent toute virtuosité. 
        Force lui est donc de reporter son ardeur sur la botanique, caprice d'un 
        instant, mais qui le mène à la biologie. Cette fois, son 
        destin est fixé, il a découvert les joies du microscope 
        et consacrera sa vie à l'étude des infiniment petits.
 
 --------Ses 
        travaux sur la sexualité des rotifères et la reproduction 
        des infusoires ont bouleversé les théories alors en vigueur 
        sur la propagation de la vie et sur la mort. Presque inconnu à 
        Alger, il est célèbre dans toute l'Europe et l'Université 
        d'Heidelberg, dans un élan d'enthousiasme, lui confère le 
        titre de Docteur honoris causa. Les spécialistes du monde entier, 
        de passage à Alger, ne manquent pas de rendre visite au grand savant 
        français.
 
 --------Et 
        ces résultats prodigieux, Maupas a su les obtenir avec des moyens 
        dérisoires. Son installation, dans son petit appartement de Bab-elOued, 
        est à elle seule tout un poème. Dans les trois petites chambres 
        qu'il occupe, tout est sacrifié au microscope, placé en 
        pleine lumière du nord, face à la mer. Sur la cheminée, 
        quatre ou cinq assiettes creuses complètent son laboratoire.. On 
        raconte qu'un jour, le portrait de M. Lacaze-Duthiers (Zoologiste français 
        (1821-1901)) suspendu au-dessus de la cheminée, tomba malencontreusement 
        sur les précieuses assiettes et, écrasant les " petites 
        bêtes ", mit fin à l'expérience en cours.
 --------Une autre 
        fois, comme on parlait devant Maupas d'un appareil nouveau permettant 
        d'obtenir un parallélisme rigoureux entre deux lames de verre d'une 
        préparation pour microscope, celui-ci, avec le plus grand naturel, 
        répondit " Moi, pour obtenir ce parallélisme, 
        je prends des poils d'une vieille brosse à dents usagée 
        " ! --------Maupas mourut 
        en 1916, devenu, sur le tard, correspondant de l'Institut et Chevalier 
        de la Légion d'honneur.
 --------Gabriel 
        Esquer lui succéda. Il est trop connu de nos contemporains pour 
        qu'il soit besoin d'en faire un long panégyrique.
 
         
          |  La 
              cour, patio classique des maisons algériennes cliquer 
              sur l'image pour l'agrandir
 |  --------Né 
        dans l'Aude, à Caunes-Minervois, le 12 avril 1876, il passe par 
        l'École Nationale des Chartes, puis devient successivement Archiviste 
        en Chef du département du Cantal (1903-1908), Archiviste-bibliothécaire 
        du Gouvernement Général de l'Algérie (1909-1942) 
        et Administrateur de la Bibliothèque Nationale d'Alger (1920-1948 
        ). Il est, en même temps, chargé de Conférences à 
        la Faculté des Lettres d'Alger.
 --------Ces 
        diverses activités ne l'empêchent pas d'élaborer une 
        uvre scientifique considérable, où la méthode 
        historique la plus rigoureuse s'allie à un remarquable talent littéraire. 
        Citons parmi ses travaux sur l'Algérie : Les commencements d'un 
        Empire: la prise d'Alger (1830), ouvrage qui vaut à son auteur 
        le Grand Prix Littéraire de l'Algérie et le 2è Prix 
        Gobert à l'Académie française ; l'Iconographie 
        historique de l'Algérie, depuis le VIè siècle jusqu'à 
        1871, trois grands volumes in-f°, groupant 1.011 reproductions 
        tirées des bibliothèques du monde entier ; 8 Novembre 
        1942, jour premier de la libération ; l'Histoire de l'Algérie 
        (Collection " Que sais-je ? ") ; Alger et sa région 
        (Collection " Sites et Monuments "). Ajoutons à ces 
        études des publications de textes telles que la Correspondance 
        du duc de Rovigo, des généraux Voirol, Drouet d'Erlon, du 
        maréchal Clauzel, huit volumes parus de 1914 à 1948 (Gabriel 
        Esquer a publié, en outre, les ouvrages suivants Le dernier 
        Valois, François, duc d'Alençon et d'Anjou (1554-1584), 
        thèse de l'École des Chartes, parue en 1903 ; La Haute 
        Auvergne à la fin de l'Ancien Régime, 1910 ; Un Saharien 
        : le colonel Ludovic de Polignac (1827-1901), 1930 ; La Reconnaissance 
        des villes fortes et batteries d'Alger (1808), du chef de bataillon 
        Boutin et un choix de textes de l'abbé Baynal, accompagné 
        de notes, publié en 1951, sous le titre de l'Anticolonialisme 
        au XVIIIe siècle. Histoire philosophique et politique des établissements 
        et du commerce européen dans les deux Indes.).
 ********** --------Les collections 
        de la Bibliothèque Nationale, encore inexistantes en 1838, forment 
        aujourd'hui, tant pour le fonds arabe que pour le fonds général, 
        un remarquable ensemble d'ouvrages où les chercheurs sont à 
        même de puiser les renseignements indispensables à leurs 
        travaux. Jules Lemaître, Louis Bertrand, René Basset, Fagnan, 
        Stéphane Gsell furent, parmi tant d'autres, les habitués 
        de cet établissement. Des ouvrages parus sur l'Afrique du Nord, 
        la plupart doivent le meilleur de leur documentation aux collections de 
        la Bibliothèque Nationale d'Alger.
 --------Aux 
        érudits, vient s'ajouter un autre public non moins sympathique, 
        compose d'étudiants. L'exiguïté des bibliothèques 
        algéroises et la cherté des livres amènent un afflux 
        sans cesse croissant de jeunes gens et jeunes filles, heureux de pouvoir 
        consulter sur place ou emprunter les ouvrages nécessaires à 
        la préparation des examens.
 
 --------La 
        section musulmane comprend un ensemble de 2.334 manuscrits réunis 
        grâce à une politique d'achats heureusement conduite par 
        les Administrateurs successifs. C'est ainsi qu'on a pu recueillir des 
        bibliothèques d'érudits musulmans tels que le Muphti d'Oran, 
        Hasan Bulahbal et Ali ben El Hadji Moussa. Dans ces collections, toutes 
        les branches des connaissances humaines sont représentées 
        : théologie, législation, grammaire et langue arabe, poésie, 
        histoire et géographie, médecine, philosophie, astronomie, 
        etc...
 
 --------Ces 
        manuscrits sont précieux tant par l'ancienneté - certains 
        d'entre eux datent des XIè, XIIè et XIIIè siècles 
        - que par la rareté ou la richesse de l'illustration. Certains 
        peuvent être comparés aux plus beaux spécimens médiévaux 
        de l'Europe occidentale.
 
 --------Citons particulièrement les numéros 
        424: Al-Muwatta, Recueil de hadith (traditions) et de préceptes 
        moraux, exemplaire de grand luxe exécuté en 590/1194 pour 
        l'Almohade Aboû-Yousof Yakoub ; 242 : Lexique de Jawhari, 
        exemplaire de luxe avec encadrement doré et colorié, écrit 
        pour une bibliothèque princière (876/1471-72) ; 268 : Koran 
        microscopique, de forme octogonale, doré sur tranche, à 
        encadrement bleu et or, écrit en 1016/1607-8, par un Persan, Imâd 
        ben Ibrâhîm.
 
 --------Outre 
        les manuscrits, la section musulmane comprend une importante collection 
        de livres en langue arabe, qu'on s'efforce de tenir au courant des dernières 
        publications parues. Ainsi, l'élite intellectuelle musulmane peut 
        trouver en la Bibliothèque Nationale d'Alger son véritable 
        foyer culturel, où toute facilité lui est donnée 
        d'approfondir ses connaissances sur la philosophie, la littérature 
        et l'histoire de l'Islam. Grâce aux procédés de microfilmage, 
        il va être possible d'adjoindre à ces collections des reproductions 
        de manuscrits arabes appartenant à différentes bibliothèques 
        publiques ou privées.
 
 --------Quant au fonds français, il comprend 
        tout d'abord des ouvrages de culture générale, représentatifs 
        de la pensée française et les principales uvres ayant 
        trait à l'histoire, la littérature, la philosophie et l'histoire 
        de l'art.
 
 --------À 
        ces collections s'ajoute un important fonds nord-africain, groupant tout 
        ce qui concerne l'histoire et la civilisation de l'Afrique du Nord. C'est 
        à ce fonds que sont venues s'agréger la bibliothèque 
        de Stéphane Gsell, éminemment précieuse par les documents 
        et ouvrages archéologiques qu'elle contient, et, plus récemment, 
        la bibliothèque du grand explorateur Savorgnan de Brazza.
 
 --------La 
        Bibliothèque Nationale reçoit toutes les publications effectuées 
        sous l'égide du Gouvernement Général de l'Algérie, 
        ainsi qu'un exemplaire des livres et journaux du Dépôt légal, 
        pour le département d'Alger. Une nouvelle loi du Dépôt 
        légal, actuellement à l'étude, lui assurera, prochainement, 
        le bénéfice de tous les ouvrages et périodiques paraissant 
        dans les trois départements de l'Algérie.
 
 --------Une 
        autre branche d'activité de cet établissement consiste dans 
        le service de la Lecture publique - service qui s'est considérablement 
        développé au cours de ces dernières années. 
        À l'heure actuelle, plus de 170 bibliothèques publiques, 
        réparties dans les trois départements de l'Algérie, 
        reçoivent des dotations en livres de la Bibliothèque Nationale 
        : bibliothèques communales, de Foyers ruraux, bibliothèques 
        populaires installées dans les écoles, bibliothèques 
        d'hôpitaux, de sanatoria, de la Croix-Rouge, des prisons.
 
 --------Ces bibliothèques 
        constituent un élément de culture des plus efficaces et 
        une distraction précieuse pour les habitants de l'intérieur, 
        privés des ressources de la ville. De petites bibliothèques 
        ont été créées dans les régions les 
        plus éloignées de la Kabylie. C'est ainsi que s'achève 
        uvre de scolarisation. L'école trouve son complément 
        indispensable dans la bibliothèque, sans laquelle il n'existe point 
        de culture.
 ********* --------Riche de 
        son passé, non moins que de ses collections, la Bibliothèque 
        Nationale d'Alger se trouve arrivée à un tournant de sen 
        histoire : elle va bientôt quitter le vieux Palais de Mustapha, 
        qui l'abrita si longtemps, pour s'installer dans un bâtiment neuf, 
        dont la construction commence actuellement au Parc 
        des Sports des Tagarins, au-dessus du stade Leclerc.
 --------Il faut avouer que l'ancienne résidence 
        du dey, charmante à visiter, n'était nullement appropriée 
        à son emploi : pièces obscures et sans air, salle de lecture 
        exiguë, escaliers tortueux et recoins multiples rendant le service 
        impraticable, enfin, défauts capitaux : manque total de place peur 
        l'accroissement des collections et humidité telle que les manuscrits 
        et livres précieux se trouvaient menacés de destruction.
 
 -------Le nouvel immeuble, placé dans un 
        site magnifique, satisfera aux exigences de la technique et de la bibliothéconomie 
        la plus moderne. Il pourra recevoir 500 lecteurs et sera digne d'une Bibliothèque 
        Nationale, digne de l'Algérie.
 Germaine LEBEL. BIBLIOGRAPHIE. - --------Berbrugger 
        (A.) : Bibliothèque-Musée d'Alger.
 -------- Alger, 
        Imprimerie Bastide, 1860, in-16 ; Gavault (Pierre) Notice sur la Bibliothèque-Musée 
        d'Alger.
 -------- Alger, 
        1894, in-8° ; Esquer (Gabriel) : La Bibliothèque 
        Nationale d'Alger, dans La Lecture Publique,
 -------- Paris, 
        E. Droz, 1931, in-12 ; Gautier (E. F.) : Un siècle de colonisation.
 -------- Paris, 
        Alcan, 1930, in-8°, (Voir pp. 125-138, les pages concernant Emile 
        Maupas).
 
 
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