| Étienne 
        ChevalierLe dernier grand paysagiste de l'Algérois (1910-1982)
 par Marion Vidal-Bué
 ETIENNE CHEVALIER fut jusqu'au grand départ 
        de 1962 l'une des figures importantes du monde artistique algérois, 
        connu et apprécié tant pour son grand talent de peintre 
        que pour le rayonnement de sa personnalité, qui s'affirma toujours 
        sympathique, dynamique et chaleureuse, dans son rôle de professeur 
        comme dans tous ses contacts humains.
 Il naquit à Paris le 30 janvier 1910, alors que son père, 
        Henry Chevalier, originaire du Poitou, était étudiant à 
        l'École nationale supérieure des Beaux-Arts. Ce père 
        mérite d'ailleurs à lui seul un article particulier car 
        il devint lui-même par la suite un très attachant peintre 
        de l'Algérie. La famille vécut d'abord plusieurs années 
        dans une vieille demeure poitevine enfouie sous les arbres où, 
        tout enfant, Étienne passait des heures à dessiner dans 
        l'atelier de son père, l'hiver. Dès les beaux jours, il 
        courait la forêt et les champs avec exaltation et toute sa vie, 
        la beauté de cette campagne demeura l'une de ses grandes sources 
        d'inspiration.
 
 Venant prendre son nouveau poste de professeur de dessin au grand lycée 
        d'Alger en 1921, Henry Chevalier y amena naturellement son fils âgé 
        de onze ans. Ce fut dans une villa mauresque d'El-Biar, " La villa 
        des roses ", que se déroula dès lors la vie du jeune 
        garçon dont les qualités précoces de peintre se révélèrent 
        tout de suite évidentes.
 
 Il obtint ainsi d'être inscrit bien avant " l'âge légal 
        " à l'École 
        nationale des Beaux-Arts d'Alger, où Léon Cauvy 
        le reçut avec plaisir dans son atelier de peinture en 1924.
 
 Dès 1925, Étienne participait à sa première 
        exposition au Salon des Artistes algériens et orientalistes, dans 
        une salle réservée aux élèves de l'École 
        pour montrer leurs travaux de l'année, et se faisait remarquer 
        par la fougue de ses paysages. Louis- Eugène Angeli, le critique 
        d'Algéria qui devint son ami, pouvait raconter dans son hommage 
        de 1961: " Les premières toiles ont la violence des premiers 
        enthousiasmes. La facture en est schématique; les tons en aplat 
        de couleur recherchée, leur donnent un aspect décoratif. 
        L'exposition fit grand bruit, je m'en souPiens. Sur un paysage de 1922, 
        le jeune peintre avait été déjà vivement encouragé 
        par Albert Marquet et Émile Gaudissard ".
 
 G. S. Mercier dans L'Écho d'Alger, Victor Barrucand dans la Dépêche 
        algérienne, firent écho à cette personnalité 
        naissante. Quelques années plus tard, ce dernier qualifiera ainsi 
        le " peintre 'ilgérien de la dernière promotion " 
        dans son important ouvrage L'Algérie et les peintres orientalistes 
        paru en 1930: " Etienne Chevalier, jeune barbare étonné 
        de se découvrir, maçonne d'enthousiasme des paysages et 
        des marines avec des contrastes fortement accusés. Sa louche n'hésite 
        pas, elle inaugure et elle affiche hardiment [...] ".
 
 En 1927, deux des trois toiles qu'il proposait furent admises au Salon 
        d'Automne de Paris qui recevait alors les artistes les plus novateurs 
        et le voici sélectionné en 1929 pour le Prix Fénéon, 
        une distinction aussi flatteuse qu'importante pour un artiste de 19 ans.
 
 Il lui fallut ensuite accomplir ses obligations militaires avant de pouvoir 
        partir à Paris en 1931, afin de polir ses dons et d'assurer une 
        véritable maîtrise de son métier. Bien décidé 
        à bénéficier d'un enseignement libre et moderne, 
        il choisit de fréquenter différents ateliers et s'inscrivit 
        en particulier à la fameuse Académie scandinave, où 
        il reçut notamment les leçons de Gromaire. Exposé 
        en 1934 dans l'une des meilleures galeries du Quartier Latin, Jeanne Castel, 
        il eut la chance d'être remarqué par Ambroise Vollard, le 
        célèbre marchand de Picasso et de bien d'autres grands noms, 
        qui s'intéressa à son oeuvre et l'exposa en 1935 à 
        la galerie Marcel Bernheim, en même temps que la fille de Paul Signac. 
        Il participa désormais régulièrement aux salons de 
        peinture parisiens, en optant pour ceux de tendances modernes, Automne 
        et Tuileries, puis Indépendants, de même qu'aux manifestations 
        des peintres d'Alger, sa ville d'adoption où il vint retrouver 
        sa famille fin 1934. Max-Pol Fouchet, qui lui confia l'illustration d'un 
        recueil de ses poèmes édité à Alger chez Baconnier 
        en 1936, lui manifesta également son estime par un bel article 
        dans la revue Beaux-Arts, à Paris la même année, où 
        il écrivait: " Avec Étienne Chevalier, nous sortons 
        des introspections méticuleuses pour respirer l'essentiel de la 
        vie. Une grandiose simplicité nous accueille dans ses peintures 
        [...] Comme l'arbre pousse des racines et des branches, Chevalier peint 
        ". Il disait encore : " Il crée dans un grand rythme 
        vital. Son oeuvre respire d'un incomparable souffle. Son sens poétique 
        revigore par sa simplicité. Il voit grand, il peint large et solide.
 Et de la sincérité de ses toiles naît une source bondissante 
        de lyrisme ".
 
 Après sa participation à l'Exposition artistique de l'Afrique 
        française au Pavillon de Marsan à Paris en 1935, l'Exposition 
        internationale de Paris en 1937 lui fournit une belle occasion de prendre 
        part à un grand évènement public : avec quelques 
        autres des meilleurs artistes de l'Algérie, il fut appelé 
        à contribuer à la décoration du Pavillon de l'Algérie, 
        et réalisa pour sa part un grand diorama représentant les 
        Hauts Plateaux et le " Ksar de Boghari ".
 
        
          |  L'Amirauté d'Alger vue 
              du square Bresson ", (coll. part.). |  L'année suivante, 1938, lui offrit 
        successivement une importante exposition à la galerie " Sans 
        pareil " avenue Kléber à Paris, et la bourse du Gouvernement 
        général de l'Algérie pour la Casa Velazquez à 
        Madrid. Cependant, la guerre civile empêcha le jeune peintre de 
        profiter de la belle expérience espagnole, mémorable pour 
        plusieurs artistes algérois. Il obtint l'autorisation de la transformer 
        en un voyage au Portugal, suivi par un séjour en Italie, où 
        il s'installa à Florence quelque temps. Selon Angeli, toujours 
        lui, Étienne Chevalier devait trouver dans la campagne florentine 
        bien des correspondances avec les paysages du Sahel d'Alger, et sut en 
        dégager toute la subtilité pour aboutir à " 
        des toiles d'un accent nouveau dans leur harmonie colorée, légère 
        et blonde, d'une fine qualité de lumière ". Il mit 
        d'autre part à profit son séjour à Florence pour 
        étudier la fresque et de cette période datent des sujets 
        religieux interprétés de manière toute personnelle, 
        qui ajoutèrent une facette nouvelle à son répertoire, 
        dont un Christ, et des Vierges à l'enfant où l'on sent nettement 
        l'influence de Giotto.
 La guerre, une fois encore, fit alors irruption dans le parcours de l'artiste 
        : mobilisé une première fois en septembre 1939 jusqu'en 
        juillet 1940, puis à nouveau en 1944, il fut alors envoyé 
        dans le Sud tunisien en tant que peintre aux armées, sa démobilisation 
        définitive n'intervenant qu'en 1947. Les conditions de la guerre 
        étaient toutefois bien trop terribles pour que le peintre puisse 
        tirer un bénéfice de cette expérience du Sud pour 
        son oeuvre, qui resta résolument tournée vers la douceur 
        des paysages du Sahel.
 
 Mais entre-temps, en 1940, le Grand prix artistique de l'Algérie 
        lui avait été décerné, couronnant l'oeuvre 
        d'un peintre de trente ans à peine, déjà riche d'une 
        belle carrière. C'est à cette époque que Lucienne 
        Barrucand commentait ainsi son art dans La Dépêche algérienne: 
        " Une grande largeur de style et en même temps quelque chose 
        dans le rendu de laconique, de définitif qui n'appartient qu'à 
        lui, une hardiesse, une vivacité dans les accords de tons pour 
        ainsi dire inédits, mais équilibrées par le prolongement 
        des résonances et par l'extrême souplesse des liaisons; une 
        robustesse et une intensité rarement
 égalées du motif; une invention toujours forte, toujours 
        en éveil, une imagination éprise de diversité, de 
        vérité, une matière picturale incomparablement belle, 
        voilà, à notre avis, ce qui caractérise son oeuvre 
        expressive et féconde, qui ne doit rien à personne ". 
        De son côté, Gustave Mercier affirmait dans L'Écho 
        d'Alger: " Étienne Chevalier nous donne l'impression d'un 
        être plein de santé surgissant tout à coup dans un 
        sanatorium, et son art est comme une bouffée d'air toute chargée 
        de la forte senteur de la terre grasse et de la verdure humide pénétrant 
        largement dans un milieu méphitique ". Santé, vigueur, 
        sincérité, sont les mots que l'on retient le plus souvent 
        pour caractériser la peinture de Chevalier. Ces qualités 
        essentielles se retrouvent dans toutes ses toiles, aussi bien dans ses 
        paysages, l'essentiel de sa production, que dans ses grandes natures mortes. 
        Les paysages, ce sont avant tout ceux du Sahel algérois, la campagne 
        d'El-Biar, 
        de 
        Ben-Aknoun, d'Hydra, 
        de Bouzaréa, 
        les vieilles villas mauresques perdues au milieu des arbres, les vallonnements 
        parfois traversés d'un aqueduc ancien, la plage de Sidi-Ferruch 
        et ses cabanons de pêcheurs, les environs de Guyotville, la terre 
        rouge et les plantations de la Mitidja, les cèdres de Chréa... 
        Mais aussi, toujours, ceux du Poitou jamais délaissé, de 
        Touraine, du pays nantais, du Béarn, où il aime à 
        passer des vacances et pour lesquels il affine son coloris et recherche 
        l'harmonie de la composition.
 
         
          |  " Neige 
              à El-Biar ", (Musée des Beaux-Arts de Bordeaux). |  Les natures mortes le passionnent aussi et 
        il met le même enthousiasme à les construire dans le plus 
        grand classicisme, tout en les brossant avec la hardiesse et la richesse 
        de coloris et de matière qui constituent sa force. Elles mettent 
        souvent en scène fleurs, tentures et instruments de musique comme 
        il se doit dans la grande peinture, et se singularisent par la présence 
        fréquente de trophées de chasse, gibiers à poils 
        ou à plumes. Quelques belles évocations de basses-cours 
        témoignent aussi de son habileté à peindre les volatiles.Quelques 
        portraits (celui de l'érudit professeur William Marçais 
        ornait les murs de l'hôtel de ville d'Alger), quelques scènes 
        de vie paysanne en Poitou, révèlent son admiration pour 
        les maîtres classiques tels que Chardin ou les frères Le 
        Nain, Corot ou Courbet.En 1947, le très influent Jean Alazard, 
        professeur d'histoire de l'art et direc? teur du musée des Beaux-Arts 
        d'Alger, le pressa d'accepter le poste de professeur à l'École 
        nationale des Arts décoratifs à Alger. Aliénant pour 
        cela un peu de sa liberté d'artiste, Étienne Chevalier assuma 
        avec conscience cette fonction et, durant des années, jusqu'à 
        l'indépendance, il se fit apprécier des nombreux élèves 
        auxquels il enseigna la peinture et le dessin, d'après le paysage 
        et le modèle vivant. Ses expositions personnelles dans les meilleures 
        galeries d'Alger (Le Minaret, l'Art de France notamment) ou d'Oran (Galerie 
        Colline), continuèrent avec régularité, fort heureusement 
        pour les amateurs fervents de ses paysages et compositions conçus 
        dans la belle tradition. En France également, à Paris où 
        il figura en bonne place à l'exposition des peintres d'Algérie 
        à la galerie Leleu en 1957, à Nantes où la grande 
        galerie Mignon-Massart le représentait, son nom revenait ponctuellement 
        sur les cimaises. Chevalier devait encore enseigner à Alger jusqu'en 
        1964, ayant été détaché à la coopération 
        pour deux ans. A son retour définitif en France, il occupa de la 
        même manière le poste de professeur à l'Ecole des 
        Arts décoratifs de Limoges, d'octobre 1964 jusqu'à sa retraite 
        en 1977.
 C'est à Jean 
        Brune que nous laisserons le soin de mettre en perspective 
        la place de ce bel artiste dans le contexte artistique algérien, 
        en décelant dans sa peinture, de façon certes très 
        personnelle, un message d'importance: " Etienne Chevalier est ce 
        que j'aime le plus au monde: un harmonieux équilibre entre l'homme 
        et l'artiste; c'est- à-dire une juste notion de la sagesse et de 
        l'audace, une idée précise et concrète de la frontière 
        qui sépare autant qu'elle réunit, les tapages de l'esprit 
        et les murmures du coeur... Enfin le perpétuel souci de ne rien 
        ignorer des doctrines qui s'efforcent de défricher l'absolu sans 
        jamais céder aux outrances superficielles de la mode. Surtout, 
        ce qui fait à mon sens l'aspect le plus précieux de l'oeuvre 
        d'Étienne Chevalier [..1, c'est qu'il est l'un de ceux qui ont 
        le plus contribué à dissiper un mirage: celui de l'orientalisme. 
        À force de chercher de ce côté-ci de la mer des confirmations 
        à ses thèses, le romantisme orientaliste avait fini par 
        inventer de toutes pièces un orientalisme factice qui n'a jamais 
        eu aucun rapport, ni avec les hommes, ni avec le paysage [...]. Chevalier 
        a joué un rôle capital. Sa sincérité et sa 
        franchise l'ont conduit à regarder autour de lui, pour découvrir 
        et pour peindre, la misère des hommes cachée sous le clinquant 
        des oripeaux colorés, et la douce nostalgie des paysages dissimulés 
        derrière l'éblouissant incendie de la lumière. En 
        d'autres termes, il a su arracher aux perspectives nord-africaines l'essentiel 
        de leur secret: le profond aspect occidental. Il a peint les vallonnements 
        capricieux du Sahel algérois comme des bocages français 
        [...]. Il est parvenu à réaliser le seul idéal qui 
        doit animer un artiste, à savoir donner des spectacles de la nature 
        une version neuve et personnelle, dans laquelle les hommes puissent retrouver 
        à la fois une image d'eux- mêmes et un reflet de leurs propres 
        rêves. Mais il a de surcroît gravé en filigrane, dans 
        la magie colorée de la peinture, la leçon infiniment noble 
        d'un message. En somme, le miracle du talent a fait que par le truchement 
        des paysages figuratifs, il est parvenu à suggérer l'idée 
        essentiellement abstraite de la présence française. En cela, 
        il est plus qu'un peintre ".
  0 0 0  uvres d'Étienne 
        Chevalier dans les musées- Musée de Fontenay-le-Comte, Musée d'Art et d'Histoire 
        de Narbonne: " Vue sur le port de l'Agha ", Musée Sainte-Croix 
        de Poitiers : " La route de Draria l'hiver ", " Paysage 
        du Sahel algérien ", " La Tour du Rouet à Beaumont 
        (Vienne) ", " La route de Parigny (Vienne) ".
 
 - Musée national des Beaux-Arts d'Alger: " Neige à 
        El-Biar ", présenté au Musée des Beaux-Arts 
        de Bordeaux lors de l'exposition " L'Ecole d'Alger " en juin 
        2003 " Villas du Sahel près d'Alger ", " Nature 
        morte aux anémones " - " Baie d'Alger vue des Tagarins 
        ", " Amirauté d'Alger ", " La danse " 
        et " La musique ", maquettes : " Vallée du Clain 
        à Poitiers ", " Le château de Dissay, paysage du 
        Poitou ", " Le pain et le vin ". Le catalogue signale deux 
        autres toiles qui ont disparu des collections : " Nature morte à 
        la truite " et " L'atelier dans l'allée "; Musée 
        national Zabana, Oran: le catalogue actuel du Musée national des 
        Beaux-Arts d'Alger mentionne une oeuvre qui fut déposée 
        dans ce musée: " Paysage au bord du Mazafran ".
 
 - Fonds national d'art contemporain " Baie d'Alger ", huile 
        sur toile déposée à la préfecture de la Lozère 
        (Mende).
 
 - Parmi les réalisations publiques de l'artiste à Alger 
        une toile de six mètres sur deux mètres cinquante dédiée 
        à l'exubérance du Sahel algérois pour la brasserie 
        Laferrière.
 
 - Un film en couleur, sonore et parlant, réalisé à 
        Alger par Max Charley, sous le titre " Un grand peintre du Sahel 
        ", dans lequel Etienne Chevalier présente son oeuvre et les 
        paysages qui l'ont inspirée (cité par L.E. Angeli dans Algéria, 
        printemps 1961)
 
 - Une brochure de la série " Les peintres nord-africains ", 
        rédigée par Georges Martin et comportant 25 reproductions 
        d'oeuvres fut publiée par les éditions Fama, 5 rue Négrier, 
        Alger, en 1947.
 
 Marion Vidal-Bué exprime ses sentiments de bien vive gratitude 
        à Mme Colette Simian, MM. Jean-René Chevallier, Alain Loubeyre, 
        Christian Orfila et Gaston Palisser, pour leur précieuse collaboration.
 
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