| --------------Si 
      la création de l'Armée d'Afrique a constitué un phénomène 
      auquel nous sommes tout particulièrement sensibles, il ne faut pas 
      oublier que cet événement eut une répercussion internationale 
      dont nous pouvons, à juste titre, nous enorgueillir. Il y eut des 
      zouaves dans les insurgés qui tentèrent en vain d'obtenir 
      la résurrection de la Pologne, dans les deux camps de la guerre civile 
      américaine, dont les fameux zouaves du Potomac et, chose plus surprenante 
      encore, ce furent des zouaves - les Zouaves pontificaux - qui seront les 
      derniers défenseurs du Trône de saint Pierre sous le commandement 
      de celui-là même qui avait été le premier chef 
      en Algérie, Lamoricière. --------------Juillet 
        1830. - Le Corps expéditionnaire français, que commande 
        le lieutenant-général Louis de Ghaisne, comte de Bourmont, 
        vient de prendre Alger. Exploit d'autant plus remarquable que tous ceux 
        qui, en France, n'étaient pas légitimistes, avaient prédit 
        pour cette armée les pires malheurs. Des Orléanistes aux 
        Républicains en passant par les Bonapartistes, tout avait été 
        dit et fait pour empêcher l'expédition d'Alger et cela s'était 
        accompagné d'inimaginables violences verbales. Uniquement pour 
        des raisons de politique intérieure, on était contre parce 
        que le roi était pour et cela justifiait d'imaginer, voire même 
        de souhaiter pour l'armée une cuisante défaite et pour que 
        ces prévisions aient plus de chance de se réaliser, certains 
        journaux allèrent même jusqu'à publier non seulement 
        l'ordre de bataille et la date de départ de l'armée mais 
        aussi son point de débarquement, et les passions politiques étaient 
        alors telles qu'aucun de ces journalistes n'eut le sentiment de commettre 
        une trahison. Le roi en conçut une irritation qui sera un des principaux 
        motifs qui lui feront promulguer les ordonnances qui déclencheront 
        la Révolution où sombrera la monarchie.--------------L'armée 
        était naturellement très imprégnée des souvenirs 
        de l'Empire. Presque tous les officiers, sauf les plus jeunes, avaient 
        participé à l'épopée, quelques-uns contre 
        l'Empereur, voire même successivement dans les deux camps comme 
        le général en chef, d'où cette chanson de marche 
        que fredonnaient les soldats
 --------------Alger 
        est loin de Waterloo
 --------------On 
        ne déserte pas sur l'eau
 --------------De 
        notre général Bourmont
 --------------Ne 
        craignons pas la trahison
 --------------La 
        légende impériale commençait alors à s'implanter 
        et les souvenirs glorieux s'étaient trouvés singulièrement 
        renforcés par la distribution qui avait été faite 
        à tous les officiers d'un petit ouvrage intitulé Aperçu 
        historique, statistique et topographique sur l'État d'Alger. L'essentiel 
        du texte venait du rapport établi par le commandant Boutin, cet 
        officier du Génie qui, du 24 mars au 17 juillet 1808, avait séjourné 
        à Alger sur les ordres de l'Empereur. Pourquoi cette mission ? 
        Le titre même du rapport Boutin nous le donne. Il s'intitule : " 
        Rapport pour servir au projet de débarquement et d'établissement 
        définitif en ce pays ".
 --------------Ainsi 
        la conquête de l'Algérie faisait partie des projets de l'Empereur 
        et nul doute qu'il eût mis ce projet à exécution pour 
        peu que l'Europe et surtout l'Angleterre lui en eussent laissé 
        le temps et - par parenthèse - c'est là qu'il faut voir 
        les raisons de l'acharnement mis par Napoléon à se maintenir 
        en Espagne et non point des raisons de vanité ou de népotisme. 
        Étant donné l'infériorité de notre marine, 
        un tel projet ne pouvait s'envisager que si la traversée état 
        des plus courtes.
 --------------Si 
        les vues de l'Empereur sur Alger et par voie de conséquence la 
        justification de la guerre d'Espagne dont le poids sera lourd sur le destin 
        de l'Empire n'ont été ressenties que par quelques historiens, 
        il n'en fut pas de même pour les officiers du corps expéditionnaire. 
        L'idée de constituer une milice locale découlait directement 
        de ce qui avait été fait par Bonaparte en 1798. Qui pouvait 
        le savoir mieux que ces interprètes attachés à l'état-major 
        et dont une bonne partie était d'anciens mamelucks de la Garde 
        impériale ?
 --------------Curieusement 
        ce ne fut pas à un de ces " Égyptiens", comme 
        on nommait alors ceux qui avaient fail la campagne de l'An VIII, que l'on 
        doit les premiers contacts avec nos futurs soldats indigènes mais 
        à un pur légitimiste, le colonel Alfred d'Aubignosc qui, 
        dès le 5 juillet 1830, occupa à Alger les fonctions de lieutenant 
        général de la police. Il avait fait précédemment 
        plusieurs voyages dans les pays du Levant, il en parlait les langues et, 
        surtout, un récent voyage à Tunis pour s'enquérir 
        des dispositions pacifiques du bey : là, notre consul, M. de Lesseps 
        (le père de celui qui " inventera" le canal de Suez). 
        lui avait fait rencontrer Yusuf Bey, un des chefs des mamelucks, personnage 
        principal du parti français de la cour beylicale, et qui, chassé 
        de Tunis par une intrigue de palais, viendra le rejoindre à Sidi 
        Ferruch et deviendra un des généraux les plus prestigieux 
        de l'Armée d'Afrique.
 --------------D'Aubignosc 
        et Yusuf prennent contact avec un personnage discret et assez mystérieux, 
        Hadj Abrachman Henni, qui se dit porte-parole de la " nation zouave 
        ". Dès le 12 août 1830, d'Aubignosc peut présenter 
        à Bourmont une " Note pour servir de base à un traité 
        avec la nation zouave ". Le jour même, Bourmort reçoit 
        Hadj Abrachman Henni en présence de d'Aubignosc auquel il prescrit 
        de poursuivre les négociations.
 --------------Que 
        sont donc ces " zouaoua " qui se montrent si promptement désireux 
        de nous servir ? Leur réputation est fort ancienne car dans une 
        relation du siège de Tunis par les Espagnols en 1574 on peut lire 
        : " Les Zouaghis forment une milice redoutable au service de la Sublime 
        Porte. Rien ne peut résister à leur impétuosité. 
        Lorsqu'on les voit au milieu des combats, ils ressemblent à une 
        armée de lions furieux. C'est pourquoi les Ottomans les mettaient 
        toujours au premier rang lorsqu'ils s'agissait de livrer un assaut car 
        pour l'Empereur des Turcs, ils étaient une troupe d'élite. 
        Rien ne peut être comparé à leur agilité et 
        à leur air martial... En outre, ils supportent avec résignation 
        les fatigues de la guerre et les longues marches et cela grâce à 
        une gaieté intarissable qui est un de leurs traits caractéristiques. 
        " Qui ne ressentirait l'étroite ressemblance entre ces Zouaghis 
        et nos Tirailleurs ?
 --------------Le 
        maréchal de Bourmont (il vient d'être élevé 
        à cette dignité par Charles X), est d'autant plus enclin 
        à donner suite à ce projet qu'un raid sur Blidah qu'il a 
        lancé dans les derniers jours de juillet lui a montré la 
        nécessité d'éclairer et de protéger les colonnes 
        qu'il envisage de lancer à travers le pays par un rideau de tirailleurs 
        et de cavaliers. Deux jours après, le 14 août, d'Aubignosc 
        présente au maréchal un " Mémoire exposant les 
        conditions auxquelles Hadj Abrachman Henni offre un corps auxiliaire de 
        2.000 zouaves " et, le 15 août, les 500 premiers zouaves sont 
        recrutés.
 --------------Ainsi 
        il n'aura fallu que cinq semaines pour que soit constitué le corps 
        des Zouaves et cette rapidité prouve à l'évidence 
        que Charles X n'envisageait pas l'expédition d'Alger comme une 
        sorte de coup de main de va-et-vient, pour redorer son prestige, comme 
        on s'est plu si souvent à nous le faire croire, mais bien en vue 
        d'une occupation durable. Sinon comment expliquer la prompte constitution 
        de cette troupe s'il ne s'était agi que d'un bref aller et retour 
        ?
 --------------A 
        partir du 11 août parviennent à Alger les premiers échos 
        de la Révolution et, quelques jours plus tard, confirmation en 
        vient non par une correspondance officielle au commandant en chef mais 
        par une visite de Duperré qui apprend à Bourmont l'abdication 
        de Charles X, l'accession au trône de Louis-Philippe et sa propre 
        élévation à la dignité d'Amiral de France, 
        promotion qui pouvait avoir son explication dans la réticence si 
        fortement marquée par Duperré à voir heureusement 
        aboutir l'expédition d'Alger.
 --------------Le 
        23 août, le maréchal de Bourmont écrit au ministre 
        de la Guerre : " Il existe dans les montagnes 
        situées à l'est d'Alger une peuplade considérable 
        qui donne des soldats aux gouvernements d'Afrique qui veulent les soudoyer. 
        Les hommes dont elle se compose se nomment Zouaves. Deux mille d'entre 
        eux m'ont offert leurs services ; cinq cents sont déjà réunis 
        à Alger. J'ai cru devoir suspendre leur organisation jusqu'à 
        l'arrivée de mon successeur. " Bourmont ne se fait 
        aucune illusion sur le destin de l'expédition d'Alger étant 
        donné l'opposition forcenée de ceux-là même 
        qui viennent de prendre le pouvoir en France. Suspendre l'organisation 
        en cours d'une milice indigène c'est donc rendre service à 
        son successeur qui, pense-t-il, ne peut être qu'un liquidateur, 
        en lui épargnant la tâche d'avoir à licencier les 
        zouaves.
 --------------Envoyé 
        par le gouvernement de Louis-Philippe, le général Clauzel 
        arrive à Alger le 2 septembre 1830 et le 3, Bourmont s'en va sur 
        un bateau autrichien car Duperré, qui avait mis une frégate 
        à la disposition du dey d'Alger refusa d'en faire autant pour celui 
        qui avait été son chef. Sans doute, le choix de Bourmont 
        pour commander le corps expéditionnaire n'avait pas été 
        heureux et hors de toute critique politique, l'armée n'avait pas 
        apprécié d'être mise sous les ordres de celui qui 
        avait déserté à Ligny mais force est de reconnaître 
        que dans les derniers actes de son commandement, Bourmont fit preuve d'une 
        dignité qui fit singulièrement défaut au nouveau 
        gouvernement. Pour n'en citer qu'un exemple, lorsque les restes du lieutenant 
        Amédée de Bourmont, qui avait été tué 
        à Staouéli, arrivèrent à Toulon, les douaniers 
        reçurent l'ordre d'ouvrir le cercueil pour s'assurer qu'il ne contenait 
        rien d'autre que le corps de la victime. Louis- Philippe dont on sait 
        l'avarice entendait ne rien négliger dans la destination qu'il 
        réservait au trésor de la Casbah.
 --------------Les 
        pieds-noirs seront moins ingrats que les gouvernements. En 1880, les habitants 
        d'un petit village de colonisation installé à Foum Toub, 
        en bordure de l'Aurès, demanderont que le village s'appelle " 
        Bourmont ". Bien sûr, ce sera refusé.
 --------------Le 
        général Clauzel a ordre de faire rembarquer une partie des 
        troupes mais en revanche n'a reçu aucune directive sur la politique 
        à suivre. Les Algériens, que notre rapide victoire avait 
        frappés de stupeur se redressent en constatant notre indécision 
        (que leur commente le consul d'Angleterre) et Clauzel n'a d'autre solution 
        que de reprendre le projet Bourmont-d'Aubignosc sur les zouaves.
 --------------Ainsi 
        les atermoiements du gouvernement vont-ils tout à la fois favoriser 
        la création de l'Armée d'Afrique (ce qu'il ne désirait 
        pas) et faire sourdre une insurrection qui demandera de longues années, 
        beaucoup de sang et de larmes avant d'être étouffée.
 --------------Après 
        avoir, le 8 septembre, avisé le ministre de la Guerre de ses intentions 
        et reçu son accord, le général Clauzel prend, le 
        ter octobre 1830, un arrêté précisant qu'il sera formé 
        un bataillon de zouaves dont le complet sera de 22 officiers et 673 hommes.
 --------------Pour 
        l'encadrement, on fait appel à tout le corps expéditionnaire. 
        Maumet, Duvivier, Levaillant, Vergé et Lamoricière, qui 
        sera général à trente-quatre ans avec d'éblouissants 
        états de service, seront les premiers à répondre 
        à cet appel, bientôt suivis par de nombreux autres volontaires 
        car, le 4 octobre, les quatre compagnies existantes 
        de zouaves, à l'avant-garde d'une colonne, atteignent et bousculent 
        les premiers éléments de la mehalla que le bey de Titteri 
        envoie contre nous. Ce modeste engagement déclenche un enthousiasme 
        tel que le général Clauzel a bientôt les cadres de 
        deux bataillons et, le 8 octobre, il avise le ministre de la Guerre qu'il 
        songe à en former un troisième recrute des " Zouaves 
        à cheval " et qu'il " traite 
        en ce moment pour avoir ce dernier corps ". Cette courte 
        phrase est le bulletin de naissance des Chasseurs d'Afrique, qui ne sont 
        pour l'heure que des Zouaves à cheval et ne tarderont pas à 
        s'appeler " Chasseurs algériens " à Alger 
        ou encore " Chasseurs numides " à Oran avant de 
        prendre le titre définitif de " Chasseurs 
        d'Afrique ".
 --------------Les 
        débuts des zouaves ne sont pas aussi idylliques que pouvait le 
        faire espérer l'escarmouche du 4 octobre. Les problèmes 
        à résoudre sont énormes, armement et habillement 
        font défaut. Aux difficultés de langue pour les cadres s'ajoutent 
        pour les hommes des difficultés à se soumettre à 
        notre discipline militaire : prompts aux combats, les zouaves seront aussi 
        prompts à la désertion. Il faudra toute la volonté, 
        tout l'enthousiasme des cadres pour plier peu à peu cette troupe 
        rétive à nos principes et en faire un corps solide dont 
        la réputation ira grandissant.
 --------------Les 
        difficultés sont les mêmes aux Zouaves à cheval. Pour 
        en faciliter la constitution, le général Clauzel y a incorporé 
        une petite troupe de " mamelucks " que Yusuf a lui-même 
        recrutés et qu'il paye de ses propres deniers après avoir 
        vendu les riches armes qu'il avait rapportées de Tunis, Le chef 
        d'escadron Marey prend le commandement des Chasseurs algériens 
        où Yusuf est nommé capitaine à titre provisoire.
 --------------Devant 
        l'attitude de plus en plus circonspecte du gouvernement et le rappel en 
        métropole de nombreuses unités ne lui laissant plus que 
        6 régiments, Clauzel imagine une solution de mise en gérance 
        de l'Algérie au profit de princes de la cour de Tunis. Cette initiative 
        est à l'origine d'un conflit avec le gouvernement. Il est rappelé 
        et remplacé par le lieutenant général baron Berthezène. 
        Juste avant son départ, Clauzel avait, en désespoir de cause, 
        essayé de mobiliser les civils en une sorte de garde nationale 
        baptisée " Milice africaine " mais cette tentative 
        se solde par un échec car la maigre population d'Alger s'occupe 
        plus de faire ses bagages de retour que de courir aux créneaux.
 --------------La 
        période du 20 février au 2F décembre 1831 pendant 
        laquelle le général Berthezène va commander la " 
        Division d'occupation ", nouveau titre du corps expéditionnaire 
        sera une des plus angoissantes de toute l'histoire de l'Algérie.
 --------------L'arrivée 
        du général Berthezène avait été précédée 
        de quelques jours par l'étonnant débarquement de quelque 
        trois cents hommes vêtus comme pour une mascarade de tous les rebuts 
        des magasins d'habillement depuis quarante ans. Mélange hétéroclite 
        de tous âges, affligeant assemblage d'hommes sans discipline ni 
        instruction militaire, sans chefs hors ceux qui présentaient des 
        certificats signés par les marchands de vin de leurs quartiers. 
        Cette cohue, chantant la Parisienne traverse Alger. Ce sont les " 
        industriels ", les " volontaires de la Charte ", 
        les " Parisiens ", autant de noms prouvant le caractère 
        incohérent de leur formation. Ce sont, parmi les " combattants 
        de juillet" ceux qui ont suivi les fallacieuses promesses d'un 
        aventurier belge qui avait substitué à son nom Lacroix, 
        celui, mieux sonnant, de baron de Boégard et qui, de surcroît, 
        s'était attribué le grade de lieutenant général.
 --------------Regroupant 
        tous les Zouaves dans le premier bataillon, Berthezène incorpore 
        les meilleurs de cette horde dans un " Bataillon auxiliaire d'Afrique" 
        dont les cadres sont ceux de l'ex-2e bataillon de Zouaves. Duvivier, aidé 
        de Lamoricière comme adjudant-major, va s'employer à faire 
        une troupe valable des seize compagnies de fusiliers et des deux compagnies 
        d'ouvriers qui composent ce bataillon.
 --------------On 
        comprend certes la hâte du gouvernement de Louis-Philippe de débarrasser 
        la métropole de cette bande qui, coûteuse, aurait pu devenir 
        dangereuse mais cela ne justifiait pas de faire de l'Algérie le 
        dépotoir de la France. Le bataillon auxiliaire deviendra le 67e 
        régiment d'infanterie. Il aura de remarquables états de 
        service mais tout le mérite en revient à Duvivier et à 
        Lamoricière et non pas à la sollicitude du pouvoir.
 |  | --------------A 
        Alger, l'insécurité est devenue totale, le moral est au 
        plus bas, les tribus se ruent à l'assaut pour piller et égorger. 
        Une colonne sortie d'Alger le 1er mars connaît un tel climat de 
        pagaille et de contre-ordres qu'elle échoue. Celle du 7 mars se 
        perd dans le brouillard. Berthezène, se sentant dépassé, 
        demande, le 15 avril, son rappel mais se voit néanmoins obligé, 
        pour donner de l'air à Alger, de lancer une forte colonne sur Médéa.--------------Elle 
        y arrive sans trop de combats le 29, se replie aussitôt mais dans 
        des difficultés inouïes, assaillie de toutes parts, arrière-garde 
        mêlée au convoi des blessés ; les Kabyles réussissent 
        à tronçonner la colonne, la retraite tourne à la 
        déroute ; les Kabyles hurlants assaillent de tous côtés 
        la colonne en panique. Alors, le général Berthezène 
        se retrouve le vaillant soldat qu'il avait été. Il saisit 
        un drapeau, le plante au sol, regroupe autour de lui quelques braves, 
        rappelle le bataillon Duvivier, Zouaves et Parisiens, au coude à 
        coude, barrent la route et leur attitude calme et cohérente en 
        impose aux ennemis qui deviennent moins mordants. Les troupes se débanderont 
        une deuxième fois au passage de la Chiffa mais les Chasseurs algériens, 
        entraînés par Marey et Yusuf, ont attiré les cavaliers 
        arabes sur une fausse piste. Sans ce subterfuge, la colonne entière 
        eût été mas
 sacrée. Elle rentre à Alger le 5 juillet, triste de ses 
        pertes, honteuse de son attitude, notre prestige auprès des indigènes 
        ruiné mais dans leur hâte, les tribus vont nous attaquer 
        en ordre dispersé ce qui va nous permettre de redresser la situation. 
        Le 17 juillet, le prince de Joinville (il a treize ans) passe une rapide 
        revue de nos troupes entre deux combats. Il fera de cette scène 
        une aquarelle et notera dans ses Vieux souvenirs la fière allure 
        des Zouaves et des " voyous parisiens ".
 --------------Les 
        princes, ses frères, viendront eux aussi, plus tard, en Algérie 
        en hommes de cur qu'ils étaient et par un phénomène 
        que nous verrons bien des fois se reproduire, ils deviendront d'ardents 
        partisans du maintien de la France en Algérie et réussiront 
        à convaincre Louis-Philippe d'infléchir son ostracisme contre 
        notre possession d'Alger.
 --------------Dans 
        les mêmes temps, le général Pierre Boyer, que les 
        Espagnols avaient surnommé Pierre le Cruel, vint prendre le commandement 
        à Oran. Avec une souplesse et une finesse qu'on ne lui soupçonnait 
        pas il réussit à enrôler sous nos drapeaux après 
        les avoir détachés des Marocains, Moustafa ben Ismaïl, 
        cheikh des Douairs et Moussad, cheikh des Sméla. Ce faisant, le 
        général Boyer venait de nous donner la clef de la conquête, 
        que de jeunes officiers sauront utiliser pour mener la pacification à 
        son terme. Sous l'autorité des Turcs, le pouvoir aux échelons 
        subordonnés avait appartenu successivement aux chefs aristocratiques 
        et aux chefs religieux. Les Turcs disparus, on ne pouvait installer la 
        paix française qu'en s'alliant avec les uns contre les autres, 
        les chefs religieux n'ayant comme fédérateur entre eux que 
        la djihad, la guerre sainte, c'est avec les chefs aristocratiques qu'il 
        fallait s'allier. Avoir compris cela en 1831 prouve l'intelligence politique 
        du général Boyer. Le courage de Mustafa ben Ismaïl, 
        son autorité sur les Douair autant que sa fidélité 
        lui vaudront les étoiles de général mais c'est en 
        se battant comme un sous-lieutenant de cavalerie légère 
        à quatre-vingts ans qu'il sera tué dans nos rangs. Progressivement, 
        les tribus, qui se rallieront à nous, fourniront également 
        des goums dont la participation dans nos opérations jouera un rôle 
        très important.
 --------------Le 
        gouvernement prend enfin en considération la demande du général 
        Berthezène d'être déchargé de ses responsabilités. 
        Il est remplacé, le 26 décembre 1831, par le lieutenant 
        général Savary, duc de Rovigo.
 --------------Il 
        y avait en France de très nombreux réfugiés politiques 
        à la suite de l'ébranlement causé dans toute l'Europe 
        par la Révolution de 1830. Il y avait aussi les débris des 
        régiments suisses de la Monarchie, quatre régiments d'infanterie 
        de ligne, deux de la garde et le régiment e Hohenlohe qui avaient 
        été licenciés. De même qu'on s'était 
        débarrassé des Volontaires de la Charte en les envoyant 
        en Algérie, on prit les mêmes mesures envers l'afflux d'étrangers 
        et la loi du 9 mars 1831 créa une Légion étrangère 
        qui ne devait être employée qu'en dehors du territoire métropolitain. 
        On en forma six bataillons et demi. Les mêmes motivations feront 
        créer, en juin 1832, deux bataillons d'infanterie légère 
        d'Afrique avec des hommes provenant des compagnies de discipline et des 
        condamnés civils. Ce seront les " Zéphyrs ", plus 
        tard les " Joyeux ".
 --------------Il 
        est vrai que la Légion deviendra le merveilleux outil de la colonisation 
        française. Il est vrai que les Zéphyrs sauront renverser 
        l'opinion en leur faveur après quelques exploits comme la défense 
        de Mazagran. Il est vrai que le 67e de ligne, ex-Volontaires de la Charte, 
        sera un des plus valeureux régiments de cette époque. Il 
        est vrai aussi que les Zouaves ne tarderont pas à se tailler une 
        réputation mondiale. Il est vrai enfin qu'entre troupe et officiers 
        va se produire une symbiose à base de sollicitude de l'officier 
        pour le soldat et de confiance du soldat pour l'officier, symbiose qui 
        est le vrai ressort de l'extraordinaire et durable réputation qui 
        va faire de l'Armée d'Afrique un outil que le monde entier nous 
        enviera, mais il est aussi vrai que tous ces corps ne furent constitués 
        que pour débarrasser le gouvernement d'éléments indésirables 
        en métropole vers une Algérie qu'on ne voulait pas garder.
 --------------C'est 
        tellement vrai que, deux ans plus tard, en juin 1834, lorsque sera signé 
        avec Abd-el-Kader le très mauvais traité de la Tafna dont 
        on ne découvrira que plus tard - trop tard - toutes les lacunes 
        et toutes les faiblesses, mais qui aura réussi à donner 
        pendant quelques mois l'illusion de la paix, cela sera aussitôt 
        mis à profit pour se débarrasser de la Légion et 
        la céder à Isabelle d'Espagne pour soutenir sa lutte contre 
        don Carlos.
 --------------Le 
        31 juillet 1835, 123 officiers et 4.021 légionnaires s'embarqueront 
        pour Palma. Quand cette Légion rentrera en France, le 8 décembre 
        1838, il y aura un peu moins de 500 survivants. Dans cette aventure où 
        sera tué le général Conrad, un officier se distinguera 
        entre tous par sa bravoure, réputation difficile à acquérir 
        au milieu de ces experts en bravoure que sont les Légionnaires, 
        le capitaine Bazaine.
 --------------Revenons 
        en 1831. L'ordonnance royale du 21 mars officialise les Zouaves en décrétant 
        qu'il pourra être formé en Algérie, des bataillons 
        de Zouaves dont le complet sera de 30 officiers et 900 hommes. Le 17 novembre 
        de la même année vit la création de deux régiments 
        de cavalerie légère sous le nom de " Chasseurs d'Afrique 
        ". Le premier régiment constitué à Alger recevra, 
        nous dit l'ordonnance royale, " les deux escadrons de Chasseurs algériens 
        qui cesseront dès ce moment d'appartenir au corps des Zouaves ". 
        Le deuxième, levé à Oran, eut pour noyau initial 
        les " Chasseurs numides " que le général Boyer 
        avait constitué avec des Turcs du baylik d'Oran que, contrairement 
        à Alger, on avait su ne pas licencier.
 --------------Le 
        29 avril 1832 entrèrent au service de la France 125 cavaliers turcs 
        ayant servi le dey sous le titre de " spahis " et qui s'étaient 
        signalés par leurs démêlés avec les janissaires. 
        Le 16 juin suivant on leur adjoignit 300 cavaliers arabes qui furent retirés 
        du 1er Chasseurs d'Afrique car on commençait à se rendre 
        compte que la cohabitation des Français et des indigènes 
        soulevait de nombreuses difficultés. Tel fut le premier groupement 
        de " Spahis " encore dit " Spahis irréguliers " 
        et dont les uniformes disparates n'avaient qu'un seul élément 
        commun à tous, un burnous vert. Ce ne sera que le 10 septembre 
        1834 qu'ils prendront le nom de " Spahis réguliers d'Alger". 
        Les Spahis réguliers d'Oran, commandés par Yusuf 
        et où servira un élève-trompette - du Barail - qui 
        terminera sa carrière comme général et ministre de 
        la Guerre, ne seront créés qu'en août 1836, en même 
        temps que ceux de Bône.
 --------------Les 
        difficultés de cohabitation entre Français et indigènes 
        existaient aussi dans l'infanterie. Une solution provisoire avait été 
        de grouper les indigènes dans des compagnies distinctes mais parallèlement 
        des corps d'infanterie entièrement indigènes avaient été 
        créés. En mars 1832, Yusuf lève un bataillon turc 
        à Bône. En 1833 ce sera la compagnie turque de Mostaganem 
        qui deviendra peu après Bataillon turc d'Oran. En 1837 on lèvera 
        un bataillon turc à Constantine. Dans la province d'Alger ce seront 
        en 1839 les compagnies de tirailleurs de Blida et de Kolea qui, avec deux 
        compagnies de Coulouglis levées en 1840 formeront le " Demi-bataillon 
        indigène du Titteri ".
 --------------Chaque 
        province a alors un ou deux bataillons indigènes et le duc d'Orléans, 
        convaincu par Bugeaud et par Lamoricière de l'intérêt 
        des troupes indigènes, va s'employer auprès du roi pour 
        obtenir de lui que l'Armée d'Afrique prenne en considération 
        ces troupes. A la fin de 1841 une ordonnance donne à notre armée 
        d'Algérie une constitution qui durera jusqu'en 1962 : Zouaves, 
          
        Tirailleurs, Chasseurs d'Afrique, Spahis, 
         Légion, 
        Bataillons d'Afrique.
 --------------Entre 
        1830 et 1841 existèrent quantité de corps éphémères 
        comme le Bataillon des tirailleurs d'Afrique, de 1836 à 1838, qui 
        fut constitué avec des volontaires qui auraient servi à 
        la Légion si celle-ci n'était devenue une troupe espagnole 
        ; comme les Moukhalias du capitaine Walsin-Esterhazy dont parle le maréchal 
        Clauzel dans une lettre du 14 décembre 1835 au ministre de la Guerre 
        en décrivant son armée " précédée 
        par les Turcs et les Arabes du bey Ibrahim dont les nombreux étendards 
        bariolés étaient déployés et qui marchaient 
        au bruit aigu et si original de leur musique militaire " ; comme 
        les Maghzen d'Alger, de 
        Blida, de Médéa, 
        d'Oran, qui groupaient 1.600 cavaliers ; comme aussi les Gendarmes maures 
        du capitaine d'Allonville, qu'on ne peut se contenter de citer et sur 
        lesquels il faut s'attarder un peu.
 --------------Leur 
        origine est modeste : une dizaine de cavaliers indigènes au service 
        de l'agha des Arabes dès juillet 1830, sous le nom de " Guides 
        de l'Armée ". Le duc de Rovigo inventa pour eux le nom de 
        " Gendarmes maures " et répondit au ministre qui s'étonnait 
        de cette nouvelle création que " si l'on devait utiliser la 
        gendarmerie aux missions qu'il réservait aux gendarmes maures, 
        il faudrait adjoindre un interprète à chaque gendarme ". 
        Le 7 août il augmente leur effectif. Le corps ne prit son plein 
        développement qu'en 1833 lorsque le général Voirol, 
        envisageant la suppression des Spahis, proposa l'augmentation parallèle 
        des gendarmes maures, précisant qu'" outre le service de surveillance 
        fait concurremment avec les gendarmes français, ils sont envoyés 
        dans les tribus hostiles pour se renseigner et servir de guides à 
        l'armée ". Ils furent alors placés sous le commandement 
        du capitaine d'Allonville qui, outre ses qualités d'audace et de 
        coup d'oeil faisant de lui le type même de l'officier de cavalerie 
        d'avant-garde, se signalant par ses initiatives, son non-conformisme et 
        son mépris des règlements. Comme on lui laissa carte blanche, 
        il s'en donna à coeur-joie et décida de nommer lui-même 
        ses officiers. C'est à ce titre qu'il recruta le fils d'un vieux 
        maréchal-des-logis de gendarmerie débarqué à 
        Alger en 1830. Ce jeune homme était chevalier de la Légion 
        d'honneur à dix-neuf ans. En 1841 les Gendarmes maures sont dissous 
        et incorporés aux Spahis réguliers d'Alger. Alors le jeune 
        lieutenant, qui n'a pas de statut régulier, s'engage comme cavalier 
        de 2° classe aux Chasseurs d'Afrique. Il aura un avancement rapide 
        et glorieux puisque c'est comme général de division qu'il 
        sera tué à Sedan, en 1870. Telle fut la carrière 
        du général Margueritte.
 --------------Si 
        nous avons tenu à citer ces corps éphémères, 
        c'est pour montrer tout le pragmatisme qui présida à la 
        création de l'Armée d'Afrique. D'un bout à l'autre 
        de l'échelle des grades on voit de jeunes officiers, depuis les 
        princes jusqu'aux sous-lieutenants, prendre les initiatives que leur commandent 
        leur audace et leur générosité. Pendant dix ans, 
        un lot exceptionnel de guerriers va inventer, organiser, convaincre, essayer 
        mille solutions et finalement obtenir une Armée d'Afrique que le 
        gouvernement dont nous avons dit toutes les réticences finira pourtant 
        pas accepter, puis par soutenir.
 --------------Des 
        innovations extra-réglementaires, voire même antiréglementaires, 
        cette jeune armée vibrante et vivante en est pleine, que ce soit 
        la casquette qui remplace rapidement l'incommode shako ou la czapska anachronique 
        des Chasseurs d'Afrique, que ce soit la guitoune, la tente individuelle 
        faite à l'origine dans des sacs à distribution décousus, 
        que ce soit la copieuse cartouchière ventrale remplaçant 
        la giberne trop petite et dont la banderole écrasait la poitrine, 
        que ce soit même le petit tonnelet individuel, d'abord en bois, 
        ancêtre du bidon de deux litres, toutes ces inventions marqueront 
        les étapes de l'adaptation de ces guerriers à une forme 
        de guerre que nul, au début, ne connaissait.
 --------------Sans 
        doute y aura-t-il des erreurs qui seront sanctionnées par des échecs 
        ; sans doute y aura-t-il des outrances qui n'auront pas de lendemain comme 
        les fantaisies du colonel Letang quant à la vesture de la tête 
        de colonne de son 2° régiment de Chasseurs d'Afrique, mais, 
        pour bien les comprendre, il faut aller au-delà de ce non-conformisme, 
        au-delà de ces fantaisies et saisir que tous ces jeunes officiers 
        vont donner à cette naissante Armée d'Afrique un enthousiasme, 
        un idéal, une physionomie toute nouvelle et que, sur ces bases, 
        les meilleurs d'entre eux inventeront une tactique appuyée sur 
        une connaissance de plus en plus approfondie des archétypes secrets 
        de leurs adversaires. Alors, peu à peu, au lieu de subir leur guerre, 
        ils imposeront la leur jusqu'à la victoire qui ne sera pas la défaite 
        de nos adversaires mais leur ralliement.
 --------------Et 
        pour les meilleurs de ces jeunes officiers, pour ceux qui surent penser 
        en même temps qu'agir, un avancement digne du 1er Empire viendra 
        augmenter leur rayonnement. Né en 1806, Lamoricière est 
        capitaine à vingt-sept ans et général à trente-quatre 
        ans. La carrière de Cavaignac est à peine moins brillante 
        et Changarnier, surnommé " le général Bergamotte 
        " pour son élégance raffinée, ne devra qu'à 
        l'animosité de Bugeaud d'avoir eu un avancement à peine 
        plus lent.
 --------------Cette 
        extraordinaire jeunesse, cet enthousiasme, cet idéal, ce patriotisme 
        vont déborder de l'Algérie et venir contrebalancer sur les 
        Grands Boulevards parisiens les jérémiades du romantisme 
        et de là gagner les provinces.
 --------------Parce 
        qu'ils dessinent, parce qu'ils écrivent beaucoup, qu'ils clament 
        leur joie profonde sans cacher leurs efforts, ils vont séduire, 
        enflammer tous ceux qui dissimulent derrière leur dandysme une 
        soif d'aventure et d'idéal.
 --------------Fleury 
        qui sera le confident de Napoléon III, s'engage aux Spahis après 
        un dîner avec Yusuf, Bruyère, fils d'un général 
        du ter Empire, en fait autant, suivi de Curely, le fils du célèbre 
        cavalier léger de Napoléon, un fils de Talma, le baron Lambert 
        et bien d'autres.
 --------------Tous 
        les éléments sont maintenant en place, l'élan est 
        donné, l'Armée d'Afrique existe. D'abord sélection 
        de quelques quarterons de jeunes officiers dynamiques au sein du corps 
        expéditionnaire qui groupait lui-même les meilleurs éléments 
        de l'Armée, leur enthousiasme a fait tache d'huile au point de 
        drainer vers eux dans toute la nation les jeunes hommes les plus audacieux, 
        les plus entreprenants et dont beaucoup resteront dans cette Algérie 
        qu'ils ont appris à aimer. Ils seront une des bonnes bases des 
        pieds-noirs auxquels ils communiqueront leur enthousiasme et leur sens 
        de la grandeur de la patrie.
 Michel SAPIN-LIGNIERES |