| --------------Gravés 
        dans la mémoire des hommes, les faits d'armes mesurent aussi la 
        valeur d'un peuple, même quand les troupes engagées sont 
        peu nombreuses. Ainsi pour l'Armée d'Afrique, la bataille de Mazagranoù pendant trois jours et trois nuits cent vingt-trois fantassins 
        soutiennent un siège contre un ennemi déployant un courage 
        étonnant...
 --------------Blanchissant 
        la plaine, quinze mille arabes issus de cent vingt tribus se sont assemblés 
        sous les ordres d'Abd 
        El-Kader. Cette imposante masse, recrutée parmi les 
        meilleurs guerriers, a comme tête de colonne un bataillon de réguliers 
        à pied, solides gaillards exercés aux manuvres et 
        admirablement disciplinés. Avec eux, mille deux cents jeunes gens, 
        volontaires de douars qui ont inscrit leurs noms sur un livre ouvert par 
        l'émir, après avoir fait le serment solennel devant les 
        marabouts de vaincre ou mourir. Derrière ces fantassins viennent 
        les plus intrépides cavaliers de la vallée du Chelif : douze 
        mille cernant Mazagran. Enfin deux pièces d'artillerie établies 
        sur un plateau à six cents mètres des assiégés, 
        servies par d'habiles renégats, menacent les murailles en pierres 
        sèches du réduit.
 --------------Mazagran, 
        pour lequel on se battra, est alors un petit village indigène à 
        trois kilomètres de Mostaganem, sur une hauteur d'où l'on 
        voit la mer. Au sommet : un semblant de redoute pompeusement nommée 
        Casbah. Elle est composée au centre d'une mosquée ruinée, 
        de quelques masures reliées entre elles par un mur de pisé 
        assez branlant qu'on n'a pas eu le temps de réparer, défendu 
        seulement par deux canons et cent vingt-trois soldats les Zéphyrs 
        (1), commandés par le capitaine Lelièvre de la l0e compagnie 
        du ter bataillon d'Afrique.
 --------------Une 
        certaine agitation gagne les indigènes dans les jours qui précèdent 
        l'attaque. Cependant les soldats n'en avertissent pas la garnison de Mostaganem 
        craignant, ces sabreurs, de passer pour poltrons.
 --------------Le 
        3 février au matin, le lieutenant Magnien, qui se dirige vers Mostaganem, 
        voit soudain des bandes nombreuses d'Arabes se glisser entre Mazagran 
        et lui. Plutôt que de donner l'alerte, il préfère, 
        au risque de sa vie, revenir sur ses pas, s'apercevant alors que les parties 
        basses de la bourgade sont déjà occupées. Bien que 
        les Zéphyrs surprennent les assaillants par la promptitude de leurs 
        réflexes, ceux-ci, au nombre de deux cents, s'emparent des maisons 
        alors que les colonnes de l'émir débouchent des plis du 
        terrain où elles se cachaient. Sur la route s'élève 
        un nuage faisant croire aux assiégés que le bataillon de 
        la ville vient les dégager. Mais l'espérance se dissipe 
        avec la poussière qui découvre, à perte de vue, la 
        plaine couverte d'ennemis. Toute résistance s'avère impossible, 
        ce qui décuple le courage des Zéphyrs, prêts à 
        vendre chèrement leur vie.
 --------------Rapidement 
        les canons ennemis ouvrent une brèche dans le vieux mur, chaque 
        fois promptement bouchée, tandis que les assiégeants essuient 
        de lourdes pertes et que sont tués les artilleurs renégats. 
        Voulant alors en finir rapidement avec ces murailles croulantes qui ne 
        sauraient résister à leur pression, les Arabes décident 
        de donner l'assaut et s'élancent fougueusement en ordre serré. 
        D'impressionnantes décharges meurtrières éclaircissent 
        leurs rangs, les obligent à se retirer aussitôt, ce qui conforte 
        le moral des défenseurs et stimule leur hardiesse. Dans Mostaganem, 
        proche de trois kilomètres, on entend le bruit du canon. Cependant 
        la faible garnison ne peut abandonner la ville, malgré les provocations, 
        car elle serait très vite investie.
 --------------Après 
        l'échec de l'assaut et voulant recommencer le lendemain, les chefs 
        Arabes décident de cribler la muraille au point de la réduire 
        en poussière. Le soir, l'enceinte est effectivement un amas de 
        ruines au prix, cependant, d'effroyables pertes chez les attaquants. Pendant 
        la nuit la petite garnison s'emploie si bien à relever les murs 
        et boucher les trous qu'au matin l'ensemble paraît plus solide que 
        la veille, ce qui consterne l'ennemi décidé à donner 
        un nouvel assaut en changeant de tactique toutefois : ramper jusqu'à 
        la muraille plutôt que de foncer à découvert. Mais 
        c'est encore une déconvenue plus cuisante que celle de la veille.
 --------------Cependant, 
        du côté Français, le bombardement des murailles est 
        jugé alarmant. Les colmatages de la nuit précédente 
        ont été entamés un peu partout. De plus, on recense 
        maintenant une bonne dizaine de blessés. Courageusement les hommes 
        valides se mettent au travail avec la complicité de cette seconde 
        nuit.
 --------------La 
        deuxième journée commence par un bombardement très 
        nourri cependant que les troupes arabes s'éparpillent et cernent 
        le fort, obligeant la petite garnison à se diviser pour défendre 
        le camp retranché. Le lieutenant Magnien dirige les servants d'artillerie, 
        le sous-lieutenant Durand garde la porte d'accès et les deux flancs 
        qu'elle commande, pendant que le sergent-major surveille le reste du dispositif. 
        Sur chaque point, une poignée d'hommes seulement pour repousser 
        les masses ennemies qui s'approchent à l'abri des broussailles, 
        munies de madriers et de perches. Tandis que certains grimpent aux murailles, 
        d'autres utilisent leurs madriers comme béliers, entament et renversent 
        la muraille. L'héroïsme se manifeste partout et pendant une 
        heure on se bat au milieu des clameurs, des hurlements, dans un nuage 
        d'épaisse fumée.
 (1) Zéphyr : nom donné aux soldats des bataillons d'infanterie 
        légère d'Afrique ayant commis quelque faute.
 |  | ---------------La 
        seconde phase est plus terrible encore. Alors qu'inlassablement les Zéphyrs 
        repoussent leurs agresseurs, au plus fort de l'attaque et alors qu'on 
        ne s'y attend pas, la terre tremble de partout sous le pas de trois mille 
        chevaux. Ce sont les cavaliers de l'émir qui s'élancent 
        farouchement contre le fort vaillamment défendu par la petite troupe 
        qui, sueur au front, sauf aux yeux, baïonnette au poing reçoit 
        des chocs furieux. Haletants, assoiffés, recrus de fatigue, les 
        Zéphyrs vont succomber quand un caporal prend un obus, l'allume 
        et le lance au milieu des assaillants, tuant ou blessant une trentaine 
        d'hommes. D'autres obus et grenades suivent, arrêtant les plus intrépides 
        des assaillants. A chaque détonation un grand vide se fait chez 
        l'ennemi où les rangs se forment et se serrent en vain, semant 
        le découragement même chez les plus hardis. L'attaque se 
        ralentit finalement. Longtemps les cavaliers et fantassins arabes demeurent 
        en position sous la redoute, sans avancer ni reculer, tentant deux ou 
        trois timides essais, repoussés chaque fois par des jets de grenades. 
        Alors que tombe la nuit chacun panse ses blessures, dénombre ses 
        morts et ses blessés.--------------Le 
        5 février au matin, la petite troupe constate sur place que les 
        Arabes ont amené un renfort d'artillerie. Quant à la garnison 
        de Mostaganem, qui se morfond dans ses murs, elle sait bien que quitter 
        la ville c'est la livrer à l'émir, compromettant ainsi nos 
        positions dans toute cette partie du pays qui aurait tôt fait de 
        pactiser avec le vainqueur. Finalement, le colonel Dubarrail décide 
        de faire une sortie au moment de l'assaut de Mazagran afin d'inquiéter 
        l'ennemi. Dès qu'ils voient cette petite colonne témérairement 
        s'aventurer hors des murs de la ville, les Arabes accourent en foule, 
        s'élancent en fourrageurs, poussent des cris sauvages. Le colonel 
        les laisse arriver à bonne portée puis fait tirer le canon 
        et des salves de fusils qui les arrêtent net. L'ennemi tente alors 
        plusieurs manoeuvres pour envelopper ces trois cents hommes mais Dubarrail 
        déjoue habilement chacun de leurs pièges, faisant même 
        tirer sur eux les canons de la ville. Finalement, cette multitude s'épuise 
        en tentatives inutiles car elle est poussée sans ensemble et les 
        exhortations des chefs restent vaines.
 --------------Peu 
        à peu, cependant, les Arabes se ressaisissent. Une ligne épaisse 
        et large de cavaliers déterminés se forme derrière 
        les escarmoucheurs, six mille au moins, sur une profondeur énorme 
        et un front de cinq cents mètres. Tout à coup le sol tremble, 
        la poussière s'élève en épais nuages. Ayant 
        pris le galop trop loin, la cavalerie ennemie s'emballe et bientôt 
        le désordre règne. Chaque cheval touche par un obus en entraîne 
        vingt autres, provoquant la confusion dans cette troupe indisciplinée 
        dont les montures halètent déjà en arrivant à 
        portée de mitraille (six cents mètres). Le petit détachement 
        du colonel tire à bout portant, oblige les plus braves cavaliers 
        de l'émir à reculer... Mais il est environ 16 heures et 
        les Français doivent songer à regagner la ville, ce qui 
        ne manque pas de provoquer de nouvelles attaques, toutes brisées 
        par le canon de Mostaganem, l'habile manoeuvre du colonel entraînant 
        la déroute et la défaite des Arabes.
 --------------Victoire 
        des nôtres. Incontestable, produisant grande impression dans le 
        camp d'Abd El-Kader. Victoire tempérée toutefois par l'inquiétude 
        et l'ignorance du sort des soldats de Mazagran qui, pendant ce temps, 
        subissent un terrible assaut toutefois soutenu.
 La nuit tombée, les colonnes de cavaliers arabes qui bloquaient 
        Mostaganem changent de position. Elles viennent se poster sous les murs 
        de Mazagran. Une querelle s'élève alors dans les rangs ennemis, 
        ceux qui n'avaient pas encore combattu injuriant les vaincus. Une scène 
        surprenante aussi : trente jeunes Arabes, tous plus vigoureux et courageux 
        qui viennent se faire tuer sous les murs de la redoute afin de prouver 
        leur bravoure. On s'invective de part et d'autre tandis qu'un Zéphyr 
        attise la colère en brandissant, comme une insulte, au bout d'un 
        bâton, un morceau de lard coiffé d'une chéchia.
 Au petit matin la bataille reprend par une canonnade qui défait 
        la muraille, suivie d'une attaque sur trois points à laquelle les 
        Français ne répondent pas, pour ménager leurs munitions. 
        Ce manque de réaction commence d'inquiéter les Arabes qui, 
        finalement, s'arrêtent, anxieux, flairant le piège. Leurs 
        chefs se consultent et décident d'avancer. Au pied de la muraille 
        les baïonnettes françaises brillent au soleil, provocantes 
        comme les invectives des nôtres. Alors l'ennemi s'élance, 
        cherchant à s'engager dans la brèche, accueilli par un mitraille 
        nourrie qui décapite en un instant la colonne, tandis que l'arrière 
        est rejeté dans le fossé, à l'arme blanche. Les Arabes 
        se regroupent rapidement autour de leurs drapeaux, font donner du canon, 
        redoublent leurs attaques, toutes repoussées par des décharges 
        de fusils et contre-attaques à la baïonnette...
 --------------Découragés 
        par l'exploit du colonel Dubarrail et l'extraordinaire pugnacité 
        des Zéphyrs, les Arabes abandonnent la lutte, lèvent le 
        siège. C'est alors que la 10e compagnie prend la route de Mostaganem, 
        entre dans la ville, saluée par les ovations, en ordre impeccable, 
        derrière son drapeau blessé de treize déchirures...
 Au-delà de la mémoire des hommes, une colonne érigée 
        sur les lieux des combats ainsi qu'une médaille témoignent 
        de la bravoure des cent vingt-trois défenseurs de Mazagran.
 Gérard LANGLOIS. |