| Le développement 
        et les constructions de la ville d'Alger jusqu'en 1960 (première partie)
 par Georges Mercier
 Cent trente ans de présence française 
        en Algérie ont profondément marqué le pays, ainsi, 
        la petite cité pirate berbéro-ottomane moyenâgeuse 
        devait sortir de ses enceintes dès 1830 sous l'impulsion des Français. 
        Elle devait s'étendre vers l'est et les hauteurs de la baie, vaste 
        amphithéâtre ouvert au levant et à la mer. Le Second 
        empire allait être l'âge d'or de sa métamorphose en 
        osmose avec l'ère moderne et industrielle européenne.
 La République ensuite continuera de bâtir, poussée 
        par une démographie sans cesse croissante, nécessitant de 
        réaliser tout ce qu'une ville jeune et moderne du xxe siècle 
        devait comporter.
 
 Alger, jouissant d'un doux climat, devint une ville belle et gaie, active, 
        dotée de tous les bienfaits des nouvelles énergies et technologies.
 
 Après avoir été au côté de la métropole 
        dans tous les conflits d'Europe et d'Outre-mer, elle fut la " capitale 
        de la France libre " lors de la Seconde Guerre mondiale. Puis oubliée, 
        meurtrie, humiliée par la lâcheté et la folie des 
        hommes, elle devait être abandonnée " clés en 
        mains " en 1962 pour un autre destin. Toutefois son domaine bâti 
        et son port resteront les témoignages de l'oeuvre française.
 De " El Djezaïr 
        à Alger la Blanche " "...Si Alger nous était conté... 
        ", Solin le grammairien latin et géographe du Hie siècle 
        raconte que Hercule, célèbre héros de la mythologie 
        grecque qui recherchait " les pommes des Hespérides 
        " (îles imaginaires) longeait la baie avec ses vingt compagnons. 
        Or ces derniers, las de ces recherches sans fin, trouvant le site accueillant 
        décidèrent d'y rester pour y fonder une cité, laissant 
        Hercule poursuivre ses voyages.
 Ne pouvant s'accorder sur le nom à donner à la cité, 
        ils l'appelèrent Eikusi signifiant " vingt " en grec, 
        que les Romains latinisèrent ensuite en Ikosium, nom de la colonie 
        que Vespasien fonda (Pline)...
 
 Selon d'autres sources, Icosium vient du mot phénicien Icos signifiant 
        dans les vieilles langues aryennes " enceinte sur une hauteur ".
 
 Plus tard, le professeur Cantineau, spécialiste de langues anciennes 
        examina quelques pièces de monnaies antiques découvertes 
        fin XIXe siècle lors de travaux dans le vieux quartier de " 
        La 
        Marine " d'Alger et sur lesquelles il découvrit 
        des caractères puniques signifiant Icosim, c'est-à-dire 
        " l'île aux mouettes ". Ce qui peut faire rêver 
        à une cité vieille de 3 000 ans.
 
 P (ublio) SITTIO. M. (ARCI). F (ILIO). QVIR (INA)PLOCAMIAN (o) ORDO ICOSITANOR 
        (um) M. (ARCUS SITTIVS, P (UBLII) F (ILIUS) QVIR (INA) CAECILIANVS PRO 
        FILIO PIENTISSIMO H (0N0RE) R (ECEPTO) I (MPENSAM) R (EMISIT)
 A Publius Sittius Plocamanius, fils de Marcus de la tribu Quirinale Conseil 
        Municipal d'Icosium.Marcus Sittius Ccilianos, fils de Publius de 
        la tribu Quirina,au nom de son fils très cher,ayant reçu 
        l'honneur, a assumé la dépense "
 
 D'autre part on découvrit dans les fondations d'un vieil immeuble 
        une inscription romaine sur un dé de piedestal (0,65 x 0,32) portant 
        le nom Icositanus signifiant habitant de Icosium. Cette pierre a été 
        encastrée sur un pilier des arcades de la rue Bab-Azoun à 
        l'angle de la rue du Caftan à Alger (1Une 
        inscription épigraphique romaine mentionnant le nom d'Icositanus 
        fut découverte en 1844 dans les ruines d'une maison de la Casbah. 
        Lire aussi dans l'algérianiste: n° 51, 93, 94 et 102.).
 
 La destruction de Carthage par les Romains ayant entraîné 
        le partage de l'Empire carthaginois entre Rome et les rois de Numidie 
        et de Mauritanie, Rome aurait bien entendu latinisé le nom de la 
        cité. La " pax romana " avait alors assuré la 
        prospérité d'Icosium comme le démontre la découverte 
        de l'épigraphe précitée.
 
 La cité était dotée de magistrats et de fonctionnaires. 
        Elle s'est aussi trouvée animée par le clergé donatiste 
        ( Les " donatistes " étaient 
        des chrétiens (fidèles à l'évêque Donat 
        fondateur de cette croyance du Re siècle) qui se prétendaient 
        seuls héritiers des apôtres. Au y' siècle, saint Augustin 
        devait lutter contre cette " hérésie ". L'algérianiste 
        n° 82 sur les évêques d'Algérie de Jean Gueydon.) 
        dont l'évêque Larentius en 419 et l'évêque Victor 
        en 484 que les Vandales persécutèrent. Le chroniqueur arabe 
        du ixe siècle El-Bekri relève dans la cité les substrats 
        d'une église et d'un théâtre romain. La cité 
        romaine devait être anéantie par les invasions vandales et 
        byzantines. Elle tomba alors dans l'oubli du ve siècle au xe siècle, 
        ne devenant qu'un lieu de rencontres pour les tribus de l'intérieur 
        du pays, les navigateurs et les marchands venant d'Hippone et de Carthage.
 
 C'est alors que s'y installèrent dès le ixe siècle 
        de l'hégire (xe siècle de l'ère chrétienne) 
        les Berbères de la tribu des Beni Mezr'anna dont le chef Bologguin 
        donna à la cité le nom d'" El-Djezaïr Beni Mezr'anna 
        " " les îles des enfants de Mezr'anna " en raison 
        des îlots qui protégeaient la baie en formant d'après 
        ElBekri " un très bon mouillage ".
 
 La cité devait se construire à l'intérieur de remparts 
        bâtis à l'aide des matériaux de ruines romaines provenant 
        de la ville de Tamenfus située à l'est. Travaux qui furent 
        achevés par Keir-ed-Din vers 1590.
 
 Du xe siècle au xvle siècle El-Djezaïr, cité 
        berbère, changera bien souvent de maître et de fortune selon 
        la " course " qui s'y pratiquait depuis le mie siècle. 
        Fernand Braudel (3 F. Braudel est l'auteur 
        de La Méditerranée et le monde méditerranéen 
        à l'époque de Philippe II, A. Colin, Paris. L'algérianiste 
        n° 39 de J. de la Hogue sur les captifs de la régence d'Alger, 
        et n° 58 et 59 - articles de Gaston Palisser.) écrit 
        que " la piraterie en Méditerranée est aussi vieille 
        que l'histoire. Elle est chez Boccace, elle sera chez Cervantès, 
        mais elle était déjà chez Homère ". Vers 
        la fin du xve siècle la chute de Grenade (1492) provoqua l'exode 
        de milliers d'Andalous musulmans, emmenant avec eux leur culture et traditions 
        vers les principales villes du Maghreb. Les récits d'un des plus 
        illustres d'entre eux, Léon l'Africain, feront référence. 
        Ce dernier visita plusieurs fois El-Djezaïr
 entre 1510 et 1518 lors de ses voyages de Fez à Tunis (4Léon 
        L'Africain fut un géographe et conteur musulman du nom de " 
        Al Hassan Ibn Muhamad Al Fassi >: né à Grenade au pays 
        de l'Al Andalus qui fut chassé par la " reconquista ". 
        Il devint un voyageur de Fez a Constantinople via El-Djezaïr, puis 
        à Rome où Léon X, grand pape de la Renaissance le 
        protégea. En 1526 il publia sa Description de l'Afrique qui sera 
        une référence essentielle pour tous les historiens pendant 
        quatre siècles. Amin Maalouf fit de ses aventures une histoire 
        romancée parue en juin 1986.).
 
 Il décrira les monuments et constructions de la ville, ses " 
        souks " et ses " fondouks ", et dénombrera environ 
        quatre mille feux groupés à flanc de colline " à 
        l'intérieur d'une enceinte en grosses pierres ".
 Des récits encore plus marquants d'anciens captifs racontent leurs 
        mésaventures chez les barbaresques.
 
 Citons d'abord Diego de Haedo (5 L'ouvrage 
        de Haedo Topographie et histoire générale d'Alger , traduit 
        de l'espagnol par le docteur Monnereau et Adrien Berbrügger parut 
        dans la Revue africaine n° 14 en 1870 ainsi que par Albert Devoulx 
        dans " Alger, étude archéologique et topographique 
        aux époques romaine, arabe et turque ". Revue africaine n° 
        112 de 1975.) , abbé de Fromesta, qui fit paraître 
        son ouvrage à Valladolid (Espagne) en 1612. Sa captivité 
        avait duré de 1578 à 1581. Peut-on imaginer qu'il ait connu 
        au bagne Cervantès, le célèbre auteur de Don Quichotte, 
        qui fut lui aussi captif des pirates barbaresques de septembre 1575 au 
        début de 1580 et qui écrivait un autre ouvrage La vie à 
        Alger?
 
 L'évêque Jean-Baptiste Grammage, capturé en 1619, 
        écrira deux récits de sa mésaventure, le second portera 
        surtout sur les constructions principales de la cité.
 
 Un autre captif, Mascorennas qui y séjournera de 1621 à 
        1626 décrira la régence turque, ses rues et leur surveillance 
        de jour comme de nuit.
 
 Les mémoires du père Pierre Dan, supérieur de l'Ordre 
        de la Trinité et de la Rédemption attaché au rachat 
        des captifs, parues en 1637, seront aussi de bonnes descriptions de la 
        cité sur le plan architectural.
 
 D'autres encore complèteront ces témoignages comme le médecin 
        hollandais Olfert Dapper qui publia ses récits en 1668, Jean-André 
        Peyssonnel (1694-1759), l'anglais Thomas Shaw professeur à Oxford 
        en 1710-1732 ou encore René- Louiche Desfontaines (1750-1833) membre 
        de l'Académie des sciences. Jean-Michel Venture de Paradis (1739-1799) 
        s'attachera particulièrement à décrire les grandes 
        demeures et maisons à patios de la cité.
 
 Toutefois il n'existe ni dessin ni peinture de l'époque berbéro-ottomane 
        de par l'interdiction qui est faite par le Coran de telles représentations.
 
 Ainsi, la cité d'El-Djezaïr sera assez bien connue quand la 
        France prendra pied au Maghreb en 1830. Les armées seront accompagnées 
        de nombreux artistes et scientifiques, archéologues, architectes, 
        peintres et dessinateurs, corps des " peintres officiels de la marine 
        ", écrivains, géologues, pépiniéristes 
        et botanistes, un organisme le " Dépôt de la guerre 
        " est créé. Ces talents qui accepteront l'aventure 
        rapporteront de précieux témoignages de l'époque. 
        En février 1835 le maréchal Clauzel créera le musée 
        lapidaire, en 1837 la " commission scientifique de l'Algérie 
        " afin de déployer des champs d'investigations du pays dans 
        tous les domaines, et la bibliothèque 
        dirigée par M. Adrien Berbrügger. Ainsi de très nombreux 
        relevés architecturaux et archéologiques de grande valeur 
        seront exécutés par les architectes Amable Ravoisié 
        et Adolphe Delamare. Plus tard Stéphane Gsell, chargé de 
        cours à l'école des lettres d'Alger, publiera son Exploration 
        scientifique de l'Algérie.
 
 Amable Ravoisié utilisera le daguerréotype (6 
        Le procédé daguerréotype (de l'inventeur 
        Daguerre - naissance de la photographie-) apparaîtra en 1838. Ce 
        procédé sera utilisé par l'architecte Amable Ravoisié 
        attaché à la Commission scientifique de l'Algérie 
        en 1837. Avec son confrère et ami Adolphe Delamare, ils laisseront 
        d'inestimables relevés archéologiques publiés aux 
        éditions des frères Firmin Didot à Paris entre 1846 
        et 1851.). Ce procédé sera largement employé 
        plus tard lors du voyage de Napoléon III en Algérie.
 
 Dès 1838 Adolphe Otth publiera quelques lithographies et Adrien 
        Berbrügger regroupera plusieurs croquis d'édifices. L'attrait 
        d'un certain orientalisme va attirer des 
        hommes de lettres, des peintres ou des musiciens parmi lesquels 
        Théophile Gautier, Alexandre Dumas, les frères Edmond et 
        Jules de Goncourt, Alphonse Daudet, Gustave Flaubert, Guy de Maupassant, 
        Eugène Delacroix, Eugène Fromentin, Théodore Chasseriau, 
        Isabelle Eberhardt, Pierre Loti... L'influence de ces personnages déjà 
        célèbres contribuera à attirer bien des aventureux, 
        et suscitera l'implantation des colons. Mais pour eux, rien ne sera facile.
 L'occupation et 
        les premières explorations La prise d'Alger fut accompagnée d'une 
        entreprise de propagande par l'image. Depuis le xvie siècle, c'était 
        la coutume de représenter les hauts faits militaires à la 
        gloire du roi mais ce qui est nouveau, c'est la représentation 
        de l'adversaire et le territoire de la conquête. C'est ainsi que 
        des témoignages visuels, pris sur le vif, des villes occupées 
        et des combats menés par l'armée française ont été 
        réalisés, essentiellement entre 1830 et 1837 et poursuivis 
        jusqu'en 1857 sous la responsabilité du général baron 
        Pelet, directeur du Dépôt de la Guerre. Les dessins et les 
        croquis des militaires, s'ils représentaient surtout des batailles, 
        mentionnaient aussi les monuments et les vestiges romains. Ces dessins, 
        pour la plupart peu connus, sont conservés dans la collection du 
        ministère de la Défense. Ils étaient le plus souvent 
        accompagnés de descriptions et de mémoires, et servaient 
        de documents de base pour les artistes chargés de les finir à 
        l'aquarelle dans les ateliers du Dépôt de la Guerre. Clichés 
        sur El-Djezaïr en 1830 La baie d'Alger est un vaste amphithéâtre 
        naturel face à la mer et au levant, offrant un saisissant et permanent 
        spectacle du Cap Matifou à la Pointe Pescade. En 1830 la cité 
        berbero-ottomane n'occupait que l'ouest de la baie, et son front de mer 
        ne faisait tout juste qu'un kilomètre.
 La création des peintres officiels de la Marine et du " dépôt 
        de la guerre " (la Photo n'existant pas encore) devait laisser des 
        témoignages précieux (Le 
        contexte artistique de l'époque ", in l'algérianiste 
        n° 105 et 106.)
 
 La Casbah s'accrochait sur les hauteurs en une masse compacte descendant 
        vers la mer jusqu'aux falaises dominant la darse barbaresque qui allait 
        très vite se révéler insuffisante pour les navires 
        de la " Royale ". Aussi dès 1830 devint- il urgent de 
        procéder à des aménagements. L'ingénieur Noël, 
        détaché de Toulon, fut chargé d'améliorer 
        la jetée Keir-ed-Din ( Keir-ed-Din 
        était le fondateur de la régence EI-Djezaïr développant 
        une puissance maritime en Méditerranée qui résista 
        aux Espagnols au xvr siècle. Il fit relier à la terre les 
        quatre îlots qui se trouvaient devant la baie afin de former une 
        digue de protection. Revues n° 38, 80 et 84 (MM. Nocchi, Vernet et 
        Gaston Palisser).) sur laquelle allait être bâtie 
        la rampe de l'Amirauté, et plus tard la gare maritime sur le 
        môle El Djefna dont la réalisation fut l'oeuvre 
        de l'architecte Petit. Après la terrible tempête de 1835, 
        ces travaux portuaires seront poursuivis par les ingénieurs Poirel, 
        Raffeneau de Lisle, Bernard et Liénon afin de développer 
        le trafic maritime du port.
 
 La cité basse du quartier de " La Marine " recevait un 
        afflux de peuplement sans cesse croissant se concentrant dès 1831 
        autour des consulats et des anciennes administrations ottomanes de ce 
        quartier.
 
 S'y trouvaient notamment les belles demeures de ces dignitaires et hauts 
        fonctionnaires que l'administration française avait remplacés.
 
 Ces demeures étaient en général caractérisées 
        de patios entourés de galeries à deux ou trois niveaux sur 
        colonnes de marbre ou de bois. Conception faite pour une vie intérieure 
        intime et fraîche autour d'une fontaine destinée aux ablutions. 
        Il n'est pas douteux que ce type d'architecture, adapté au climat 
        et au mode de la vie orientale, allait séduire plus d'un nouvel 
        occupant.
 
 Quelques- 
        unes de ces demeures comme Dar Aziza Bey qui devaient être 
        attribuées à l'Archevêché, Dar Es Souf, Dar 
        Assan Pacha, Dar Mustapha Pacha qui devint la Bibliothèque nationale, 
        Dar El Hamza ou encore les Palais du Bastion 23. Bien d'autres demeures 
        magnifiques appelées " fahs " se trouvaient dans la campagne 
        environnante, en dehors de la Casbah, du quartier de La Marine et de la 
        Jenina (jardins du Dey). Ces belles demeures se trouvaient en général 
        au milieu de jardins arborés.
 
 La Marine, quartier résidentiel, ne manquait pas d'édifices 
        du culte musulman comme la " Grande mosquée " " 
        Djemaâ el-Kebir ", dont la construction remonte 
        au me siècle et la mosquée neuve El-Djedid au xive siècle. 
        Ces édifices du culte musulman seront épargnés des 
        restructurations qui allaient être le départ de l'expansion 
        future et inévitable de la cité. Rue des Consuls au quartier 
        de La Marine se trouvait aussi la mosquée El-Kechach de style berbère. 
        Dès 1831 elle fut occupée par un dépôt de l'armée 
        avant de devenir un hôpital militaire. Elle devint finalement l'école 
        des Beaux-Arts sections architecture, dessin, céramique, modelage, 
        sculpture, céramique. ( L'auteur 
        de ce texte y a fait ses premières années d'études 
        d'architecture avant de " monter à Paris " en section 
        supérieure des Beaux-Arts.).
 
 Proche de cette mosquée se trouvait la célèbre " 
        rue 
        Socgemah " dont le nom n'est que la contraction de " 
        Souk el Djemaâ " c'est-à-dire, le marché du vendredi. 
        Dans cette rue devait être installée en 1839 la première 
        mairie dans la très luxueuse demeure Dar-Bakri.
 
 La cité et les " fahs " des environs étaient alimentées 
        en eau par des aqueducs et de nombreux puits ( Quatre 
        ou cinq aqueducs alimentaient 
        la cité en fontaines publiques, et le port pour l'approvisionnement 
        des bateaux, ainsi que les cours des mosquées pour les ablutions 
        des fidèles. À citer l'aqueduc du Télemly qui deviendra 
        plus tard un boulevard. ) et galeries de captage des eaux souterraines. 
        Nombre de ces aménagements dataient d'ailleurs de l'époque 
        romaine dont la majeure partie avait été remise en état 
        par les " Andalous " installés en El-Djezaïr après 
        la " reconquista ". D'ailleurs les hauteurs d'El-Biar 
        (ce nom signifiant " les puits ") ( À 
        El-Biar, au lieu-dit " Chateauneuf " (nom donné par une 
        famille française originaire de " Chateauneuf-en-Auxois " 
        en métropole), avait existé au temps des Turcs la " 
        ferme des sept puits " attribuée au consulat de Toscane, puis 
        à la baronne de Stranski et qui deviendra le couvent du Bon Pasteur. 
        Il y avait aussi la " ferme des quatre puits " sur la route 
        allant vers Dely-Ibrahim qui fut remise aux Domaines le 5 mars 1835, et 
        qui sera ensuite vendue sur concession à un particulier.) 
        révèlaient d'ingénieux captages des eaux tout comme 
        la localité de Bir-Traryah signifiant " puits de fraîcheur 
        " et son aqueduc destiné aux cultures maraîchères 
        alimentant la cité. L'abondance du débit de cette adduction 
        devait inciter le baron Pichon, dès 1832, à promouvoir la 
        " Pépinière centrale " qu'Auguste Marty devait 
        plus tard transformer en " Jardin 
        d'Essai ", dont la configuration définitive intervint 
        bien plus tard encore en 1920 sur les dessins des architectes Regnier 
        et Guion.
 
 Dès 1832, alors même que le pays était loin d'être 
        pacifié, les initiatives d'équipements et de restructurations 
        de la ville étaient engagées comme par exemple le tracé 
        des " Tournants 
        Rovigo " et des rampes " Valée " qui 
        empruntaient en grande partie une ancienne voie romaine. Par la même 
        occasion, furent créés des îlots de verdure comme 
        le jardin Marengo, créé en 1833, avec son petit 
        kiosque de la Reine. Au dessus de ce jardin et le long des remparts nord 
        sera créé le boulevard de Verdun dont les escaliers donnaient 
        accès à la rue des Victoires.
 
 Si, en ces toutes premières années, les ingénieurs 
        Poirel et autres s'affairaient aux transformations du port, les généraux 
        Clauzel et Berthezène devaient faire entreprendre en urgence les 
        premières restructurations de la cité.
 
 En effet il n'existait en 1832 aucun espace suffisant pour le rassemblement 
        des troupes en cas d'urgence ou pour organiser les diverses manifestations. 
        Aussi fut-il décidé de créer une " place d'Armes 
        ". Ce sera la " place Royale " avant de devenir la " 
        " en 1848 avec la statue du duc d'Orléans ( La 
        statue équestre du duc d'Orléans élevée par 
        souscription populaire, fut inaugurée le 28 octobre 1845 après 
        sa mort accidentelle survenue le 13 juillet 1842 à Neuilly. Le 
        duc avait fait une guerre de pacification brillante. Le sculpteur et baron 
        Marochetti a été aussi auteur du tombeau de Bellini au cimetière 
        du Père Lachaise, de la statue du duc de Savoie à Turin.).), 
        oeuvre du sculpteur Marochetti, fondue par Sauer, dont les huit ton place 
        du Gouvernementnes nécessiteront en sous-sol un énorme 
        pilier de 20 m de profondeur.
 
 Toutefois la réalisation de la " place d'Armes " entraînera 
        bien des démolitions dans la basse Casbah. Pierre Auguste Guiauchain, 
        architecte formé à l'Ecole nationale des Beaux-Arts de Paris, 
        sera désigné pour ces travaux avec le titre d'" architecte 
        des bâtiments civils " (quelle exaltation et quel bonheur pour 
        un architecte de recevoir une telle mission sur un tel programme !). Guiauchain 
        recevait également la mission de restaurer la mosquée de 
        la Pêcherie, Djemaa el-Djedid dont le chantier devait durer jusqu'en 
        1839, y compris les escaliers la reliant au plan supérieur où 
        se trouve la statue équestre (Djemaâ-el-Djedid, 
        cette mosquée fut sauvée in extremis de la démolition 
        par le commandant du Génie Lemercier. Elle fut dotée d'un 
        minaret qui reçut une horloge lors de sa restauration.
 
 L'administration se mettait en place dans l'objectif de restaurer la cité 
        et le pays. Aussi, par décision ministérielle des 25 mars 
        et 5 août 1843, était créé le Service des bâtiments 
        civils et de la voierie dont M. Guiauchain reçut le titre d'" 
        architecte en chef ". Il sera secondé par son confrère 
        Auber et Charles Tixier, autre confrère désigné au 
        poste d'inspecteur des travaux. Toutes ces dispositions démontraient 
        l'intérêt que l'administration portait au développement 
        de la ville ainsi qu'au patrimoine du pays. Et d'ailleurs de la Société 
        des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts créée en 1848, 
        allait naître un grand mouvement artistique qui animera plus tard 
        la société algéroise. L'aménagement de la 
        " place Royale " nécessitera les démolitions des 
        mosquées Es-Sida et Al Chaouch, de l'ancien arsenal ottoman, des 
        marchés Souk al-Djedid, Dar al Sekka, etc.
 
 La 
        mosquée de la " Pêcherie " sera rénovée 
        par Guiauchain ainsi que l'ancien marché aux captifs et esclaves 
        de l'époque ottomane.
 
 La " place Royale " ou future place du Gouvernement allait devenir 
        le premier coeur de ville. Il connaîtra, outre les célébrations 
        annuelles de la Fête-Dieu des 14 juin, le banquet civique de 1848 
        après l'abdication de Louis-Philippe, la proclamation de l'Empire 
        en 1852, la célébration du retour des troupes de la guerre 
        de Crimée en 1855, le retour des Zouaves de la Grande Guerre en 
        1919, etc. L'espace ainsi créé était délimité 
        au nord par le " café d'Apollon ", datant de 1838, haut-lieu 
        de l'intelligentsia, la librairie Jourdan, la maison de la Tour du Pin 
        avec ses belles boutiques à rez-de-chaussée et " l'hôtel 
        de la Régence " en étages.
 Côté ouest, c'était le départ des rues montantes 
        vers la vieille ville et les emplacements des " corricolos " 
        précurseurs des transports en commun des tramways algérois 
        et des Chemins de fer sur routes de l'Algérie. Ces derniers étaient 
        en fait des voitures hippomobiles pour quatre ou six personnes, à 
        deux ou quatre chevaux conduits par un cocher.
 
 Au sud, il y avait le " café de Bordeaux " et la maison 
        Lesca dont l'étage accueillait le " Cercle d'Alger " 
        où se réunissait le gratin administratif, industriel, commerçant 
        et financier. Au nord-est, il y avait la balustrade de la place dominant 
        la mosquée de la Pêcherie et ses escaliers.
 
 En ces premières années, la ville nouvelle n'était 
        constituée que du quartier de La Marine entre le boulevard Amiral-Pierre, 
        la rue des Consuls, la 
        rue Bab-el-Oued, la rue Vollard, l'ancienne ville et la Médina, 
        ville essentiellement berbéro-arabo-israélite, et enfin 
        le troisième espace de la basse ville en pleine restructuration 
        de la place Royale, quartier franco-européen qui ne pouvait se 
        développer que vers l'est et partiellement vers l'ouest.
 
 Il fut donc décidé de reculer l'enceinte de la ville, tâche 
        qui fut confiée au général Charras. Ce dernier commença 
        donc par détruire les anciens remparts turcs côté 
        mer qui devenaient inutiles, ainsi que les pittoresques portes d'Azoun 
        et de l'oued.
 
 Ensuite le général fit ouvrir et percer en pleine Médina 
        trois rues: la rue de La Lyre, la rue et la place Randon, et le boulevard 
        du Centaure qui deviendra plus tard le boulevard Gambetta avec ses escaliers. 
        Les deux premières rues furent destinées au commerce avec 
        de nombreux magasins et échoppes, des places de marchés 
        où se mêleront berbères, arabes et une forte communauté 
        israélite.
 
 Pour clore cette première partie sur la première décennie 
        de la présence française en El-Djezaïr, le nom d'" 
        ALGÉRIE " avait été parfois employé lors 
        de discussions diplomatiques. Ce n'est que dans la correspondance du 29 
        décembre 1837 du général Valée que la désignation 
        du pays par " ALGÉRIE " fut employée. Il sera 
        dès lors utilisé dans les discussions parlementaires, mais 
        sera définitivement ordonné par le général 
        Schneider, ministre d'Etat à la guerre, au maréchal Valée 
        le 14 octobre 1839 en ces termes : " le pays occupé par les 
        Français dans le nord de l'Afrique sera à l'avenir désigné 
        sous le nom d'ALGERIE... ".
 (À suivre)
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