agriculture et arboriculture en Algérie avant 1962
LA CLEMENTINE
Histoire de la "Clémentine" à raconter à nos petits-enfants , Odette Caparros
Tiré de AFN collections, n°48, juillet 2006 avec son autorisation.Merci...

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Il était une fois sous le ciel le plus bleu du monde à MISSERGHIN près d'Oran, au temps où l'Algérie était française, un orphelinat jouxté d'un couvent où s'étaient établis les moines du Bon Pasteur. Des jardins cernaient d'une belle écharpe verte ces bâtiments éclatants de blancheur, et, tout au fond, s'étendait un grand verger planté d'agrumes sur des terres vierges n'ayant jamais connu l'araire.

Ces terres, infestées de lentisques et de palmiers-nains avant l'arrivée des pionniers européens, étaient défrichées par de courageux et très pauvres journaliers espagnols sous la direction éclairée du père Abraham, -fondateur de cet orphelinat (1)-, remarquable pionnier, grand bâtisseur, grand humaniste aussi puisque le but initial de sa fondation était d'offrir un toit et une éducation à de pauvres orphelins indigènes. Citronniers, orangers, pamplemoussiers, mandariniers cohabitaient avec intelligence et s'entendaient à merveille. Seul le bigaradier, distant et froid, faisait résolument "bande à part", toisant avec mépris le gentil mandarinier.

Quand la douce brise de printemps emmêlait les feuillages de nos arbustes pour leur plus grand plaisir, le bigaradier, revêche, rétractait ses feuilles dans un total refus de { tendre abandon, résolument indifférent ; trop imbu de sa différence, il toisait notre pauvre mandarinier.

Différents, certes ils l'étaient, car le bigaradier, lui, ne donne pas de fruits directement comestibles, ses oranges minuscules et très amères ne servent qu'à fabriquer une liqueur, le CURAÇAO, ou un produit volatil utilisé en pharmacie, l'essence de NEROLI. D'où sa fierté, peut-être ?

Le Frère CLÉMENT(*), un moine du couvent, passionné d'arboriculture, veille sur ce verger, aidé dans sa tâche par quelques jardiniers espagnols originaires de Valence. Nés dans la célèbre VEGA valencienne, -les agrumes n'ont, bien sûr, aucun secret pour eux-, nos arboriculteurs entourent leur verger de soins assidus. Ces arbres sont ... "leurs enfants", ils leur parlent, ils les aiment.., remuant, fumant, aérant la terre à leur pied, gainant leurs troncs de chaux blanche pour les fortifier et en éloigner les insectes. Ils les grondent aussi par-fois, les obligeant à pousser droit en les arrimant "ferme" à leurs tuteurs ils les abreuvent d'eau de pluie avec d'infinies précautions, cette eau du ciel pieusement recueillie dans des citernes à chaque averse, évitant de mouiller les troncs et à bonne distance de leur base pour éviter la gommose.

Notre Frère CLÉMENT les observe en toute saison et se désole de l'exclusion où semble se complaire notre bigaradier. Il rêve d'une réconciliation définitive entre ces frères ennemis (!)... et d'un fruit nouveau, un fruit qui ne serait ni un citron acide, ni une orange amère, ni une orange tout court (si dure à peler sans couteau) : un fruit doux comme le miel, très odorant et de la même couleur cuivrée qu'un abricot bien mûr. Bref, un fruit du paradis. Nos jardiniers inlassablement persistent à faire greffes, boutures, transferts de pollen d'un arbre à l'autre pour féconder les bigaradiers avec les pollens de mandariniers. Et, au bout de quatre ans d'essais infructueux, un jour, le miracle se produit : leurs effortsaboutissent, ils obtiennent enfin le fruit divin dont rêvait depuis si longtemps notre bon Frère CLÉMENT, un fruit de paradis, tout rond, tout doux, dont les quartiers à la peau si fine sont un délice pour les yeux, une caresse pour la main.., un régal pour tous les sens : LA CLÉMENTINE, d'abord baptisée "mandarinette"..

Notre flamboyante clémentine se répand à une vitesse fulgurante et la méthode d'hybridation du Frère CLÉMENT sera vite pratiquée par tous les arboriculteurs en bordure de la Méditerannée. Ils donneront ensuite de nombreuses cousines à notre Clémentine. Clémenvillas, minéolas, etc. Mais, aucun de ces fruits n'a su égaler la saveur de notre CLÉMENTINE, fruit hybride si emblématique de notre Algérie perdue ! Il est aujourd'hui question de fabriquer un fruit nouveau ... (une cousine lointaine de notre clémentine) ce fruit serait issu du croisement d'un clémentinier avec l'arbre porteur de ces minuscules et si odorantes oranges exotiques, les "Kum Koats".

En 1900, la Clémentine est officiellement labellisée. Un grand bravo au modeste Frère Clément et à tous les obscurs et humbles tâcherons espagnols qui l'ont aidé dans ces recherches, car on ne peut honnêtement passer sous silence l'immense part due aux espagnols dans la mise en valeur de l'Oranie. Ce fut une oeuvre hispano-française.

(*) Le Frère CLÉMENT, de son vrai nom VITAL RODIER, était né à MALVIELLE en 1839, dans le Puy-de-Dôme Il faisait ses études à la Chartreuse de VALBONNE, en Ardèche, quand, lassé des hivers ardéchois si rigoureux, il décida de rejoindre l'un de ses oncles André RODIER, ayant déjà intégré en 1866 le couvent du Père ABRAHAM, directeur de la congrégation du Saint Esprit à MISSERGHIN. Il fait profession de foi et devient le Frère Marie Clément. Passionné d'arboriculture, il donne un développement fantastique à cette pépinière : 100 000 plants d'arbres et 600 espèces de rosiers. Tous les colons d'Oranie viennent s'approvisionner en plants et en boutures dans les jardins de MISSERGHIN. La discrétion et la modestie du Frère CLÉMENT sont notoires, il parle peu, mais c'est un magicien. Sa vie se passe à greffer, soigner, observer ses rutacés. Pourtant en mai 1894, son jour de gloire est arrivé LA CLÉMENTINE, sa Clémentine, est enfin née du croisement d'une fleur de mandarinier avec le pollen d'un bigaradier.

Odette CAPARROS

(1) L'Orphelinat de Misserghin

Le 25 novembre 1844, le lieutenant-général Lamoricière, commandant en chef par interim, en l'absence du maréchal Bugeaud, gouverneur général de l'Algérie, en congé, signe l'arrêté de création du premier centre de colonisation d'Oranie, Misserghin.
En 1849, le ministre de la Guerre accepte le contrat par lequel le préfet d'Oran acquiert au nom de l'État, pour 39 000 francs, la propriété Taillan, d'une superficie de trente hectares, située à Misserghin ; le père Abram, fondateur de la congrégation " Notre Dame de l'Annonciation " devra y installer un orphelinat de garçons pour la province d'Oran.
En un temps où l'Algérie traversait de graves difficultés inhérentes à la création des colonies agricoles de 1848, le paludisme qui sévissait à l'état endémique, le choléra de 1849, jetèrent à la rue de nombreux enfants ; certains furent placés à Misserghin par l'Administration : les jeunes Français se trouvaient mêlés aux jeunes Espagnols comme aux enfants des immigrants originaires de Rhénanie ; la métropole envoya des enfants trouvés et des orphelins ; de jeunes Arabes furent recueillis en 1868 et entretenus par les soins de l'évêché. L'orphelinat embellit et agrandit ses possessions sous le second empire. La création d'une pépinière fut à l'origine de la réputation de l'établissement. Elle allait être un champ d'expériences pour plusieurs religieux aimant l'arboriculture et les activités en dérivant.

In. "Une centenaire qui se porte bien : la clémentine", par Théophile BIGNAND et Annie BLANC. Transmis par J.M. LABOULBENE