L'HORREUR
-----Curieusement, ce chapitre, à
l'origine du présent article, sera bref.
-----Voilà bien des années
que j'ai refoulé, à dessein, mes souvenirs, que je n'ai
plus ouvert certains livres, que j'ai laissé mes archives en archives.
-----Lorsque j'ai imaginé la manière
de rédiger ce texte, je me suis mis à pleurer. Et je pleure
en cet instant. Des larmes qui ne sont pas de mélancolie. Même
pas amères. Elles sont d'acide et me rongent
-----"Les
curieux évènements qui font le sujet de cette chronique
se sont produits en 1962, à Oran". Première
phrase de "La Peste" d'Albert CAMUS. Certes, j'ai triché
: `1962' est, dans le texte original, `194.'
-----Cependant, il m'a toujours semblé
qu'il se dégageait de cette phrase un je-ne-sais-quoi de prémonitoire.
N'oublions pas que l'oeuvre fut publiée en 1947. Les tentatives
orientées, donc lamentables, des exégètes du livre
parlent de la peste brune. Et s'il s'agissait de la peste "bronzée"
?
-----Dans son texte remarquable en date du
5 juillet 2001, Geneviève de TERNANT a parfaitement décrit
les horreurs vécues et subies par les oranais en ce 5 juillet 1962.
Je ne pourrais qu'abonder dans son sens. Madame de TERNANT m'a épargné
la peine (dans toutes les acceptions de ce terme) de retracer ce massacre
barbare.
-----Un point narratif me semble intéressant
car contributif. Le 5 juillet, peu après 9 heures, le Lieutenant
MERCIER dit à BENAÏSSA et moi-même "Prenez quatre
hommes et trois GMC : des émeutes ont (vont ?) éclaté(r)
à Oran. Ramassez le max de civils sans distinction (- sous entendu
de race ou de religion -), ramenez-les sur la base de Mers-el-Kebir et
continuez". Si la barbarie a débuté à onze heures,
c'est qu'elle était préméditée, et que des
informations avaient transitées jusqu'à Bou-Sfer.
-----Les navettes durèrent toute la
journée du 5. Je confirme que nous étions les seuls "militaires"
pour accomplir cette mission. II est possible que la gendarmerie soit
intervenue enfin d'après-midi : je ne saurais le dire.
-----Le lendemain, la furie était
quelque peu calmée, et nous avons pu poursuivre nos navettes. L'odeur
était insoutenable. Quand je pense que CAMUS se délectait
des "...rues aux odeurs d'ombre..." de nos villes d'Algérie
: sa disparition trop précoce lui aura évité cette
nausée.
-----Plusieurs centaines de civils ont ainsi
trouvé refuge sur la base de Mers-el-Kebir.
-----Je ne conserve aucun souvenir des 7
et 8 juillet : c'est le trou noir. Dû, sans doute, à un mécanisme
psychique compensatoire destiné à occulter le traumatisme.
-----Le 9, nous avons embarqué sur
un Bateau de Débarquement de Chars (BDC), "Le Blavet"
(le nom d'une rivière bretonne près de Lorient). Quatre
à cinq cents civils avaient pris la place des tanks. Puis nous
avons débordé, cap sur Toulon. Vers la mère patrie
indifférente, exception faite de celles et ceux de la Croix-Rouge
et du Secours Catholique.
-----Le BDC était commandé
par un Lieutenant de Vaisseau, qui a fini sa carrière en tant qu'Amiral.
Voilà six ans, je me suis entretenu avec lui au téléphone.
II a délibérément bravé les ordres donnés
(pas un Harki en France !), et effectué plusieurs rotations Mers-el-Kebir/Toulon.
Notre traversée fut la dernière. Je possède la photocopie
du Livre de Bord du "Blavet" grâce au Service des Archives
de la Marine Nationale.
-----Je délègue à Jean
SOLER le soin de conter ma soirée du 10 sur ce navire.
Il connaït l'histoire, qui constitua mes deux heures d'angoisse,
mais terminées par un heureux dénouement.
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