Chronique de mon agonie : page 6 - l'horreur..
par Jean Boisard, professeur des Universités
--Voilà bien des années que j'ai refoulé, à dessein, mes souvenirs, que je n'ai plus ouvert certains livres, que j'ai laissé mes archives en archives.

-----Lorsque j'ai imaginé la manière de rédiger ce texte, je me suis mis à pleurer. Et je pleure en cet instant. Des larmes qui ne sont pas de mélancolie. Même pas amères. Elles sont d'acide et me rongent

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sur site le 12/12/2002

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L'HORREUR

-----Curieusement, ce chapitre, à l'origine du présent article, sera bref.

-----Voilà bien des années que j'ai refoulé, à dessein, mes souvenirs, que je n'ai plus ouvert certains livres, que j'ai laissé mes archives en archives.

-----Lorsque j'ai imaginé la manière de rédiger ce texte, je me suis mis à pleurer. Et je pleure en cet instant. Des larmes qui ne sont pas de mélancolie. Même pas amères. Elles sont d'acide et me rongent

-----"Les curieux évènements qui font le sujet de cette chronique se sont produits en 1962, à Oran". Première phrase de "La Peste" d'Albert CAMUS. Certes, j'ai triché : `1962' est, dans le texte original, `194.'

-----Cependant, il m'a toujours semblé qu'il se dégageait de cette phrase un je-ne-sais-quoi de prémonitoire. N'oublions pas que l'oeuvre fut publiée en 1947. Les tentatives orientées, donc lamentables, des exégètes du livre parlent de la peste brune. Et s'il s'agissait de la peste "bronzée" ?

-----Dans son texte remarquable en date du 5 juillet 2001, Geneviève de TERNANT a parfaitement décrit les horreurs vécues et subies par les oranais en ce 5 juillet 1962. Je ne pourrais qu'abonder dans son sens. Madame de TERNANT m'a épargné la peine (dans toutes les acceptions de ce terme) de retracer ce massacre barbare.

-----Un point narratif me semble intéressant car contributif. Le 5 juillet, peu après 9 heures, le Lieutenant MERCIER dit à BENAÏSSA et moi-même "Prenez quatre hommes et trois GMC : des émeutes ont (vont ?) éclaté(r) à Oran. Ramassez le max de civils sans distinction (- sous entendu de race ou de religion -), ramenez-les sur la base de Mers-el-Kebir et continuez". Si la barbarie a débuté à onze heures, c'est qu'elle était préméditée, et que des informations avaient transitées jusqu'à Bou-Sfer.

-----Les navettes durèrent toute la journée du 5. Je confirme que nous étions les seuls "militaires" pour accomplir cette mission. II est possible que la gendarmerie soit intervenue enfin d'après-midi : je ne saurais le dire.

-----Le lendemain, la furie était quelque peu calmée, et nous avons pu poursuivre nos navettes. L'odeur était insoutenable. Quand je pense que CAMUS se délectait des "...rues aux odeurs d'ombre..." de nos villes d'Algérie : sa disparition trop précoce lui aura évité cette nausée.

-----Plusieurs centaines de civils ont ainsi trouvé refuge sur la base de Mers-el-Kebir.

-----Je ne conserve aucun souvenir des 7 et 8 juillet : c'est le trou noir. Dû, sans doute, à un mécanisme psychique compensatoire destiné à occulter le traumatisme.

-----Le 9, nous avons embarqué sur un Bateau de Débarquement de Chars (BDC), "Le Blavet" (le nom d'une rivière bretonne près de Lorient). Quatre à cinq cents civils avaient pris la place des tanks. Puis nous avons débordé, cap sur Toulon. Vers la mère patrie indifférente, exception faite de celles et ceux de la Croix-Rouge et du Secours Catholique.

-----Le BDC était commandé par un Lieutenant de Vaisseau, qui a fini sa carrière en tant qu'Amiral. Voilà six ans, je me suis entretenu avec lui au téléphone. II a délibérément bravé les ordres donnés (pas un Harki en France !), et effectué plusieurs rotations Mers-el-Kebir/Toulon. Notre traversée fut la dernière. Je possède la photocopie du Livre de Bord du "Blavet" grâce au Service des Archives de la Marine Nationale.

-----Je délègue à Jean SOLER le soin de conter ma soirée du 10 sur ce navire. Il connaït l'histoire, qui constitua mes deux heures d'angoisse, mais terminées par un heureux dénouement.