LA DÉTENTE
-----MERCIER tenait à sa jeep, qui
me faisait envie. Subrepticement, je déconnecte le fil d'une bougie.
J'en étais sûr : "BOISARD, répare la jeep !".
Pendant une heure, planqué derrière le capot soulevé,
je me suis soigneusement maculé de cambouis. Le moteur redémarre
par miracle, et j'obtiens le droit d'éprouver ma réparation.
Qu'elle était belle cette côte à l'ouest de Bou-Sfer
!
-----Le tirage au sort veut que je sois de
garde du 30 juin minuit au 1er juillet 1962. Le factionnaire de la vingt-cinquième
heure, en quelque sorte.
-----Mon copain, le Sergent Ahmed BENAÏSSA,
m'a appris à pêcher à la grenade (OF, bien sûr).
Alors là, le Lac de Tibériade, il peut aller s'assécher.
-----La jeune belle-soeur de MERCIER nous
avait rejoint en vue du grand départ. Nous avons passé toute
une après-midi à parler sur une plage de sable fin et déserte.
En tout bien, tout honneur : elle avait mon âge. Le soir, mon arme
de service (un 7.65) était souillée de sable. Je nettoie,
en oubliant que la consigne voulait d'avoir, toujours, une balle engagée
dans le canon. Au moment où je touche la queue de détente,
je me colle une balle dans la main droite. Ce qui ne m'a jamais empêché
d'écrire.
-----Près de notre villa se trouvaient
des habitations troglodytiques. Là attendaient des musulmans pour
regagner "Madame la France". C'étaient des Berbères,
et j'ai entr'aperçu la plus belle des jeunes filles que j'aie jamais
vue. Dix-sept ans, pas plus. À mon âge, j'en rêve encore.
Ce fut ma seule Apparition.
-----Le lendemain, 5 juillet 1962, le cauchemar
survenait.
|