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LA GUERRE d'ALGÉRIE
- UN
PASSÉ TRÈS PRÉSENT
LE FIGARO MAGAZINE - 8 AVRIL 2016
Juste avant que les attentats de Bruxelles ne mobilisent l'attention,
la France était plongée dans une polémique telle
qu'en suscitent, à intervalles réguliers, les clivages franco-français.
Faut-il commémorer le cessez-le-feu du 19 mars 1962 ? Conformément
à la loi de novembre 2012 qui érige le 19 mars en journée
nationale " à la mémoire des victimes civiles et
militaires de la guerre d'Algérie ", le président
de la République avait annoncé qu'il prononcerait ce jour-là
un discours.
" Choisir la date du 19 mars, c'est entretenir la guerre des mémoires
", avait mis en garde Nicolas Sarkozy dans Le Figaro. L'intervention
de François Hollande, en définitive, fut bien dans sa manière
: cherchant la synthèse des contraires, le chef de l' Etat a rendu
à la fois hommage aux Algériens du FLN, aux appelés
et aux militaires de carrière qui ont servi en Algérie,
aux pieds-noirs et enfin aux harkis, et ce, tout en se positionnant à
gauche en condamnant la colonisation par principe ! " Le 19 mars
1962, ce n'était pas encore la paix, c'était le debut de
la sortie de la guerre ", a proclamé François Hollande.
La sortie de la guerre ? Les Français d'Algérie, réduits
à choisir entre la valise et le cercueil après
la fusillade de la rue d'Isly (49 morts et près de 200
blessés par balles françaises le 26 mars 1962) , menacés
de mort (1300 Européens enlevés entre le 19 mars et la fin
de l'armée 1962, et 700 tués à Oran,
le 5 juillet, premier jour de l'indépendance) et en
définitive conduits à tout abandonner (700 000 pieds-noirs
ont franchi sans retour la Méditerranée au printemps et
à l' été 1962), les Français d'Algérie,
donc, considèrent cette période non comme " le début
de la fin de la guerre ", mais comme la fin du monde - la
fin de leur monde. Ces drames longtemps occultés font aujourd'hui
l'objet de travaux universitaires (1). Et que dire de la tragédie
des Algériens fidèles à la France ? A partir du 19
mars 1962, les
150 000 supplétifs musulmans de l'armée française
sont désarmés. Or, le FLN les regarde comme des
renégats. Si certains officiers les font passer en métropole
avec leurs familles, Louis Joxe, ministre des Affaires algériennes
et négociateur d'Evian, ordonne de les renvoyer en Algérie.
A partir de juillet 1962, les anciens harkis, trahis par la France au
prix d'un authentique mensonge d' Etat , sont exécutés par
le FLN dans des conditions atroces. Selon l'historien Maurice Faivre,
entre 60 000 et 80 000 d'entre eux sont massacrés (2).
Les accords d'Evian, signés le 18 mars 1962 entre le gouvernement
français et le Gouvernement provisoire de la République
algérienne (GPRA), ont été approuvés le 8
avril suivant par référendum, en France, par 90 des suffrages.
Ils constituent néanmoins " une utopie juridique ",
estime Guy Pervillé, un spécialiste de la guerre d'Algérie,
qui souligne que les garanties données à la France étaient
illusoires. Un jugement qui amène l'historien à regarder
la date du 19 mars comme indigne d'être commémorée,
Pervillé appelant à ne pas confondre amnistie et amnésie
(3).
Dans un ouvrage qu'il vient de consacrer aux conflits de mémoire
de la France contemporaine, l'historien Henry Rousso, qui est de ceux
qui pensent que la lutte pour l'indépendance de l'Algérie
était d'emblée légitime, doit de même admettre
que cette guerre "menée au nom d'une cause juste "
a entraîné " des effets injustes pour des populations
qui n'étaient pas collectivement responsables de la situation,
on pense ici au sort des populations d'origine européenne, aux
juifs installés dans le pays depuis des siècles, ou encore
aux harkis et à tous les Algériens restés fidèles
à la France " (4).
IL A FALLU ATTENDRE
1999 POUR QUE LA FRANCE NOMME LA GUERRE D'ALGÉRIE
En vérité, la mémoire
des cent trente années de souveraineté française
sur l'Algérie est fragmentée. Il y a " l'Algérie
heureuse " dont les couleurs, les odeurs et les saveurs hantent
le souvenir de ceux qui l'ont connue (5). Une société mêlée
où Français et indigènes (mot d'époque) vivaient
côte à côte, souvent dans la même pauvreté
- voir l'enfance d'Albert Camus -, mais où les 900 000 Européens
jouissaient de tous les droits de la nationalité et de la citoyenneté,
tandis que les 8 millions d'Arabes et de Kabyles durent attendre une égalité
de statut qui arrivera trop tard. A côté d'un authentique
loyalisme arabe nourri par la fraternité des champs de bataille
de 1914-1918 et de 1943-1945, un courant autonomiste s'était progressivement
transformé en courant indépendantiste. " L'assimilation
de l'Algérie à la France avait déjà échoué
en 1954, avant même le déclenchement de l'insurrection
", conclut Guy Pervillé (6).
Des spahis en 1959. La guerre
à cheval dans de grands espaces déserts : cette image,
pour le coup, paraît d'une autre époque.
|
Un commando FLN a été éliminé dans les
égouts de Miliana.
1957. Les corps sont exposés afin d'être identifiés
par la population. |
Voici l'autre volet de la mémoire : la guerre. La guerre d'indépendance
ou la révolution algérienne, selon le vocabulaire ayant cours
de l'autre côté de la Méditerranée ; la guerre
d'Algérie pour l'opinion française, notre pays ayant attendu
1999 pour reconnaître l'état de belligérance qui a commencé
à la Toussaint 1954 et s'est achevé dans le chaos en 1962.
Dès le départ, le FLN a annoncé son intention de parvenir
à l'indépendance «par tous les moyens ».
Recourant systématiquement à la terreur afin de creuser le
fossé entre les communautés, l'organisation indépendantiste
vise les civils européens, les musulmans profrançais et son
rival, le Mouvement national algérien de Messali Hadj. Dès
1955, l'état d'urgence est proclamé en Algérie. En
1956, le contingent est mobilisé et l'Assemblée nationale
approuve l'attribution des pouvoirs spéciaux à l'armée.
Pendant la bataille d'Alger, en 1957, les parachutistes font parler les
prisonniers afin de démanteler les réseaux de poseurs de bombes.
Violence contre violence : « Chacun s'autorise du crime de l'autre
pour aller plus avant », écrit Camus dans ses Chroniques
algériennes. On croyait tout savoir sur cette histoire. A lire le
récit de Ted Morgan, un Franco-Américain appelé à
23 ans en Algérie et qui a fini officier à l'état-major
de Massu, on découvre du nouveau sur la manière dont Yacef
Saâdi, l'organisateur de P action terroriste à Alger, livra
la cachette de son adjoint Ali la Pointe... (7).
La guerre d'Algérie, cependant, c'est aussi l'affrontement au milieu
de paysages d'une beauté à couper le souffle, et presque d'égal
à égal : dans le djebel, le courage des fellaghas et leur
connaissance du terrain compensent l'infériorité de leur équipement.
Cette dimension éclate dans le film de Patrick Buisson réalisé
par Guillaume Laidet, Les dieux meurent enAlgérie. La guerre des
combattants, qui sera diffusé le 13 avril sur la chaîne
Histoire : comme toutes les guerres, la guerre d'Algérie est affreuse
et cruelle, mais elle n'est pas partout et tout le temps une guerre sale.
Appelés ou soldats de métier, près de 2 millions de
Français ont combattu en Algérie. Ils n'en ont pas rapporté
les mêmes images, comme le montre l'enquête que Jean-Charles
Jauffret, professeur à Sciences-Po Aix, a menée auprès
de 1000 témoins. Guerre des paras, guerre des grottes, guerre des
mines, mais aussi guerre des instituteurs mobilisés qui font leur
métier sous l'uniforme, scolarisant 50 % des enfants du bled en 1960
(contre 15 % en 1954), ou guerre des services de santé. «Médecins,
dentistes et chirurgiens auxiliaires du contingent, souligne Jauffret, ayant
la foi des nouveaux praticiens, souvent très proches des populations
misérables du bled, n'ont d'égaux en dévouement que
les infirmiers » (8).
En 1959, un nouveau dispositif militaire, le plan Challe, s'emploie
à pacifier le territoire, au prix, il est vrai, de considérables
déplacements de la population musulmane. Quatre cent mille hommes,
contingent compris, et 210 000 supplétifs musulmans servent sous
le drapeau français. Au printemps 1960, l'armée a gagné
: sur 46 000 fellaghas, l'ALN a perdu 26 000 tués et 10 000 prisonniers.
Le vrai tournant de la guerre d'Algérie sera donc politique.
L'INDÉPENDANCE
DE L'ALGÉRIE RESSEMBLE À UNE INTERDÉPENDANCE |
Jusqu'en 1958, même à gauche, ceux qui songent
à l'indépendance sont une poignée. En vue de ramener
le général de Gaulle au pouvoir, ses partisans exploitent
le sentiment Algérie française. Le 13 mai 1958, dans une étonnante
ambiance de fraternité franco-musulmane, un comité de salut
public constitué à Alger engage un bras de fer avec Paris,
forçant quinze jours plus tard le président de la République,
René Coty, à nommer le Général à la présidence
du Conseil. Le 4 juin, à Alger, devant une foule enthousiaste, de
Gaulle lâche sa célèbre phrase : « Je vous
ai compris. » La population européenne, les militaires
et les musulmans loyalistes sont dès lors convaincus que la France
restera en Algérie. Terrible 72
LE FIGARO MAGAZINE - 8 AVRIL 2016malentendu. Car le 16 septembre
1959, le général de Gaulle, président de la République
depuis neuf mois, proclame le droit des Algériens à l'autodétermination.
La plupart des historiens, aujourd'hui, estiment que de Gaulle a accédé
au pouvoir en sachant qu'il allait donner l'indépendance à
l'Algérie : il le dira à Alain Peyrefitte, il ne croit pas
à l'intégration des musulmans, et nourrit de grands projets
qui, à ses yeux, supposent de tourner la page coloniale de l'histoire
de France. Le chef de l'Etat sait de plus que l'opinion métropolitaine
le suivra, comme le prouvera le référendum de janvier 1961
(79 % de voix pour l'autodétermination). Dès lors,
l'Algérie française est condamnée : ni le putsch des
généraux ni l'aventure de l'OAS n'arrêteront le mécanisme
qui aboutira aux accords d'Evian et à l'indépendance.
Alger, 1960. A cette date, l'armée
française a gagné la guerre sur le terrain. La défaite
sera politique |
Indépendance ? Depuis cinquante ans, les relations
franco-algériennes ont alternativement traversé des phases
de tension ou de détente, souvent en lien avec les questions économiques.
Des constantes se dégagent toutefois. D'abord le refus du FLN, qui
détient toujours le pouvoir, de considérer avec sérénité
le passé français de l'Algérie, ramené à
un système de domination coloniale maintenu par des crimes militaires.
Ensuite l'existence, derrière l'indépendance proclamée,
d'une forme déguisée d'interdépendance, puisque l'Algérie
a besoin de la France et que l'Algérie est un partenaire de la France.
Au moins 4 millions de résidents d'origine algérienne vivent
en France, dont la moitié de binationaux, tandis que les cadres du
régime, tout en vitupérant collectivement l'ancien colonisateur,
se soignent en France et y font faire leurs études à leurs
enfants. D'où ce constat de l'écrivain algérien Kamel
Daoud : " l'Algérie tient la France par la périphérie
(banlieue et mosquées), la France tient l'Algérie par le centre
(économie et contrats internationaux) " (9).
Entre un dynamisme démographique qui vaut
aux jeunes de représenter 35 à 40 0/0 de la population
algérienne, une économie ébranlée par l'effondrement
des cours du pétrole et l'épuisement du régime, suspendu
à la mort de Bouteflika, l'Algérie peut être déstabilisée
du jour au lendemain. Or, explique un autre écrivain algérien,
Boualem Sansal, dont le roman d'anticipation, 2084, imagine un monde dominé
par l'islam radical (10), les islamistes étrangers de Daech ou d'
al-Qaida se tiennent en embuscade en Algérie, pendant que les islamistes
locaux se sont introduits dans les rouages de l'Administration. Que se passera
- t - il lorsque le Président algérien, au terme de seize
années de règne, s'effacera de la scène ? " S'il
y aune explosion de l'Algérie, assure Boualem Sansal, le Maroc et
la Tunisie seront déstabilisés. L'Europe sera confrontée
à un mouvement migratoire de masse qu'elle ne pourra pas maîtriser
" (11).
Le quotidien algérien El Moudjahid, fondé en 1956, est l'organe
du FLN. Contrairement à ce que croyaient ses soutiens français,
son titre, en arabe, ne signifie pas " le combattant ",
mais " le combattant de la foi ". En 1963, le code de la
nationalité algérien a fait de l'islam et du patriarcat musulman
le fondement de l'identité du pays, pendant que la Constitution de
la nouvelle République affirmait que l'Algérie " tient
sa force spirituelle de l'islam ", proclamé religion d'Etat.
Jean Birnbaum rappelle ces faits dans un essai où il déplore
l'incapacité de la gauche française à comprendre la
nature religieuse de l'islamisme (12). L'ouvrage est d'autant plus intéressant
que l' auteur , directeur du Monde des livres, est l'archétype de
l'intellectuel de gauche. Or il montre que l'aveuglement de sa famille d'idées
devant l'islamisme trouve son fondement dans son aveuglement d'hier face
au poids de l'islam dans la révolution algérienne.
ON A OUBLIÉ
LE
POIDS DE L'ISLAM
DANS LA RÉBELLION
ALGÉRIENNE
|
Alors que le FLN,
pendant la guerre d'Algérie, brandissait à l'extérieur
des thèmes occidentaux (indépendance, démocratie,
révolution, modernité), il attirait les masses, à
l'intérieur, par l'appel au djihad : il fallait libérer
la terre d'islam de laprésence de l'infidèle. Cet aveu,
quoique tardif, a les allures d'un tremblement de terre dans un paysage
intellectuel français longtemps sourd et aveugle sur un sujet marqueur
de son identité : combien, dans les années 50, se sont engagés
dans la politique, à gauche ou à l' extrême gauche,
au nom de l'anticolonialisme, de la libération du peuple algérien
opprimé, etc.
Désignés aujourd'hui
sous le nom de harkis, 150 000 supplétifs musulmans ont servi
avec l'armée française en Algérie. |
L'héritage colonial français a été
diabolisé. Il a pourtant été source d'expériences,
d'études et de réflexions qu'on a oubliées, argumente
Pierre Vermeren, un professeur d'histoire contemporaine, spécialiste
de l'Afrique du Nord (13). Même si le monde a changé, même
si l'Islam mondial n'est plus ce qu'il était il y a soixante ans,
les interrogations sur les rapports de l'islam avec la République
laïque et avec les autres religions se posaient dans les années
1950. Orpheline de toute vision historique, notre société
gagnerait à se rappeler que le passé sert à tirer
des leçons pour aujourd'hui. On n'en a pas fini avec la guerre
d'Algérie.
JEAN SÉVILLIA
En quatre mois, au printemps
1962, 700 000 Européens quittent l'Algérie, la plupart
abandonnant
tout derrière eux. |
(I) Jean-Jacques Jordi, Un silence d'Etat. Les disparus
civils européens de la guerre d'Algérie, Editions Soteca,
2011 ; Guy Pervillé, Oran. 5 juillet 1962. Leçon d'histoire
sur un massacre, Vendémiaire, 2014.
(2) Harkis, soldats abandonnés. Témoignages, XO éditions,
2012.
(3) Guy Pervillé, Les Accords d'Evian (1962). Succès ou
échec de la réconciliation franco-algérienne (1954-2012),
Armand Colin, 2012.
(4) Henry Rousse, Face au passé. Essais sur la mémoire contemporaine,
Belin, 2016.
(5) Laurent Chollet, LAIgérie de ma mémoire. 1930-1962,
Gründ, 2015.
(6) Guy Pervillé, La France en Algérie, 1030-1954, Vendémiaire,
2012.
(7) Ted Morgan, Ma bataille d'Alger, Tallandier, 2016.
(8) Jean-Charles Jauffret, La Guerre d'Algérie. Les combattants
français et leur mémoire, Odile Jacob, 2015.
(9) Le Point, 25 juin 2015.
(10) Boualem Sansal, 2084, la fin du monde, Gallimard, 2015.
(11) Le Figaro, 24 février 2016.
(12) Jean Birnbaum, Un silence religieux. La gauche face au djihadisme,
Seuil, 2016.
(13) Pierre Vermeren, La France en terre d'islam. Empire colonial et religions,
Xl"-XXe siècle, Belin, 2016.
(
pour la totalité, se reporter
au PDF joint) :
LA GUERRE d'ALGÉRIE
- UN
PASSÉ TRÈS PRÉSENT
LE FIGARO MAGAZINE - 8 AVRIL 2016
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