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        Trop préoccupées 
          de traverser le carrefour du boulevard Bugeaud, de la rue de Constantine 
          et de la rue Waïsse, sans se faire écraser par les nombreux 
          véhicules de toute nature qui s'y emmêlent, nombreuses 
          sont les personnes qui n'ont attaché qu'une médiocre importance 
          au superbe et immense palmier qui s'y dresse majestueusement. Et cependant, 
          ce palmier a une histoire, très peu connue, et qui mérite 
          toutefois qu'on y prête attention. 
          
          En faisant la part de la vérité et de la légende, 
          voici ce qui me fut conté à son sujet. Il y a fort longtemps, 
          une période de sécheresse avait tari toutes les sources 
          d'El-Djezaïr et la population était condamnée à 
          mourir de soif si cet état de choses durait encore quelques jours. 
          Or, à cette même époque vivait Sidi Abd-el-Kader 
          El-Djilali. Ce saint homme avait la réputation de faire des miracles, 
          entre autres, celui de faire sourdre l'eau là où personne 
          ne pouvait la soupçonner. Ce fut donc à lui que le peuple 
          altéré demanda de mettre un terme à son horrible 
          soif. 
          
          Après maintes recherches infructueuses sur le territoire de la 
          ville des corsaires, El-Djilali s'arrêta enfin à l'endroit 
          même où se trouve encore le seul témoin de cette 
          histoire miraculeuse. Il n'y avait là, à cette époque 
          lointaine, que quelques misérables gourbis, entourés d'une 
          maigre végétation, dominée par le palmier dont 
          je viens de causer. " Creusez ici ", dit-il à la foule 
          anxieuse qui le suivait, " et vous aurez, de l'eau ". Immédiatement, 
          avec une ardeur fanatique, un trou fut fait et, miracle, une eau belle 
          et claire comme du cristal et fraîche à souhait jaillit 
          en murmurant. Une immense clameur s'éleva de la foule et le saint 
          nom d'Allah fut béni avec ferveur, chacun se prosternant, la 
          face contre terre. 
          
          L'homme qui découvrit miraculeusement cette source jouit de tous 
          les attributs d'un grand marabout et les pèlerins vont se recueillir 
          sur sa tombe, à Bagdad, où il mourut au cours d'un pèlerinage. 
          A Alger, nombreux sont les musulmans qui viennent encore aujourd'hui 
          imposer les mains sur le palmier qui profita le premier de la douceur 
          de cette eau et qui, grâce à elle, a grandi et vieilli 
          en conservant une rare vigueur. 
          
          Mais, hélas, la civilisation a détruit, en partie, ce 
          lieu saint. La source que les invocations du marabout El-Djilali fit 
          jaillir, pour le plus grand bien des disciples de Mahomet, est maintenant 
          recouverte par le banal ciment d'un trottoir; elle est foulée 
          chaque jour par des pieds qui seraient sacrilèges s'ils n'étaient 
          ignorants. Avant de disparaître complètement, elle fut 
          aménagée en fontaine dont les plus de quarante ans peuvent 
          avoir gardé un vague souvenir. Puis, un jouir brusquement, elle 
          disparut devant la civilisation envahissante. Est-ce à dire qu'elle 
          est perdue ? Pas du tout. Elle coule encore et toujours, mais un peu 
          plus bas, à l'entrée d'une cave de la Maison Eschenauer, 
          au bastion Sud. Elle ne sert plus à désaltérer 
          un peuple mourant de soif. En changeant de place ses vertus se sont 
          modifiées. 
          
          Chaque jeudi, les femmes musulmanes, accompagnées de leurs enfants 
          ou des parentes de leur mari sont autorisées à venir demander 
          à l'âme du saint marabout Sidi Abd-el-Kader El-Djilali, 
          un bienfait qu leur garantit au foyer une place sûre : avoir un 
          enfant mâle. De nombreuses mauresques, qui ne sont point encore 
          en puissance de mari, viennent aussi demander au marabout le bonheur 
          d'être choisies bientôt comme épouse d'un brave homme 
          auquel elles donneront des fils courageux et forts. Chacune d'elle apporte 
          son offrande : celle-ci, soulevant son haïck brodé, respire 
          les fumées de l'encens brûlant dans un creuset ; une autre, 
          allume un cierge rouge placé près de la source ; d'autres 
          font sacrifier un poulet. Egorgé, le volatile est jeté 
          dans un vieux fût défoncé et se débat encore 
          quelques instants, tandis que d'autres suppliantes baisent pieusement 
          des soies éclatantes tapissant les murs du bastion entre les 
          étendards surmontés d'un croissant de cuivre. 
          
          Les offrandes apportées par ces croyantes sont ensuite réunies 
          et, la plupart du temps, servent à confectionner un délicieux 
          couscous qui est distribué à tous ceux qui sont désireux 
          d'y goûter. Les pauvres et les pauvresses, connaissant bien cette 
          pratique charitable, se pressent alors autour des grands plats préparés 
          et y puisent des forces qui leur permettront d'attendre avec plus de 
          patience de nouvelles agapes. Nombreux aussi sont les aveugles, les 
          paralytiques, les infirmes de toutes catégories qui s'accroupissent 
          sur le passage des mauresques, psalmodiant quelques vagues versets du 
          Coran et surtout tendant infatigablement une main dans laquelle tombent 
          quelques oboles. 
          
          Des marchands ambulants de sucreries, de pâtisseries indigènes 
          et espagnoles ont aussi leurs éventaires à proximité 
          de la fontaine miraculeuse et les petites mauresques, bousculées 
          par des yaouleds chapardeurs, font empiète de sucres rouges dont 
          elles se barbouillent la figure. 
          
          Puis, chacune des croyantes emporte, dans un petit récipient 
          de cuivre ou d'étain, quelques gouttes du précieux liquide 
          qui servira à leur créer du bonheur.