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       La Céramique 
        en Afrique du Nord  
        (A PROPOS D'UNE EXPOSITION) 
      Une exposition organisée au Cercle 
        franco-musulman d'Alger par les élèves du cours M. céramique, 
        que dirige à l'École des Beaux-arts M. Omar Ghammed, vient 
        de prendre fin après avoir connu un légitime succès. 
        On y a vu des pièces décorées, plats, vases, panneaux 
        de revêtements et sculptures émaillées d'une fantaisie 
        charmante et d'une excellente technique ; les plus remarquables étant 
        - comme il va sans dire - celles qu'exécuta M. Ghammed lui-même. 
        Venu pour l'inauguration, M. le Ministre plénipotentiaire Yves 
        Chataigneau, Gouverneur Général, a voulu marquer l'intérêt 
        qu'il portait à cette industrie renaissante et son désir 
        de l'encourager. L'heure est particulièrement propice pour rendre 
        ces encouragements souhaitables et efficaces. L'Algérie, sortie 
        de la tourmente, songe à réorganiser son artisanat. Elle 
        s'est avisée, durant les années d'épreuve, de la 
        nécessité de se pourvoir, avec ses propres moyens, des objets 
        ménagers que la Métropole ne lui fournissait plus. Nous 
        avons mangé dans des assiettes et bu dans des tasses modelées 
        avec la terre du pays. Le galbe et la couleur nous en ont semblé 
        d'une rusticité plaisante. Cette fabrication peut-elle survivre 
        et se développer ? Les jeunes gens et les jeunes filles de l'École 
        des Beaux Arts viennent, avec des moyens forts réduits, de le démontrer 
        de la manière à la fois la plus discrète et la plus 
        éloquente. Pour compléter la leçon qu'ils nous donnent 
        ainsi que le bel artiste, leur maître, il ne semble pas inutile 
        de rappeler les titres de noblesse 
        de la céramique dans l'Afrique du Nord. 
         
        DES ORIGINES A L'ISLAM 
         
        Si, comme le dit Théophile Gautier, " le buste survit à 
        la cité", le vase, ou tout au moins le tesson, lui survit 
        plus sûrement encore. Il es:: parfois le seul vestige d'un établissement 
        urbain disparu. Le mur s'écroule et les pierres, transportées 
        ailleurs, trouvent un nouvel emploi. Les débris d'un vase, étant 
        inutilisables, restent sur place et attestent que là des hommes 
        ont vécu, ont fait cuire leurs aliments, ont conservé des 
        liquides ou des grains. La poterie est même antérieure à 
        la cité, au groupement des habitations les plus rudimentaires. 
        On la trouve, avec les outils de pierre taillée ou polie et les 
        os travaillés qui caractérisent l'âge néolithique, 
        dans les grottes où l'homme s'abritait, et enfouies sous ces curieux 
        monticules d'escargots qui, s'élevant sur la plaine, représentent 
        de longues années de cuisine. 
         
        Dès cette aurore de l'industrie cramique, le vase prend souvent 
        figure d'objet d'art il est parfois badigeonné de rouge, orné 
        avec une ponte ou avec l'ongle, de points, de hachures ou de zigzags. 
        Certains doivent les reliefs qui les couvrent au moule de vannerie à 
        l'intérieur duquel la terre fut tassée ; le feu qui les 
        cuisait a. brûléla paille tressée et durci l'argile. 
         
        Cette poterie primitive se perpétuera pendant bien des siècles. 
        C'est elle que l'on rencontre dans les sépultures de peu antérieures 
        à l'ère chrétienne, dans ces dolmens que l'Afrique 
        du Nord a connus comme la Bretagne. En fait, elle n'a jamais disparu du 
        pays. Les petits sanctuaires musulmans de la campagne contiennent encore 
        des écuelles ou des lampes qui en dérivent, et dans toutes 
        les maisons, les qanouns, ces braseros portatifs où la braise fait 
        mijoter les sauces, se réclament à leur manière de 
        la tradition néolithique. 
         
        Très vivante elle aussi et guère moins vénérable 
        est la poterie berbère décorée au pinceau. Mais son 
        origine ne laisse pas d'être énigmatique. Quand est-elle 
        apparue ? Est-elle spécifiquement berbère ? M. Van Gennep 
        a montré les analogies qu'elle présente avec les poteries 
        qu'on fabriquait en Méditerranée orientale, notamment dans 
        l'Ile de Chypre, au premier âge du bronze. quelque trois mille ans 
        avant Jésus-Christ. Fut-elle un legs du monde égéen 
        ? Stéphane Gsell était disposé à l'admettre 
        Quand aborda-t-elle l'Afrique du Nord ? La trouvaille de pièces 
        semblables dans un abri du rocher de Constantine autorise à affirmer 
        son existence aux environs de l'ère chrétienne. Les recherches 
        futures permettront peut être de remonter plus haut. Ce qui est 
        certain, c'est que cet art rural s'affirme étonnamment 
        archaïque, tant par sa technique que par son style, Travail de femmes, 
        ne nécessitant ni le tour, ni le four de potier, le vase est modelé 
        au boudin d'argile, séché, peint directement sur la terre 
        ou sur un engobe qui en dissimule la couleur trop foncée, et il 
        est cuit à. l'air libre. Parfois un vernis de résine donne 
        à la pièce un éclat sombre et la rend moins poreuse. 
         
        Plus que la Tunisie et le Maroc, l'Algérie en produit encore d'une 
        étonnante diversité. Elles attestent un sens décoratif 
        inné chez les femmes berbères. Chaque région a ses 
        formes et ses thèmes ornementaux. Il en est de très grand 
        style ; d autres d'une richesse élégante et sans surcharge. 
        Le musée du Bardo en conserve une collection unique et que l'on 
        souhaiterait de voir sans retard de nouveau accessible aux ouvriers d'art 
        et aux ethnographes. 
         
        Pendant que cette industrie familiale, cristallisée dans les villages 
        berbères, traversait les siècles, le pays devenu punique, 
        puis romain, recevait dans ses ports des pièces de céramique 
        importées du monde méditerranéen. Les ateliers cl;s 
        villes s'inspiraient de ces modèles et leurs oeuvres en différaient 
        peu. Les fouilles en ont livré beaucoup et de fort belles, depuis 
        les jarres énormes pour les céréales, les amphores 
        pour l'huile ou le vin et les urnes funéraires, jusqu'aux lampes 
        décorées de reliefs prophylactiques ou d'inscriptions, dont 
        certaines nous disent qu'elles ne coûtent qu'un sou. 
         
        Cependant quelles que soient la pureté du galbe ou la finesse des 
        empreintes, il manque à ces pièces antiques la magie de 
        l'émail. 
         
        L'Égypte pharaonique possédait le merveilleux secret, mais 
        elle ne semble l'avoir transmis ni à la Grèce, ni à 
        Rome. Mieux d'ailleurs que l'Égypte, il eut l'Asie pour berceau. 
        La Chine et :Iran furent ses vraies patries, et c'est de l'Iran qu'il 
        rayonna sur le monde africain conquis par l'Islâm. 
         
        LE MOYEN-AGE NORD AFRICAIN 
         
        L'Iran, ou pour mieux dire la Mésopotamie, entre triomphalement 
        dans l'histoire de notre céramique musulmane avec les faïences 
        de la Grande Mosquée de Kairouan. 
         
        Alentour de la niche du mihrâb qui se creuse au fond de la salle 
        de prière, cent trente neuf carreaux de faïence à reflets 
        métalliques rayonnent de toute la richesse de leurs ors pâles 
        ou sombres, amortis ou éclatants. Ils sont contemporains de la 
        mosquée elle-même, c'est-à-dire du IXè siècle 
        de l'ère chrétienne. Un vieux texte nous apprend qu'ils 
        furent envoyés de Bagdad à l'Emir tunisien pour qu'il en 
        décorât son palais. Une pieuse pensée les fit détourner 
        de cet emploi profane et consacrer à la parure du lieu saint. L'auteur 
        ajoute que le céramiste qui les apporta forma sur place des élèves 
        qui complétèrent l'ouvrage. Quoi qu'il en soit, leur évidente 
        parenté avec les faïences que l'on exhume en Irak dans les 
        ruines des palais califiens du IX' siècle atteste l'ancienneté 
        et l'origine orientale de cette somptueuse collection, que l'Afrique du. 
        Nord a la gloire de posséder. 
         
        Les pays d'Orient, l'Iran ou l'Égypte, vont exercer leur influence 
        sur l'art de la Tunisie et de la région algérienne qui l'avoisine 
        pendant les trois siècles qui suivront, et la céramique 
        en porte l'empreinte. 
         
        De très bonne heure, dès le XIè siècle et 
        peut être plus tôt, la terre émaillée s'associe 
        à l'architecture, avec ses incrustations décorant les façades, 
        avec ses pavages, où des formes découpées se juxtaposent 
        comme les éléments d'une marqueterie. Des vases et des plats 
        sont fabriquées dans le pays même. 
         
        Certes nous n'aurons plus d'ensembles comparables à celui de la 
        Grande Mosquée de Kairouan, mais les fouilles nous ont livré 
        de précieux débris qui sont autant de miettes d'histoire. 
        Outre les faïences à reflets métalliques, nous trouvons 
        dus pièces peintes sur engobe ou sur émail stannifère 
        d'une polychromie sobre ou n'interviennent d'abord que le brun de manganèse 
        et le vert, parfois le jaune ocreux. N'oublions pas cette technique à 
        coup sûr très ancienne (la Perse des Achémenides la 
        connaissait déjà), où des couleurs fusibles sont 
        circonscrites par un trait noir fixe, qui les cloisonne les empêche 
        de se mélanger. Enfin, la poterie estampée, laissée 
        nue ou émaillée de vert, tient une large place dans cette 
        céramique nord-africaine. 
         
        Qu'il soit tracé au pinceau ou imprimé en relief dans l'argile 
        encore molle, le décor est large et bien adapté à 
        la forme. Les inscriptions coufiques y tiennent une place notable. Les 
        représentations animales, voire la figure humaine, n'en sont pas 
        absentes, ce qui ne nous surprend pas. On sait que l'art fatimite d'Égypte, 
        avec lequel celui-ci s'apparente, s'en est abondamment servi. 
         
        On ne peut douter que cette industrie ait été des plus actives 
        dans les cités berbères. Alfred Bel a exhumé aux 
        portes de Tlemcen les restes d'un four qu'il croit pouvoir date du X' 
        siècle. Le sol de la Qala des Beni-Hammâd, entre Sétif 
        et Msila, cité maintenant en ruines qui fut capitale de royaume 
        au XIè siècle, est jonché de tessons, et l'on y rencontre 
        en assez grand nombre ces cylindres de terre cuite qui servaient à 
        séparer les pièces empilées dans le four. 
         
        L'invasion des Arabes nomades vers 1050 compromit ce beau développement 
        artistique. Les populations laborieuses se replièrent vers la côte. 
        Tunis succède à Kairouan et Bougie hérite de la Qala. 
        Bougie fut en particulier un centre d'art céramique dont nous suivons 
        de siècle en siècle la floraison et le rayonnement. C'est 
        vraisemblablement par Bougie que la Sicile des rois Normands reçut 
        au XII' siècle son initiation à la faïence, attestée 
        par les fragments du musée de Palerme Un heureux hasard nous permet 
        d'affirmer que les faïences bougiotes étaient également 
        exportées sur notre côte, provençale. Des fouilles 
        entreprises dans le sol de Marseille ont mis au jour des tessons à 
        décor bleu semblables à tout un groupe de ceux que l'on 
        avait trouvés à Bougie. Ces faïences peuvent être 
        datées du XIII' siècle. Au début du XIV', l'inventaire 
        d'une pharmacie de Gênes mentionne des pots de faïence dorée 
        de Bougie. Une autre série, où concourent le bleu et le 
        lustre métallique, s'apparente aux faïences espagnoles que 
        Valence fabriquait au XIVè et XVe siècle. 
         
        Ainsi l'Afrique du Nord joue son rôle dans cette histoire de la 
        céramique au Moyen âge. Ainsi le secret merveilleux, légué 
        par la Perse et transmis à travers les pays d'Islam, fait fleurir 
        la beauté le long des côtes de Méditerranée, 
        plusieurs siècles avant que le Saintongeois Bernard Palissy ait 
        appliqué son effort général à le retrouver. 
         
        LES TEMPS MODERNES 
         
        Que devait-il survivre de cet âge d'or dans le pays même ? 
        Nous en sommes ici presque réduits aux conjectures. Un jour viendra 
        peut-être où nous pourrons jalonner de témoins bien 
        datès les quatre ou cinq siècles qui séparent la 
        ceramiqae du Moyen Age de celle de notre temps. On présume que 
        le glorieux héritage fut en partie perdu, tout au moins en Algérie, 
        mais que le Maroc et la Tunisie ne durent jamais cesser de faire de la 
        Faïence. 
         
        La Tunisie reçut même l'appoint de céramistes musulmans 
        chassés d'Espagne. On cornait à Tunis des azulejos - carreaux 
        revêtus de couleurs cloisonnées - qu'un saint homme d'origine 
        andalouse, Sidi Qassem El Jalizi, mort en 1497, fabriquait dans la ville 
        où il avait trouvé refuge. Certains de ces carreaux ornent 
        encore son tombeau. Us faïenciers immigrés ou autochtone purent 
        continuer à décorer des plats et des vases. L'influence 
        orientale propagée par les Turcs imposa la mode des panneaux de 
        revêtement, où des bouquets s'encadrent dans un arc en fer 
        à cheval ou festonné. Les maisons de Tunis en gardent de 
        fort beaux et le musée tunisien du Bardo, comme le musée 
        d'Alger, en possèdent d'une composition bien équilibrée 
        et d'une couleur harmonieuse. On sait que cette industrie d'art survit 
        à Nabeul, héritière de Tunis. 
         
        A l'autre bout de l'Afrique du Nord, la tradition s'est également 
        maintenue. Le Maroc a conservé et même développé 
        un peu abusivement l'usage des zelij - les marqueteries de terre 
        émaillées. Ces revêtements n'ont pas la valeur de 
        ceux du XIII' et XIV° siècles. Les combinaisons géométriques 
        sont plus monotones et la palette moins riche. Les faïenciers de 
        Fez savent toujours peindre des plats creux, des pots à couvercle 
        et des tambours de poterie ; mais, là aussi, la décadence 
        menace une industrie d'art encore florissante il y a moins d'un siècle. 
        On cannait les précieuses collections du musée du Batha, 
        dont certaines pièces, inspirées de modèles hispano-mauresques, 
        soutiendraient la comparaison avec les faïences de Damas ou de Brousse. 
        Dans un livre excellent, Alfred Bel les a étudiées, et il 
        a signalé les dangers qui compromettaient ce legs des ancêtres. 
        La recherche du profit facile et du travail rapide ont abâtardi 
        le décor et appauvrit la matière des émaux. Le service 
        des Arts indigènes s'applique à conjurer le mal. On souhaite 
        qu'il y réussisse. 
         
        Comparée aux deux pays qui l'avoisinent, l'Algérie semble 
        avoir tout oublié d'un art céramique qui ne fut pas sans 
        gloire et l'on serait tenté de douter qu'elle l'ait jamais connu. 
        L'ancien Maghreb central apparaît comme une grande région 
        rurale où la civilisation citadine, sans racines profondes, ne 
        pouvait résister aux vicissitudes que lui imposaient les quatre 
        derniers siècles. L'accession fortuite d'Alger, ville sans tradition, 
        au rang de capitale était peu propice au rayonnement de la culture 
        artistique sur le pays, et ses maîtres levantins ne s'en préoccupaient 
        guère. Certes, ces in-âtres appréciaient le confort 
        et le luxe dans le décor de leur vie, mais leur origine même, 
        l'étonnant mélange de races qui composait 
        la classe dominante, les rendait peu soucieux de la provenance de ce décor. 
        A défaut de leur domaine, africain, l'Europe y pourvoyait. Prises 
        de mer, achats, présents consulaires, redevances annuelles des 
        États chrétiens, qui espéraient se garantir ainsi 
        contre les pillages, alimentaient Alger en objets d'art, en marbres sculptés, 
        en pendules, en tissus somptueux, en glaces de Venise et en céramiques. 
        Les demeures urbaines et les villes de corsaires étaient pavées 
        et lambrissées de carreaux de faïences importés. La 
        fabrication tunisienne y était largement représentée. 
        mais on y trouvait aussi les panneaux à fleurs et les paysages 
        italiens ou espagnols, les bateaux et lx s moulins à vent hollandais. 
        Comme Delft, Marseille et Moustiers concouraient à la parure de 
        ces maisons barbaresques. Le Général Broussaud en a composé 
        un précieux album ; pas une de toutes les pièces qu'il a 
        reproduites ne se peut attribuer à l'industrie locale. Si les ateliers 
        algériens produisaient des poteries sans décor à 
        usage ménager, l'art céramique véritable y était 
        complètement inconnu. Devait-on renoncer à le ressusciter 
        pour mieux dire à le faire naître ? Des gens de courage et 
        de goût venus de France le crurent possible. 
         
        Le premier, sauf erreur, venait de Touraine : il s'appelait Soupireau. 
        En 1888, il fonda un atelier ou, mettant en uvre la technique orientale 
        de la peinture sous couverte vitreuse, il créait des pièces 
        dont, l'Orient lui inspirait les modèles. Mais il fit mieux encore 
        : il forma des élèves et transmit le noble " art de 
        terre " à toute une équipe. De ce nombre furent Mlle 
        Langlois, qui, avec son père, monta dans Alger un atelier nouveau, 
        M. Lamali, qui porta son métier à Safi, sur la chie marocaine 
        où il s'est acquis une notoriété légitime, 
        enfin et surtout M. Omar Ghammed, qui devint le maître dont nous 
        admirons les oeuvres et le fécond enseignement. Si nous ajoutons 
        à ces noms celui de Delduc, que hantaient les beaux souvenirs d'un 
        séjour en Iran et qui légua le métier à son 
        fils, enfin celui de Mme de Vialar, a qui les miniatures persanes ont 
        inspiré de somptueuses pages décoratives, nous aurons donné 
        un aperçu de cette histoire de la céramique algérienne, 
        histoire d'hier, pour laquelle l'exposition récente permet d'entrevoir 
        les plus encourageants lendemains. 
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