| -----------Au 
        cur du Zaccar, à 720 mètres d'altitude, la ville de 
        Miliana domine fièrement la vallée du Chélif, que 
        ferment au sud les chaînes de l'Atlas tellien et de l'Ouarsenis. 
        Le patron de cette ville est l'illustre Sidi Ahmed ben Youssef, qui attire 
        toujours de nombreux pèlerins, isolés ou en groupes, non 
        seulement des départements d'Alger et d'Oran, mais du fond du Sahara 
        et de quelques tribus du Maroc.-----------Le 
        sanctuaire est l'un des plus importants de l'Algérie. A côté 
        d'une mosquée au beau minaret carré, il s'élève 
        sur un terre-plein ombragé auquel conduisent à gauche un 
        escalier, à droite une rampe que peuvent gravir les chevaux et 
        les mulets. Un couloir mène à une vaste cour carrée 
        où chante un jet d'eau dans une vasque célébrée 
        par les poètes et où pousse un noyer aux fruits pleins de 
        baraka. Trois côtés de cette cour sont limités par 
        un double étage de galeries sur lesquelles s'ouvrent des chambres 
        pour pèlerins à l'étage supérieur. Sur le 
        quatrième côté, face au couloir d'entrée, s 
        élève la qoubba proprement dite abritant la salle funéraire, 
        le darih. C'est une vaste salle couverte d'une coupole octogonale, blanche 
        à l'extérieur, peinte intérieurement en tranches 
        rouge sombre, jaune et vert. Elle est richement ornée de carreaux 
        de faïence, de tableaux représentant la Mecque et Médine, 
        de calligraphies, de drapeaux, d'horloges, d'oeufs d'autruche en pendentifs. 
        Un catafalque, tabout, couvert de soieries multicolores est protégé 
        par une double grille de fer et de bois.
 -----------Une 
        inscription près de la porte date la reconstruction de la qoubba 
        de 1143 de l'Hégire, 1731 de l'ère chrétienne.
 -----------Les 
        jours de fête, cette salle est pleine d'une foule à la ferveur 
        impressionnante. A droite, des hezzabin psalmodient sans relâche 
        ; l'oukil et les descendants du saint reçoivent les offrandes sur 
        une étoffe de soie bleue et blanche étendue devant eux, 
        distribuent des cierges et des fleurs. Les pèlerins déchaussés 
        vont au catafalque, touchent les soieries, les baisent, les pressent sur 
        leur cceur, soulèvent la tenture pour voir la tombe, murmurent 
        des invocations et des prières.
 -----------Derrière 
        la salle funéraire, quelques marches à partir de la galerie 
        de la cour centrale conduisent à une longue salle basse aux murs 
        barbouillés de henné. C'est là qu'est enterrée 
        Lalla Bghoura, la vieille servante noire du saint. A droite, tin couloir 
        conduit à la tombe de la mule qui transporta le cadavre de Sidi 
        Ahmed et, ne s'arrêta qu'en ce lieu prédestiné.
 La vie mouvementée 
        du saint. -----------Sidi 
        Ahmed ben Youssef er-Rachidi naquit, selon la plupart des sources écrites, 
        à la Kalaâ des Béni-Rachid, près de Mascara, 
        dans le second tiers du XVè siècle. Son père s'appelait 
        Mohammed. Youssef serait le nom de son bisaïeul. Selon certains, 
        il serait né au Gourara où s'élève la qoubba 
        de Sidi Mançour qui serait son père. Venu à la Qalaâ, 
        il aurait été adopté et élevé par un 
        Youssef er-Rachidi. J'ai recueilli chez les Athaouna de la Saoura une 
        version selon laquelle il serait le fils de Sidi Mançour Bou Kerkour 
        enterré à Tabelkoza, Gourara. Comme Sidi Mançour 
        était très vieux, l'on plaisanta. Il procéda alors 
        à une sorte d'ordalie, de jugement de Dieu, et jeta l'enfant dans 
        un brasier ; les langes brûlèrent, l'enfant resta intact 
        ; le père le lança dans l'espace et le bébé 
        tomba dans un pays où il fut allaité par une vache ; adopté 
        par le maître de celle-ci nommé Youssef, il alla par la suite 
        étudier à Bougie. Au Mzab, par contre, on m'a assuré 
        que Sidi Ahmed était frère utérin de Sidi Bougdemma 
        dont la qoubba domine un des plus grands cimetières de Ghardaïa. 
        Oua Allahou a'lem. Dieu est le plus savant. Il parlait, non seulement 
        l'arabe, mais le zénète et il est vraisemblable qu'il sortait 
        d'une famille zénète originaire sans doute du Maroc.-----------La 
        vie de ce personnage, parfaitement historique pourtant, n'est guère 
        moins mystérieuse que sa naissance. Il semble l'avoir passée 
        surtout en voyages dans le Maghreb moyen et le Sud oranais. On connaît 
        ses démêlés avec les derniers souverains abdelaouadites 
        de Tlemcen et sa bienveillance pour les Turcs qui prenaient pied en Afrique 
        du Nord.
 -----------On 
        sait qu'il commerça sa vie intellectuelle en étudiant à 
        Bougie avec le cheikh marocain, Ahmed Zerrouq et Parnousi (mort à 
        Tripoli en 1.494), qui l'affilia à la confrérie chadiliya, 
        laquelle dérivait de Sidi Abou Madian par Moulay Abdesselam et 
        par Aboulhassan Chadili. Cette voie mystique, dont l'historien Asin Palacios 
        a montré l'importance et l'influence possible sur les mystiques 
        espagnols comme St Jean de la Croix, moins sur les pénitences et 
        les mortifications, que sur l'abnégation intégrale, le pur 
        amour désintéressé, le renoncement même aux 
        faveurs et suavités spirituelles.
 -----------C'est 
        ainsi que Sidi Ahmed distinguait les mondains absorbés par leurs 
        intérêts temporels ; les dévots qui aspirent à 
        la vie future et songent à leurs intérêts spirituels, 
        et les gnostiques initiés à la connaissance divine qui ne 
        se préoccupent que de Dieu. Celui, disait-il, qui sert ce bas monde 
        est un captif, celui qui agit en vue des récompenses célestes 
        est un mercenaire, celui qui sert la Vérité pour elle-même 
        est un prince. Notre doctrine est d'adorer Dieu en vue du bien et sans 
        motif intéressé. Celui qui pratique la dévotion par 
        crainte du feu de l'enfer ou par désir des houris du paradis est 
        comme un esclave et un mercenaire.
 -----------Nous 
        savons aussi qu'il préconisait la voie passive du jdeb, 
        de l'extase, et se montrait favorable à la méthode très 
        répandue déjà des concerts spirituels, des litanies 
        du dzikr et de la danse extatique. Certains le lui reprochèrent. 
        Le cheikh El-Kharroubi, disciple lui aussi du cheikh Zerrouq, lui demanda 
        un jour s'il n'était pas dangereux de profaner la sagesse en multipliant 
        les initiations. d'apprendre et de faire chanter les noms divins au peuple 
        et même aux femmes. Sidi Ahmed répliqua que faute de mieux 
        la psalmodie sacrée occupait l'un de leurs sens et apaisait leur 
        âme. Et le cheikh El-Kharroubi s'inclina devant ce point de vue 
        qu'il reconnut dériver d'une connaissance plus étendue que 
        la sienne.
 -----------Devenu 
        (après avoir failli être capturé par un corsaire chrétien) 
        dans sa région d'origine, à Ras-el-Ma près de Mascara, 
        sur l'ordre d'un mystérieux danseur extatique, il ouvrit une zaouia 
        et commença à être connu comme professeur et comme 
        saint. Après deux siècles fort brillants, la dynastie zénète 
        de Bagou Zélan ou Abdelwad de Tlemcen était en décadence. 
        Sidi Ahmed fut en assez mauvais termes avec ses derniers représentants. 
        L'accueil triomphal fait un jour au saint par la population d'Oran lui 
        aurait attiré la jalousie de l'émir. Les persécutions 
        que lui firent subir les Banou Zéïan leur valurent sa malédiction. 
        Les Espagnols prirent Oran en 1509 ; les Turcs occupèrent une première 
        fois Tlemcen en 1517 puis définitivement en 1555. C'est en 1517, 
        date de l'installation des Turcs à Alger, que Barberousse envoya 
        des présents à Sidi Ahmed, qu'il avait peut-être secrètement 
        rencontré quelques années avant au mouillage de Christel, 
        lors d'une de ses croisières, et conclut avec lui un tacite accord 
        d'aide mutuelle.
 -----------Sidi 
        Ahmed s'était d'abord réfugié à l'Hillil pour 
        se cacher des émirs tlemcéniens. On le retrouve dans la 
        vallée du Chélif, puis à Mazagran, à Tlemcen, 
        où il échappe, dit-on, miraculeusement au bûcher, 
        et où il est emprisonné par l'émir Abou Hammou.
 Les " égorgés 
        "
 -----------Il 
        dut pousser des pointes vers le Sahara où il a encore des disciples, 
        et où il prononça un de ses dictons en prose assonancée 
        : " Votre sable a desséché 
        ma gorge ; vos pierres ont usé mes pieds et votre eau ne m'a pas 
        désaltéré. Je n'en ai même pas eu assez pour 
        mes ablutions ".-----------" 
        Si tu trouves le Sahara si mauvais, lui dit 
        alors son disciple Sidi Sliman Bou Smaha, il vaut mieux que je le quitte 
        aussi ".
 -----------" 
        Non, répliqua le saint, reste ; tes descendants 
        le peupleront. Le désert est un puits dont le chameau est le delou 
        (sac de cuir avec lequel on puise) ".
 
 -----------Ce 
        Sidi Bou-Smaha, aïeul du fameux Sidi Cheikh, père de la grande 
        confédération du Sud oranais, est le premier des fameux 
        " égorgés " medabihin. Voulant mettre à 
        l'épreuve ses disciples et choisir les plus dévoués, 
        Sidi Ahmed déclara qu'une révélation lui ordonnait 
        d'immoler sept de ses meilleurs fidèles. Qui voulait offrir sa 
        gorge au couteau ? En entendant cet oracle, la foule commença à 
        s'éclaircir. Finalement, sept fidèles restèrent seuls 
        et entrèrent l'un après l'autre dans la maison du saint 
        sous la porte de laquelle on vit chaque fois couler du sang. C é:ait 
        naturellement celui de simples moutons. Le premier de ces " égorgés"" 
        est Sidi Sliman Bou Smaha dont le tombeau imposant, reconstruit par Bou 
        Amama s'élève à Béni-Ouf; parmi les autres, 
        on cite Moulay Guendouz dont la tombe, vénérée des 
        caravanes et où l'on dépose des offrandes pour les pauvres 
        voyageurs, est à Oglet Agouinin, du Gourara, sentinelle mystique 
        aux abords dangereux du Grand Erg occidental. On pense qu'il y avait aussi 
        une femme, laqelle serait Talla Setti, qui veille du haut de la falaise 
        sur Tlemcen et Mansourah.
 -----------Si 
        l'on en juge par les dictons en arabe dialectal du temps excellent et 
        rare document linguistique, Sidi Ahmed ben Youssef voyagea beaucoup dans 
        l'Algérois et l'Oramie. Ces sentences rythmiques, assonancées, 
        plus souvent satiriques qu'élogieuses, concernent les tribus et 
        les villes diverses. Sans doute n'est-il pas responsable de la plupart 
        et a-t-on mis sous son nom bien des traits fabriques après lui.Peut-être 
        est-ce le cas de dire qu'on ne préte qu'aux riches. Blida " 
        la petite rose " et Médéa "la bien dirigée", 
        sont à peu près les seules villes louées. Il juge 
        paradisiaque, on ne sait trop pourquoi, la petite Sirât (aujourd'hui 
        dans la commune mixte de La Mina). Il est sorti d'Alger " ahuri ".>Il 
        trouve qu il y a dans le Chélif plus de cafés que de mosquées 
        ; qu'on dépense trop d'argent à Oran "la dépravée"; 
        qu'un faux dirhem de cuivre vaut mieux qu'un taleb du Ghriss ; que cent 
        pêcheurs de l'Orient valent mieux qu'un honnête homme du Maghreb, 
        etc. La charité ne permet guère de citer tous lcs de ce 
        "" blason populaire " dont les victimes elles-mêmes 
        continuent à se délecter.
 -----------Sidi 
        Ahrned bon Youssef mourut en voyage, l'année 931 de l'hégire, 
        1524 de l'ère chrétienne. Selon ses dernières volcn'és 
        comme en de nombreuses légendes hagiographiques, le cadavre, lavé 
        à Kherba, à l'ouest du Zaccar, fut placé sur une 
        mule pour être enterré là où elle s'arrêterait 
        : ce fut à l'entrée de Miliana, dans un terrain vague où 
        l'on déposait les ordures de la ville, conformément, paraît-il, 
        à une prédiction de son traître Zerrouq.
 -----------Il 
        avait épousé, dit-un, à Ras-et-Ma, une Lalla Setti, 
        fille de Sidi Amor et-Trari, puis Kalila, de la Qalaà, Khadija 
        la mérénide et Aïcha, fille de Sidi Gad ben Merzouqa. 
        Certains lui attribuent deux fils et deux filles ; mais d'autres croient 
        qu'il mourut sans postérité naturelle et que Mohammed ben 
        Merzouqa, fils de la fille de Sidi Gad, et dont il fit l'héritier 
        de sa baraka confrérique, n'était que son fils adoptif.
 -----------A 
        Miliana, il y a plusieurs familles, fortes d'environ 300 âmes, qui 
        descendent du saint ou de ses disciples " égorgés ". 
        Ils cultivent les domaines de la zaouia et se partagent les revenus des 
        ziaras, y admettant :uutefois les descendants habitant d'autres régions 
        lorsqu'ils sont présents le jour du pèlerinage. L'ouzi qui 
        gère la zaouia est systématiquement choisi en dehors de 
        ces familles afin d'être cumpleteriien , impartial.
 ----------Il 
        y a des descendants d'lbn Merzouqa, les Merazquia, chez les Béni 
        Ferah des Braz. On trouve des Ouled Sidi Ahmed ben Youssef qui descendraient 
        d'une de ses filles, Oued Chaïr, ancien douar de la commune mixte 
        de Berrouaghia, et qui vont à Miliana en octobre. On trouve des 
        Medabihin ou Mdabih dans les annexes de Méchéria et de Ghardaïa. 
        Au Touat, les habitants de Mahidia et de Tamassekht font remonter leur 
        origine à Sidi-Ahrned. Sidi Bouzar, arrière petit-fils de 
        Sidi Mohammed Sghir, qui serait le fils cadet de Sidi Ahmed a une qoubba 
        près de Miliana. Le principal chef de la confrérie youssefiya, 
        branche, comme nous l'avons dit, des Chadéliya, est Si Khalladi 
        Ben Miloud, bachaglia de Tiout près d' Aïn-Sefra , et conseiller 
        de la République. Il se rattache à Sidi Moumen, fils d'Ibn 
        merzouga dont le petit-fils Khalladi, édifia le sanctuaire de Miliana 
        aux frais du bey d'Oran, Molhammed el Kebir; et dont un descendant s'installa 
        à Tiout, y épousa Lalla Keltouma, fille de Sidi Aïssa, 
        se fit une clientèle dans la grande tribu des Hamian et y mourut 
        en 1813. Si Khalladi, qui connut Lyautey Isabelle Eberlhardt, est un grand 
        chef arabe du Sud, lettré en français et en arabe, à 
        l'esprit liés ouvert. Il suit avec dignité les traditions 
        d'un seigneur mi-temporel mi-spirituel, soucieux de ses devoirs à 
        l'égard de ses clients, plein de verve à l'égard 
        des hypocrites et fort loin de l'obscurantisme des faux dévôts. 
        A Tiout, village de toube rouge serti dans une oasis de palmes vertes, 
        de peupliers et d' acacias, elle-même environnée de roches 
        rouges dont certaines portent des gravures préhistoriques, il m'a 
        montré la Porte de Sidi Ahmed ben Youssef et la pierre sur laquelle, 
        dit-on, sa gargoulette rebondit sans se casser. Il m'a procuré 
        le texte assez rare des roumouz, " allusions ". de Sidi 
        Ahmed ben Mousa, poèmes mystiques en dialectal du XVI"" 
        siècle.
 -----------Ce Sidi 
        Ahmed ben Moussa, fondateur de la prestigieuse zaouia de Kerzaz, dans 
        l'oued Saoura, sous des dunes formidables de 194 mètres, était 
        précisément un disciple de Sidi Ahmed ben Youssef. Celui-ci 
        se trouve au noeud d'un très grand nombre de silsilas, chaînes 
        initiatiques des confréries de l'Islam maghrébin issues 
        du chadilisme, ce qui explique son prestige quasi universel. Certains 
        de ses disciples ont été plus discutés. Un disciple 
        indirect, Ibn Abdallah, forma une secte hérétique, dite 
        des Cherraqa ou Youssoufia, qui fut désavouée par le saint, 
        se développa après sa mort et fut détruite par le 
        sultan marocain Ghalibbillah. Peut-être les survivants donnèrent-ils 
        naissance aux Bdadoua et autres petites sectes non conformistes du Maroc 
        qui se réclament de Sidi Ahmed ben Youssef à tort ou à 
        raison. -----------Chez 
        les Athâouna -----------Outre 
        ces Bdadoua du Gharb, de la région de Petitjean et des Ouled Aissa, 
        où les Mlaïna rappellent le sanctuaire de Miliana. il y a 
        les Zekkara de la région d'Oujda, avec des Ouled Sidi Ahmed ben 
        Youssef , les Ghiata de la région de Taza, et les Ghenânema, 
        chez les Rehamna du Haouz de Marrakech, qui ont des coutumes assez mystérieuses 
        et fort archaïques. Le cinquième groupe à part est 
        formé des Athâouna, fraction des Ghenânema de la Saoura 
        dans le Sahara Sud oranais. Quand je suis allé à Tametert, 
        leur qçar , ils ont baisé pieusement les photographies que 
        je leur apportais du sanctuaire de Miliana, ssorti du coffre aux archives 
        les manuscrits des chaînes initiatiques et confirmé leur 
        apparentement avec les quatre groupes marocains ce qui pose d'ailleurs 
        des problèmes, car le Zekkara et la Ghiata sort do purs zénètes 
        berbérophones, et les Ghenânema sont des Arabes magils. Sans 
        doute s'agitil de très anciennes populations ayant conservé 
        des traditions préhistoriques et qui sont ou bien restées 
        sur pl.eco dans des montagnes isolées, ou bien ont été 
        entraînées dans les remous des invasions.-----------Leur 
        pèlerinage à Miliana se fait souvent à la suite d'un 
        rève : le saint ordonne de venir à Miliana et d'en repartir. 
        Dans une cour annexe du sanctuaire s'installent ces pèlerins ; 
        1es hommnes travaillent un peu aux jardins de la zaouia : les femmes disent 
        la bonne aventure e elles ne sont pas voilées, perlent hardiment 
        aux hommes dans la paume desquels elles placent une bande d'étoffe 
        où sont cousus des petits coquillages, cauris pour y lire l'avenir. 
        Quand je suis venu à Miliana. il y avait là une vieille 
        athouânia gui avait quitté trois fois la lointaine Saoura 
        à la suive d'un rêve, mais avait dû revenir, sur l'ordre 
        d'un autre rêve. une première fois à moitié 
        chemin une seconde tout près du but. Docile, elle attendait un 
        nouveau rêve pour regagner le Sahara avant de mourir.
 -----------Sidi 
        Ahmed ben Youssef est également le patron des Béni Adès 
        et des Amer, sortes de bohémiens musulmans (différents des 
        guatanes ou gitans catholiques d'origine espagnole qu'on trouve à 
        Alger), nomades, maquignons, casseurs de pierres, dont les femmes sont 
        souvent tatoueuses et diseuses de bonne aventure, et qui ont un campement 
        permanent à El Alia de l'Harrach.
 -----------Signalons 
        aussi qu'aux douars Tacheta et Zouggara les femmes sont très libres, 
        grâce, dit-on, à Sidi Ahmed ben Youssef qui aurait interdit 
        aux maris de s'opposer à aucun de leurs caprices, sous peine de 
        sécheresse et de calamités agricoles.
 Pèlerins citadins 
        et montagnards -----------Sidi 
        Ahmed est aussi très vénéré des citadins, 
        de la bourgeoisie des villes comme Alger, Blida, Boufarik. Cherchell, 
        qui y viennent généralement en été. Naguère 
        encore, leur rkab, leur cortège, était imposant, avec ses 
        drapeaux et ses musiques. Il entrait par la porte du Zaccar. Le soir, 
        un orchestre avec violon et luth jouait des airs de la classique musique 
        andalouse. La tradition était d'improviser des sketches burlesques, 
        mimant des scènes de ménage, des tableaux de moeurs fortement 
        satiriques, mettant en scène des cadis véreux, des hommes 
        d'affaires laissant tout nus leurs clients paysans, des tartuffes à 
        grands chapelets dont les grains étaient des pommes de terre et 
        nui se terminaient par une carotte, etc.
 -----------Le 
        calendrier des ziaras est très chargé ; les cortèges 
        s'échelonnent de mai à novembre. Les douars Boumad et Zaccar 
        viennent après la moisson en juillet ; et Hammam, Oued Djer et 
        Djendel en octobre, Adélia et Djelida après les semailles. 
        Le pèlerinage le plus important est celui de la tribu des Béni 
        Ferah, à la mi-mai, avec les douars et Aneb et Béni Ghomeriane 
        (commune mixte des Braz) et Boulhal (commune mixte de Cherchell). On raconte 
        que les Béni Ferah sont joyeux comme l'indique leur nom, grâce 
        à un voeu du saint en faveur d'un serviteur berbère de cette 
        région. " Qui les rejoint est dans 
        la joie, et qui les quitte dans la tristesse ", proclame 
        un de ses dictons, qui, comme nous l'avons dit, sont rarement aussi bienveillants.
 Le cortège des 
        Béni Ferah -----------Le cortège 
        des Béni Ferah confirme bien cette réputation d'allégresse. 
        Il se rencontre avec les pèlerins de Duperré à Oued 
        Ebda, où l'on passe la nuit. Les premiers arrivés reçoivent 
        les nitres, vont un peu au devant d'eux, les drapeaux au centre d'une 
        ligne d'hommes armés de fusils ; les étendards se saluent 
        au moment de la décharge. La nuit se passe en concerts, en danses 
        du fusil, voire en spectacles cinématographiques quand le camion-cinéma 
        du Gouvernement général est présent. -----------On repart 
        au matin. Les Milianais vont au-devant du rkab jusqu'à un petit 
        bois qui domine la route de Levacher, à quelque deux kilomètres 
        des remparts. Des joueurs de flûtes, de glaaïta et de guellal 
        distraient, en attendant, la foule en costume de fête. Des Ammaria, 
        accompagnés de tambourins (bendaïr) et de flûtes de 
        roseau, exécutent l'ijdeb. danse extatique, avec le grand tremblement 
        caractéristique de leur confrérie. Vers une ou deux heures 
        de l'après-midi, on aperçoit le cortège avec ses 
        beaux cavaliers et ses drapeaux de soie rose et bleue, précédé 
        par l'auto du caïd. Du haut du talus, les femmes en blancs haïks 
        jettent, en poussant des youyous, des bouquets de roses aux cavaliers 
        ; caressent la soie des drapeaux et s'enveloppent de leurs plis. Un grand 
        gaillard avec une canne, tel un tambour major, d'une main, et un bouquet 
        de l'autre, danse avec des gestes saccadés, stylisés, d'automate. 
        Des hommes chantent. Des mulets suivent, chargés de provisions 
        et de fourrage. Les Ammaria se joignent au cortège et dansent à 
        reculons. Les ghaïtas, les guellals et les benda r résonnent 
        joyeusement. Les drapeaux des Béni Ferah saluent au passage ceux 
        des gens d'Affreville, puis ceux du sanctuaire de Miliana qui arrivent 
        au-devant d'eux. On approche des remparts couleur d'ocre ; des coups de 
        feu retentissent et six ou huit mille personnes foncent rapidement, par 
        la porte de la ville, acclamées par la foule massée sur 
        les trottoirs et s e précipitent vers le sanctuaire.   Émile DERMENGHEM B I B L I O GRAPHIEÇabbâgh (Mohamed ai-), XVI" siècle. Bostân 
        al Azhar. Manuscrit Bibliothèque Nationale, Alger, 1708.
 Hadj Moûsa (Ali ben Ahmed ben), mort en 1913. Ribh 
        al-Tidjâra. Manuscrit Bibliothèque Nationale" Alger, 
        928. Ibn Askar. Daouhat an-Nâchir, trad. Graulle. Archives 
        Marocaines, XIX, 1913, p. 214-215. Nâcirî. Kitab el-Iskiqça, 
        V, 1936, p. 79-83. Hafnaouî. Tarif al-Khalef, 1909, II, 97. Bou Râs. Voyages extraordinaires, trad. Arnaud, 
        Revue Africaine. 1880, p. 139-140. Basset (René). Les dictons satiriques attribués 
        à Sidi Ahmed ben Yousof. Journal Asiatique, sept. 1890. Bodin (Marcel). 
        Notes et questions sur Sidi Ahmed ben Yousef. Revue Africaine, 1925, p. 
        125-189. Delphin et Guin. Notes sur la poésie et la métrique 
        arabe dans le Maghreb algérien, 1886. Depont et Coppolani. Les 
        confréries religieuses musulmanes, 1897, p. 461-467. Drague (G.). Esquisse d'histoire religieuse marocaine, 
        Confréries et zaouias ; Cahiers de l'Afrique et l'Asie, 1951. Gouvion (Marthe et Edmond). Kitab Aâyane et Marhariba, 
        1920, p. 17-32 et II, 129-147.
 
       
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