| Un siècle de 
        médecine civiledans le bled
 Le service médical de colonisation 
        fut créé par un arrêté du Ministre de la guerre, 
        le Maréchal Comte de Saint-Arnaud en date du 21 janvier 1853, le 
        général Randon étant Gouverneur général 
        de l'Algérie.
       Principales raisons 
        ayant conduit à la création de ce nouveau corps médical 
        de statut civil 
       L'état sanitaire 
        de la Régence
 Lors de la prise d'Alger, le 5 juillet 1830, les premiers représentants 
        de la médecine moderne sur ce territoire qui deviendra l'Algérie 
        furent les médecins de l'armée française. Ils furent 
        pris au dépourvu en découvrant l'état sanitaire de 
        la Régence. Fièvres, dysenteries décimaient les populations. 
        La syphilis était très répandue, la variole sévissait 
        à l'état endémique et de nombreuses cécités 
        résultaient des affections oculaires contagieuses. Ajoutons à 
        cela des maladies de carence et de sous-alimentation, des accidents obstétricaux, 
        une mortalité infantile très lourde en raison des facteurs 
        climatiques et du manque d'hygiène.
 
 Le pouvoir turc se désintéressait totalement du bien-être 
        des populations locales, et cela durait depuis 300 ans ! Il n'existait 
        aucune organisation collective de soins médicaux, aucune police 
        sanitaire, et les épidémies, le plus souvent importées 
        d'Orient à l'occasion des pèlerinages à La Mecque, 
        causaient de terribles ravages dans les populations. L'hygiène 
        urbaine était totalement inconnue, les ruelles encombrées 
        d'immondices.
 
 Les soins aux malades étaient dispensés par des guérisseurs, 
        rebouteux, vendeurs d'amulettes, arracheurs de dents, poseurs de ventouses 
        scarifiées, applicateurs de pointes de feu. Des marabouts possédant 
        la baraka, des sorcières ayant partie liée avec les " 
        djnoun " intervenaient également.
 
 Dans quelques villes importantes, des médecins maures appelés 
        tobba avaient pignon sur rue.
 
 Une médecine ambulante existait à l'intérieur du 
        pays où des tobba se rendaient sur les marchés hebdomadaires, 
        où l'on rencontrait aussi des marchands de plantes médicinales, 
        ainsi que des barbiers, également arracheurs de dents et sachant 
        pratiquer la circoncision rituelle.
 
 L'organisation sanitaire devient vite l'une des 
        premières préoccupations des autorités nouvelles
 
 En raison de la situation décrite plus haut, les médecins 
        de l'armée française furent immédiatement chargés 
        de dispenser leurs soins, non seulement aux militaires, mais aussi aux 
        premiers colons et aux populations autochtones. Et durant 132 ans on peut 
        dire que " L'organisation sanitaire a été la préoccupation 
        constante de la haute administration, comme celle du corps universitaire 
        avec, en première urgence, la médecine du bled, assurée 
        par les officiers de santé, les médecins de colonisation, 
        les praticiens de l'assistance médico-sociale. La décentralisation, 
        oeuvre des directions départementales de la santé, répondait 
        de mieux en mieux aux besoins des populations. " ( Félix Lagrot 
        ).
 
 Médecine militaire et médecine 
        civile
 
 Progressivement, médecins et officiers de santé civils s'installèrent 
        en Algérie, en priorité dans les grandes villes. En 1835, 
        on comptait 81 médecins civils en Algérie.
 
 Mais au fur et à mesure que s'étendait la colonisation, 
        l'importance des territoires et des populations correspondantes augmentèrent, 
        si bien que les médecins militaires ne suffirent plus. Ils ne purent 
        plus assurer les soins à domicile dans les villes et les consultations 
        dans les campagnes. La création du corps des médecins de 
        colonisation, en 1853 permit de doter très tôt d'importantes 
        zones rurales du secours médical.
 
 En 1853, les statistiques officielles faisaient état de :
 85 praticiens civils ( 62 docteurs en médecine et 23 officiers 
        de santé ), inégalement répartis : 25 à Alger 
        13 à Oran, 4 à Constantine, les autres dans les villes de 
        moindre importance,
 
 418 médecins militaires affectés dans les hôpitaux 
        qui accueillaient indifféremment civils et militaires.
 
 Il faudra attendre que l'école de médecine d'Alger, créée 
        en 1857 devenue faculté en 1909, ait atteint son plein développement, 
        pour que le nombre de praticiens formés sur place devienne l'important 
        corps de santé civil qui comptait plus de 2.000 membres en 1962.
 
 Dans les territoires du Sud les médecins militaires conserveront 
        la lourde charge de la protection sanitaire des quelques 600.000 habitants 
        disséniinés sur plus de 2 millions de km2 de désert.
 
 Lors de la guerre d'Algérie, l'insécurité régnant 
        dans les zones rurales interdira leur accès aux personnels des 
        services d'assistance médicale, si bien qu'il faudra recourir aux 
        médecins du contingent pour pallier la carence de leurs confrères 
        civils.
 
 En 1958, on revint aux temps lointains de la conquête et de la pacification.
 La médecine de 
        colonisation 
       À partir de 1844, la création 
        d'un " Bureau arabe " s'accompagna toujours de l'installation 
        d'une consultation médicale, tandis que les hôpitaux militaires 
        accueillirent les malades civils.
       
        
          |  Carte assistance et hygiène 
              en 1922. |  
 Il devint rapidement nécessaire d'organiser pour les civils les 
        soins et surtout la prévention sanitaire. Ce sera le service médical 
        de colonisation créé par arrêté du 21 janvier 
        1853.
 
 En quinze articles, ce texte règlementait la création des 
        circonscriptions médicales, la nomination des médecins placés 
        à leur tête, le traitement annuel de ces praticiens, leur 
        subordination aux autorités locales, leurs obligations :
 - Soins gratuits aux indigents,
 - Direction des infirmeries civiles,
 - Visites des malades,
 - Tournées périodiques dans chacun des centres de leur circonscription,
 - Propagation de la vaccine,
 - Délivrance de médicaments dans les localités dépourvues 
        de pharmaciens,
 - Rapports aux autorités sanitaires.
 
 Un autre arrêté définit quelques mois plus tard la 
        création de 60 circonscriptions médicales de colonisation. 
        Il était fait obligation aux médecins de disposer d'une 
        monture, voire de deux dans certains secteurs.
 
 Au début les recrutements furent difficiles en raison des conditions 
        matérielles et morales très dures, et d'une rémunération 
        sans rapport avec les sujétions et les responsabilités. 
        De nombreuses circonscriptions continuèrent à être 
        desservies par des médecins militaires. Toutefois, le
 traitement de ces médecins fonctionnaires, qui était de 
        2.000 francs par an, " n'excluait pas de se faire une clientèle 
        payante parmi les colons aisés de leur circonscription ".
 Les principales évolutions 
        apportées au service médical de colonisation 
       À l'aube du XXème siècle, 
        le service médical de colonisation était assuré par 
        moins d'une centaine de praticiens, isolés, livrés à 
        eux-mêmes, débordés par les charges qui pesaient sur 
        eux, disposant de moyens réduits, dans des circonscriptions étendues, 
        dont l'équipement était insuffisant.
 L'assistance médicale aux indigènes se substitua progressivement 
        au secours médical aux colons qui constituaient l'essentiel de 
        la clientèle privée du médecin de colonisation. Les 
        fonctionnaires et les gendarmes furent soignés gratuitement. Les 
        habitants des douars furent pratiquement tous considérés 
        comme indigents. Ils affluèrent de plus en plus nombreux aux consultations 
        gratuites. Il devint de plus en plus nécessaire de donner aux médecins 
        des aides recrutés dans la population autochtone, parlant la langue 
        et connaissant les usages du pays.
 
 Le corps des auxiliaires médicaux indigènes
 
 Ce corps fut créé en 1901. Recrutés parmi les diplômés 
        des médersas, les auxiliaires médicaux indigènes 
        furent affectés auprès des médecins de colonisation, 
        après deux années d'études pratiques dans une école 
        spécialisée fonctionnant dans les services de l'Hôpital 
        universitaire de Mustapha à Alger. Leur rôle consistait à 
        seconder les médecins dans toutes leurs activités professionnelles 
        :
 - Service d'infirmerie,
 - Consultation gratuite aux indigents,
 - Application des traitements prescrits par le chef de service,
 - Pratique des vaccinations obligatoires,
 - Dépistage des affections contagieuses, - Lutte contre les épidémies. 
        Parallèlement, furent aménagées des " infirmeries 
        d'urgences ", disposant de 8 lits pour les hommes et 4 pour les femmes.
 
 Les années de l'entre-deux-guerres ( 1920-1940 
        )
 
 Le service médical de colonisation placé directement sous 
        l'autorité du Gouverneur Général (1920), et non plus 
        auprès des autorités locales, l'organisation sanitaire s'améliora 
        et se perfectionna :
 
 - Par la création en 1923 d'un Institut d'hygiène 
        et de médecine coloniale à la faculté de médecine 
        d'Alger afin de favoriser la formation des médecins appelés 
        à exercer en Algérie et en particulier dans les services 
        de colonisation. Il deviendra l'Institut d'hygiène et de médecine 
        d'Outre-Mer.
 
 - En 1925, les hôpitaux auxiliaires d'une cinquantaine de 
        lits se substituèrent aux anciennes infirmeries indigènes. 
        Une centaine de ces établissements fonctionnera au moment du centenaire.
 - Des salles de consultations furent construites dans les douars et des 
        dispensaires ophtalmologiques de premiers soins créés sous 
        le nom de " biout el aïnin " (maisons des yeux), dans les 
        zones d'endémie des affections oculaires.
 
         
          |  Une salle de visite. |  - En 1926, un service d'assistance aux mères 
        et nourrissons fut créé par le gouverneur général 
        Viollette. Des infirmières-visiteuses-coloniales furent recrutées 
        et affectées auprès des médecins de colonisation 
        pour les seconder dans les soins aux femmes et aux jeunes enfants. Les 
        infirmeries indigènes se transformèrent en " hôpitaux 
        auxiliaires " de 34 lits. Furent également construits des 
        postes de secours et des abris pour les consultations rurales.
 - En 1929, le statut des médecins de colonisation fut réorganisé. 
        Les praticiens, placés sous l'autorité des préfets, 
        furent recrutés parmi les anciens internes des hôpitaux ou 
        les titulaires du diplôme d'hygiène et de médecine 
        coloniale, ou encore par concours sur épreuves écrites et 
        cliniques.
 
 - En 1931, le corps des adjoints techniques de la santé, 
        ayant accompli une scolarité de trois années, remplaça 
        celui des auxiliaires médicaux indigènes.
 
 - En 1932, une Direction de la santé publique fut créée 
        au Gouvernement Général. L'organisation sanitaire s'améliora 
        avec la création d'équipes sanitaires mobiles motorisées 
        pour la lutte contre les épidémies, contre le paludisme, 
        contre les affections oculaires, etc.
 
 À la veille de la seconde guerre mondiale le service médical 
        de colonisation fut à son apogée. En 1939, Il existait 112 
        circonscriptions médicales de colonisation. La plupart étaient 
        dotées d'un hôpital auxiliaire de 40 à 50 chambres, 
        de salles de consultation dans les douars, d'abris de mères et 
        nourrissons et, dans les zones d'endémie trachomateuse, d'un ou 
        plusieurs " biout el aïnin " ( maison des yeux ).
 
 Le personnel d'une circonscription type comptait :
 - Un médecin de colonisation,
 - Un ou deux adjoints techniques de la santé,
 - Une, quelquefois deux infirmières visiteuses coloniales.
 
 Aux sentiers muletiers succédèrent des pistes carrossables. 
        Les circonscriptions médicales de colonisation couvrirent alors 
        les neuf dixièmes du pays, habités par 10 % d'Européens, 
        73 % de Musulmans, soit 63 % de la population totale ( 1941 ).
 
 La difficile période de la seconde guerre
 
 Les médecins de colonisation, après avoir été 
        mobilisés, furent maintenus à leur poste après le 
        débarquement allié en Afrique du Nord le 8 novembre 1942, 
        par décision du Gouverneur Général de l'Algérie, 
        en raison de la crainte de voir s'étendre les épidémies 
        au sein des populations du bled (variole, typhus, fièvre récurrente), 
        tandis que les Français d'Algérie furent massivement mobilisés 
        pour former le corps expéditionnaire français en Italie.
 
 Le 17 novembre 1944 fut créé le corps des médecins 
        de la santé d'Algérie, dont firent partie les médecins 
        de circonscription, ex- médecins de colonisation.
 
 En 1951 ce nouveau corps de médecins fonctionnaires fut 
        scindé en deux par arrêté du Gouverneur Général.
 
 Les médecins de circonscription formèrent un corps séparé 
        et prirent le nom de médecins de l'assistance médico-sociale 
        (médecins de l'AMS). Ils demeurèrent polyvalents et poursuivirent 
        l'oeuvre de leurs devanciers de colonisation. En même temps se déroulait 
        un vaste programme de construction et de rénovation des établissements 
        hospitaliers, des logements de fonction des médecins de circonscription 
        et des infirmières visiteuses médicales, des centres de 
        santé, des salles de consultation dans les douars. Certaines circonscriptions 
        rurales furent dotées de camions de consultation spécialement
 Elèves de l'école d'infirmières de Sétif.
 
         
          |  Camion de consultation. |  conçus et aménagés.
 Le nombre des circonscriptions médicales fut porté à 
        151, auxquelles s'ajoutèrent 125 circonscriptions de médecins 
        conventionnés exerçant aussi la médecine libérale.
 
         
          |  Commémoration 
              du centenaire du service médical de colonisation ( Alger, 5-8 janvier 1955 ).
 De gauche à droite :
 Le Dr L.Sultana, président du syndicat des médecins 
              de la santé ; le Pr Ed. Sergent, directeur de l'Institut 
              Pasteur ; le gouverneur général Léonard, prononçant 
              son allocution ; le Pr Ch. Sarrouy, doyen de la faculté de 
              médecine (en partie caché) ; le Dr J. Lartigue, directeur 
              de la santé ; le Dr Dana, président de la Fédération 
              des syndicats médicaux d'Algérie.
 |  Le centenaire du service médical de colonisation
 Il sera célébré avec 
        faste à l'initiative du syndicat professionnel des médecins 
        de la santé. Le 5 janvier 1955 eut lieu à Alger la séance 
        inaugurale présidée par le Gouverneur Général, 
        entouré notamment du Pr. Edmond Sergent, directeur de l'Institut 
        Pasteur, et du Pr. Sarrouy, doyen de la faculté de médecine 
        et de pharmacie. La fidélité à l'oeuvre entreprise 
        par les devanciers sera célébrée par l'apposition, 
        sur le seuil de l'Institut d'Hygiène et de Médecine d'Outre-Mer, 
        d'une plaque commémorative avec l'inscription suivante : " 
        Le 7 janvier 1955 a été célébré le 
        centenaire des médecins de colonisation, en hommage aux médecins 
        qui ont contribué à la grandeur et au développement 
        de l'Algérie, en souvenir de ceux qui lui ont sacrifié leur 
        vie ".
       La guerre subversive 
        et la fin d'une belle épopée généreuse et 
        humaine 
       Plusieurs médecins de bled seront 
        victimes d'attentats terroristes. Les uns succomberont, d'autres disparaîtront 
        sans que leurs familles connaissent jamais leur sort, quelques-uns survivront 
        portant toujours dans leur corps les séquelles de leurs blessures.
 À partir de 1956, l'insécurité ambiante contraint 
        le personnel des services de santé à restreindre ses activités 
        itinérantes. Des médecins militaires viendront prendre la 
        place des médecins civils dans le bled.
 
 En 1962, les médecins de l'AMS suivirent le sort de leurs compatriotes 
        et prirent le chemin de l'exil.
 Jean-Pierre Simon
       Sources :- Raymond Féry. L'ceuvre médicale française en Algérie. 
        Préface du Pr. Félix Lagrot. Jacques Gandini. 1994. 98 pages.
 - Pierre Goinard. Algérie, L'ceuvre française. 21ème 
        édition. Jacques Gandini. 2001. 398 pages.
 
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