Monsieur le Directeur
Le Bien Public
7, Bd Chanoine Kir
21015 Dijon Cedex
Monsieur le Directeur,
-----Vous avez publié dans votre numéro
du 21/1/98, entre autres articles consacrés à l'Algérie
d'aujourd'hui une interview de Benjamin Stora, pompeusement présenté
comme "le grand spécialiste de l'Algérie", interview
qui n'a pas manqué d'attirer l'attention de ceux de vos lecteurs,
Pieds-Noirs en particulier, qui connaissent ce pays, y ont vécu
et ont étudié son histoire.
-----Cette attention devient de la stupeur
lorsque l'on découvre, à la lecture,
une contre-vérité pratiquement à chaque ligne.
-----Il serait facile de tout réfuter
méthodiquement, mais permettez-nous d'aborder quelques-uns des
points les plus caricaturaux.
-----Il est grotesque de dire que la conquête
coloniale s'est traduite dans les années 1841 par des "massacres
de populations très importants", alors que la France
a mené une guérilla dans laquelle les combats les plus meurtriers
n'ont pas fait 300 morts et auxquels les populations civiles n'ont participé
que de loin, n'étant ni plus, ni moins ballottées, étant
pour la plupart semi-nomades, au gré des événements
qu'elles ne l'avaient été sous la poigne de fer de la Régence
turque qui nous avait précédés : s'il est exact que
la population musulmane a baissé, non pas entre 1832 et 1881 comme
le prétend l'article, mais entre 1841 et 1868, les raisons n'en
sont nullement l'installation des Français, mais une conjonction
d'années de sécheresse, d'invasions de sauterelles, et surtout
d'une épidémie de choléra et d'un tremblement de
terre, toutes catastrophes naturelles qui ont affecté l'Afrique
du Nord tout au long de l'histoire sans avoir besoin des Français
pour servir de boucs émissaires (on connaît des périodes
où, dans la seule ville d'Alger au XVII` siècle, la population
avait diminué de 60% par une épidémie de choléra).
-----L'interview ne manque pas de resservir
cette légende tenace suivant laquelle la citoyenneté française
n'était pas accordée aux musulmans : si c'était en
raison d'un refus de principe de la France, pourquoi la communauté
juive, qui était exactement dans la même situation, aurait-elle
bénéficié de cette citoyenneté globalement
et en une seule fois par le décret Crémieux de 1871 ? La
vérité est que le droit commun français étant
incompatible avec le droit musulman, chaque musulman
pouvait librement accéder à la citoyenneté française
s'il remplissait les conditions d'intégration dans ce droit commun,
c'est-à-dire par renonciation à son statut coranique
: c'était inscrit dans la loi, cela participait d'un libre choix
et les plus opposés à cette intégration étaient
non pas les Français, mais les autorités
religieuses islamiques qui ont toujours lutté pour que la population
indigène reste éloignée de la culture, de l'éducation
et de l'organisation sociale des chrétiens. Nous en savons
quelque chose aujourd'hui.
-----S'il y a une tradition de violence en
Algérie, elle est millénaire, antérieure et postérieure
à la présence française, cette dernière étant
justement à peu près la seule période de paix de
ces territoires, et en tout cas la première période historique
d'unité de ce territoire de nomadisation tribale.
-----Le reste des savantes affirmations de
ce professeur n'est que de la bouillie pour les chats qui, hors son pédant
conformisme, n'appelle pas de commentaires particuliers. L'occasion nous
est donnée de dire ici avec quelle force nous récusons
M. Benjamin Stora comme "Historien" : cette fonction exige,
à notre sens, une compétence, une rigueur, et surtout une
honnêteté intellectuelle qui n'apparaissent nulle part dans
les 17 livres que vous évoquez.
-----En revanche, ses qualités d'adaptation
à l'air du temps, aux nécessités du carriérisme
universitaire et à la flagornerie idéologique, comme ses
capacités de self-publiciste, provoquent notre admiration
sans réserve...
-----L'article que je commente ici n'en constitue
pas moins un outrage manifeste à tous ceux qui, pendant cinq générations,
ont travaillé avec acharnement et souffert au-delà de toute
mesure pour donner à la France, à partir d'un désert,
une nouvelle province ; qui ont constitué, au fil du temps, une
culture originale dont l'assassinat programmé ne parait guère
émouvoir les Stora et leurs semblables, pour qui, sans doute les
Pieds-Noirs n'ont jamais existé... à ce titre, vous ne pouvez
moins faire, Monsieur le Directeur, que publier notre réponse dans
vos colonnes.
-----C'est ce qu'attend notre association,
fédération de Cercles culturels regroupant 33 cercles dans
toute la France et dont je crois pouvoir dire qu'elle représente
l'opinion unanime des Français d'Algérie.
-----Certain que votre bonne foi a été
surprise, et dans l'attente, je vous prie de croire, Monsieur le directeur,
à ma considération distinguée.
M. Lagrot
Cercle Algérianiste
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