LETTRE OUVERTE À MONSIEUR LE MINISTRE DE L'EDUCATION
NATIONALE
-------Vos écrits, vos propos,vos
efforts pour redonner à la France une Education Nationale digne
de ce nom, ainsi que votre personnalité m'inspirent une grande
considération et, j'ose le dire, de la sympathie. C'est pourquoi
je m'adresse à vous avec confiance pour évoquer un scandale
qui me choque profondément.
-------Depuis longtemps nous sommes nombreux
à avoir remarqué la malhonnêteté avec laquelle
certains manuels d'histoire relatent la colonisation de l'Algérie
et surtout sa décolonisation. Certes, un quasi consensus politique
s'est formé pour justifier, sur ce sujet du moins, toutes les actions
du gouvernement de l'époque, certes, les Français ont trouvé
bien commode de disposer d'un bouc émissaire, c'est une expliquation,
pas une excuse. Sans provoquer de réactions, une entreprise de
falsification de l'histoire s'est développée.
-------Plusieurs générations
de collégiens et de lycéens ont appris à mépriser
sinon à haïr une communauté pas plus coupable qu'une
autre, c'est le moins qu'on puisse dire, et frappée parle malheur.
Je veux parler bien sûr des français d'Algérie. Comme
s'il s'agissait de faits incontestables de grossières contre-vérités
ont été assénées à ces enfants sans
aucune vergogne.
-------J'ai reçu récemment
un cours rédigé par monsieur Jean Martin, diffusé
par le centre de Vanves, et qui porte l'estampille "Ministère
de l'éducation Nationale". Ceci constitue je pense une sorte
d'imprimatur. On m'assure, circonstance aggravante, que cet opuscule désolant
est destiné aux candidats de l'agrégation et au C.A.P.E.S.
Adultes, futurs professeurs, ils devraient avoir en mains tous les éléments
pour exercer leur esprit critique. Ce n'est pas le cas. L'auteur se permet
des erreurs matérielles indignes d'un instituteur débutant,
il omet des évènements d'une importance primordiale et présente
constamment ses opinions personnelles comme des vérités
premières.
-------Je me contenterai d'attirer votre
attention sur trois paragraphes.
Page 31, Monsieur Martin écrit : "Les
accords d'Evian ne furent pas respectés et ne pouvaient pas l'être
puisqu'ils comportaient essentiellement des dispositions en faveur des
français d'Algérie et que ceux-ci avaient choisi de ne pas
y rester ("retour" vers un pays qui pour- beaucoup n'avait jamais
été le leur ni celui de leurs ancêtres ... )".
Monsieur Martin ignore sans doute que le représentant du FLN à
l'ONU avait déclaré avant la signature des accords d'Evian
qu'il n'était pas question pour l'Algérie de les respecter.
Il n'a probablement jamais entendu parler des spoliations totales et immédiates
qui se sont produites avant même l'indépendance sous les
yeux de l'Armée Française. De nombreuses familles, souvent
très pauvres, furent "invitées" à quitter
leurs logements en moins d'une minute, sans emporter ni argent ni vêtements
de rechange. Je l'affirme sans hésitation car je l'ai personnellement
constaté. Monsieur Martin, fort prolixe à propos des attentats
de l'OAS, oublie les milliers de français, hommes, femmes et enfants,
après la signature des accords, soumis à des supplices atroces
ou conservés comme esclaves. Il trouve inutile de rappeler que
les autorités françaises avaient ordonnés aux militaires
de ne pas intervenir, et que jamais notre gouvernement ne réclama
la restitution des survivants. Monsieur Martin "sait" que les
Français d'Algérie avait "choisi"... Je
suppose donc qu'il a questionné ces familles dépossédées
de tout, qu'il s'est rendu dans les bordels de l'ALLA pour interroger
les garçons et les filles consacrés au repos du djounoud...
A-t-il aussi fouillé au fond des charniers et recueilli l'avis
des restes innommables de ceux qui n'eurent pas le temps de "choisir"
?
-------D'autre part on peut se demander quelle
signification l'auteur donne au mot pays. Ce vocable englobe-t-il pour
lui la notion de patrie ? En tout cas, cela ne fait pas de doute, le lecteur
traduira
"Beaucoup n'était pas des français".
Je m'étonne que l'éducation nationale n'interdise pas formellement
de telles allégations. Il semble même qu'elle les cautionne.
Si pour la République Française la France n'était
pas le pays de beaucoup de Français d'Algérie, il fallait
le dire... avant. Avant 1870, avant 1914, avant 1939, avant 1942-1943.
La France n'a pas trouvé déplacé de mobiliser 16,4%
de la population d'origine Européenne en 1943, effort qu'elle n'a
jamais demandé à la métropole même en 14-18.
Ces "Européens" d'Afrique du Nord ont fourni environ
40% de la première armée qui débarqua en Provence
et 80% de 2ème DB. Pour la seule campagne d'Italie, plus de 15%
des effectifs furent mis hors de combat. Personne ne semblait douter alors
que ces hommes ne fussent Français. Lors de commémorations
récentes on n'a pas prétendu non plus que la quasi-totalité
des troupes "Françaises" étaient composées
d'étrangers, on a même systématiquement "oublié"
de signaler que ces combattants "Français" étaient
aussi "Pieds-Noirs".
-------Ce sacrifice sanglant, sans guère
de précédent, il fallait le refuser !... Ou s'interdire
à jamais des marques d'ingratitude aussi indignes.
-------A la même page 31, trois lignes
au-dessus, je lis avec une stupéfaction horrifiée : "Manifestations
d'enthousiasme de la foule algérienne, mais le 5 juillet l'O.A.S
fit encore 95 victimes à Oran".
-------Comment cet homme a-t-il osé
?
-------Il est infiniment improbable que l'OAS
ait fait la moindre victime le 5 juillet 1962 à Oran, et pour cause,
on sait bien ce qui s'y est passé... Dès 10 heures du matin,
et toute la journée, et toute la nuit suivante, des centaines et
des centaines de Français ainsi que des musulmans qui avaient tenter
de s'interposer furent assassinés, suppliciés, par des Algériens
"enthousiastes" et ivres de sang. Déshonorant leur pays,
les autorités françaises attendirent la fin de l'après-midi
pour autoriser les troupes à sortir des casernes et à sauver
quelques vies. Le FLN essaya de minimiser les faits qu'il attribua à
des "éléments incontrolés". Mais en France,
grâce à l'efficacité de la censure, le public ne fut
pas informé. Et aujoud'hui, voilà ce qu'on écrit
!
-------Il n'y a pas de pardon possible pour
un mensonge aussi monstrueux.
Je terminerai par un sujet qui me tient particulièrement à
coeur. Madame Dessaigne et moi-même le connaissons fort bien, d'abord
pour avoir vécu l'évènement, ensuite parce que nous
nous sommes livrées pendant deux ans à une enquête
approfondie. Il s'agit de la fusillade du 26 mars 1962 à Alger.
Nous avons étudié les archives, recherché, retrouvé
et interrogé en grand nombre des témoins, blessés,
médecins hospitaliers, habitants du quartier, presque tous les
officiers du 4ème RT, presque tous les généraux responsables
du maintien de l'ordre, le préfet de police...
-------Il est vrai que l'OAS avait appelé
à manifester dans le calme contre le blocus inhumain que subissait
le quartier de Bab-El-Oued, il est vrai aussi que la manifestation était
interdite. Pour le reste... Voici ce qu'en dit Monsieur Martin dans un
paragraphe consacré aux attentats de l'OAS, rejetant la responsabilité
sur cette organisation
"L'affaire la plus grave fût sans
doute celle de la rue d'Isly à Alger (26 mars 1962), manifestation
d'Européens réprimés par un régiment comptant
surtout des musulmans, 46 morts européens, 10 musulmans tués
en représailles. C'était titi coup très dur pour
l'OAS, qui dès lors n'eut plus qu'un seul mot d'ordre: "la
chasse à l'Arabe !"... "
-------Tout serait à reprendre, y
compris les chiffres, je tiens surtout à préciser les points
suivants :
Quand on ouvre le feu sur une foule calme, pacifique, quand on tire pendant
12 minutes sur des hommes, des femmes et même des enfants couchés
au sol sans défense, quand par exemple un médecin qui portait
secours à un blessé est abattu à bout touchant, ce
n'est pas de la répression, cela s'appelle un massacre.
-------Quant aux responsabilités elles
n'appartiennent pas à de simples tirailleurs frustes, inquiets
pour leur avenir et prêts à basculer du côté
de l'ennemi, soigneusement mis en condition, n'ayant pas mangé,
n'ayant pratiquement pas dormi depuis deux jours et de toute façon
incompétents. D'ailleurs on avait donné à leurs officiers
l'ordre de tirer si les manifestants insistaient, ils ne firent qu'obéir.
Le général Ailleret, Commandant en chef, averti de l'inéluctabilité
d'une catastrophe, avait signé le 17 mars une note interdisant
l'emploi de tirailleurs face à la foule européenne. Malgré
cette défense formelle, le 4ème , régiment de tirailleurs
fut placé au centre du dispositif de " sécurité
". Ce qui ne pouvait qu'arriver se produisit. La note 905 du général
Ailleret disparut des Archives ( il n'en reste que le bordereau ). Aucun
général, aucun responsable civil ne fut inquiété
pour cette désobéïssance meurtière. Aucun ne
semble éprouver des regrets. Le général Ailleret,
lui, fut, fort peu de temps après, appelé à de nouvelles
fonctions...
-------Par ses conséquences, la démoralisation
totale des Français d'Algérie et leur renonciation à
la résistance, le 26 mars est une date importante de l'histoire.
Pourtant, sans approuver, on pourrait comprendre qu'un auteur français
soit saisi de honte et renonce à l'évoquer, car c'est aussi
hélas une énorme tache sur le drapeau français.
-------Mais le 26 mars est surtout un drame
humain. Je n'ai que trop abusé de votre attention. Vous comprendrez
le sentiment d'horreur indicible qui étreint ceux que cet évènement
a déchirés quand ils lisent des textes aussi honteux que
celui de Monsieur Martin.
-------Monsieur le Ministre, vous ne contraindrez
jamais les historiens de l'Education Nationale à dire la vérité.
Sur ce point je n'ai aucune espérance. Accepterez-vous de faire
un geste en les rappelant au moins à un minimum de décence
?
-------Veuillez agréer, Monsieur le
Ministre, l'expression de ma confiance et de ma considération.
Marie-Jeanne REY
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