Zemmora, le berceau d'une race ardente


Zemmora : ce nom a sans doute pour origine le mot berbère "Tazemmourt", qui signifie pays des oliviers. La forêt qui ceinture le village, outre les lentisques, thuyas et pins, comporte énormément d'oliviers sauvages. Certains spécimens sont remarquables de majesté et de vieillesse. A Oued-el-Anceur, tout le monde connaissait ce respectable olivier plusieurs fois centenaire, aux branches duquel venaient s'accrocher les balançoires, lors des mounas du Lundi de Pâques.

pnha n°68, mai 1996
sur site le 26/10/2002...déplacé ici : avril 2012

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----Zemmora : ce nom a sans doute pour origine le mot berbère
"Tazemmourt", qui signifie pays des oliviers. La forêt qui ceinture le village, outre les lentisques, thuyas et pins, comporte énormément d'oliviers sauvages. Certains spécimens sont remarquables de majesté et de vieillesse. A Oued-el-Anceur, tout le monde connaissait ce respectable olivier plusieurs fois centenaire, aux branches duquel venaient s'accrocher les balançoires, lors des mounas du Lundi de Pâques.-
Plusieurs familles trouvaient place à l'ombre de son feuillage argenté.
VILLAGE FLEURI
-----Les Romains connaissaient la région : en allant vers Ferry, sur l'oued Djemaa, existait encore un vestige de barrage.
-----Nul n'ignore l'astuce de ces anciens pour utiliser le moindre cours d'eau. L'origine avancée du nom du village peut-être étayée par la réussite d'oliveraies comme celle de M. Paul Salvet.
-----En se référant au remarquable ouvrage du Prof. Goinard "L'oeuvre Française en Algérie", Zemmora fut crée en 1864. Les premiers colons furent certainement les Salvet, Delrieu, Soler, Sauterey, mais il ne faut pas oublier ceux qui quittèrent leur Alsace en 1870 pour rester Français, tels les Stroebler, les Haegli, arrivés à Zemmora les mains vides et qui se mirent au travail sur les concessions. Leurs descendants payèrent un lourd tribut à la Mère Patrie lors des guerres de 1914-18 et de 1939-45. Eux aussi eurent leurs citations, leurs décorations, certaines, hélas, à titre posthume. Je peux aussi citer les Pain, Soulas, Soulier, Boix, Lubrano, Joulia...
-----Le "Bordj", enceinte fortifiée, fut construit par le Génie. Attenants à ce Bordj, les bâtiments de la Commune Mixte avec, aux deux ailes, les logements des adjoints-administrateurs et, devant la grande place où l'on dansait pour la fête du village. Les faux-poivriers séculaires nous regardaient, impassibles, leur feuillage triste mollement agité par la brise du soir. Aux quatre coins de la place, les jardinets religieusement entretenus par le père Lirot, la casquette toujours en bataille. Les roses y fleurissaient au printemps et, à longueur d'années, les plumbagos partaient à l'assaut des clôtures, côté rue. Entourant tout cela, les ficus au feuillage persistant et sévère donnaient refuge au crépuscule aux moineaux effrontés qui faisaient un bruit épouvantable... et souvent la nuit, de furtifs coups de lampe électrique dans les arbres. Chut ! Les chasseurs de moineaux ! Sentinelles vigilantes pendant la bonne saison, sur les hautes cheminées de la Commune Mixte, les cigognes toujours fidèles, venant de je ne sais où, partant je ne sais où...
-----A l'opposé de la place, le jardinet où était le Monument aux Morts (était, car il fut démoli en 1962) et, dans ce jardinet, le Génie avait construit un abreuvoir où les lions, parait-il, venaient se désaltérer la nuit... possible, car, sur la route de Tiaret, à 3 kilomètres de Zemmora, tout le monde connaissait la grotte des lions et, plus loin dans la forêt, la fontaine des lions. Non, non, Tartarin n'est pas passé par là.
-----Au début, le ravitaillement se faisait en convois, suivant l'axe Mostaganem-Tiaret, avec ou sans protection militaire. Les routes étaient pleines d'ornières et d'embûches, bien sûr. Les convoyeurs appréciaient le relais de Zemmora pour son ombre et son eau. Bêtes et gens reprenaient leur souffle avant la rude montée sur Mendez.
-----Deux établissements offraient le repas, et des chambres : l'Hôtel Falley, en face de l'Ecole de filles, et l'Hôtel Cornesse, au centre. Celui-ci était doté d'une immense marquise abritant du soleil et de la pluie les nombreux consommateurs. Trois générations de "clients" s'y succédèrent. D'abord, sans doute, les "colons" mêlés aux officiers du Bordj, les fonctionnaires de la Commune Mixte, puis les ingénieurs et cadres de la voie ferrée Relizane-Tiaret, les juges, interprètes, ouvriers agricoles, artisans musulmans, rabbins et curés. J'ai souvenance de l'Abbé Cadasse, qui n'était pas le dernier à "enguirlander" son partenaire de belote fautif. C'était aussi le rendez-vous des voyageurs, courtiers et autres. Enfant, je revois M. Compagnon, voyageur du Gagne Petit d'Alger, homme imposant, une grande barbe à la Jules Verne, une voix grave qui m'impressionnait, et puis ses grandes malles noires desquelles il sortait les échantillons. Ma mère faisait sa commande, et les malles regagnaient le petit charreton que poussait un aide. Lui, il descendait à l'Hôtel Falley, sans doute plus tranquille.(note du site : voir même remarque, village Margueritte)
"CAFÉ"
-----Je ne puis terminer, sans parler de "Café", un brave musulman dont je n'ai jamais connu le véritable nom.
-----D'abord, il s'occupait des lampes d'éclairage à acétylène, puis vint le règne de l'électricité. Alors, Café fit des brochettes. Tous les soirs, en face du Café Cornesse, adossé au Café maure, il installait son Kanoun (on dit maintenant barbecue). Son " rebouz" pour activer le feu était un solide carton, et ses brochettes de foie, coeur, viande, cuisaient bon train, assaisonnées d'un mélange de sel-kemoun-anis.
-----Selon la direction du vent, la fumée de cuisson allait, s'étirant en longues volutes odorantes, entrait sous la marquise, et les commandes fusaient : Café, 10 brochettes ! ! ? Café, 12 brochettes très cuites ! ! Le serveur apportait la commande dans l'assiette émaillée à fleurs. Point de barettes en inox, le fil de fer de botteleuse faisait très bien l'affaire, pourquoi pas ? Le commerce allait bon train, alors le kanoun doubla sa surface et apparut la " saucisse Café". Ils étaient deux derrière leur barbecue et, de temps en temps, une grande flamme surgissait, faisant reculer prudemment les officiants.
-----Les cartons-rebouz s'activaient et tout rentrait dans l'ordre. Quelques chiens étaient toujours là, en arrêt, attendant l'aumône : un mc ceau jugé filandreux ou trop cuit par le cher Un bruit de mâchoires qui claquent, et l'attente reprenait.
-----"Café" avait adopté une petite fille d'unetribu saharienne, née d'une pauvresse morte en couches à Zemmora. Adorée de tout le village, elle était devenue Miss Zemmora quoique enfant. Vêtue de blanc, sur un magnifique chameau, l'enfant à la peau noire était resplendissante. Hasard tragique, la petite fille devenue jeune fille décédera en couches elle aussi moins de vingt ans plus tard.

VILLE DE GARNISON
-----En 1914, les travaux de la voie ferée furent interrompus.
La portion Relizane-Zemmora fut mise service et plus haut, seuls les viaducs (50 60 mètres de hauteur) furent construits. Ils servaient de points de repère, si je puis dire. On localisait l'endroit en énumérant premier, deuxième, troisième ou quatrième pont. Personne ne se trompait.
-----Après la guerre, les travaux reprirent, c'est M. Sireygeol, agent voyer, qui les mena à bien jusqu'à Montgolfier, il me semble.
-----Le Bordj devint caserne et, jusqu'en 1940 y stationnait une compagnie du 2é RA commandée par un lieutenant.
-----Beaucoup de Zémmoréens ignorent sans doute que, dans la guérite en briques à l'entrée de la caserne, le Général Giraud, alors jeune appelé, monta la garde.
-----J'ai connu les tirailleurs circulant en grande de tenue bleue et jaune, boléro et sarouel plissé. Souvent, la Nouba (clairons, tambour rhaïtas) venue de Mostaganem, défilait dans les rues les jours de marché. En tête de la musique grave et solennel, le bélier mascotte. On recrutait. 80 % de l'effectif du 21è R.T.A. basé à Mostaganem était fourni par Zemmora et sa région. Nombreux sont les futurs généraux qui passèrent par le 2è R.T.A.
-----Civils et militaires s'entendaient très bien. Pas d'histoires. Les tirailleurs participaient toujours aux défilés à l'occasion des cérémonies au Monument aux Morts.
-----Attenant à la caserne, un jardin où était cultivés quelques légumes, pour améliorer l'ordinaire. Un jour, un lieutenant remarque que la plantation de salades laissait à désirer. Il appelle le jardinier, un vieux de la vieille, les moustaches agressives, un brin de menthe à l'oreille.
-Ali !
- Oui, mon lieutenant.
- Tes salades ne sont pas alignées.
- Si rien, mon lieutenant, tu vas voir...les salades, à mon commandement, garde-à-vous ! \ à droite alignement !
-----Ali, bien sûr, écopa de quelques jours de consigne pour méditer sur l'alignement des salades et le respect dû aux supérieurs (véridique !)

TOUJOURS AU TRAVAIL
-----Zemmora avait sa briquetterie-tuilerie, four-à-chaux vive, création de M.Satory (deux fils tués à la guerre 1914-18, un petit-fils à celle de 1939-45)
-----Lorsque, enfant, j'allais chercher la chaux vive "pour faire les olives vertes", j'admirais toujours l'énorme volant du moteur à gaz pauvre qui commençait son teuf-teuf régulier dès le matin pour ne s'arrêter que le soir. De ce volant partait la courroie qui actionnait l'immense arbre de transmission.
-----Puis vint l'électricité, et le teuf-euf rendit l'âme, comme beaucoup d'autres choses. M. Malledant, venu de Bretagne, prit la succession de la briquetterie.
-----Les boulangeries Costa et Lubrano faisaient du bon pain cuit au feu de bois. Le grand fournisseur de fagots de lentisque, si odorants lorsque les fours chauffaient, était Julien Lubrano, principal adjudicataire des coupes en forêt.
-----Les fagots étaient entreposés en meules près du stade, endroit très passant, et jamais un incendie ne s'y déclara.
-----Pourtant, il faisait chaud aussi, chez nous, plus qu'en Provence.
Quelques jours avant l'Aïd Seghir (fin du Ramadan), les petites musulmanes, plaques à gâteaux sur la tête, se disputaient le tour pour la cuisson de leurs pâtisseries. Enfants, nous allions aussi au four prendre de la cendre pour couler la lessive. En hiver, M. Serves, coiffeur, avait dans son salon une réserve de cendres chaudes sur laquelle trônait un broc dont l'eau chantonnait doucement... pour la barbe de ces messieurs.
-----Il m'en coûte un peu, mais je ne peux passer sous silence l'histoire de l'Allegretta et de la Zemmoréenne.
-----En 1926/27, mon père, Charles Deveney, mélomane accompli, mit sur pied un orchestre symphonique de trente musiciens environ
l'Allegretta. Tous les musiciens étaient Zemmoréens, (ma famille en fournissait quatre...), tous s'y mettaient avec ardeur, même Bencharef (Ahmed, je crois), trombone, qui composa même une symphonie.
-----L'Allegretta prit part à de nombreux concours de musique, et qui dit orchestre dit fêtes, concerts, bals. Mon père obtint la remise en état du marché couvert qui devint salle des fêtes avec scène et décors peints par mon père et M. Guillot. En collaboration avec le Groupe Récréatif de M. Jules Soler, de fameux concerts furent offerts à la population. Alors, je voudrais que les métropolitains qui n'ont toujours rien compris et qui nous qualifient de racistes, de colonialistes, que sais-je encore, aient assisté à ces concerts où Ghaouti, un peu poète, composait des saynètes tirées des Contes des Mille et une nuits, où il fallait voir les Bendahman, Mimouni, Halmi, Osmani, jouant leur rôle à merveille dans des décors presque fastueux. Un concert avait été monté pour une oeuvre de charité concernant les musulmans. Les notables y avaient été invités, et la Farce de Maître Patelin avait été jouée en Arabe. Quel succès !
-----Rares étaient les villages qui avaient autant de musiciens, de fins diseurs, de chanteurs, chanteuses et comédiens.
-----Zémmoréens, vous souvenez-vous de l'opérette "Pierrot puni" ? des duos de Faust, la Mascotte ? des pièces comme "Le commissaire est bon enfant", ou des sketches de Max Régnier, ou de la voix cristalline de Mlle Gomar, qui chantait, s'il-vous-plait, l'air des clochettes, de Lakmé ?
-----Les tournées Dambrine, des Deux Masques, comprenaient Zemmora dans leur circuit, sachant y trouver bon accueil et salle convenable.
-----Enfin, les concerts et bals des Ecoles étaient toujours une réussite.
-----Infatigable, mon père (qui initiait pas mal de jeunes à la préparation militaire), pensa et réalisa "La Zémmoréenne", Société de gymnastique Mixte (Section masculine et Section féminine). M. Gauchet, moniteur de Joinville, s'y occupait des mouvements d'ensemble, culture physique et athlétisme.
-----M. Louis Guillot, des barres parallèles, barre fixe, anneaux et trapèze. Le père Deveney s'occupait de l'escrime (fleuret, épée, sabre).
-----Nous avons participé aux concours de gymnastique de Maison-Carrée et de Relizane, entre autres. Lors d'une fête du village, sur la place, nous faisions une exhibition aux barres parallèles et barre fixe. Aux barres, Maurice Bentolila qui, avant sa sortie en voltige, dans un mouvement de ciseaux des jambes exécuté avec fougue, fit craquer sa culotte. Hilarité générale des spectateurs ravis qui bénéficièrent d'une double exhibition. Il y a 70 ans de cela...
-----Puis les uns se marièrent, d'autres vieillirent. Peu à peu, tout s'éteignit, même la fanfare montée par mon père (toujours lui), chef trompette : Emile Lissarre, basse : Bendahmane, cor de chasse : Paul Jam, tambour : François Reyna, et tant d'autres. Les Trompettes d'Aïda, jouées en aubade les jours de fête, moururent aussi, puis vint 1939...
-----Lors de l'inauguration de la Mosquée, située à 30 mètres de l'Eglise, je me souviens que le Caïd Belmoumen, dans son discours, disait que " ce minaret et ce clocher, si près l'un de l'autre, étaient un symbole de rapprochement".
-----Le clocher n'est plus, abattu comme le Monument aux Morts.
Cette cloche, qui avait sonné pour tant de baptêmes, de mariages, de messes, pour l'Armistice de 1918 (je m'en souviens), sonné le glas pour nos morts, cette cloche n'est plus et sous les décombres, son dernier tintement a été un râle.
-----Qu'est-elle devenue ? Je n'en sais rien.
-----Après la prison, car Zemmora avait sa prison et, tenez-vous bien, le dernier gardien s'appelait... Porte, on tournait à gauche, et en longeant une haie de grenadiers, on arrivait au cimetière, en cotoyant le cimetière israëlite. Le portillon de bois grinçait toujours. A droite, le petit bassin d'eau claire servant à arroser plantes et fleurs. Le robinet, jamais étanche, égrenait son chapelet de gouttes.
-----Les oiseaux, très vite, toujours aux aguets, venaient s'y désaltérer.
-----Le faitage du mur était usé par le passage des bramils, (petits tonnelets), car " on" venait se ravitailler en eau.
-----Aucun mal à cela.
-----L'allée centrale, bordée de cyprés majestueux et sévères à la fois, coupait le bleu du ciel. On peut penser que le Bon Dieu créa le cyprés exprès pour les cimetières.
-----Au milieu, la stèle commémorative du Nième de Ligne (?) ayant participé à la répression de la petite insurrection de Dar ben Abdallah, en 1868, avec en exergue Wagram, La Moskowa, Sébastopol ! ! !
-----Il n'est pas triste, notre cimetière aéré, propret. Au printemps, l'orangeraie de F. Serrano embaume, cassolette naturelle. On s'y rencontre le dimanche surtout, et après la prière sur la tombe de nos disparus, c'est la causette, les petites plaisanteries, l'arrosoir vide à la main. Mais non, ce n'est pas un péché que de rire dans un cimetière. A gauche en entrant, est notre caveau. Mon père, qui en avait fait les plans, avait prévu grand. Y repose ma grand-mère paternelle, décédée en 1927, agée de 98 ans. Dotée d'une mémoire extraordinaire, elle nous redisait souvent le compliment qu'elle avait récité à la Duchesse d'Aumale lors de sa venue à Alger, avec révérence à l'appui, s'il-vous-plait, et combien fière d'avoir dansé avec le Général Youssouf, coqueluche de ces dames.
-----En 1940, en décembre, après la défaite, mon père décédait rejoignant ma mère, décédée en 1935. Ses obsèques furent simples mais grandioses. Il avait été président des anciens combattants jusqu'à sa mort. Lui et mes deux frères, tous trois officiers, totalisent trois légions d'honneur à titre militaire, bien sûr et une quarantaine de décorations françaises, tunisiennes, marocaines et anglo-américaines.
-----Depuis notre départ de "là-bas", une quarantaine de Zémmoréens au moins sont morts, essaimés dans l'hexagone ingrat.
-----Que les survivants non cités me pardonnent. Je ne peux terminer sans parler du formidable travail des administrateurs de Communes Mixtes, toujours entre le marteau et l'enclume, risquant d'être broyés par les rouages administratifs toujours mal graissés, MM. Vrolyk, Ivara, qui sont " de mon temps", du dévouement des médecins de colonisation, tels le Dr Ribière, partant en calèche faire ses tournées, le Dr Guerrieri, qui faillit être victime d'une épidémie de typhus, des instituteurs et institutrices faisant leur métier sans discrimination de race ni de religion.

Henry DEVENEY