Zemmora, le berceau d'une race ardente
pnha n°68,
mai 1996
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----Zemmora
: ce nom a sans doute pour origine le mot berbère "Tazemmourt", qui signifie pays des oliviers. La forêt qui ceinture le village, outre les lentisques, thuyas et pins, comporte énormément d'oliviers sauvages. Certains spécimens sont remarquables de majesté et de vieillesse. A Oued-el-Anceur, tout le monde connaissait ce respectable olivier plusieurs fois centenaire, aux branches duquel venaient s'accrocher les balançoires, lors des mounas du Lundi de Pâques.- Plusieurs familles trouvaient place à l'ombre de son feuillage argenté. VILLAGE FLEURI -----Les Romains connaissaient la région : en allant vers Ferry, sur l'oued Djemaa, existait encore un vestige de barrage. -----Nul n'ignore l'astuce de ces anciens pour utiliser le moindre cours d'eau. L'origine avancée du nom du village peut-être étayée par la réussite d'oliveraies comme celle de M. Paul Salvet. -----En se référant au remarquable ouvrage du Prof. Goinard "L'oeuvre Française en Algérie", Zemmora fut crée en 1864. Les premiers colons furent certainement les Salvet, Delrieu, Soler, Sauterey, mais il ne faut pas oublier ceux qui quittèrent leur Alsace en 1870 pour rester Français, tels les Stroebler, les Haegli, arrivés à Zemmora les mains vides et qui se mirent au travail sur les concessions. Leurs descendants payèrent un lourd tribut à la Mère Patrie lors des guerres de 1914-18 et de 1939-45. Eux aussi eurent leurs citations, leurs décorations, certaines, hélas, à titre posthume. Je peux aussi citer les Pain, Soulas, Soulier, Boix, Lubrano, Joulia... -----Le "Bordj", enceinte fortifiée, fut construit par le Génie. Attenants à ce Bordj, les bâtiments de la Commune Mixte avec, aux deux ailes, les logements des adjoints-administrateurs et, devant la grande place où l'on dansait pour la fête du village. Les faux-poivriers séculaires nous regardaient, impassibles, leur feuillage triste mollement agité par la brise du soir. Aux quatre coins de la place, les jardinets religieusement entretenus par le père Lirot, la casquette toujours en bataille. Les roses y fleurissaient au printemps et, à longueur d'années, les plumbagos partaient à l'assaut des clôtures, côté rue. Entourant tout cela, les ficus au feuillage persistant et sévère donnaient refuge au crépuscule aux moineaux effrontés qui faisaient un bruit épouvantable... et souvent la nuit, de furtifs coups de lampe électrique dans les arbres. Chut ! Les chasseurs de moineaux ! Sentinelles vigilantes pendant la bonne saison, sur les hautes cheminées de la Commune Mixte, les cigognes toujours fidèles, venant de je ne sais où, partant je ne sais où... -----A l'opposé de la place, le jardinet où était le Monument aux Morts (était, car il fut démoli en 1962) et, dans ce jardinet, le Génie avait construit un abreuvoir où les lions, parait-il, venaient se désaltérer la nuit... possible, car, sur la route de Tiaret, à 3 kilomètres de Zemmora, tout le monde connaissait la grotte des lions et, plus loin dans la forêt, la fontaine des lions. Non, non, Tartarin n'est pas passé par là. -----Au début, le ravitaillement se faisait en convois, suivant l'axe Mostaganem-Tiaret, avec ou sans protection militaire. Les routes étaient pleines d'ornières et d'embûches, bien sûr. Les convoyeurs appréciaient le relais de Zemmora pour son ombre et son eau. Bêtes et gens reprenaient leur souffle avant la rude montée sur Mendez. -----Deux établissements offraient le repas, et des chambres : l'Hôtel Falley, en face de l'Ecole de filles, et l'Hôtel Cornesse, au centre. Celui-ci était doté d'une immense marquise abritant du soleil et de la pluie les nombreux consommateurs. Trois générations de "clients" s'y succédèrent. D'abord, sans doute, les "colons" mêlés aux officiers du Bordj, les fonctionnaires de la Commune Mixte, puis les ingénieurs et cadres de la voie ferrée Relizane-Tiaret, les juges, interprètes, ouvriers agricoles, artisans musulmans, rabbins et curés. J'ai souvenance de l'Abbé Cadasse, qui n'était pas le dernier à "enguirlander" son partenaire de belote fautif. C'était aussi le rendez-vous des voyageurs, courtiers et autres. Enfant, je revois M. Compagnon, voyageur du Gagne Petit d'Alger, homme imposant, une grande barbe à la Jules Verne, une voix grave qui m'impressionnait, et puis ses grandes malles noires desquelles il sortait les échantillons. Ma mère faisait sa commande, et les malles regagnaient le petit charreton que poussait un aide. Lui, il descendait à l'Hôtel Falley, sans doute plus tranquille.(note du site : voir même remarque, village Margueritte) "CAFÉ" -----Je ne puis terminer, sans parler de "Café", un brave musulman dont je n'ai jamais connu le véritable nom. -----D'abord, il s'occupait des lampes d'éclairage à acétylène, puis vint le règne de l'électricité. Alors, Café fit des brochettes. Tous les soirs, en face du Café Cornesse, adossé au Café maure, il installait son Kanoun (on dit maintenant barbecue). Son " rebouz" pour activer le feu était un solide carton, et ses brochettes de foie, coeur, viande, cuisaient bon train, assaisonnées d'un mélange de sel-kemoun-anis. -----Selon la direction du vent, la fumée de cuisson allait, s'étirant en longues volutes odorantes, entrait sous la marquise, et les commandes fusaient : Café, 10 brochettes ! ! ? Café, 12 brochettes très cuites ! ! Le serveur apportait la commande dans l'assiette émaillée à fleurs. Point de barettes en inox, le fil de fer de botteleuse faisait très bien l'affaire, pourquoi pas ? Le commerce allait bon train, alors le kanoun doubla sa surface et apparut la " saucisse Café". Ils étaient deux derrière leur barbecue et, de temps en temps, une grande flamme surgissait, faisant reculer prudemment les officiants. -----Les cartons-rebouz s'activaient et tout rentrait dans l'ordre. Quelques chiens étaient toujours là, en arrêt, attendant l'aumône : un mc ceau jugé filandreux ou trop cuit par le cher Un bruit de mâchoires qui claquent, et l'attente reprenait. -----"Café" avait adopté une petite fille d'unetribu saharienne, née d'une pauvresse morte en couches à Zemmora. Adorée de tout le village, elle était devenue Miss Zemmora quoique enfant. Vêtue de blanc, sur un magnifique chameau, l'enfant à la peau noire était resplendissante. Hasard tragique, la petite fille devenue jeune fille décédera en couches elle aussi moins de vingt ans plus tard. VILLE DE GARNISON -----En 1914, les travaux de la voie ferée furent interrompus. La portion Relizane-Zemmora fut mise service et plus haut, seuls les viaducs (50 60 mètres de hauteur) furent construits. Ils servaient de points de repère, si je puis dire. On localisait l'endroit en énumérant premier, deuxième, troisième ou quatrième pont. Personne ne se trompait. -----Après la guerre, les travaux reprirent, c'est M. Sireygeol, agent voyer, qui les mena à bien jusqu'à Montgolfier, il me semble. -----Le Bordj devint caserne et, jusqu'en 1940 y stationnait une compagnie du 2é RA commandée par un lieutenant. -----Beaucoup de Zémmoréens ignorent sans doute que, dans la guérite en briques à l'entrée de la caserne, le Général Giraud, alors jeune appelé, monta la garde. -----J'ai connu les tirailleurs circulant en grande de tenue bleue et jaune, boléro et sarouel plissé. Souvent, la Nouba (clairons, tambour rhaïtas) venue de Mostaganem, défilait dans les rues les jours de marché. En tête de la musique grave et solennel, le bélier mascotte. On recrutait. 80 % de l'effectif du 21è R.T.A. basé à Mostaganem était fourni par Zemmora et sa région. Nombreux sont les futurs généraux qui passèrent par le 2è R.T.A. -----Civils et militaires s'entendaient très bien. Pas d'histoires. Les tirailleurs participaient toujours aux défilés à l'occasion des cérémonies au Monument aux Morts. -----Attenant à la caserne, un jardin où était cultivés quelques légumes, pour améliorer l'ordinaire. Un jour, un lieutenant remarque que la plantation de salades laissait à désirer. Il appelle le jardinier, un vieux de la vieille, les moustaches agressives, un brin de menthe à l'oreille. -Ali ! - Oui, mon lieutenant. - Tes salades ne sont pas alignées. - Si rien, mon lieutenant, tu vas voir...les salades, à mon commandement, garde-à-vous ! \ à droite alignement ! -----Ali, bien sûr, écopa de quelques jours de consigne pour méditer sur l'alignement des salades et le respect dû aux supérieurs (véridique !) TOUJOURS AU TRAVAIL Henry DEVENEY |