Alger, Algérie : vos souvenirs
La page de Jean Trimoulinard
1°/Baïnem
2°/ les cris de ma rue.
3°/ Au temps des barricades
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mise sur site le 26-02-2005

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----------Mes grands-parents avaient une villa à Baïnem, à 10 km à l'ouest d'Alger. C'est là que je passais toutes mes vacances d'été, de fin juin à début octobre et pour les gamins de mon âge, la pêche et le foot étaient les principales distractions.

----------En premier lieu, la pêche au roseau, " à la touche ", dans les creux de rochers, avec des hameçons-mouche et des escargots à pattes ou (le fin du fin) des boyaux de sardines, que je récupérai quand ma mère faisait des " scabèches ". Nous attrapions girelles, vidroits, racaos, vaches, sans oublier les cabotes et les baveuses. Notre rêve était de sortir "le roi des racaos " : il habitait toujours le même trou, mais nous n'y sommes jamais parvenus. Il nous " cassait " avant, car nous étions montés trop fin. Il devait avoir ses lèvres fichées d'hameçons. Du piercing, avant la mode.
----------On vidait nos poissons dans l'eau, au bord des rochers et l'on voyait arriver les crabes et les poulpes. Nous attrapions les petits poulpes (les gros nous faisait peur) qui s'enroulaient autour de nos avant-bras tant qu'on ne leur avait pas " retourner la calotte ".

----------Nous étions jugés trop jeunes pour pêcher au harpon. Alors, nous " faisions " des oursins : un masque, un tube, une fourchette réformée, un vieux couffin coincé au centre d'une petite bouée et une longue ficelle qui le reliait au maillot de bain, pour ne pas qu'il s'éloigne trop pendant que nous plongions (le couffin, pas le maillot). Nous ramassions les gros oursins violet et les " oursines ", mais aussi les autres qui, une fois écrasés, garnissaient les girelliers que nous allions caler pour compléter la bouillabaisse.

----------Et puis, il y avait la pêche aux " blaouèttes ". Du bout du rocher le plus avancé, nous balancions quelques morceaux de pain. Très vite les bans arrivaient et se livraient bataille autour des quignons. Alors, avec un hameçon-voleur, nous ramenions la friture de petits mulets, de palomettes et de tchelbines.

----------Lorsque la mer était très plate, en fin d'après-midi, nous mettions à l'eau les périssoires et nous allions aux oublades avec nos " bouchons marseillais " et leurs hameçons " gantches ". Parfois, les adultes me proposaient de m'emmener dans leur pastéra pêcher les sarans à la palengrotte, mais il fallait que la mer soit très calme, sinon j'étais malade.

----------Et quand la mer était agitée, nous allions au bout de notre rocher pêcher les sars et les oublades. On " bromitchait " avec une bouillie de pain et de sable et l'on appâtait avec une pâte faite de mie de pain et d'un peu de fromage. Nous restions des heures, les yeux fixés sur le bouchon, noirci à la flamme pour mieux le distinguer sur l'écume blanche.

----------Les images se bousculent, lointaines et étonnement présentes. Bon, je vais rincer mon maillot et prendre une douche pour enlever le sel qui a séché sur ma peau. Après, avec une aiguille flambée, je retirerai de mes pieds quelques épines d'oursin malveillantes.

----------Tchao

Les cris de ma rue

Dans la rue, au pied de mon immeuble, passaient régulièrement les " petits métiers ", chacun criant son slogan, modulant sa mélopée. Il y avait :

- le marchand d'z'habits, avec son grand sac pour récolter les vieilles nippes,
- le rémouleur et sa sonnette de lépreux,
- le matelassier et sa planche à clous pour carder la laine,
- le tondeur de chiens, vantant sa coupe " à la lion ",
- le marchand d'oublies, avec son panier en osier recouvert d'un torchon douteux,
- les danseurs-musiciens, avec leurs chapeaux à clochettes, leurs tambours et leurs drôles de cymbales, mi-castagnettes, mi-maracas. Nous leur jetions des sous de notre balcon,
- et bien d'autres encore.

Je croyais avoir oublié tous ces sons, tous ces bruits, ils étaient simplement enfouis. Ils resurgissent intacts, aujourd'hui. Le rideau peut se lever sur les souvenirs.

Jean Trimoulinard
jtrimoulinard@free.fr

Au temps des barricades

---------En janvier 1960, j'étais dans mon vingt-septième et avant dernier mois de service militaire. Vers le 25 ou 26 janvier, je reçois l'ordre de descendre en renfort sur Alger avec mon peloton et de me présenter, Tournants Rovigo, au Colonel Santini qui commandait le régiment de zouaves.
---------" Sous-Lieutenant Trimoulinard, mes respects, mon Colonel. Mon unité m'envoie me mettre à votre disposition avec mon peloton. Mais avant, permettez-moi un préalable. "
---------Il fronce les sourcils et me fixe, le visage fermé.
" Qu'est-ce qu'il y a ? "
-Mon Colonel, je suis Algérois. En ce moment, derrière la barricade, il y a ma femme, mon père, ma mère, ma sœur. Donnez-moi des ordres que je puisse exécuter. "
---------Ses traits se sont détendus et il a esquissé un sourire.
" Prends ton peloton et va, derrière la Place du Gouvernement, me garder les Chèques-Postaux."
---------C'est ainsi que j'ai pu concilier mes convictions et mon devoir de soldat.
---------Merci, mon Colonel.

Jean Trimoulinard
jtrimoulinard@free.fr
voir "barricades"