Alger, Algérie
: vos souvenirs
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LE 26 MARS 1962
mercredi 8 février 2006, par Lucienne PONS LE 26 MARS 1962 un climat lourd dinquiétude, dindignation et de colère règne sur lAlgérie. Bab El Oued cerné par les forces de lordre depuis plusieurs jours résiste et dans laprès-midi le drame éclate frappant la manifestation de soutien.... Vu et vécu par lauteur qui se trouvait sur les lieux. |
---------En ce matin
du 26 mars 1962, en dépit dun beau soleil printanier, un climat
lourd dinquiétude, dindignation et de colère contenues
régnait sur lAlgérie et dans nos curs.
---------Les accords dEvian qui faisaient la part belle au FLN sans aucun ménagement pour la sécurité et les intérêts moraux et matériels des français et des harkis, venaient dêtre signés par le Gouvernement et les tenants de lIndépendance de lAlgérie, et pour nous il ny avait plus dautre alternative que la valise ou le cercueil. ---------Létau de la répression se resserrait autour de nous. En effet le Gouvernement qui tenait à faire passer les accords dEvian,vis à vis de lopinion française et vis à vis de lopinion internationale, comme une entente de bonne envergure souhaitée par la totalité des habitants de lAlgérie, mettait en place les mesures coercitives nécessaires pour endiguer toutes manifestations de protestations ou de désaveu à lencontre de sa politique dabandon. Or nous protestions en actes, en paroles, en écrits, par articles et par tracts et le quartier de Bab El Oued fût désigné comme cible expiatoire par les forces répressives qui y commirent leurs pires méfaits. ---------En effet, les habitants de Bab El Oued qui navaient jamais cessé depuis le début de la guerre dAlgérie de clamer leur attachement à lAlgérie Française dans les manifestations et en faisant connaître leurs opinions par tous moyens et qui soutenaient fidèlement lOAS, se trouvaient dans le collimateur du pouvoir répressif et leur quartier, un des plus attachant et pittoresque dAlger, se trouvait cerné et assiégé depuis plusieurs jours par des CRS et des Gardes Mobiles nouvellement affectés en Algérie. Un véritable blocus interdisait à ses habitants de circuler dans les rues, le couvre feu était institué avec interdiction douvrir les persiennes, les rues du quartier étaient sillonnées par les forces de lordre armées jusquaux dents,toutes circulations, communications et approvisionnements étaient contrôlés, interdits et réprimés. Les habitants étaient soumis à des perquisitions de jour et de nuit sans aucun ménagement, comme sil se fût agi de sévir contre des malfaiteurs ; les forces répressives armées et menaçantes entraient dans les appartements, renversaient le contenu des meubles sur le sol, endommageant le linge, les vêtements, la vaisselle, les objets et les produits dalimentation, et même les matelas ouverts au couteau ne furent pas épargnés. ---------Le Général Ailleret, de triste mémoire, navait pas hésité à faire mitrailler les immeubles et les terrasses de ce quartier par les forces aériennes, au prétexte que ses habitants armés, selon lui, se livraient à des fusillades et que le quartier était en état dinsurrection permanente ! Or, pour rétablir les faits, sil est vrai que quelquefois des fusillades sentendaient au coin des rues ou provenaient des terrasses, la majorité des habitants ne possédaient pas darmes et le quartier quoique bouillonnant nétait pas en état dinsurrection, mais dans un état dinsécurité entretenu par les provocations des forces répressives. Après les mitraillages par les forces aériennes qui provoquèrent une profonde indignation, un acte odieux déclencha une colère générale, ce fût lexécution, commise par un CRS ou un Garde Mobile par une rafale de balles, dune petite fille de dix ans qui avec linsouciance de son âge avait ouvert les persiennes de son balcon, ce qui était formellement interdit aux habitants pendant ce triste siège.Ce drame fût ressenti comme un assassinat. ---------Une manifestation fût décidée et annoncée pour le 26 mars 1962, en vue de témoigner notre indignation sur ce forfait, de porter notre soutien aux Habitants de Bab El Oued, dobtenir la libération du quartier, et de manifester notre désapprobation unanime sur la politique pro-algérienne du Gouvernement, les organisateurs de la manifestation insistaient particulièrement sur le caractère pacifique de la manifestation prévue. ---------Dès la veille après-midi, des annonces faites à la radio et par voitures sillonnant les rues tentèrent de décourager la population de manifester. Il était annoncé par les pouvoirs en place, tous des sbires au service du Maître de lheure ainsi que lavait baptisé le FLN (je veux parler du Général de Gaulle) que des mesures seraient prises pour interdire toutes manifestations, réunions ou regroupements publics et des barrages furent mis en place pour interdire et refouler toutes circulations automobile sur toutes routes dans les régions, et dans toutes les rues des villages et des villes. ---------Visiblement le pouvoir ne voulait pas subir de retour de vague face à son action incessante "sur le vent de lhistoire" quil entendait faire souffler pour porter un projet falsifié et utopique de "grandeur nationale", alimenté par les discours dithyrambiques du Chef de létat et de ses ministres, tous vendus à la cause de lindépendance, tous traîtres envers nous,tous prêts comme un seul homme à livrer lAlgérie aux rebelles après nous avoir promis de la garder Française, en sabritant sous des slogans éventés tel que "le droit des peuples à disposer deux-mêmes",( quel peuple ?...) le tout sans imposer à "ce peuple" des garanties ne serait-ce que morales pour les français dAlgérie et les harkis. ---------Tout en début de laprès-midi du 26 mars 1962, déterminées à rejoindre la manifestation, nous partîmes dHydra à pieds avec quelques amies pour rejoindre Alger en passant par le quartier du Golf pour ensuite rejoindre le Centre dAlger. Plusieurs fois arrêtées et contrôlées en cours de routes, nous atteignîmes enfin par des circuits détournés le centre dAlger et bloquées sur le Plateau des Glières, en dessous de la statue de Jeanne dArc, par un détachement militaire des forces du maintien de lordre qui était positionné sur tous les pourtours de la place et des rues, en alignement sur les trottoirs, leurs armes en position de combat. Je fus assez surprise de constater que tout ce détachement important était composé de militaires arabes et jai pu observer quil ny avait pas un seul militaire français parmi eux, du moins parmi ceux qui se trouvaient à ma proximité sur une ligne de 10 mètres environ derrière moi. ***************** ---------Nous fûmes maintenues sur place avec dautres manifestants, empêchés de circuler par les militaires qui se montraient de plus en plus nerveux nous menaçant dun air féroce, sans pouvoir rejoindre par la rue dIsly le gros de la manifestation ( 150 000 personnes environ), qui devait avoir rejoint les abords du quartier de Bab El Oued,alors que des annonces par micros provenant de voitures de police qui parcouraient la ville,se succédaient invitant les participants à rentrer chez eux avant telle heure(jai oublié lheure) qui était toute proche,sous peine de répression ; en quelque sorte un ultimatum ... qui pourrait porter à réflexion et analyse au vu du drame qui a suivi. Dans la foule les visages étaient graves et sévères nous manifestions dans le silence et la dignité sans provocations, mais fermement décidés à passer coûte que coûte, quand soudain nous entendîmes des coups de feu et nous vîmes immédiatement des personnes qui couraient vers nous en criant "ils ont tiré, ils on ouvert le feu ... il y des morts et des blessés, protégez-vous, protégez-vous..." Il nen était plus temps, jai entendu des coups de feu,des rafales de fusils mitrailleurs ou de mitraillettes et jai vu des gens tomber devant moi aux abords du plateau des Glières, près de la Grande Poste dAlger, la foule se dispersait en tout sens, je nai pas vu qui tirait, certaines personnes se jetaient au sol, un homme ma projeté à terre, un militaire tirait ou faisait mine de tirer dans notre direction, mes amies emportées par le mouvement de foule nétaient plus là, des ambulances commençaient à circuler pour porter du secours dans une stupeur et un affolement général et les cris douloureux des blessés et les cris dindignation des manifestants présents sur les lieux. Je me suis relevée et faisant quelques pas jai vu, de mes yeux vu, un jeune homme en blouse blanche qui portait secours à une victime étendue sur le trottoir de la Grande Poste, abattu lui même par derrière, tué sur le coup et achevé de plus sur la victime. Je lai appris par la suite, il sagissait dun jeune médecin. Les militaires tiraient même sur les ambulances, sur les infirmiers et les médecins. ---------Javais limpression de me trouver subitement dans un autre univers et là, dans ma mémoire jai comme un grand trou noir, un passage à zéro. Aujourdhui encore je ne me souviens pas comment la foule sest dispersée autour de moi, comment je me suis retrouvée seule dans une rue au bout dun moment, dont je ne peut évaluer la durée, me dirigeant vers lHôpital dHussein-Dey. Avant darriver à lHôpital jai vu un homme qui marchait devant moi dans la rue tomber sur le trottoir, abattu d un coup de revoler par un individu surgit dune sortie dimmeuble. Crime ?, vengeance ?, règlement de compte .. ? je ne le saurai jamais. Je les ai regardé comme une somnambule, lagresseur ma fixé lespace dune demie seconde de son regard dur et sest effacé rapidement en courant. Jai vu des gens qui venaient très vite vers la victime en criant...partez.. partez, Madame, partez vite, ne restez pas dans la rue... ne restez pas ici... partez ! Je continuais à marcher dans un état dabsence totale de conscience. ---------Puis je suis arrivée à lHôpital dHussein-Dey où un spectacle de désolation régnait dans tous les espaces ; les malades habituels se trouvaient dans les jardins,en pyjamas ou chemises de nuit, ayant laissé leurs lits pour les blessés ; des ambulances arrivaient les unes après les autres, les infirmiers étendaient immédiatement les blessés sur des brancards alignés aux pieds des bâtiments ; en attendant dêtre pris en charge certains blessés couverts de sang gémissaient, certains agonisaient, dautres victimes étaient déjà mortes, jeunes filles et jeunes hommes pour la plupart, car comme je lai appris par la suite cest le début du cortège où se trouvaient des étudiants et des jeunes qui avait été visé en premier lieu. Jai vu aussi un homme arabe dune quarantaine dannées qui se vidait de son sang et de sa vie sur un brancard, le visage livide, mais les yeux encore pleins de vie qui me regardait tristement avec regret. Ami, ennemi ... je ne savais pas, mais jétais née sur la même terre que lui et cest humainement,tout naturellement, que jai soutenu avec douceur la main quil tendait vers moi. ---------Je ne sais pas combien de temps je suis restée errante dans lhôpital où les parents des victimes pleuraient, certains en silence la tête dans leurs mains, dautres en sanglotant ou en poussant des cris déchirants et se tordant les mains de désespoir. Jétais dans un cauchemar ... jallais me réveiller... Javançais consternée, comme une ombre, dun brancard à lautre, nentendant pas ce que les gens me disaient, redoutant de trouver des parents, une amie, un ami, morts ou blessés. Je ne souviens pas non plus comment jai quittée lhôpital et à quelle heure ; je me suis retrouvée sur la route me dirigeant vers Hydra et je nai aucun autre souvenir personnel de cette dramatique journée, même pas de la façon dont je suis entrée dans ma maison et me suis endormie ce soir là. ---------Dans les jours qui ont suivi, jai pu lire les circonstances du drame dans les journaux, différentes hypothèses sur "qui avait ouvert le feu en premier ?" ... les militaires ?... un civil ? ...un barbouze ? ... un provocateur.... ? étaient avancées . On relatait aussi le cri de ce jeune officier, fraîchement arrivé de France, chef dun détachement et qui avait ordonné à plusieurs reprise dune voix forte "Halte au feu... Halte au feu ... Halte au feu ..." sans être obéit par les militaires qui se trouvaient sous son commandement. Existe-t-il encore ?... Je me souviens avoir entendu il y a quelques années ici en France, diffusé par une radio privée, le contenu dune cassette enregistrée lors de la fusillade où lon entend les coups de feu, les protestations des manifestants et très clairement la voix déchirante du jeune officier ordonnant à plusieurs reprises "Halte au feu" !. ---------La lumière na jamais été faite officiellement sur la fusillade du 26 Mars 1962. Je me souviens quune rumeur circulait à Alger quelques jours après le drame : certains manifestants étaient persuadés que les militaires arabes qui se trouvaient dans les forces de maintien de lordre ce jour là du 26 mars 1962 étaient en fait des rebelles de la Willaya 4, habillés de tenues militaires françaises, qui à la suite de la signature des accords dEvian du 19 mars 1962 auraient été intégrés dans les rangs de lArmée Française pour assurer le maintien de lordre et prendre la relève peu à peu en attendant lIndépendance qui devenaient imminente. Nous navons pas de preuve, nous ne saurons jamais la vérité. Seuls les assassins et leurs complices qui ont ouvert le feu la connaisse. ---------Et aujourdhui encore je me questionne : Où est la vérité... ? Un silence de chape sest établie pendant des décennies sur ce drame gênant pour le pouvoir de lépoque qui a son prolongement jusquà nos jours. Un journaliste du journal télévisé de 13 heures le 26 mars 2002, soit quarante ans après, a rappelé cette fusillade en indiquant que "des tirailleurs algériens de lArmée Française avaient ouvert le feu sur les manifestants". Je me suis permis de lui écrire en lui faisant rapport de la rumeur concernant le possible "rattachement" des FLN de la Willayia 4. Je nai reçu aucune réponse. **************** ---------Je nen attendais pas plus. Plus de quarante ans après nous sommes toujours censurés sur nos souffrances,on ne nous entend pas, on ne nous lit, on ne veut pas nous voir, même si lon nous écorche au besoin, dans les sphères de lintelligentsia politico-journalistique et son prolongement de faux intellectuels vaseux, la vérité pour eux nest pas bonne à entendre , même si pour nous elle est bonne à dire. Les chiffres officiels font état de 46 morts et environ 150 blessés, les avis sont partagés, mais les informateurs évitent den parler ; les informations locales de lépoque faisaient état de plus de 100 morts et plus de 150 blessés. Comment pourrions nous le vérifier après tout la désinformation, la dénaturation et le brouillage des faits ? ---------Quant à certains de ceux qui ont commandé et servi en Algérie, généraux et militaires, qui croient de bon ton de venir périodiquement à la télévision, sinféodant à lair du temps,faire la larme à lil et la voix tremblante leur mea culpa, pour avoir torturé des criminels FLN et leurs complices, je les méprise ouvertement, ils feraient mieux de passer leur temps à dire la vérité sur les crimes odieux commis par les rebelles FLN sur les civils français, hommes égorgés, femmes et enfants violés et tués et mis en croix, et nos militaires,surpris en embuscades, cruellement, sauvagement mutilés et émasculés avant dêtre achevés égorgés à larme blanche par ces barbares infâmes qui ne respectent aucune loi de guerre et nont aucun honneur. ---------Pour moi je nai aucune haine, seulement un profond écurement, du mépris et encore du mépris, pour tous ces assassins et leurs complices et pour ceux qui leur offrent des excuses en faisant leur mea culpa politicien,je sais quils ont déjà rejoint tous ensembles, même sils sont encore vivants, les ténèbres et lenfer de leurs consciences où ils demeurent liés à leurs crimes et mensonges pour toute éternité. ---------Les hommes dhonneur font tout pour prévenir la guerre mais quand elle devient inévitable il faut la faire avec honneur et courage et, vaincus ou vainqueurs, ne rien regretter ce qui nempêche pas de pleurer nos morts et de les honorer. Honneur et paix à leur mémoire, cest le prix du sang. ---------Pour en
revenir à mon évocation du 26 mars 1962, jai écrit
cet article sans me référer à aucun texte ni aucun
écrit, mon récit est certainement incomplet, sommaire et
partial, mais cest le vécu qui subsiste en moi : je lai
restitué fidèlement avec ses clartés et ses ombres. |