Alger, Algérie
: vos souvenirs
|
7
Ko / 9 s
|
------------Cétait pendant la deuxième guerre mondiale, sur la route conduisant des Eucalyptus à Rivet. Par suite des restrictions dessence consécutives à la guerre de 39/45 nous avions le matin avec mon frère Albert(et mon frère Georges, un peu plus tard) sept kilomètres à accomplir dans une voiture à quatre roues attelée du vieux cheval Bibi avant darriver à lécole de Rivet, charmant petit village situé au pied dune colline, au sommet de laquelle tout les matins le soleil faisait son apparition.Nous partions de la ferme que mon père dirigeait dès laurore pour arriver à lheure avant la sonnerie de la cloche qui annonçait louverture de lécole, et cétait une époque où on avait intérêt à ne pas arriver en retard sous peine dune punition (quelques lignes à copier) que nous préférions éviter par conscience écolière et aussi pour ne pas perdre un temps précieux que nous préférions utiliser pour les jeux denfants.Tous les matins, dès louverture de lécole, et cette cérémonie dura jusquà la victoire, on hissait dans la cour le drapeau tricolore (cétait le première ou le premier de la classe qui avait cet honneur) et tous les enfants alignés chantaient avec les institutrices et la dame de cantine(où les instituteurs dans lécole de garçons mitoyenne) la Marseillaise, notre hymne national, avec la foi farouche de vieux combattants. ------------Jai eu lhonneur de hisser ce drapeau pendant quinze jours parce que javais été première ex-aequo avec la tête de la classe ( qui à lénoncé des résultats sétait mise à pleurer de dépit, ce qui mavait complètement "traumatisée" à tel point que par la suite je me suis contentée de ne pas la dépasser, en me cantonnant des les cinq premières, au moins dans le cours élémentaire de deuxième année). ------------Mais revenons à notre moyen de locomotion. Mohamed, un kabyle distingué, pupille de la nation, son père avait été tué à la Guerre de 1914 en combattant pour la France, conduisait la voiture. Toujours vêtu de blanc, pantalon gonflant, fine gandoura blanche brodée et burnous blanc, il portait un chèche rouge à gland à franges de soie noire, qui faisait ressortir son teint rose, ses cheveux blonds et ses yeux bleus. Cétait vraiment un homme soigné et distingué, parfaitement élevé par sa mère Aïcha, veuve de guerre, qui jouissait de la considération des "européens dAlgérie" de son voisinage et des arabes du douar, fidèles à la France. Mohammed savait se montrer sévère à loccasion et il se comportait avec nous comme un précepteur auquel mon père avait délégué une certaine autorité et donné des conseils de fermeté pour quil ne cède à aucun de nos caprices et pour quil se fasse respecter de nous, les enfants.La plupart du temps nous occupions notre itinéraire à réviser nos leçons ou nos récitations, et chose faite, à chanter des chansons denfants et même parfois, en ce qui me concerne, des morceaux dopéra que mes parents qui avaient eu une excellente éducation et une jeunesse dorée à Alger mavaient appris. Tous deux interprétaient certains opéras sur le bout des ongles, et bien souvent le soir à la veillée devant la cheminée avant de nous mettre au lit, mon père ou ma mère nous chantait un morceau "Oui, Tosca ,tout de même, cest toi seule que jaime....etc....",ou bien dautres airs tel que "Toréador ! prend garde !" ou encore "lamour est enfant de bohème".... ma mère elle aimait chanter lair de la Norma, quelquefois tous deux accompagnés par les prisonniers de guerre italiens qui avaient été placés pour pour travailler dans les fermes ( au lieu dêtre emprisonnés dans des camps inhumains)et que mes parents invitaient parfois au repas du soir. Ils étaient pour le plus grand nombre dentre eux danciens étudiants jeunes et instruits arrachés à leur études par la guerre, sauf trois ou quatre dentre eux, un cuisinier, un coiffeur, un agriculteur etc... et mes parents les plaignaient beaucoup ( ah ! la guerre, quel dommage, disait ma mère, leurs parents et leurs familles doivent pleurer tous les jours.......) ------------Mais revenons à notre moyen de locomotion. Le matin, après nous avoir déposés devant lécole, Mohammed faisait les commissions, selon les listes que ma mère et mon père lui avaient dressées, en passant chez tous les commerçants indiqués, puis il rejoignait la ferme et après avoir secondé mon père comme premier commis tout au long de la journée, il revenait nous chercher à la fin de lécole à 16 heures et dès que nous sortions, ils nous distribuaient soigneusement les goûters que ma mère ou ma grand mère avaient préparés pour nous dans laprès-midi ( petits pâtés à la soubressade, cocas, oreillettes, beignets sucrés ou tartes aux fruits et bien dautres gâteries selon la saison ou parfois des fruits des vergers) et nous reprenions la route, Mohammed sur le siège avant, très droit, comme investit dune mission sacrée. Nous respections beaucoup Mohammed car nous avions remarqué quil était juste, avare de paroles, mais quil ne manquait jamais de nous défendre si nous étions attaqués sur la route. Et celaarrivait parfois. ------------Et celaarriva en effet un jour au retour de lécole. Nous avions déjà accompli quelques 3 kilomètres sur le retour et venions de franchir le petit pont dune rivière aux rives arborées, quand soudain surgissant de derrière les arbres, et profitant de lallure ralenti de la voiture, cinq ou six gueblis ( population nomade toujours en mouvement, qui dressaient des tentes au bord des routes, des chemins ou des rivières, pour rester une nuit et repartaient le lendemain, voleurs de grands chemins parfois) se précipitèrent sur le cheval Bibi pour immobiliser notre voiture en poussant des cris féroces en arabe. Mohammed ne perdit pas son sang-froid, mon frère Albert qui approchait de ses quatorze ans, jen avais onze, et qui était déjà solide et grand comme un homme,était tout aussi courageux. Quand à moi figée sur le siège avant de la voiture jattendais je dois le dire assez calmement la suite des événements (jétais bagarreuse de nature et javais lhabitude de seconder mes frères "au coup de poing" dans des jeux dindiens et dattaque que nous organisions pendant les vacances, pour nous amuser, avec les petits arabes du douar voisin de la ferme, jeux que nos parents ne nous autorisaient pas et pour lesquels nous recevions de ma mère de vigoureuses fessées). Prestement Mohammed sauta sur la route ainsi quAlbert , les gueblis se précipitèrent sur eux leurs couteaux à la main, les lames effilées lançaient des éclairs sous le soleil qui brillaient encore haut dans le ciel. Mohammed sortit son arme blanche et dégaina, mon frère sortit son couteau de poche à cran darrêt (quil utilisait habituellement pour se tailler des flûtes avec des tubes de roseaux ou des petites baguettes de bois pour fabriquer des arbalètes ou autres tire-boulettes et projectiles) et ce fût pendant au moins cinq minutes une mêlée infernale et des cris de combats terribles, heureusement une camionnette automobile savançait sur la route nationale dans laquelle se trouvait deux agriculteurs du voisinage, les gueblis en apercevant ce véhicule battirent immédiatement en retraite en senfuyant à toutes jambes le long de la rivière (loued). Les agriculteurs sarrêtèrent à notre hauteur et voyant quil ny avait aucun blessé parmi nous, repartirent simplement et nous reprîmes notre route avec notre attelage pour rejoindre la ferme.Cétait pour ainsi dire un incident courant, qui narrivait pas tous les jours certes, mais dont nous étions prévenus et qui pouvait arriver. Celafaisaient partie du tableau, de même que les voleurs qui sintroduisaient la nuit dans les basses cours ou cultures de ferme pour voler, mais qui à lépoque négorgeaient pas encore les fermiers comme plus tard pendant la guerre dAlgérie. Ce genre dincident nétait donc pas exceptionnel, mais ce jour là nous avions eu, comme on dit la "baraka".Ils auraient pu nous blesser et voler notre cheval Bibi, en cas de victoire de leur part. Dun commun accord avec Mohammed nous avions décidé que ma mère ne devait pas être informée de cette attaque. En effet, contrairement à mon père qui avait dans son enfance et son adolescence vécu dans la campagne,et était rodé à ses dangers, (nayant rejoint Alger quaprès ses études pour y mener pendant un joyeuse vie avant de revenir à lagriculture et à la viticulture après son mariage) maman était "une jeune fille dAlger" et ne pouvait pas shabituer à ce genre de problèmes qui leffrayaient vraiment pour ses enfants. ------------Ainsi ce jour là, nous avions subi une attaque en règle, qui na laissé dans nos mémoires quun souvenir parmi dautres dangers que jaurais peut-être loccasion de relater une autre fois.
|