J'hésite encore pour mettre en plume cette banale histoire de cartable.

Si la parole est libre chacun sait que la plume est serve et en évoquant Corneville, je ne voudrais pas me faire sonner les cloches car " c'est bien la plume qui distingue l'homme de l'oie !!! ". Je ne suis pas une poule mouillée et faisant fi de mon hésitation, je me jette à l'eau en vous livrant mon anecdote.

Une page blanche suffirait sans doute si il n'y avait pas cette tache noire. En fait, il n'y a pas que l'encre qui marque, qui reste et qui tache d'une manière indélébile. Il y a pire.

Ainsi, ce petit récit pourrait s'intituler : " le cartable et la goudronneuse " ne méritant aucune mention spéciale tellement leur rencontre ne représente rien ou pas grand-chose pour l'humanité.

De nos jours, pour chaque enfant, la plupart des familles reçoivent 272,58 euros pour les achats de la rentrée scolaire. Personnellement, je trouve cette aide surévaluée et peu conforme au principe d'équité que confond trop souvent l'esprit d'égalité ancré chez nombre de nos concitoyens. En effet, si ce dernier est l'un des maîtres mots de notre devise encore inscrite au fronton des mairies, chacun s'accorde à dire, et à penser tout haut, que l'achat d'un cartable chaque année n'est pas une obligation scolaire. Apprendre à lire et à écrire est un devoir républicain et une obligation citoyenne, mais le renouvellement chaque année des fournitures scolaires est devenu un scandale commercial comme tant d'autres en matière de consommation forcée ou considérée comme une nécessité absolue.

" La loi ne protège pas les imbéciles ". Un tel adage vaut bien pour les moutons de Panurge et certains donneurs d'ordres dénués de bon sens. Il s'applique à l'attitude du commerçant ou du fabriquant de telle marque qui tente, hélas avec succès, le forcing de l'achat. Parfois même, et c'est un comble, les enseignants deviennent complices de ces dépenses exagérées en dressant des listes de fournitures coûteuses, aux caractéristiques spécifiques, qui n'ont rien à voir avec les apprentissages dispensées. Je dis bien " parfois " car tous nos " enseignants " ne sont pas dénués de tout sens civique. J'en connais d'excellents dans mon cercle d'amis et pas mal sont entrain d'ouvrir les yeux sur tant de gabegie et de largesses irresponsables. N'oublions jamais que l'enfant suit le maître et il convient de ce fait d'avoir des propos raisonnables et adaptés tant dans le domaine économique que sur le but que se donne le monde de l'éducation.

Prétendre que " le format de tel cahier doit correspondre à telle marque " ou que " tel bloc de papier recyclé ne permet pas l'usage du stylo à plume " ou que " la colle pour être efficace doit obligatoirement être de telle marque déposée à la renommée établie " ou que " ce rouleau adhésif ne vaut rien parque ce n'est pas du vrai scotch ", est certainement vrai et le travail doit aussi s'en ressentir mais, ne peut on pas trouver une parade à ces défectuosités qui n'enlèveraient rien à la finalité de l'enseignement dispensé ?

Lire, écrire, compter, réfléchir, gommer, réciter, chanter, se former, se connaître, s'apprécier, se mesurer, se sociabiliser, s'habiller, se laver, respecter, manger, boire, qui sont des verbes d'action ouvrant sur la vie, découlent, comme l'affirmait Victor Hugo, de l'instruction dispensée par les maîtres et de l'éducation donnée par les parents. Les symboles issus de nos valeurs oui, mais les signes distinctifs de type commercial ou d'obédience religieuse ou idéologique : NON. Napoléon qui n'est plus là pour codifier, Charlemagne qui " a inventé l'École", Colbert, précurseur de la " qualité totale " dans nos fabriques, et Jules Ferry autre penseur divin de l'Instruction Publique, avaient fondé la scolarité obligatoire sur des bases bien plus saines que celles d'aujourd'hui.

Ainsi dit, la ruée parentale dans les grandes surfaces commerciales dès la perception de cette prime de rentrée, me renvoie à l'anecdote annoncée en ce début de page
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Aujourd'hui le commerçant se frotte les mains après de bonnes affaires. Moi, il y a cinquante ans et plus je frottais mon cartable à cause d'une sale affaire ou, d'une affaire sale pour être plus précis!!!

Avant l'âge de 10 ans, je vivais dans mon pays qui s'appelait la France, de l'autre coté de la Méditerranée. A l'âge de " casse la gueule à la récré " on ne badinait pas avec les affaires de classes et les effets vestimentaires que les plus grands repassaient aux plus petits dans les familles nombreuses. Godillots, Brodequins, pantalons golf retaillés dans la vareuse militaire d'un adulte, cols et manches de chemises patiemment retournés pour masquer l'usure, étaient autant de choses courantes de la vie sans qu'on y prête attention. Aux années 50, les séquelles de la deuxième guerre mondiale étaient encore ressenties et les économies dans les chaumières faisaient partie du quotidien. Les allocations familiales remplissaient bien le panier de la ménagère même si elles venaient à peine d'être inventées et sans dire que les parents " fabriquaient des enfants à la pelle ", la manne gouvernementale était la bienvenue. La consommation telle qu'elle se pratique de nos jours se limitait à la production d'un père habile pour réparer, fabriquer ou ressemeler une paire de chaussures.

C'était à peu près tout : pas de prime de rentrée, de ramassage scolaire, de cantine gratuite ou de participation de la collectivité territoriale ou professionnelle. Les grandes enseignes de la distribution n'existaient pas et de ce fait n'incitaient pas les enfants à rechercher dans les rayons le " top " de la fourniture scolaire dernier cri. C'était la dèche…

Personnellement, bien que n'étant pas né avec une cuillère en argent dans la bouche, je possédais l'essentiel et j'y prenais le plus grand soin.

Je ne peux expliquer la fierté éprouvée le jour de mon arrivée à l'école des Tagarins sur les hauteurs d'Alger, ma ville natale. Mes fournitures scolaires bien rangées dans un cartable neuf. Les livres et les cahiers couverts de papier bleu foncé, marqués d'une étiquette calligraphiée, ma trousse en crocodile de couleur verte, contenant crayons, porte plume équipé d'une "sergent major ", gomme, compas, règle et rapporteur, constituaient l'indispensable pour apprendre à lire, compter et écrire.

La raison de cette fierté affichée n'était autre que le cadeau que venait de me faire mon grand père. Chef magasinier aux Chemins de Fer Algérien (CFA ancêtre de la SNCF), possédant des dons de bourrelier, il m'avait fabriqué un cartable. Un magnifique cartable en cuir d'excellente facture. Je revois encore ce cartable en cuir épais, marron clair qu'il avait fallu teinter en marron foncé. Il avait même une odeur de brut ou de peau, je ne sais au juste, mais aujourd'hui mes narines la perçoivent encore ! Deux œillets, de chaque côté du rabat permettant le verrouillage, le distinguaient des autres cartables souvent flanqués de boucles ou de fermoirs à ressort et enfin un double compartiment séparant les livres des cahiers. Mon grand père utilisait du fil blanc, qu'il passait à la poisse pour le rendre plus solide afin que les coutures résistent au temps. Mon père en faisait autant pour réparer les chaussures et tous deux possédaient un fer à pied de cordonnier.

Ce cartable, je ne puis dire combien d'années je l'ai porté, bourré, usé, en le respectant et en l'entretenant à l'aide de cirage pour lui conserver la couleur châtaigne et le lustre nécessaire à son maintien. Mes parents n'avaient pas les moyens d'en acheter un chaque année comme c'est trop souvent le cas de nos jours au détriment d'autres achats utiles et indispensables. " Autre temps, autre mœurs ! ", me rétorqueront certains et la mode a ses raisons que nous comprenons.

Un jour, sortant de classe vers les quatre heures et demi, je m'arrêtais en curieux sur un chantier routier près de la station BP et pas très loin du chiffonnier qui venait de connaître un incendie mémorable. En face, se trouvait un champ où les vaches de Sakri se reposaient avant la traite du soir. Le stade Géo André n'était pas encore construit. Plus haut, se trouvaient les commerçants du quartier : la boulangerie, la Pharmacie Courtine, Mikaleff notre laitier, le cordonnier à coté de notre incontournable épicière et le moutchou en face de l'école de garçons, avant la Cité Sociale habitée de nombreux amis.

" Etre curieux de tout est source d'intelligence " m'avait dit Mr. JEAN, mon maître d'école !... Mal m'en pris ! Tandis que s'affairait une poignée d'ouvriers des " ponts et chaussées " à étaler et à rouler le macadam fumant, tout près de moi, une goudronneuse pouffante, suante de toutes parts et sans doute soumise à une trop forte pression, dégoulinante de goudron chaud qui s'écoulait dans des tuyaux mal fixés, explosa littéralement à hauteur de mon cartable que je tenais au bout des doigts……

Le liquide visqueux avait copieusement éclaboussé mon splendide cartable lequel, cependant, avait protégé son contenu. Ventre à terre, la queue entre les pattes, mes vêtements plus ou moins maculés, je regagnais la maison où pendant des heures à l'aide d'essence de térébenthine et d'huile de coude, je tentais en vain d'effacer cette énorme tache noire qui rendait mon cartable inutilisable.

Ainsi aurait pu finir cet ustensile qui avait connu d'une année sur l'autre toute une série de classes graduées de la maternelle à l'entrée en sixième. En vérité je vous l'affirme, mon cartable fut re-ciré, re-teinté et ainsi requinqué, il repris le chemin des écoliers.

La raison mais vous l'aviez compris est toute simple : " quand on est pas riche on ne vit pas au dessus de ses moyens ! " et personne n'aurait envisagé de changer de cartable à chaque rentrée scolaire….. " l'État c'est Nous " disait Jean Jaurès, oui mais l'État vit au dessus de ces moyens depuis quelques années et autrefois comme aujourd'hui l'endettement endémique est une maladie dont il faut se protéger sous peine d'en mourir.

A bon entendeur : Salut

Anglet, 30 août 2007.

…Ce matin, Romy a fait sa rentrée en CE1 avec un cartable rose presque neuf car Mamie l'a nettoyé et brossé pour lui redonner un peu de lustre. Il n'est pas en cuir mais il fera bien une année de plus.
Quant à moi, j'ai regroupé quelques " affaires de classe " que je vais " porter " aux écoliers marocains. Tiens c'est bizarre il y a même un " vieux " cartable " tout neuf " …

Yves