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En flânant dans les rues d'Alger : les kiosques

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Toutes les branches du commerce sont représentées. Voici le débitant indigène qui vante la succulence de ses sardines frites et de ses poivrons à l'huile. Dans un coin s'entassent des pains ronds de toutes tailles dont la croûte dorée s'étoile des grains noirs d'anis. Dans un autre, de belles cruches de verre contiennent les boissons glacées, orangeade ou citronnade, dont les teintes, à demi-voilées par une buée froide, sont agréables à l'œil. Les clients s'arrêtent, discutent les prix, tournent et retournent dans leurs mains les mets tentateurs et, le marché conclu, défont avec gravité les plis compliqués de leurs burnous. Ils en retirent les pièces de menue monnaie qui sont comptées et recomptées plusieurs fois avant d'atteindre la main tendue du vendeur. Une femme indigène, suivie de quelques marmots, s'arrête à son tour, tirée en arrière par ses gamins. Ceux-ci se suspendent à l'étal et ne cessent de piailler que lorsque la mère leur a fourré dans la bouche les sucreries aux couleurs vives, objet de leur convoitise. Pendant ce temps, un yaouled s'approche, rafle une sardine ou un poivron. Tout à coup le marchand l'aperçoit, bondit, mais le jeune malandrin s'enfuit à toutes jambes, se faufile entre les voitures et disparaît dans la cohue des burnous sans trop se soucier des malédictions et des injures proférées par le volé.

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Afrique du nord illustrée du 24-10-1931 - Transmis par Francis Rambert
mis sur site : avril 2021

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En flânant dans les rues d'Alger : les kiosques
En flânant dans les rues d'Alger : les kiosques
En flânant dans les rues d'Alger.

Le promeneur, qui estime préférable de contempler les scènes de la rue que de flâner, des heures durant, dans les vastes et luxueux magasins de !a capitale Nord-africaine, est frappé de la diversité des étals en plein air qui donnent à Alger un cachet particulier. Sans oublier les " yaouleds " effrontés que l'on rencontre partout, portant leur boutique avec eux, et sans omettre les marchands de " cacahuètes " et les vendeurs de " zlabias " ou de gâteaux au miel, on est frappé par le nombre et la variété des " kiosques " qui se dressent sur les trottoirs et les places publiques.

Toutes les branches du commerce sont représentées. Voici le débitant indigène qui vante la succulence de ses sardines frites et de ses poivrons à l'huile. Dans un coin s'entassent des pains ronds de toutes tailles dont la croûte dorée s'étoile des grains noirs d'anis. Dans un autre, de belles cruches de verre contiennent les boissons glacées, orangeade ou citronnade, dont les teintes, à demi-voilées par une buée froide, sont agréables à l'œil. Les clients s'arrêtent, discutent les prix, tournent et retournent dans leurs mains les mets tentateurs et, le marché conclu, défont avec gravité les plis compliqués de leurs burnous. Ils en retirent les pièces de menue monnaie qui sont comptées et recomptées plusieurs fois avant d'atteindre la main tendue du vendeur. Une femme indigène, suivie de quelques marmots, s'arrête à son tour, tirée en arrière par ses gamins. Ceux-ci se suspendent à l'étal et ne cessent de piailler que lorsque la mère leur a fourré dans la bouche les sucreries aux couleurs vives, objet de leur convoitise. Pendant ce temps, un yaouled s'approche, rafle une sardine ou un poivron. Tout à coup le marchand l'aperçoit, bondit, mais le jeune malandrin s'enfuit à toutes jambes, se faufile entre les voitures et disparaît dans la cohue des burnous sans trop se soucier des malédictions et des injures proférées par le volé.

Plus loin, le trottoir se trouve à demi-encombré par un autre kiosque dont la vendeuse souriante est affairée autour de corbeilles de fleurs gentiment arrangées. Des plantes vertes tapissent les parois de leur feuillage sombre d'où se détachent les couleurs vives des œillets et des roses et les blanches banderoles du jasmin odorant. Un vieux monsieur très chic s'arrête un instant, contemple les fleurs... et leur vendeuse, s'approche, tire un billet de son gousset, s'empare d'un bouquet, s'éloigne à petits pas, non sans avoir adressé quelque galanterie à la bouquetière.

Là-bas, un groupe assez important s'est formé autour d'une jolie petite construction de style arabe. Ce sont des femmes en tenue de sport, têtes nues, parlant un idiome anglo-saxon, et des hommes en bras de chemise, la poitrine barrée par la courroie d'un étui d'appareil photographique, portant la culotte large et les demi-guêtres à la mode. Tout ce monde jase et pousse des exclamations admiratives en se passant de mains en mains des bracelets ciselés en or ou en argent " contrôlés ", des poupées indigènes, vêtues de soie, aux couleurs vives et dont on ne voit que les yeux. Le commerçant, encadré dans l'ouverture de sa boutique, suit des yeux les objets en circulation. Il s'exprime en un anglais presque correct, vantant l'originalité et l'authenticité de sa marchandise. Chaque bijou, qui revient à son étalage, est l'objet d'une discussion dont le résultat est toujours à l'avantage du vendeur. Au moment où les clients vont partir, lestés chacun d'un collier d'ambre, d'une poupée mauresque ou d'un lézard du désert, de nouvelles curiosités sont exhumées de tiroirs cachés sous l'éventaire. Et cela recommence jusqu'au moment où les touristes, chargés de colis, remettent définitivement, avec un geste noble, leur porte-monnaie dans leurs vastes poches.

La place du Gouvernement est ainsi hérissée de kiosques où s'opèrent les transactions les plus diverses. A côté du bijoutier se trouve un horloger. Non loin de là, un photographe expose, dans sa petite tour mauresque, des appareils, des papiers, des plaques et des pellicules. Les marchands de journaux et de cartes postales sont nombreux aussi.

Autour de leurs kiosque se groupent les midinettes contemplant, avec envie et ravissement, le visage souriant d'une star de cinéma ou la coupe ultra-chic d'un manteau, d'une robe reproduite sur la première page d'un journal de mode. Les illustrés policiers étalent aux yeux des gavroches, bouche bée, des mines patibulaires de bandits. Une petite ouvrière remet au marchand de journaux le prix d'un roman qu'elle lira en cachette.

Nombreux aussi sont les kiosques de débit de tabac où le vieil arabe hirsute vient acheter son petit paquet plat ; l'européen, ses cigarettes, la demi-mondaine, ses " anglaises ", et la bonne de la grande dame, la boîte de tabac blond. Des cartes postales attirent les voyageurs qui choisissent des photographies de mauresques ou trop ou pas assez voilées, des caricatures sous lesquelles une légende en sabir prétend être pleine d'humour, des vues du désert où se découpe la silhouette d'un chameau sur un ciel couleur de feu.

Et puis, il y a aussi le marchand de coquillages qui, d'une main preste, fait sauter les valves nacrées de la moule de Calais et de l'huître de Marennes. Autour de son kiosque, une rangée de bourriches pleines empêche les clients d'approcher de trop près. Penchés en avant, la mine goulue, hommes et femmes dégustent les mollusques dont l'acre jus du citron relève la saveur. Un indigène empile de façon savante les huîtres à l'écaillé moussue, plaçant de temps en temps un citron au zeste vert. Et bientôt, des ampoules électriques multicolores attireront les gourmets, le soir, à l'époque des réveillons.