VOIRIE
La destruction scientifique des ordures ménagères de la ville d'Alger

La destruction scientifique des ordures ménagères de la Ville d'Alger
Chaque matin, lorsque les ménagères, n'ayant point encore " le tout à l'égout ", déversent dans la poubelle commune les détritus de cuisine et les poussières du nettoyage de leur appartement, se doutent-elles qu'elles accomplissent un geste dont les conséquences sont énormes ? Pensent-elles que ce geste est répété par des milliers et milliers d'autres ménagères, et songent-elles à ce qu'il advient de ces déchets ? Certainement pas. Cela semble trop naturel. Cependant, si toutes les épluchures de légumes, les vieux souliers, les boites de conserves vides, les raclures de casseroles n'étaient point enlevées de chez elles, que de maladies cela engendrerait, dans quelle atmosphère nauséabonde serions-nous obligés de vivre ! ! !
(suite à côté des images)

L'Afrique du Nord illustrée du 16-2-1935 - Transmis par Francis Rambert
mis sur site :nov.2020

130 Ko
retour
 
La destruction scientifique des ordures ménagères de la ville d'Alger

La destruction scientifique des ordures ménagères de la ville d'Alger



 

La destruction scientifique des ordures ménagères de la Ville d'Alger

Chaque matin, lorsque les ménagères, n'ayant point encore " le tout à l'égout ", déversent dans la poubelle commune les détritus de cuisine et les poussières du nettoyage de leur appartement, se doutent-elles qu'elles accomplissent un geste dont les conséquences sont énormes ? Pensent-elles que ce geste est répété par des milliers et milliers d'autres ménagères, et songent-elles à ce qu'il advient de ces déchets ? Certainement pas. Cela semble trop naturel. Cependant, si toutes les épluchures de légumes, les vieux souliers, les boites de conserves vides, les raclures de casseroles n'étaient point enlevées de chez elles, que de maladies cela engendrerait, dans quelle atmosphère nauséabonde serions-nous obligés de vivre ! ! !

Pour éviter ces inconvénients dont le résultat serait, sans nul doute, de nous doter de séries ininterrompues d'épidémies, la science vient à notre secours. En des temps encore proches de nous les ordures ménagères étaient entassées sur un terrain de banlieue, y pourrissaient, y fermentaient et empuantissaient la région. Cela servait à faire de la fumure, de l'engrais et aussi à engraisser des troupeaux de porcs dont la chair faisait nos délices.

Les derniers tas, sur la route des Eucalyptus, diminuent chaque jour et bientôt il n'en sera plus question.

Cependant, chaque jour, plus de deux cent cinquante mille individus ont recours, dans l'agglomération algéroise, aux services du nettoiement de la ville. Il faut voir, pour concevoir, la quantité de détritus de toutes sortes récoltée par les nombreuses bennes automobiles.
Pense-t-on, en effet, à tout ce que transportent, dans la seule casbah, les petits bourricots utilisés au ramassage dans les venelles de la ville indigène ? Pense-t-on également à ce que récoltent dans leurs " Lutaud-cars " les négros qui jonglent du balai dans les rues toujours propres de la basse ville et de la nouvelle cité ? Sur les quais du port, sur les voies les plus ignorées, les plus retirées comme les plus fréquentées il est partout du travail. Et puis, ne l'oublions pas aussi, à côté des gens sans scrupules ou sans éducation (ce n'est pas toujours de leur faute) qui jettent dans la rue tout ce qui les encombre, il en est d'autres utilisant ces petits paniers de fer accrochés un peu partout aux becs de gaz. Ces " vide-poches " sont souvent bondés de vieux journaux, de tout ce qui gène les promeneurs. Et, selon le proverbe : " les petits ruisseaux font les grandes rivières ".
Mais alors, que fait-on des centaines de tonnes d'ordures que récoltent chaque jour les puissantes bennes automobiles de la ville d'Alger ? C'est bien simple : de la cendre et de la fumée ou plutôt de la vapeur d'eau. Celle-ci s'échappe nuit et jour en blancs panaches de la haute cheminée dominant Hussein-Dey. Là, une usine moderne d'incinération a été créée et fonctionne pour le plus grand bien de la salubrité publique.

Nous allons suivre les divers stades de destruction du contenu bien tassé des bennes automobiles. A leur arrivée à l'usine chacune passe sur un pont bascule qui donne le poids des détritus qu'elles contiennent. Et puis, elles déversent tout cela dans d'immenses cuves en béton où elles ne séjournent d'ailleurs pas. C'est un va et vient continuel de puissants camions et jamais leur place ne reste libre. Aussitôt vidé chacun repart, immédiatement remplacé par d'autres.

Au-dessus de ces cuves, un pont roulant électrique muni d'énormes mâchoires, va et vient, lui aussi, sans arrêt. Cette pelle mécanique plonge dans le tas, saisit entre ses crocs une charge d'immondices et va la déverser dans des trous ronds au fond desquels tourne un plateau d'acier dans lequel est aménagée une ouverture. Ce mouvement permet de ne faire passer à la fois dans la gueule des fours qu'une quantité voulue de détritus.

Il est assez curieux de voir de très près, bien que cela ne soit point un régal artistique, la diversité des objets qui vont être détruits. Parmi les feuilles d'artichauts voici une jambe de poupée bourrée de sciure et qui crève lamentablement. Une robe de dentelle fait poche et retient jusqu'à ce qu'elle se déchire des boites de sardine ; une tête de poisson, encore huileuse, surgit d'une calotte de chapeau de feutre maculée de graisse figée ; un pinceau épilé sautille, en la faisant sourdement tinter, dans une casserole cabossée et trouée. Les objets les plus hétéroclites disparaissent, tour à tour, sous les déchets les plus divers. Il en est même dont la présence étonne si l'on se souvient qu'avant le passage des bennes de ramassage de vieilles femmes indigènes ont déjà fouillé dans les poubelles. Sans doute ont-ils échappé à leurs investigations.

Toujours est-il que lentement entraînés par les plateaux des fours, tous sont happés et disparaissent dans quelques langues de flamme et de légères gerbes d'étincelles.

A l'étage au dessous une rangée de gros cylindres métalliques dont la base moins large repose sur une coupole de ciment, retentissent de chocs assez violents. Ce sont les pièces métalliques qui, en tombant de l'étage supérieur heurtent la paroi des tours. Dans la calotte demi-sphérique du bas sont pratiqués de petits trous ronds dans lesquels ne cessent de fourrager avec une longue tige d'acier des ouvriers spécialisés. En s'approchant on voit jaillir des flammes bleues s'incurvant selon le dôme. Un feu intense calcine tout ce qui passe. Le tirage très vif et c'est un beau spectacle rappelant un peu celui offert par une fonderie de métal.

Ici, comme dans l'usine toute entière d'ailleurs, règne la plus méticuleuse propreté. Cela semble anormal, au premier abord, étant donné qu'il s'agit d'ordures. Et cependant c'est bien la caractéristique de ces lieux où avec beaucoup de choses plutôt sales on ne fait que du propre. Le feu, grand purificateur, est seul capable d'accomplir un tel miracle. Et puis, au fond, c'est bien là, la véritable destination de ces aménagements modernes.

Maintenant, passons encore à l'étape au dessous. Tombant par de fines trémies, les cendres sont mouillées, pour ne point faire de poussière, et enlevées. Ce n'est point un gros travail car on est stupéfait de la petite quantité de résidus solides laissée par l'énorme masse des matières brutes.
A côté des cendres il ne reste que de la vapeur d'eau en partie condensée et en partie rejetée dans l'atmosphère par la haute et fine cheminée de l'usine.

A vrai dire cette organisation peut être considérée comme un modèle du genre. Les derniers perfectionnements de la technique moderne ont été apportes à sa réalisation.

Ce qui surprend un peu c'est que le feu qui détruit les ordures ménagères ne soit alimenté que par des ordures elles-mêmes. Grâce au tirage produit, il n'est besoin d'aucun autre combustible pour assurer l'incinération complète. Or, nous l'avons vu, il se trouve dans la quantité des objets dont la destruction ne peut être opérée que par l'obtention d'un degré de chaleur très élevé.

Et c'est ainsi qu'est garantie pour une bonne part la salubrité publique de la capitale algérienne.