Oued-Taria, village de l'Algérie
française
-----C'est en 1860 que le génie, qui
construit une route de Mascara à Saïda, installe un caravansérail
sur la rive droite de l'OUED-TRARIA (orthographe exacte de l'époque).
Cet oued prend sa source à 50 km environ du point où il
coupe la route, et coule dans une direction générale de
l'est à l'ouest. L'eau est peu salubre et son débit moyen
est de lm3 seconde mais ne descend jamais en dessous de 0,2m3. La route
franchit la rivière à environ 33 km de Mascara et 40 de
Saïda. C'est parce que les convois charretiers ont de grandes difficultés
à traverser la rivière à gué que le génie,
sous les ordres du commandant BONGARCON entreprend de construire un pont
à cet emplacement. Cet ouvrage est en pierres d'une seule arche
ayant 25 mètres d'envergure, et la chaussée se trouvant
à 13 mètres au-dessus du niveau de l'eau, fait environ 6
mètres de large, à laquelle viendront se rajouter, beaucoup
plus tard, deux trottoirs
Une maison cantonnière
-----Les Ponts et Chaussées,
travaillant cri collaboration avec le génie, achètent le
11avril 1867 au Sieur SI-EL-AZIL-OULD-DJELLOUL, un terrain pour la construction
d'une maison cantonnière avec puits. La maison cantonnière
est le premier édifice du village, et sera toujours connue sous
ce nom-là.
-----Mais déjà une animation
s'établit autour du caravansérail qui abrite l'armée,
les services topographiques, les ponts et chaussées et sert de
gîte aux convois de passage. Certains, pour la plupart militaires
démobilisés, s'installent comme commerçants, et l'on
voit des auberges florissantes sous des toiles de tentes. D'autres, plus
aventureux, traitent directement avec les indigènes l'achat de
terres, et commencent à défricher, à pratiquer l'élevage,
ou à acheter et transporter l'alfa. Monsieur COMEMALE sera l'un
de ceux-là, et on peut considérer qu'il est le premier propriétaire
à OUED-TARIA.
-----La commission des centres, constatant
l'animation croissante de ce lieu, se réunit le 13 mars 1872 sous
la présidence du général CEREZ commandant la subdivision
de MASCARA, et décide de soumettre un projet de création
d'un hameau routier prenant le nom de OUED-TARIA. Ce centre se situerait
sur le versant sud de la rivière, le long de la route et aurait
une superficie de 500 Ha environ Ainsi établi le territoire du
village portera à la fois sur la tribu des BENI MERIANI TAHTA,
celles des ZOOUA et celles des OULEDS ABBAD. Le centre urbain comprendrait
24 lots de 15 ares environ chacun. 4 lots seraient réservés
pour la construction de l'église, l'école, le presbytère,
et plus tard la gendarmerie. L'alimentation en eau potable se ferait par
puits à creuser au centre du village, et il serait construit un
abreuvoir et un lavoir sous le pont. Des plantations comprendraient des
rangées d'eucalyptus le long de la route. Après rapport
de la direction d'ORAN le projet est transmis au gouverneur général
de l'ALGÉRIE. Celui ci par un arrêté du 25 mai 1872,
et signé du Vice Amiral DE GUEYDON, décide officiellement
la création du centre, approuve les actes d'acquisitions de terrains
au nombre de 45
Alsaciens-Lorrains
-----Avec l'arrivée
des Alsaciens-Lorrains, expatriés pour demeurer Français,
c'est véritablement le démarrage de la colonisation. Un
état de peuplement du 7 juin 1873 fait apparaître l'installation
de 20 familles dont 11 d'Alsaciens-Lorrains. Ceux-là seront les
véritables pionniers du village.
-----Les ponts et chaussées, aidés
par le génie et les disciplinaires, entreprennent de construire
les édifices publics:
- les rues empierrées comprenant la rue principale et deux rues
transversales.
- une chapelle de 70 m2 et attenant a la chapelle la sacristie, l'école,
la mairie et le logement de l'instituteur composes chacun d'une pièce.
(Toute cette construction formera beaucoup plus tard les logements des
instituteurs).
- un bassin filtre alimentant un abreuvoir
- un puits au centre du village
- des plantations diverses de platanes, acacias, mûriers, ormes
et peupliers représentant 372 arbres.
-----Mais déjà la vie s'organise
dans le village, et un embryon d'administration se met cri place. Pierre
DESBORDES assumera de 1873 à 1880 la fonction d'adjoint spécial.
Libéré après 14 ans d'armée, il S'était
installé au village comme aubergiste. Pendant son mandat il s'occupe
avec impartialité des concessions à accorder aux premiers
colons. Le dynamisme de la population, fait que l'administration dote
le village d'un communal qui porte la superficie totale à812 hectares.
On y comptait au dernier recensement de 1880 :139 Français, 49
Israélites, 36 Indigènes, 95 Européens (Espagnols
pour la plupart) soit en tout 319 âmes. remarquons ici le chiffre
élevé des Israélites et cela seul nous indiquera
que TARIA est un point qui, par sa situation a une importance commerciale
bien acquise. Si l'activité principale est la culture, il y a aussi
plusieurs industriels qui se livrent au commerce de l'alfa.
Grands travaux
-----Le moment des grands
travaux est alors venu. Afin de constituer cri terres irrigables une partie
de son territoire au moyen des eaux de l'Oued, il est nécessaire
de remonter jusqu'à environ 7 km et d'établir cri ce point
un barrage. Ainsi seront constitués des lots de jardins à
l'est du village cri direction des BENIAN qui deviendront une véritable
oasis de verdure, de légumes et de fruits. Qui ne se souvient des
pastèques de ZOUZOUNE. des tomates de BERRA ou des oranges de JULLIE?
À la même époque l'agrandissement de la commune se
fait par le rattachement de 1050 hectares constitués par GUERDJOUM,
SOUK ET BARBATA et BENIAN.
-----Pendant ce temps l'administration locale
s'occupe des édifices publics devenus indispensables. Pendant deux
ans (1880-1881) Monsieur COMEMALE assumera la fonction d'adjoint spécial
puis Pierre NOUVEN, arrivé en Algérie en 1870 prendra en
main le destin de la commune. L'exiguïté du local servant
de mairie, ainsi que celui de l'école dont se plaint l'instituteur
Monsieur GARDIÉ, amène à construire une nouvelle
école.
-----Ce sont ces classes que nous connaîtrons
par l'appellation d'écoles de garçons. Dans cette école
j'ai rencontré et appris la France. Nous devons aussi à
Pierre NOUVEN la construction de la mairie et de l'école des filles.
C'est là d'ailleurs que ma mère fit toute sa carrière
d'institutrice, en enseignant avec dévouement notre langue à
beaucoup plus de petites indigènes que de petites Françaises.
C'est ainsi que je suis né dans cette école. Dans le même
temps, l'aménagement du village se réalise : plantations
de nouveaux arbres, nivellement et empierrement des rues, constructions
de caniveaux réalisés en 1902
Commune de plein exercice
-----Pierre NOUVEN se bat
depuis longtemps pour que le centre devienne commune de plein exercice.
Ce sera chose faite en 1903 et, le premier scrutin ayant lieu, tout naturellement,
Pierre NOUVEN est élu maire
-----En 1920, SALVAT Auguste est élu
maire. Il sera le maire le plus dévoué et le plus attachant
pour la population. Nous lui devons la construction de l'hôpital,
du monument aux morts et l'agrandissement définitif de la commune.
-----Pendant tout ce temps notre village
n'a cessé de s'agrandir et de progresser, grâce au travail
de ses élus et au dynamisme de ses habitants. Depuis la création
du centre, le gros problème a été l'alimentation
en eau potable. En effet, la prospérité du village est maintes
fois éprouvée par de nombreux cas de maladies attribués
à l'usage de l'eau de la rivière imparfaitement filtrée.
-----En 1903, il est effectué un premier
partage de la source de l'AIN NEFMOUT, située à10 km environ,
qui permet de constater un débit minimum de 40 litres/minute qui
suffit provisoirement aux besoins des habitants. Le 16 août 1904,
sera inaugure enfin le château d'eau.
-----L'activité économique
très dense fait qu' on y trouve des commerces très florissants
avec plusieurs épiceries, boulangeries , des forgerons ou maréchaux
ferrants, des bouchers aubergistes et surtout des usines d'alfa très
importantes au début de la colonisation et dont les derniers exploitants
furent Messieurs NAVARRO et PORTUGUES. Et comment ne pas évoquer
également ces hauts lieux du village : nos deux cafés. Celui
d'en haut tenu par PETIPERRIN et GILLABERT, où nous avons tous
fait notre apprentissage au 81 ou au Solo l'autre, le BAR-BOULES-CLUB
dirigé successivement par MARTINEZ, BERGE et enfin MILLET c'était
le rendez-vous de la jeunesse pour y faire un billard, un baby-foot et
l'espoir, disons le franchement de faire un brin de cour à COLETTE.
Mais depuis la création du centre, la principale activité
commerciale sera toujours le marché du mercredi. Serons-nous chauvins
cri disant qu'il est l'un des plus importants de la région ? Le
marché couvert (il sera transformé plus tard en salle des
fêtes) abrite les poissonniers, bouchers et marchands de légumes.
Tout autour les étals de marchands de linge, vaisselle ou autres
camelots s'étendent sur plus d'un hectare. Et bien entendu le marche
à bestiaux (chevaux, vaches et surtout moutons). Étant petit,
les maquignons ont toujours fait mon admiration pour leurs palabres et
leur roublardise, et je n'ai jamais su s'il était exact que CORTES
limait les dents de ses chevaux pour les rajeunir. Mais bien qu'aucune
signature ne les engageait, ils concluaient toujours leur affaire par
un "tape là" qu'ils respectaient jusqu'au bout.
Une activité
accrue
-----Toute cette activité
tourne bien entendu autour des colons et de leur travail. Si en 1922,
le territoire de la commune ne comprend que 3 179 hectares, il sera porté
à près de 10 000 hectares par le rattachement des terres
dites de la côte rouge, des OULED CHERIF, OULED MOUSSA, OULED ALI
BEN AISSA et surtout OUIZERT. La plus grande partie de ces terres est
ensemencée de céréales (blé tendre, orge et
blé dur) produisant parfois d'abondantes récoltes, ou provoquant
le désespoir des propriétaires les années de sécheresse.
On y cultive aussi avec beaucoup de réussite l'olivier dont les
récoltes sont vendues aux huileries de Perrégaux ou Relizane.
Mais le fleuron de l'agriculture restera certainement la vigne. La qualité
et l'abondance des récoltes, obligera les colons à se grouper
cri coopérative, et à construire une cave en 1932. Notre
vinificateur, Monsieur BARTHER fera un rosé dépassant parfois
les 16° et qui sera, disons-le sans fausse modestie, apprécié
et demandé dans toute l'Algérie.
-----La foi était grande dans notre
communauté et notre église a toujours tenu une place importante
dans la vie du village. A la construction de la chapelle, en 1876, aucun
prêtre n'officiait, et il fallu attendre 1888, pour voir arriver
le Curé MAURY. Plus tard, se succédèrent les Abbés
PORTE, GUILLOT, ALLEMAND, FRANÇOIS, FAVRIFL et BOUGUET Ces derniers
auront la chance d'officier dans notre belle église.
-----Les loisirs ne sont pas absents et si
du temps de la colonisation on dansait sur la route au son de l'accordéon
de Monsieur CHOMETTE, viendra le temps des grandes fêtes du village
avec des orchestres réputés (Martial Ayela) et des baraques
foraines (la maison du bonheur). On dansera même le dimanche dans
nos cafés, séparément au moment des élections
selon que l'on soit partisan d'une liste ou de l'autre, pendant que les
jeunes, indifférents a ces rivalités, se donneront rendez-vous
au foyer rural. Les plus âgés ont leur boulodrome, et si
nous n'avons pas de piscine, c'est parce que la nature nous en a offert
une si belle avec notre rivière, nous avons le choix pour le bain
entre la " Bouchkara ", la "Noria" ou les "Abattoirs"
avec son rocher qui sert de plongeoir. Notre préférence
pour le sport allait au football où de bons joueurs se sont illustrés
tels NOUVEN Robert et Guy, NAVARRO René, YOUSSEF, DUPUIS, les frères
PORTUGUES, les frères BRU, JULLIE Marceau, LOPEZ François,
FUSTER, ALGATE, BENACEUR, HADJ MEKKAOUI, BARTHET Georges et bien d'autres.
Avec de tels éléments notre E.R.O.T a fait trembler bien
plus d'une équipe dite supérieure.
-----Mais bientôt les années
tristes vont arriver. Comme dans tout l'Algérie, notre village
va basculer dans une nuit noire de laquelle il ne se réveillera
pas. Si les premiers attentats nous paraissent lointains, et nous laissent
indifférents, nous serons bientôt touchés à
notre tour. Comme toujours notre communauté paiera un lourd tribut,
et huit de nos camarades seront lâchement assassinés ou tués
au combat. Puisque leurs noms ne figurent sur aucun monument, ils méritent
bien d'être cités ici : CID-GARCIA Jean - DUPUIS Jean -EPPLIN
René - EPPLIN Roger - HAENSEL Joscph - JULLIE Eugènc - REZKI
Abdelkader - REZKI Mekki. Nous n'oublierons jamais ces camarades. D'autres
aussi seront touchés cri étant internés et parfois
torturés, ou en participant activement à la défense
de notre pays. Mais taisons ces moments douloureux et gardons seulement
le souvenir d'un village heureux, travailleur, aimé, notre village
: OUED-TARIA. Près de 40 ans après, que reste-t-il de plus
de cent ans de présence et de travail ? Peu de chose de ce que
nous avons créé, puisque la population essentiellement jeune,
a quadruplé, ce qui a entraîné de nouvelles constructions
et la modification sensible de l'aspect du village. Ainsi si nous retournions
tout nous semblerait étranger. Et pourtant... pourtant nous y avons
laissé une trace qui s'effacera difficilement. Pour preuve voici
la conversation que j'ai eue au cours d'un voyage souvenir en 1983, alors
que je prenais un thé au café maure avec un jeune algérien
de 20 ans à qui je disais que j'étais un enfant du village:
" Ah oui, vous êtes Jean -Claude OBER, le fils de l'institutrice,
et c'est votre père que tout le monde appelait NINI ".
Très surpris, je lui répondis:
" Comment peux-tu me connaître puisque tu n'as que 20 ans ?
"
- C'est par mon père qui me parle tout le temps des Français
qui habitaient le village".
Voilà pourquoi, anciens d'OUED-TARIA, soyez fiers de votre oeuvre,
même les Algériens ne l'oublient pas.
OBER Jean-Claude
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