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Il était une fois AURIBEAU, un petit hameau d'environ 150 âmes,
à équidistance de PHILIPPEVILLE et BÔNE, longé
sur sa face Est par la Nationale qui mène vers la "Coquette
".
Lorsque j'étais écolier, la rentrée des classes coïncidait
presque avec les premiers labours d'octobre ; je m'arrêtais alors
souvent sur le chemin de l'école pour regarder la cohorte des tracteurs
s'élancer avec rage dans un ronronnement continu dans toutes les
directions, pour se perdre là-bas derrière l'horizon des
collines et des plantations. Je m'amusais alors à ânonner
les noms peints sur les capots ; il y avait l'incontournable " Ferguson
" une bête à tout faire, le John-Deer guère plus
puissant, et une vieille et bizarre machine à cylindre unique,
énorme, saillant comme une cheminée de train à vapeur
au bruit pétaradant, le " FARMAL " ; ceci pour les tracteurs
sur pneumatiques. Les chenillards quant à eux se nommaient : Caterpillar
(D2, D4, D6 et la montagne d'acier, le monstrueux D8) et une machine tout
aussi bizarre, le " MARCHAL" à qui le mécanicien
introduisait dans un orifice de son flanc une sorte de cigare qu'elle
" fumait " pour démarrer le moteur. En fait avec le recul,
il s'agissait de l'ancêtre de la bougie de préchauffage du
mélange air-carburant.
Dans ce tintamarre matinal et l'odeur âcre des rejets gazeux, les
monstres s'élançaient à travers la campagne environnante
à l'assaut des champs et des plantations que durant des semaines
et des mois, ils saignaient, retournaient, sarclaient à l'aide
de lourds attelages de charrues à socles réversibles, de
charrues à disques, de coovercoop, de brise-mottes, de herses,
dans un va?et-vient continuel ; ils préparaient en somme le lit
de la semence et de la moisson future, suivis dans leur course effrénée
par des hordes d'oiseaux, les pique-boeufs, les bergeronnettes, parfois
des vanneaux et même une ou deux cigognes retardataires qui semblaient
avoir oublié le calendrier migratoire, venus chercher leur pitance
de graines et de vers dérangés dans leur sommeil dans les
flancs de la terre nourricière de toutes les formes de vie...
Plus loin, au pied de la montagne, là où le progrès
ne pouvait accéder en raison de [escarpement du relief, ce sont
des attelages de boeufs dociles, patients et tout aussi puissants qui
traîneront la charrue, attentifs aux commandements du fellah leur
indiquant par "ya" d'aller à gauche et par "jaa"
de tourner à droite ; en cas de paresse due à l'épuisement,
le fellah les stimulait légèrement à l'aide d'un
long bâton en criant "zele", "ataa" et ces fabuleux
colosses s'exécutaient avec nonchalance, le port de tête
altier et les naseaux fumants dans la fraîcheur des matins d'automne.
A la fin du jour, les bergers rentraient leurs troupeaux, arrachant une
ultime et plaintive complainte à la flûte évoquant
leurs peines et la dureté de la vie des gens de campagne, c'était
un peu l'Heure " Blues "
C'était aussi l'heure où les tracteurs regagnaient haletants
le bercail par toutes les issues du
village et souvent M. MICHEL le fabuleux mécano de M. BALAY allait
au-devant d'eux à l'orée du village pour ausculter à
l'oreille les tressaillements, les ratés de leur mécanique
et décider en expert de ceux qui devaient passer à l'atelier
se refaire une santé.
En ce temps là encore AURIBEAU grouillait des mille bruits des
artisans occupés à leurs tâches ; c'était le
temps où M. Rémy NAVIOUX, l'inénarrable forgeron
du village, un personnage jovial, débonnaire, pittoresque, qui
ne répugnait pas pousser la causette avec les passants, le premier
venu, souvent en Arabe local, il le parlait bien, comme : " et hamdou
li lah ". après un copieux repas, ou lorsque le Ramadan tirait
à sa fin il lançait aux passants : " Il ne nous reste
que trois jours n'est-ce pas ? " et je m'arrêtais souvent pour
le voir battre sur l'enclume une pièce chauffée au rouge
d'où s'échappaient des gerbes d'étincelles, dans
un tintement régulier qui résonne encore à mes oreilles.
Il était l'incontournable maillon de la chaîne de l'entraide
à qui l'on avait recours pour réparer une faux, cercler
une roue de charrette ou ferrer les chevaux ; dans un geste double il
attisait en même temps le foyer ardent qui rendait les métaux
tendres pour leur donner aisément forme.
C'était le temps de la diligence, et chaque famille possédait
sa charrette, son mulet ou son cheval pour la traîner remplie de
grains destinés aux semailles ; elle servait aussi de moyen de
locomotion vers les champs comme le faisait M. BONNELO avec un carrosse
fait uniquement pour le transport des personnes, qui lui servait à
se rendre à sa propriété vers la route de LANNOY
; ce joli carrosse comportait un siège en bois à deux ou
trois places, le frein était commandé par une petite manivelle
placée à hauteur de la main droite du conducteur qui en
la tournant, permettait de diminuer la course de la tige filetée
à laquelle elle était reliée, ce qui avait pour effet
de freiner et stopper le véhicule.
M. FILLOZ Raymond possédait lui aussi une carriole tirée
par un cheval avec laquelle il se rendait aux champs, parfois accompagné
de ses filles Nelly et Eliette, pour, entre autres, ramener de l'herbe
destinée à la nourriture de ses chevaux, de sa vache et
de son ânesse ; il y transportait également la récolte
des feuilles de tabac que ses fidèles ouvriers venaient, chez lui,
relier en petits bouquets qu'ils ficelaient sous les yeux admiratifs de
ses deux filles ; ces bouquets étaient ensuite mis à sécher,
suspendus dans un endroit prévu à cet effet, et lorsque
les feuilles étaient sèches, ces mêmes ouvriers venaient
les empaqueter dans de la toile de jute, le tout cousu de leurs mains
et mis dans un caisson en bois rectangulaire ouvert au dessus et en dessous,
avec des poignets sur les côtés qui permettaient de soulever,
une fois la forme bien prise, le moule qui allait donner les balles de
tabac prêtes à être acheminées à la Tabacoop
de Bône pour y être vendues. Le transport jusqu'à cette
ville était fait au moyen de charrettes, de ces lourds chariots
à quatre roues tirés par des chevaux ou des boeufs ; quelquefois,
un camion de Jemmapes ayant appartenu semble-t-il à M. SAHNOUN
passait également faire le ramassage des balles pour les convoyer
vers la même destination.
En ce temps là, les moyens de transport moderne avaient épargné
AURIBEAU, jusqu'à la fin des années 40, où les premiers
véhicules utilitaires et particuliers sont apparus.
De mémoire d'anciens Auribeaudois, comme mon Oncle qui est de 36,
et autant qu'il m'en souvienne, le premier camion avait appartenu à
M. AMIOUR, l'associé de M. BOUDELAA, propriétaire de l'épicerie-boulangerie
du village. C'était un camion de marque allemande certainement
rescapé de la 2cme guerre mondiale que son propriétaire
louait, avec chauffeur, pour le transport public de marchandises. Ensuite
ce fut M. René VAUDFI qui posséda un camion Renault à
benne et ridelles avec lequel il transportait son raisin récolté
dans son vignoble au moment des vendanges et l'acheminait vers la cave
coopérative pour le pressage. Puis l'effet boule de neige s'est
installé et ce fut au tour de M. MIZZI de posséder un camion
pour le transport de tout ce qui a trait aux travaux des champs. Paradoxalement
(?) les premiers véhicules particuliers avaient appartenu à
des Musulmans ; les premiers d'entre eux furent M. BOUKACHABIA Med Salah,
qui au retour de l'armée (il avait fait la seconde guerre mondiale),
avait possédé une CHAMBORD qu'il utilisait comme taxi, M.
BELAHCINI Madjid, encore en vie et en bonne santé, avait possédé
une voiture de tourisme à la coque en bois fabriquée à
JEMMAPES par le renommé carrossierM.CORBEAU.
Ce fut au tour d'un oncle de ma mère, Aissa AYACHE,
qui exploitait l'épicerie à l'angle supérieur de
la cour de l'École en face de la maison de M. BALLET, et dont le
père était propriétaire terrien,
d'acquérir deux voitures l'une après l'autre dans le même
style en bois que la précédente. Après ces drôles
de limousines en matériaux hétéroclites, est venu
le temps des voitures de légende. Paradoxalement, ce sont des Musulmans
qui les premiers en ont possédé ; l'oncle de ma mère
avait une Peugeot 202, qu'il faisait démarrer à la manivelle
devant notre école où il aimait la garer à l'ombre
du maintenant vieux frêne ; M. MANSOURI Amor avait lui des "
Citroen ", la 11 légère puis la 15, qu'il utilisait
comme taxis puis ce fut au tour des Pieds-noirs d'en acheter et ce serait
M. POFILET, avec sa Simca P60 bleue-grise, une Etoile six, qui aurait
inauguré le cycle qui mènera à la banalisation de
ce moyen de transport moderne à AURIBEAU. Apparemment ensuite,
dans les années 50 ce furent les Renault Juva 4 de MM. Aimé
BALLET et François SPITERRI qui ont fait leur apparition aux côtés
d'autres voitures de plus en plus performantes, aux lignes recherchées,
comme une Dauphine rouge, ayant appartenu à Chari) INGLESE. semble-t-il,
les 403 de MM BALAY, ORTS et BONTOUX sans oublier M. STEFANINI, notre
Instituteur qui était arrivé en 59 ; lui aussi avait sa
Peugeot 403, une limousine qui faisait rêver et que les Algériens
ont définitivement adoptée en raison de sa sobriété
et de son endurance, soit pour un usage familial, soit pour servir de
taxi permettant aux habitants locaux de rejoindre les villes et villages
environnants, ce qui était bien pratique pour les urgences en tous
genres ou tout simplement pour passer une journée de détente
à JEMMAPES lors des journées de festivités que la
ville organisait.
C'était le temps de nos jeux à l'heure de la récréation,
dans la cour sous les acacias, encore présents, et autour de l'énorme
mûrier, qui hélas atteint de maladie s'est effondré
il y a quelques années ; sous le préau par temps pluvieux,
nous rivalisions à grimper à la corde à nuds
suspendue au plafond, sans l'aide des pieds, uniquement à la force
musculaire des bras ; une performance qui n'était pas à
la portée de tous et que seul, devant nos yeux écarquillés,
M. MALDENT notre Instituteur, avait réussie, les jambes tendues
en équerre avec ça!
C'était le temps où le marché Arabe hebdomadaire
se tenait le jeudi dans un spectacle bigarré et un brouhaha ininterrompu
avec sa cohorte de marchands de bestiaux de volailles, ufs, de friperies,
d'épices, de semoule, d'orge, et toutes sortes d'animaux ; des
ânes pour leur utilité dans les travaux domestiques, recherchés
par les foyers modestes pour qui ces doux compagnons ramenaient les fagots
de bois, les jarres d'eau, et transportaient les sacs de blé et
d'orge au moulin à grains de M. BORG père, ou celui plus
bas de M. René VAUDET. On y rencontrait aussi le commerce des chèvres
-rarement les bovins et les ovins- car les premiers d'entre ces animaux
étaient peu exigeants, ils savaient se " débrouiller"
presque seuls pour trouver à se nourrir même en grimpant
sur les oliviers ou en escaladant les pentes escarpées. C'est un
bel animal rustique d'une vivacité déconcertante toujours
en éveil, facile d'entretien, arborant une robe toujours propre
à deux tons, noir et blanc ou marron et blanc, avec une jolie petite
tête surmontée de cornes effilées, chevrotant des
"Mêêê" pour rallier leurs petits par trop
téméraires s'aventurant loin du troupeau ; sans oublier
le plus remarquable et leur plus gracieux attribut : la BARBICHETTE.
Ce jour de marché était aussi le rendez-vous
des marchands de confiseries : la Zlabia dégoulinant de miel avec
tout autour des nuées d'abeilles, le Nougat clairsemé de
cacahuètes, des sucreries en forme de serpent lové sur lui-même,
striées de rouge, de jaune ou de vert, que le marchand découpait
aux ciseaux en portions pour les vendre. Au milieu de la place, la fumée
et la senteur qui s'échappaient à travers les eucalyptus
trahissaient la présence du marchand de brochettes et de merguez
grésillantes sur le feux de bois, dont raffolait Charly INGLESE,
un aîné avec qui on partait à la chasse aux étourneaux
se gavant dans les oliviers bordant le chemin menant aux vergers derrière
la maison de M. Lollo LAVERRIERE, avec une belle carabine à air
comprimé (une DIANE), et aux pigeons, (cette fois avec un vrai
fusil,) qu'il interceptait le soir à leur retour au nid après
une journée passée dans les champs à la recherche
de nourriture.
C'était le temps où, lorsque la froidure s'installait et
que les frimas de l'hiver givraient nos mains et nos oreilles, notre classe
était chauffée par un poêle que chacun de nous, à
tour de rôle, allumait le matin avant l'arrivée des élèves
; et si le bois manquait il fallait aller chercher les bûches dans
la réserve située dans la cave sous la classe accessible
par quelques marches en planches ; un lieu obscur, éclairé
par trois ou quatre lucarnes d'où filtrait un rai de lumière,
où le moindre crissement d'un objet dérangé, un rat
qui détalait dans l'obscurité, nous faisaient tressaillir.
C'était le temps des crues de l'Oued Hamimine descendu des thermes
du même nom surgis au pied de plusieurs collines à un quart
d'heure de bicyclette du village, et de l'Oued Mechekal dont les furies
de 1957 ont submergé l'orangeraie de M. BALLET. (Le niveau de la
crue a été gravé sur le mur de sa cave au bord de
la Nationale menant à Bône.)
Beaucoup de personnes allaient à cette occasion "voler"
aux flots, à l'aide d'une épuisette fixée au bout
d'un long roseau, les oranges flottant sur l'eau : ils en ramenaient des
pleins sacs de jute pour le plus grand plaisir des enfants.
J'ai souvenance, en cette année là, qu'un jeune soldat du
contingent a laissé sa vie, emporté par les flots, lorsque
le conducteur du GMC qui transportait sa section, mésestimant le
danger, avait tenté de traverser le courant trop violent.
En ce temps là, AURIBEAU connaissait trois cultures principales
: les agrumes. la vigne et la culture céréalière.
Les cultures maraîchères étaient circonscrites à
quelques modestes espaces cultivés en légumes : navets,
carottes, poivrons, courgettes, quelques parcelles de pastèques
et melons ; elles étaient surtout destinées à l'autosuffisance
de la population locale et des villages voisins.
Les autres variétés fruitières étaient représentées
par quelques rangées de figuiers ayant appartenu à M. VAUDET,
après le pont qui enjambe l'Oued MECHAKEL, les pêchers de
M. Lollo LAVERRIERE en contrebas de sa maison, proche de sa vigne au bord
de l'Oued Hamimine.
La culture du tabac était aussi sporadique, que ne pratiquait que
M. BALAY pour le compte des domaines LATRILLE et de MM. Henri DONIAT et
FILLOZ Raymond.
En ce temps là, les orangeraies, avides d'eau, déroulaient
des bandes vertes au gré des méandres des cours d'eaux qui
arrosaient notre petite vallée.
Plusieurs variétés des plus connues et des plus recherchées
étaient cultivées en ces lieux propices, riches en alluvions,
en eau, et de ce soleil du Pays qui favorisaient l'éclosion des
fleurs et le mûrissement des fruits, encore verts tout l'été.
A partir d'octobre commençait la cueillette de la reine des agrumes,
la CLEMENTINE, fille de ce pays où elle avait été
conçue par l'Abbé CLEMENT à MISSERGHIN, du côté
d'ORAN, en 1894, en croisant les fleurs du bigaradier et celles du mandarinier.
C'est à l'orangeraie de M. LAVERRIERE en contrebas de la cave à
vin, que croissait dans un petit carré, ce fabuleux fruit à
l'écorce facile à décoller et dont les quartiers
sucrés et parfumés se détachaient aisément
les uns des autres. Arrivait ensuite à maturité la mandarine,
au goût légèrement acidulé et à la peau
boursouflée qui étaient tout aussi exquise que cultivaient
MM. POFILET et BALLET, entre autres, en contre-bas de la maison cantonnière
derrière une haie de pins brise-vent qui continue encore de nos
jours à remplir son rôle de protecteur comme un sacerdoce.
Ces primeurs étaient suivis des autres variétés :
la double fine, la sanguine très appréciée par nous
les enfants pour la couleur rouge sang de sa pulpe et l'abondance de son
jus qui étanchait notre soif aux détours d'un sentier lorsque
l'eau potable n'était pas à portée de la main, la
Java et la Maltaise aussi juteuses, au goût acidulé, à
la pulpe veinée de stries rouges ces variétés étaient
cultivées un peu par tout le monde certainement en raison des rendements
élevés qu'elles donnaient.
La fin de la cueillette était marquée par la variété
la plus noble d'entre toutes, la Thomson, à la pulpe veloutée
et parfumée ; elle était destinée entièrement
à l'exportation. Les mamans de nos camarades de classe en faisaient
de délicates confitures et marmelades en intégrant l'écorce
qui leur donnait un arrière goût légèrement
amer malgré la présence en grande quantité de sucre.
C'était le temps où le four à pain du village, au
fond de la boulangerie enchâssée entre la maison de M. Henri
DONIAT et la brasserie de Mme et M. DONIAT, répandait l'odeur du
levain et du pain chaud dont nous achetions juste un quart ou ce petit
pain si menu et si mignon que l'on tapissait d'une portion de fromage,
"la vache qui rit", ou accompagné d'une grosse barre
de chocolat noir, dont je garde dans mon palais le goût et l'odeur
unique comme la madeleine de tante LEONIE que PROUST n'a jamais oubliée...
C'était le temps où bon nombre d'entre nous allaient à
l'école pour la première fois à la rencontre de nos
vénérés Maîtres sans uvre de qui ces
lignes n'auraient pas été...
Nous gardons tous, parents et élèves, un tendre et affectueux
souvenir de ces Idoles, enfants du Pays, comme M. Claude STEFANINI, natif
de PHILIPPEVILLE, le Directeur de notre École et en charge des
classes d'examen ; il a conduit la plupart d'entre nous au Certif. et
aux différents examens d'accès à la 6e et au C.N.E.T.
; avant lui M. REFALO venu d'El-Arrouch était
également notre Directeur, et dispensait les cours aux classes
inférieures ; d'autres venus de loin comme M. Lucien MALDENT originaire
du CREUSOT, mon second maître au début des années
50, après M. SECRETO ; M. François SAVIO venu d'AGEN une
ville sur la Garonne qu'il évoquait souvent pour célébrer
la réputation des pruneaux de son LOT-ET-GARONNE natal ; et bien
d'autres encore, pour ne citer que ceux qui ont modelé de leur
empreinte nos jeunes cerveaux et marqué de façon indélébile
la société à l'entour par l'animation qu'ils ont
su créer autour d'eux. Ils sont les illustres compatriotes qui
ont permis l'émergence des futurs cadres de l'Algérie d'après
1962 ; c'est ainsi que l'année scolaire 1962-63 avait connu pas
moins de trois enseignants natifs du village, des employés à
la Mairie et une multitude d'élèves partis à la conquête
du Savoir dans les Lycées et Collèges plus tard aux Universités
qui ont donné à Auribeau des Ingénieurs, (certains
sont hauts cadres d'Entreprises), des professeurs, des Juristes, des Médecins
et même des Enseignants Chercheurs ; c'est dire que la graine semée
était de bonne qualité ; elle a essaimé à
son
tour pour donner une Pléiade d'élites locales dont les compétences
sont appréciées et
dépassent le cadre régional, certaines ont même un
destin National. C'est là uvre de nos Maîtres dont
l'unique préoccupation était la dispense du savoir, ce qui
les rapproche
des Saints et mérite à ce titre notre vénération
; il est alors venu le temps où ils sont en droit de recueillir
reconnaissance et honneur pour leur travail acharné et ce serait
sacrilège, inexpiable, que de les oublier. Ils trônent pour
l'éternité en une place à part dans nos curs
et nos mémoires.
C'était le temps où nos Maîtres consacraient, en plus
de leur labeur d'éducateur, leur temps libre à des activités
extra-scolaires valorisantes, dont la dispense de cours du soir pour adultes,
l'introduction du sport et la tenue de festivités grandioses marquant
la fin de l'année scolaire ; comme ce fut les lendits de 1960,
les inoubliables courses aux oripeaux, la course des grenouilles, celle
des baudets... devant un parterre de personnalités dont l'autorité
Académique ; à cette occasion beaucoup de médailles
avaient été décernées aux meilleurs d'entre
nous.
A ces Maîtres émérites, M. Claude
STEFANINI, M. Lucien MALDENT un éducateur au grand coeur qui avait
les yeux humides et rougis lors des séparations en fin d'an-née
scolaire, M. SAVIO l'initiateur des lendits et organisateur des sports
à la campagne (le cross, le football, le volley-hall) va notre
reconnaissance et nous nous inclinons humblement devant tant de générosité
et de sacrifices.
C'était le temps où, dès les premiers
jours de printemps, en Mars, nos jeux étaient transportés
sur la " Place aux frênes ", ainsi baptisée par
Elyette et moi à l'occasion de nos retrouvailles, située
en face de sa maison : c'était un espace tapissé d'herbe,
où croissaient les pâquerettes et surtout les NARCISSES de
notre enfance enchantée, oui des narcisses qui poussaient au milieu
du village ! tellement la nature était préservée...
dont on faisait des bouquets odorants que chacun ramenait chez lui. La
Place aux frênes était le lieu ombragé de nos jeux
: le jeu de " touche " celui de " l'avantage " avec
une pelote en caoutchouc bariolée ou une balle de tennis, et là
l'espiègle Elyette et Arlette BORG qui habitait plus haut que chez
elle nous rejoignaient parfois, pour partager furtivement ces jeux de
" garçons ".
Ce temps là, le début de printemps annonçait
le renouveau et notre communauté le fêtait un peu comme le
Nouvel An, une coutume venue de la nuit des temps, elle serait d'origine
berbère : ces peuples anciens d'agriculteurs et d'éleveurs
saluaient par des offrandes et des festivités les richesses que
cette saison annonçait. A cette occasion nos mères nous
préparaient des galettes rondes enduites de jaune uf qui
les rendait dorées et des galettes à rebord dentelé
que nous roulions sur l'herbe de la Place aux frênes et à
l'entour de nos demeures avant de rejoindre nos foyers pour déguster
ces fameux gâteaux en forme de losange, " Lebraj " faits
de semoule liée avec du beurre et de l'huile, fourrés de
dattes écrasées, cuits sur le " Tajine " en terre
accompagnés de petit-lait. A l'occasion de cette fête qui
pouvait durer plusieurs jours, certains foyers préparaient ces
crêpes succulentes " Lemchehda " de forme ronde criblées
de petits trous et de cloques qu'on avalait goulûment tapissées
de miel ou de sucre et de beurre. Souvent des camarades comme Jean-Louis
LEGER venaient à cette occasion dans nos demeures pour partager
notre joie et les délices des jours de fêtes.
C'était le temps de nos jeux, partagés avec des camarades
tels Jean-Claude MICHEL sur le seuil de sa maison, où l'on s'amusait
à monter des Mécano qu'il avait reçus en cadeaux
pour NOËL, ou avec J.L. LEGER lors de randonnées avec la Jeep
Américaine qu'il empruntait à son père pendant ses
heures de repos au temps où il était forgeron à la
ferme de M. TRAPPE, ou encore Jean-Marc LAVERRIERE cet agréable
camarade de jeux qui aimait partager avec nous ses goûters, du pain
beurré et sucré ou une barre de chocolat...
Lorsque le printemps tirait à sa fin et que les chaleurs s'installaient
doucement, venait le temps où, jeunes écoliers, on assistait
à la belle saison, au spectacle du jeu de boules en face du relais
" ALESTRA " près de la fontaine publique où les
bêtes venaient se désaltérer dans l'abreuvoir qui
leur était destiné, ou bien sur la place au centre du village
; agglutinés silencieusement autour du
rectangle clôturé de petits piquets reliés par une
mince corde où un gros fil, retenant notre souffle en communion
avec les joueurs, dans l'attente de voir une boule éliminée
dans un bruit sec et un jet de poussière.
Puis l'été venant, la cueillette des oranges et la récolte
des maraîchages achevées, il fallait quitter le lit fécond
longeant les cours d'eau pour aller vers les coteaux avoisinants ou plus
loin encore en empruntant le chemin vicinal qui menait à Oued Zeher
et Ain Bekkouche, la source qui alimentait en eau AURIBEAU, où
les Romains avaient apparemment installé un camps militaire avancé,
comme en témoignent des blocs de pierre taillée, visibles
encore de nos jours dans l'enceinte d'un cimetière musulman local,
" El Zarouria ", qui tire son nom de la présence de quelques
arbrisseaux épineux, de la même famille que l'aubépine,
donnant des pommettes grosses comme une noisette au goût acidulé
que nous rainassions en été.
I: aubépine voisine, elle, donnait de petites baies rouges tout
aussi comestibles que nos grand-mères administraient aux personnes
souffrant de troubles digestifs. De part et d'autre de ce chemin s'étendaient
deux vignobles des domaines LATRILLE dont M. BALAY était gérant.
Ces vignes très exposées au soleil donnaient principalement
la variété " Cinsault" destinée à
être pressée, mais qui était aussi prisée dans
nos foyers pour son goût très sucré et sa pulpe molle
donnant d'excellentes confitures onctueuses avec lesquelles l'on tapissait
des morceaux de galette pour le goûter.
En aval, le long du petit ruisseau qu'alimentait la source de Bekkouche
et les ruisseaux et ornières descendus des collines, croissait
une petite bande de vignoble de cinq ou six hectares ayant appartenu a
M. FILLOZ Raymond, le père d'Elyettc et Nelly, toutes deux camarades
de classe des années cinquante ; je garde un souvenir vivace de
ce lieu, où à la lisière de la propriété,
un coin ombragé par un grand frêne très feuillu en
été servait à protéger des rayons du soleil
les vendangeurs au moment où ils s'arrêtaient pour prendre
leur déjeuner, et où était mis à l'abri des
chaleurs le baril d'eau potable. Un chemin de terre battue carrossable
menait à cette propriété, à l'usage des riverains
et qu'empruntaient aussi les attelages de chevaux de M. Raymond FILLOZ
tirant les lourds tombereaux pleins de raisins vers la cave à vin.
Ce qui m'est resté le plus de ce lieu proche du frêne, c'est
que là croissaient quelques ceps de ces fameux "Chasselas",
une variété précoce de raisin aux petits grains dorés,
presque translucides, oh ! combien exquis ! destinée à la
consommation domestique. Lors des vendanges, petit enfant, je rejoignais
mon grand-père et mes oncles qui travaillaient non loin de la maison
dans un champs de tabac, séparé du vignoble par le chemin
de terre battue ; pour les rejoindre j'avais à traverser la route
nationale pour accéder au talus séparant les deux propriétés.
J'attendais midi, l'heure de repos sous le frêne, que rejoignaient
également les vendangeurs ; certains d'entre eux rapportaient dans
leurs chapeaux de paille quelques grappes de ce fameux raisin, qu'ils
partageaient avec nous ; en ce temps là tout était mis en
commun, chacun ramenait quelque chose à manger, qui du petit lait
et l'incontournable galette, qui un ragoût de pommes de terre, des
haricots, ou encore de la sardine en boite, des olives et du fromage en
portion... Cette ripaille était partagée et tout le monde
pouvait prendre ainsi un repas "varié", un réflexe
d'entraide inconsciente qui ne se disait pas, une règle sociale
qui débordait jusque dans le détail d'un déjeuner
de vendangeur.
Mon oncle ZAGHDOUD que je suivais partout où il travaillait, fut
employé par M. FILLOZ jusqu'en décembre 62 à la cave
à vin en face de la gare, date à laquelle M. RAYMOND avait
rejoint sa famille en France ; et là encore le destin et les hasards
de la vie les avaient fait se rencontrer, cette fois ci à DRAGUIGNAN
vers 1965 où M. FILLOZ était employé dans une cave
réputée pour son excellent vin vendu de par le monde se
reconnaissant sous le nom de SAINTE ROSELINE dont le propriétaire
n'était autre que le Baron de RASQUE de LAVAL, aujourd'hui disparu.
A présent la propriété continue à être
gérée par ses descendants. M. FILLOZ aurait donc, sans hésiter,
proposé à mon oncle de le présenter à son
employeur en vue d'une embauche, mais il ne pouvait le faire, à
regret me confia-t-il, car il était employé aux chantiers
navals de La CIOTAT ...
De cette famille humble, laborieuse, affable et discrète, je garde
moi-même, ainsi que tous les anciens AURIBEAUDOIS, un tendre et
affectueux souvenir. Récemment, grâce à la magie de
l'Internet j'ai pu renouer le contact avec Elyctte, la fille de M. RAYMOND.
une camarade de classe, proche de nous à l'école où
elle participait avec nous aux activités sportives dans lesquelles
elle excellait : championne de sa classe au saut en hauteur, médaille
à feuilles de laurier gagnée à PHILIPPEVILLE en 1960
pour avoir décroché le premier prix de la course à
pied (excusez du peu !) organisée grâce à M. STEFANINI
notre Directeur d'école. Dans les activités culturelles
où à l'occasion des lendits de 1960, elle avait tenu le
rôle de SOPHIE dans la pièce de Mme de SEVIGNE jouée
à la salle des Fêtes du village.
Désormais la saison chaude avançait, les travaux des champs
devenaient plus rudes avec ce soleil qui dardait ses rayons à la
verticale, mûrissant toute culture ; c'était le moment où
la récolte du tabac commençait, les moissons battaient leur
plein et le battage du blé se préparait...
Cette bande de terre, voisine du vignoble de M. Raymond FILLOZ ayant appartenu
à M. Henri DONIAT, non loin des maisons de mes parents, grands-parents,
oncles, et tantes, dans notre "DACHRA" comme je l'ai déjà
narré, était cultivée en tabac, et c'est cette proximité,
certainement, qui faisait que les travaux de cette culture étaient
concédés par le propriétaire à mon grand-père
aidé de mes trois oncles.
En ce temps là, en été, l'école était
finie, c'était la période des grandes vacances et je n'étais
pas très loin de mes oncles et mon grand-père que j'accompagnais
partout dans leur labeur quotidien ; je m'amusais alors à me faufiler
entre les plants de tabac qui me dépassaient en hauteur, 1à
je construisais un monde à moi : le bousier roulant perpétuellement
son "fardeau de Sysiphe" devant lui devenait, par la déformation
de mon imagination infantile un monstre à tête cornue ; la
découverte d'une mante religieuse, c'était la méchante
fée des contes ; la toile tendue par l'araignée entre deux
plants de tabac ressemblait à un piège qui allait m'engloutir
: à la vue de la rangée d'yeux de cette créature
impassible attendant ses victimes j'avais des frissons de peur ; c'était
un univers à moi peuplé de lutins sortis des contes populaires
que nous racontait jadis tante SARHOUDA l'épouse de mon oncle AMAR,
(ils vivent depuis 1962 à SUIPPES dans la MARNE) durant les nuits
d'hiver autour d'un brasero rendant une lumière rougeâtre
propice aux fantasmes. Ce fut un monde à moi où je dialoguais
à voix basse avec mes " fantômes ", un monde merveilleux
où je me transportais l'espace d'une rêverie, assis à
l'ombre des feuilles de tabacs ; un bonheur long comme une éternité,
interrompu par l'appel de mon grand-père, m'ayant perdu de vue,
et qui me ramenait contrarié à la réalité...
Lorsque les plants de tabac, en plein été, arrivaient à
maturité, la récolte des feuilles pouvait commencer. Les
feuilles de tabac étaient classées en trois catégories
: celles du " bas ", la moins valeureuse, appelée par
nos parents "harfi", celles du milieu "ezzina" (la
belle) de moyenne qualité ; les feuilles supérieures "choucha"
(la supérieure) représentaient le "must" de la
culture tabatière.
En fin de journée la récolte était
acheminée vers les hangars où les feuilles devaient sécher
au soleil, attachées en grappes par du raphia et suspendues en
étage par du fil de fer fixé à l'intérieur
d'un cadre métallique porté par un rail horizontal sur lequel
il coulissait à l'aide de petites roues de poulies nervurées.
Alors enfant je passais mes journées avec mon grand-père
et mes oncles à les regarder, dans un rituel immuable, sortir des
hangars, le matin, les gabarits mobiles pour les faire sécher au
soleil toute la journée, les retourner sur les deux faces pour
un séchage uniforme et les rentrer le soir au coucher du soleil
pour la nuit.
Ma grand-mère, ma mère et mes tantes n'étaient pas
en reste de la corvée puisque le travail le plus fastidieux, l'assemblage
des feuilles en petites grappes à l'aide d'une grosse aiguille
et de raphia, leur était destiné en exclusivité,
la couture étant " l'apanage des femmes "... Mais cela
ne dispensait pas nos adorables, nos vénérables Mamans de
participer à la cueillette. l'après-midi, aux côtés
des hommes, entre deux travaux ménagers...
C'est le temps venu des moissons : les blés ont blondi au soleil
torride, le lâcher de la horde des moissonneuses-lieuses aux champs
de blé est révélé par les longues bandes régulières
qu'elles tracent derrière elles ; les gerbes de blé sont
entassées en petits monticules. un tracteur à remorque les
achemine vers l'aire de battage en bas du village où se forment
les meules de blé dans un alignement précis qui permet l'installation
au centre de la fameuse batteuse et du tracteur qui entraîne la
grande roue fixée à son flanc. L'aire de battage est limitée
au sud par une haie imposante de figuiers de barbarie infranchissable
si ce n'est à travers un chemin carrossable de terre battue qui
l'interrompait en son milieu permettant l'accès aux vignobles de
MM. BALLET et FILLOZ et servait également de raccourci qui conduisait
plus loin aux Mechtas environnantes.
C'est le temps, où, arrivé l'été, un autre
spectacle s'installe au bas du village sur raire de battage, un espace
que nous appelions " El comminal " rappelant son appartenance
au Domaine Communal que nul ne pouvait s'approprier.
Là sont entassées en imposantes meules les gerbes de blé
de chaque propriétaire attendant le grand jour de l'arrivée,
comme une comète au retour régulier pour s'éclipser
jusqu'à la saison nouvelle, de l'infatigable batteuse rouge sortant
de son hibernation dans les hangars situés en haut de l'aire de
battage aux côtés des tracteurs que la coopérative
agricole louait aux cultivateurs qui n'en possédaient pas.
Le grand jour étant arrivé, c'est dans un
ronronnement continu, perceptible de loin, que le tracteur " Ferguson
" ou " John-Deer " entraîne, à l'aide d'une
longue courroie en bâche ou en cuir, le mécanisme de la batteuse.
La cadence imposée par la machine est rythmée par le mouvement
coordonné des ouvriers au sol qui balancent à l'aide de
fourches les gerbes de blé en haut sur le plateau où elles
sont reçues et dirigées par l'engreneur dans la bouche béante
qui va les dévorer et les engloutir dans ses entrailles avant que
la coulée de graines crépitante n'apparaisse le long d'un
plan incliné au bout duquel étaient agrafés des sacs
de jute destinés à les transporter vers leur destination
finale, les Silos à grains, le marché local ou l'exportation
vers la Métropole.
C'était le temps où la saison agricole finissante s'achevait
en apothéose avec le spectacle chamarré des vendanges, dans
une farandole sans fin de tombereaux, de charrettes, traînés
par des bufs ou des chevaux, de remorques tirées par des
tracteurs. Le raisin était acheminé vers la cave coopérative
ou celles de MM. SPITERRI et MIZZI. pour être pressé. Alors
adolescents, nous participions à cet événement saisonnier,
dans les vignobles de MM. BALAY, Lollo LAVERRIERE, Aimé BALLET,
pour ne citer que ceux-là une opportunité qui nous permettait
de participer à l'achat d'effets vestimentaires et scolaires en
prévision de la rentrée des classes et des rigueurs des
hivers ; aux côtés de nos aînés, hommes et femmes,
que des remorques amenaient aux vignobles chaque matin avant le lever
du soleil, au moment où les ceps de vigne rendaient une odeur un
peu âcre due aux traitements chimiques qu'ils avaient reçus
contre le mildiou principalement. Les femmes trouvaient, dans cet exutoire,
un peu de liberté en s'arrachant à leur ermitage et aux
tâches domestiques ; deux ou trois semaines durant elles travaillaient
dans les vignes, ce qui représentait un apport non négligeable
à la constitution des réserves de nourritures pour la mauvaise
saison. Quant aux enfants que nous étions, les vendanges étaient
vécues, comme une fête ; le théâtre de nos jeux
était désormais un champ de vigne où nous rivalisions
à qui arriverait le premier au bout de la rangée après
l'avoir dénudée des lourdes grappes de raisin sentant encore
la fraîcheur matinale. Cette compétition effrénée.
était encouragée par le Chef du chantier et sous les acclamations
des jeunes filles à qui nous voulions, quelque part, prouver notre
virilité ; c'était le passage obligé de notre entrée
dans le monde des adultes ; un statut social supérieur, qui nous
conférait désormais des privilèges, notamment celui
d'être admis dans les "DJEMAA" ; ces réunions de
chefs de familles destinées à régir la vie à
l'intérieur du groupe familial. Les adultes n'avaient plus de secrets
pour nous, en fait, on méritait ces faveurs à l'aune de
l'aptitude au travail, et par le travail, la seule valeur qui autorisait
l'intégration dans la société pour devenir un jour,
précocement parfois, chef de famille à son tour ; car il
fallait assurer la pérennité du clan, une fois les Patriarches
disparus.
Les vendanges terminées, c'est un ultime spectacle qui s'affichait
devant la cave coopérative face à la gare ferroviaire ;
là surgit, un beau matin, venu on ne sait d'où, une énorme
"cocotte" noire pétaradante : c'était l'alambic
qui allait extraire l'eau de vie du marc de raisin après sa pression.
La chaudière bruyante assurait la distillation du marc dont les
vapeurs en se condensant à travers le serpentin de l'alambic allaient
libérer le fameux breuvage dont les émanations étaient
humées de loin. C'est ce cycle agraire qui avait rythmé
la vie de notre village où il faisait bon vivre autrefois...
fois AURIBEAU, un petit village fleuri des bougainvilliers qui embellissaient
les clôtures des maisons de MM. BALAY et POFILET, des glycines aux
grappes de fleurs mauves odorantes enlaçant les façade des
maisons de MM. NAVIOUX et SPITERRI, des géraniums et d'arums dans
chaque maison, des rosiers grimpants de la maison de Nelly et Elyette
FILLOZ embaumant les ruelles alentour, du mimosa de la maison cantonnière
que j'habitais au départ de la famille de M. ROUSSEL, l'employeur
de mon père, qui avait emménagé dans la petite Chapelle
après le transfert de l'Office à l'Église au centre
du village, où, les dimanches et jours de fêtes religieuses,
s'activaient de petites processions de fidèles, lors des cérémonies
des premiers Sacrements, des baptêmes et des communions, des mariages
aussi, reconnaissables à la tenue de la mariée.
Et chaque maison avait dans un coin de jardin, comme pour les préserver,
quelques plants de chrysanthèmes destinés à honorer
les morts au jour qui leur était consacré.
A nos Amis d'antan nous disons que leurs Ancêtres et leurs Parents,
qui reposent ici sont devenus nos Parents , nous leur devons le Respect
que l'on doit à tous les morts qu'ils reposent pour l'éternité
dans cette terre qui les a vu naître et qu'ils ont tant aimée.
Que ce petit clin ilà un passé commun riche en événements,
puisse remuer le souvenir de nos camarades d'enfance et les inciter à
renouer avec leur passé et leur Pays qui ne les a jamais rejetés.
Ce texte a été écrit par Amor MOUAS, avec le concours
d'Elyette FILLOZ Participation de Claude STEFANINI
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