--------Basse et
et trapue, repliée sur elle-même, la maison kabyle porte
la marque du pays de montagne, infertile et broussailleux, dont elle est
le produit ; en elle se résument à la fois la géographie
d'isolement d'une contrée tourmentée, d'accès difficile,
et son histoire, confus mélange d'incessantes luttes intestines.
--------Pareilles
circonstances devaient forger au paysan kabyle une mentalité particulière
dont les traits essentiels sont indigence et méfiance, comme aussi
vigueur contenue et aspirations latentes.
--------Au
long des crêtes secondaires qui, dévalant de la chaîne
maîtresse du Djurdjura, composent l'essentiel de la Kabylie centrale,
des chapelets de villages semblent, à distance, une suite impressionnante
de fortins : en réalité, amas de demeures entassées
et comme peureusement blotties les unes contre les autres.
--------Construite
en pierres et couverte de tuiles romaines, la maison kabyle procède
des mêmes préoccupations de sécurité que l'ensemble
du village et son agencement particulier concourt à des fins de
défense et d'intimité. On y accède par une cour dont
elle limite un des grands côtés et sa porte d'entrée,
à deux battants, de la hauteur d'un homme de taille moyenne, est
disposée de manière que le regard du passant n'en puisse
franchir le seuil. Sa forme est rectangulaire (4 à 5 mètres
de large, sur 6 à 8 de long) ; ses pignons sont bas. Aux deux tiers
de la façade, la porte donne entrée, en même temps,
au logement familial, surélevé d'une à deux marches
intérieures et à l'écurie, enfoncée vers le
bas de la pente ; une petite murette, où s'encastrent les étais
qui soulagent la charpente, sépare ces deux compartiments et permet
d'atteindre la soupente, à la fois débarras et réserve
à provisions, qui surmonte l'écurie.
--------Pas
de fenêtre ; tout au plus une lucarne d'aération, sur l'un
des pignons. Pas de cheminée non plus ; le foyer est à même
le sol, vers le fond de la pièce et la fumée fuse à
travers les claies de roseaux sur lesquelles reposent les tuiles.
--------Le
mobilier domestique participe de la même rusticité : quelques
ustensiles de ménage, marmites en terre cuite et plats en bois;
pour resserre, des jarres en terre séchée, des poteries
de modèles variés et, parfois, un coffre en bois, haut sur
pieds. Des nattes en feuilles de palmier tressées et de minces
couvertures de laine composent tout le matériel de couchage, roulé
dans un coin, pendant la journée, ou suspendu sur une perche horizontale.
------Obscures
médiocrités que des clartés rehaussent parfois d'une
note inattendue : galbe gracieux des poteries aux dessins rectilignes,
d'une archaïque simplicité ; décor des soubassements,
dans le même style linéaire, triomphe du losange et de la
ligne brisée ; moulures des jarres, aux stylisations anthropomorphes
; sculptures des coffres, soit en plein bois, soit sur baguettes rapportées,
en des agencements primitifs.
---------Sans
compter, de ci, de là, d'autres témoignages de sens artistique
: couvertures d'Ait-Hichem, aux points d'une rare finesse ; bijoux des
Beni-Yenni, d'une maîtrise consommée, ou bien encore, ces
travaux d'ébénisterie, renom de Djemaâ n'Saridj et
de Taourirt-Mimoun.
--------A
l'imitation de ses occupants, la maison kabyle a beaucoup évolué
depuis quelques décades. Il est maintenant fréquent de voir,
au-dessus des bâtisses d'autrefois, émerger des maisons à
la française dont les toits rouges font tache sur la tonalité
fondue des vieilles tuiles couleur de terre. Des cheminées et des
fenêtres paraissent aussi et le bidon à pétrole remplace
hélas, les amphores, pourtant si plaisantes aux tailles cambrées.
--------Inévitables
transformations que les amoureux du passé ne voient pas se réaliser
sans regret ; le pays kabyle y perd une partie de son décor et
la symphonie de son ensemble grisaille se trouve rompue. Qui donc tracera
le modèle de demeure conservant l'originalité du type ancestral
tout en satisfaisant aux exigences du confort et de l'hygiène ?
Martial Remond
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