En octobre dernier, un groupe d'urbanistes
effectuait, dans le cadre d'échanges culturels techniques Europe-Amérique
un voyage d'études aux U.S.A. Parmi des Métropolitains,
Allemands, Belges, Hollandais, Scandinaves, Autrichiens, un délégué
de l'Algérie : M. J. Stamboul. Nous détachons des observations
de M. Stamboul, concernant les structures urbaines et l'organisation de
leurs systèmes fonctionnels, ces quelques notes sur les "
centres commerciaux " dont l'application à "Alger mutatis
mutandis" pourrait présenter un réel intérêt.
Peut-on écarter à priori toute suggestion ?
Dans une agglomération, l'activité commerciale de tous les
jours se concrétise sous de multiples formes : commerce de quartier,
galeries marchandes, grands magasins, marchés, foires.
Or, nous assistons à une évolution continue des structures
urbaines qui n'est pas sans entraîner de sérieuses difficultés
pour le fonctionnement, jusqu'icià peu près immuable, de
cette activité.
C'est ainsi que le grand magasin est actuellement isolé de la clientèle
de banlieue par l'absence de parking et par la circulation difficile dans
le centre-ville. Des vides se créent dans la trame des approvisionnements
et des distributions. Se rendre en ville devient une expédition
où le temps du " shopping " est bien court par rapport
à celui que nécessite le déplacement.
A situation nouvelle solution nouvelle
L'évolution de l'acheteur et l'éventail des produits à
vendre conduisent également à la recherche de solutions
mieux adaptées. L'acheteur est plus difficile parce qu'indécis
en raison de la variété toujours plus grande des produits.
Il lui est alors présenté un grand nombre d'articles nécessitant
de grandes superficies de vente. Or les magasins actuels sont coincés
dans la ville, leur extension par acquisition du voisin ne règlera
pas le problème du stationnement et de la circulation.
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plan
de situation d'un centre commercial (le point étoilé).
Les pointillés noirs figurent les grandes agglomérations.
En pointillé couleur, les agglomérations secondaires,
clientes habituelles des premières et à dévier
sur le centre commercial. En gros trait noir, les grandes voies
routières. Les lignes concentriques sont des tracés
" isochrones "reliant les lieux à égaie
distance du centre. (Egale distance signifie ici même
temps à employer pour y accéder).
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D'autre part, les banlieues grandissent et fractionnent
inégalement le territoire : il faut, de toute nécessité
les organiser.Notre problème en Algérie a eu des précédents
en Europe et aux Etats-Unis.- A Rotterdam, des centres de magasins et
de grands magasins ont été installés (l'un d'eux
à proximité immédiate de la gare est exclusivement
fréquenté par les piétons).- En Suède, de
nombreuses localisations ont favorisé l'équipement commercial
des extensions urbaines. En Finlande et en Norvège, la nécessité
de centres commerciaux suburbains s'est manifestée dans les agglomérations.Aux
États-Unis: le mouvement a pris de l'ampleur avec des moyens
difficilement comparables avec nos possibilités européennes.
Il convient toutefois de préciser que la gravité du problème
était très aiguë pour les grandes villes américaines
où la forme et la fonction ont trouvé, pour les bureaux
seulement, leurs solutions dans le gratte-ciel. Le commerce et ses besoins
d'étalages ne pouvaient résister à la maille urbaine,
il fallait plus d'espace pour répondre aux besoins des banlieues.
Ainsi se développa le phénomène des super-market
et des shopping-center.
Dans les zones extra-urbaines, des points caractéristiques furent
relevés par tracés isochrones qui définirent les
lieux favorables aux implantations commerciales.
Plus de 20.000 super market (ou super-marchés) fonctionnent aux
États-Unis, ils vendent en libre-service tous les articles de
l'épicerie, de la boucherie, des légumes, des produits
laitiers et toute la gamme des produits congelés. Le super-market
est aménagé dans un grand hall largement disposé
et toujours équipé d'un important parking.
Le shopping-center est le centre commercial par excellence, il permet
toutes sortes d'achats et même les visites au teinturier et au
blanchisseur.
Il englobe en général une assez vaste zone, à proximité
mais en dehors des agglomérations particulièrement denses.
Il est en outre toujours situé aux abords de carrefours routiers
importants, qu'un jeu de bretelles relie aux parkings qui l'entourent,
facilitant au maximum circulation et garage à l'acheteur motorisé.
Les véhicules n'ont pas accès à l'intérieur
du Centre. Les acheteurs disposent ainsi d'appréciables avantages:
- circulation aisée
- exposition possible de toute une gamme de marchandises, grâce
aux grandes superficies d'étalage,
- transport facile des achats aux véhicules garés, par
d'ingénieux systèmes de chariots.
Un shopping-Center est composé de nombreux magasins qui sont
les succursales des chaînes de distribution des drus-stores, de
super-market et de bien d'autres organismes de vente dont les plus importants
se trouvent presque toujours à la base de l'entre-prise, tels
le Grand Magasin Macy's au shopping Center de Valley-Fair et San José
en Californie et Hudson's au Nortland Center de Detroit.
Nous connaissons bien ce dernier qui occupe 60 hectares avec 80 magasins,
4 restaurants, une grande variété
de commerces et un parking d'une capacité totale de 12.000 véhicules
; il est desservi par trois autoroutes et se situe dans la banlieue
Nord de Detroit.
La circulation dans ce centre est essentiellement réservée
au piéton. Ce centre fut le premier du genre, suivi par l'Eastland
center, dû à la même initiative. Celui-ci occupe
42 hectares avec un parking de 8.000 véhicules pour le service
d'une région groupant 400.000 habitants.
Les Etats-Unis disposent actuellement de plus de 3.000 shopping-center
dont les superficies sont variables.
Une synthèse du système américain dans le domaine
de la distribution nous a conduit à définir le rapport
statistique : clientèle-terrain. Un Shopping-center est viable
à partir de 5.000 clients ; une superficie de 4 hectares est
alors nécessaire pour 4 à 6 magasins de libre-service
et une dizaine de magasins d'équipement et d'habillement. Pour
20.000 clients, il faut 10 hectares et pour 50.000 clients 15 et 20
hectares.
Le Shopping-Center n'est sans doute pas la formule-miracle pour décongestionner
les grandes villes d'Algérie. Il nous semble toutefois que, en
ce qui concerne Alger. trois implantations seraient susceptibles d'améliorer
les courants de circulation en provoquant une modification des contacts
par une plus large diffusion des produits dans les zones rurales et
les banlieues.
En Métropole, des centres commerciaux
commencent à se créer
En haut : répartition possible dans la
zone algéroise de futurs centres commerciaux (étoiles)
avec leur zone d'influence respective (figurées en couleur).
En bas : ce schéma de la région algéroise
représente : en noir, 1 hypertrophie provoquée
par l'afflux dans une même direction des acheteurs vers
le centre d'intérêts d'Alger, grossissant avec
les agglomérations rencontrées. En couleur : les
centres commerciaux (étoiles) convenablement étudiés,
drainent les ruraux, dégageant Alger.
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La Métropole a déclenché un premier
mouvement dans la région parisienne où 16 Centres commerciaux
ont été projetés dont certains sont déjà
réalisés (Rueil, Nanterre). En Algérie l'ère
nouvelle de l'équipement et de l'industrialisation soulèvera
une multitude de problèmes au nombre desquels celui du ravitaillement
tiendra une place égale à du logement.
Les villes d'Algérie auront, dans un proche avenir, la très
lourde charge d'assurer les nouvelles distributions des banlieues qu'elles
grignotent progressivement, le commerce de quartier restera insuffisant
et les dessertes inextensibles. Une décentralisation des grands
magasins sera alors nécessaire, ainsi que la formation de groupements
pour certaines catégories de détaillants.
Pour nous, l'expérience américaine est à noter
; elle n'est pas à copier, le mode et les conditions de vie sont
trop différents. Mais le nombre peut devenir bientôt le
facteur commun de nos consommateurs ; nous devons y songer en nous adaptant.
Nous adapter, c'est aussi tirer la leçon de ce qui est fait.
Pourquoi ne pas envisager les différentes conséquences
dues à l'intervention de la décentralisation de la fonction
commerciale, ce qui n'a rien de commun avec la décentralisation
du commerce ; c'est en effet un dédoublement et non pas un déplacement
qu'il convient de provoquer.
L'expérience et la technicité commerciales seraient ainsi
mises à la disposition du musulman rural qui n'a jamais encore
envisagé de faire du lèche-vitrine rue d'Isly ou rue Michelet
; cette expérience et cette technicité favoriseraient
par leurs effets, l'évolution du marchand musulman qui pourra
présenter une nouvelle gamme de produits introduisant l'équipement
moderne dans le mode de vie des populations agricoles.
Sans être traités sur le thème de Roosevelt Field,
shopping-center de New-York, nos centres commerciaux pourraient rappeler
le souk moderne, équipé, guidé, permettant une
amélioration du contact humain des échanges par une cohabitation
des deux communautés.
Dans les villes, la décentralisation de la fonction commerciale
apporterait un assainissement de la circulation urbaine, une décongestion
des stationnements et une limitation des besoins de stockage et d'approvisionnement.
En un mot l'activité serait celle d'une ville grande ou petite,
nais activité proportionnée au rythme et à la fonction
de l'agglomération
La zone rurale constitue un important appoint dans la masse clientèle
des villes. Le commerce doit aller à la rencontre de cette clientèle
et ne pas attendre que celle-ci se manifeste en engorgeant la ville.
Provoquer des besoins est peut-être plus aisé que d'établir
les moyens pratiques de les satisfaire commodément ; le centre
commercial peut rétablir l'équilibre.
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