-Alger
1.-Maisons mauresques
L'Afrique du Nord illustrée 23-8-1930 - Transmis par Francis Rambert

Maisons mauresques.

Elles ont déjà prêté à une littérature si abondante et précise que d'elles on peut affirmer que tout est dit depuis qu'il est des professeurs d'art musulman et des architectes. Depuis bientôt cent ans, en effet, ceux-là en ont traité de façon complète, durant des milliers de pages discutant du plan et de la décoration, de la squifa et du patio, de la galerie et des colonnades, de la céramique et de l'épigraphie, de la boiserie et de l'arabesque. A la suite des érudits, des hommes de métier et des écrivains spécialisés dans les rappels de l'histoire et la recherche des analogies, touristes, peintres, artistes et amateurs s'en firent motif et en prirent prétexte pour faire valoir leurs talents.

On se gardera bien d'abonder dans ce sens et d'ajouter aux recherches savantes sur l'art et le style, les rapports qu'il peut y avoir entre ces quelques aimables maisons et la construction telle qu'elle fut pratiquée dans l'ancienne Égypte, la Grèce ou les terres méditerranéennes où Rome étala sa puissance. Donc pas de savantes discussions sur les origines, quand à l'influence 'manifeste de la Perse, de Byzance et de latinité, par des dissertations sur tout cela qui fut expliqué si bien et depuis si longtemps, mais quelques mots, l'évocation rapide de cette splendeur que dessinent sous le ciel bleu, au cœur de leurs jardins de sombre verdure, les maisons mauresques vieilles ou neuves, d'origine ou adaptées, mauresques réellement ou mauresques par l'apparence qui décorent comme autant de palais de rêve et d'enchantement la campagne d'Alger.

C'est le matin ; le ciel est bleu, l'air doré, la mer comme une plaque d'argent qui miroite au soleil. Des fumées bleues estompent les lointains. Parti droit devant vous pour le seul plaisir de la promenade et la tête tout à fait lavée de ce qui pourrait être des idées d'architecte ou d'archéologue vous avez laissé derrière vous la ville française, ses avenues droites sillonnées d'autos et de tramways. Vers El-Biar ou la Bouzaréa vous avez pris quelques tortueux chemin romain pavé de cailloux bleus et ombragé de vieux oliviers. De ces chemins, il en reste encore quelques-uns. Et vous élevant, quand vous avez quitté la campagne suburbaine, ses maisons de rapport, ses garages, ses lignes de tramways, au détour d'un talus, à travers une barrière à claire-voie, votre œil aura la surprise de découvrir tout à coup, au milieu d'un jardin planté de figuiers, de hauts cyprès et de pins parasols, un cube de maçonnerie blanche tendue parfois de bougainvilliers et trouée de portes basses et de fenêtres grillagées. C'est frais, charmant, simple, d'une quiétude infinie : maison de repos, maison de silence, de rêverie où vivre d'une vie contemplative. Des pièces d'eau, des allées, des cours ombragées de platanes ou de treilles, des perrons encorbellés de plantes grimpantes. Campagne charmante toute sonore du bruit des norias et des chansons de l'eau qui court dans les rigoles en chicane, beaux arbres, nobles lignes simples et plans bien composés.

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oct. 2021

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-Maison mauresque

-Maison mauresqueMaisons Mauresques

Elles ont déjà prêté à une littérature si abondante et précise que d'elles on peut affirmer que tout est dit depuis qu'il est des professeurs d'art musulman et des architectes. Depuis bientôt cent ans, en effet, ceux-là en ont traité de façon complète, durant des milliers de pages discutant du plan et de la décoration, de la squifa et du patio, de la galerie et des colonnades, de la céramique et de l'épigraphie, de la boiserie et de l'arabesque. A la suite des érudits, des hommes de métier et des écrivains spécialisés dans les rappels de l'histoire et la recherche des analogies, touristes, peintres, artistes et amateurs s'en firent motif et en prirent prétexte pour faire valoir leurs talents.
On se gardera bien d'abonder dans ce sens et d'ajouter aux recherches savantes sur l'art et le style, les rapports qu'il peut y avoir entre ces quelques aimables maisons et la construction telle qu'elle fut pratiquée dans l'ancienne Égypte, la Grèce ou les terres méditerranéennes où Rome étala sa puissance. Donc pas de savantes discussions sur les origines, quand à l'influence 'manifeste de la Perse, de Byzance et de latinité, par des dissertations sur tout cela qui fut expliqué si bien et depuis si longtemps, mais quelques mots, l'évocation rapide de cette splendeur que dessinent sous le ciel bleu, au cœur de leurs jardins de sombre verdure, les maisons mauresques vieilles ou neuves, d'origine ou adaptées, mauresques réellement ou mauresques par l'apparence qui décorent comme autant de palais de rêve et d'enchantement la campagne d'Alger.
C'est le matin ; le ciel est bleu, l'air doré, la mer comme une plaque d'argent qui miroite au soleil. Des fumées bleues estompent les lointains. Parti droit devant vous pour le seul plaisir de la promenade et la tête tout à fait lavée de ce qui pourrait être des idées d'architecte ou d'archéologue vous avez laissé derrière vous la ville française, ses avenues droites sillonnées d'autos et de tramways. Vers El-Biar ou la Bouzaréa vous avez pris quelques tortueux chemin romain pavé de cailloux bleus et ombragé de vieux oliviers. De ces chemins, il en reste encore quelques-uns. Et vous élevant, quand vous avez quitté la campagne suburbaine, ses maisons de rapport, ses garages, ses lignes de tramways, au détour d'un talus, à travers une barrière à claire-voie, votre œil aura la surprise de découvrir tout à coup, au milieu d'un jardin planté de figuiers, de hauts cyprès et de pins parasols, un cube de maçonnerie blanche tendue parfois de bougainvilliers et trouée de portes basses et de fenêtres grillagées. C'est frais, charmant, simple, d'une quiétude infinie : maison de repos, maison de silence, de rêverie où vivre d'une vie contemplative. Des pièces d'eau, des allées, des cours ombragées de platanes ou de treilles, des perrons encorbellés de plantes grimpantes. Campagne charmante toute sonore du bruit des norias et des chansons de l'eau qui court dans les rigoles en chicane, beaux arbres, nobles lignes simples et plans bien composés.
Où que vous entriez, villa authentique de raïs barbaresque, seigneuriale habitation de haut fonctionnaire turc ou villa moderne, avec le confort en plus, n'ayant que l'apparence des maisons algériennes de l'époque turque, l'accueil sera partout charmant, l'impression heureuse et prenante.
D'abord le jardin ombreux, les treilles, le silence des allées sablées plantées de cyprès en guirlandes de roses, les sycomores, les platanes où pépient des oiseaux. Puis des auvents, la porte, le vestibule avec des recoins et des niches, où sont des banquettes de marbre, puis l'intimité du patio où chantonne une fontaine dans sa vasque de marbre ou bien un jet d'eau. Cette cour intérieure est rectangulaire ou carrée. Autour se rangent des portiques, des arcades, des arcs soutenus par des colonnades de style divers et formant galeries. Le patio est découvert et s'ouvre sur le ciel, le sol en est de marbre, et au rez-de-chaussée comme au premier étage c'est sur lui que prennent jour et s'aèrent les pièces d'habitation. Il y fait frais, aux heures chaudes de la journée en tendant un vélum par dessus. Les bruits du monde extérieur n'y parvenaient point et là s'écoulait jadis la vie intime.
Dans les maisons de style vraiment mauresque, les pièces sont étroites et longues éclairées de fenêtres très étroites à cause de la chaleur et des mouches et parce que le bois d'œuvre faisant le plus souvent défaut, on ne pouvait donner à ces chambres que la largeur des rondins de thuya et des solives qui soutenaient le plafond. Certaines sont voûtées de coupoles et la plupart sont en forme de T, avec des recoins formant alcôve.
On en sait l'ameublement, hauts lits à baldaquins, divans, tapis, tentures et tables basses. Des armoires, des coffres peinturlurés, des pendules de style Empire ou Louis Philippard, des suspensions habillées de gaze, des verroteries et des bouquets de fleurs artificielles. Dans les riches demeures des bourgeois français, des ameublements appropriés et des adaptations décoratives du plus heureux effet. Des plafonds, des fontaines, des plâtres ajourés, des céramiques, des vitraux. Dans les maisons mauresques aménagées, construites avec les matériaux modernes et des poutres de portée, la disposition habituelle des logis européens, chambres communicantes, salons, salle à manger, escaliers de marbre et toutes les commodités dont ne saurait plus se passer un civilisé du XXème siècle.
Dans la vraie maison mauresque, des murs très épais de pisé, mélange de terre, de chaux grasse, de pierres et de briques ; l'obscurité, une pénombre humide propice à généraliser le rhumatisme. Et par dessus, les terrasses emmagasinant la chaleur au point qu'on a pu dire qu'elles étaient des plaques à gratiner.
Telle que, avec tout ce qu'elle a pu présenter d'incommode, de méfiant et de rébarbatif au temps des Barbaresques, la maison mauresque demeure le type d'habitation le plus seyant, le plus conforme à la ligne générale et le mieux approprié au climat africain. Toutes les anciennes maisons, palais, demeures des hauts fonctionnaires ou villas privées passées aux mains de la riche et élégante colonie étrangère ont toutes été transformées intérieurement selon les nécessités imposées par le goût moderne. L'adaptation ne va du reste pas sans frais très élevés et ne peut être mise en pratique que par des gens très riches, amateurs d'art et dilettantes fortunés. Mais on peut en faire l'application la plus heureuse aux constructions neuves à la condition qu'elles soient entourées de l'espace nécessaire, des arbres, des verdures et des fleurs indispensables.
Beaucoup de ces pastiches sont parfaitement réussis. Toute notre banlieue est déjà couverte de ces pimpants logis. Le plus souvent ils sont d'un sens artistique indéniable et du meilleur goût. La critique ne les a pourtant point épargnés, dénonçant l'amalgame et le simili. Et cependant c'est à ce type de maisons de campagne et de villas suburbaines qu'on se rallie de plus en plus, non pour le plaisir du pastiche et de l'imitation, mais parce que c'est celui que commande le climat, que réclame le décor et qui impose le caractère sémillant et gracieux de la campagne d'Alger.
Des maisons blanches sous le ciel bleu parmi des arbres noirs...
J. Girod.