LES HABITATIONS A BON MARCHÉ
Au moment même où le Parlement
s'occupe une fois de plus, de la crise du logement, la ville d'Alger
doit être fière de constater que les efforts tentés
par sa Municipalité pour remédier la l'insuffisance des
appartements, n'ont pas été vains et que l'Office public
d'habitations à bon marché a déjà réussi
à réaliser une partie de ce vaste programme que se sont
tracé nos édiles.
Le long du boulevard Malakoff, dans un des quartiers les plus populeux
de notre cité, se sont dressés, ces derniers mois, de
vastes immeubles à cinq étages, à l'architecture
à la fois sobre et plaisante : l'un d'eux, complètement
terminé, contient quarante-cinq logements destinés à
des familles nombreuses qui y trouveront, pour un loyer des plus modiques,
le " ho-me " le plus désirables.
Ces logements construits sous la direction de MM. Richard, architecte
et Lafon, entrepreneurs, sont le premier échelon des vastes travaux
entrepris sous l'égide de l'Office, et, hier matin, M. le Gouverneur
Général Steeg procédai à leur inauguration,
entouré de nombreuses personnalités parmi lesquelles nous
remarquons : MM. Raffi, Aliez, Guastavino, Ch. Aboulker, Morard, Boivin,
Chéau,
Taillard, Ginoux, Rigal, Dr St-Martin, Pasquiet-Bronde, Lovera, Tarting,
Billiard, Boumedine, Kakachi, Hannedouche, Grégori, Dr Lemaire,
Poulalion, Raby, Vautrin, Fuster, Massia, Lepage, etc... etc.
Après la visite des appartements de trois ou quatre pièces,
clairs et modernes, dans une salle du rez-de-chaussée, décorée
fraîchement, au milieu des plans et des maquettes des utures constructions
de l'Of?ce, M. Pasquier-Bronde, adjoint au maire et Président
de l'Office prend la parole.
Après avoir exposé dans quelles conditions s'est créé
l'Of?ce, de quelles ressources il disposait et quel était son
but immédiat " construction d'immeubles à logements
collectifs, destinés à la location simple ", M. Pasquier-Bronde
explique que sur toute l'étendue de l'agglomération algéroise
s'élèveront ces immeubles au Champ de Manuvres,
à Belcourt et à Bab-el-Oued.
Le premier immeuble présenté ã la population algéroise,
dit-il, et qui fait l'objet de l'inauguration d'aujourd'hui possède
trois façades sur rue ; le prix annuel des locations est limité
par la loi elle-même à 910. Le choix des locataires a été
dominé par le souci d'avantager les famille nombreuses : les
enfants qu'abritera la nouvelle cité seront au nombre de 215
pour 45 familles, soit près de
5 enfants par logements.
Un appartement a été mis ã la disposition de la
Goutte de Lait pour l'organisation d'un nouveau service de consultations
de nourrissons et de distribution de lait stérilisé.
Puis, après avoir remercié les différents services
qui se sont employés à favoriser l'essor de l'Office,
M. Pasquier-Bronde rend hommage au personnel administratif et technique
de l'organisme qui a poursuivi avec zèle la tâche obscure
mais si profitable qu'est la construction de logements à bon
marché.
M. Raffi, maire d'Alger, remercie M. Pasquier-Bronde des efforts faits
par lui et par ses collaborateurs dans la " lutte contre le taudis.
"
Vous auriez pu, dit-il, pour économiser les fonds si parcimonieusement
mis à votre disposition, créer la maison banale, la "
caserne " immense où seraient venues s'entasser, pêle-mêle
les familles nombreuses, riches seulement d'enfants. Cela vous ne l'avez
pas voulu. Faisant vôtres les conceptions généreuses
de notre conseiller technique, M. Poulalion, chef de section à
la mairie d'Alger, vous avez créé sur ses conseils et
ses plans, ces quatre immeubles dont la Ville peut à
bon droit s'enorgueillir.
Continuez, Messieurs, votre uvre de mieux-être, de vraie
paix sociale. Poursuivez résolument cette politique de l'habitation
que vous venez si heureusement d'annoncer ; le champ est neuf et une
vaste propagande vous attend.
Au nom de la population d'Alger, et tout particulièrement des
familles. Nombreuses, dont je sais par expérience les difficultés,
j'app1audis à votre réussite, je vous remercie.
M. Steeg prononce ensuite le discours suivant :
Mon cher Président, mon cher Maire, Messieurs,
Comment n'aurais-je pas répondu avec un empressement joyeux à
votre invitation ? Vous ne m'avez pas convié à une manifestation
ostentatoire et oratoire, mais à une constatation. Nous sommes
réunis aujourd'hui non pour parer de la pourpre des mots, le
néant des actes, mais pour enregistrer des résultats.
Ces résultats, je comprends qu'ils vous apportent une vive satisfaction
et une légitime ?erté.
Dira-t-on qu'il n'y a pas lieu de s'enorgueillir de ce groupe de quelques
maisons qui vient d'être édi?é et qu'il ne permet
pas encore de résoudre la rude crise du logement dont souffre
votre grandissante et laborieuse cité ? Sans doute. Mais est-ce
en ne faisant rien qu'on la résoudrait plus vite ? Dira-t-on
que vous vous contentez trop facilement, de trop peu ? Ce reproche n'est
pas de nature à vous émouvoir, car il viendrait vraisemb1ablement
de ceux qui se contentent de rien. D'ailleurs, vous n'êtes pas,
nous ne sommes pas des satisfaits. Nous mesurons la disproportion qu'il
y a entre les besoins impérieux et vastes que nous connaissons
bien et la médiocrité des moyens dont nous disposons.
Ce n'est que dans les nuages que l'on peut construire instantanément
de somptueuses cités. Elles ont l'éclat fragile de l'arc-en-ciel
et elles ne donnent qu'un abri précaire contre le soleil ou contre
la pluie.
Vous plus lentement, mais plus solidement, vous avez bâti sur
la terre. Le laboureur jette de temps à autre un regard derrière
lui pour voir si le sillon qu'il a tracé est profond et droit.
Vous-mêmes, lorsque vous dressez le bilan de votre labeur ce n'est
pas pour vous arrêter, ce n'est pas pour vous reposer, c'est pour
éprouver la fécondité de votre méthode d'action.
L'inauguration à laquelle nous assistons en ce moment ne démontre-t-elle
pas, de la façon la plus saisissante, que vous n'avez pas perdu
votre temps, que vous avez été les exécuteurs tenaces
et ingénieux de la pensée généreuse de la
ville d'Alger ? Vous nous avez exposé votre programme. La première
partie en est déjà accomplie. L'expérience, dès
maintenant, vous apporte le réconfort et l'encouragement du succès.
Vous ferez plus, vous ferez mieux, avec le concours de tous les hommes
de bonne volonté qui apprécient dès maintenant,
la noblesse de votre effort, les obstacles auxquels il se heurte.
Certes, vous vous êtes placés en face de cette crise du
logement dont chacun parle, qui provoque au Parlement et dans les tribunaux
une législation et une jurisprudence sans cesse renouvelées
qui dresse les uns contre les autres, propriétaires et locataires,
dont les intérêts contraires sont parfois également
respectables. Vous y apportez une atténuation par l'accroissement
du nombre des logements pour familles nombreuses.
Mais, je le sais, votre attention s'est pointée d'abord vers
ceux qui étaient les plus dignes d'une sympathie agissante, vers
ceux qui supportent les charges les plus lourdes, vers ceux qui assurent,
au prix de sacrifices continus, la persistance de la société.
Les familles nombreuses sont celles qui ont le plus besoin de place
et ce sont elles qui en trouvent le plus malaisément. Cette difficulté
ne date pas de la guerre, elle ne date pas des désordres économiques
qui l'ont suivis. Avant la guerre déjà, dans les faubourgs
des grandes villes, c'était une plaie et une honte que le logis
exigu sans air sans lumière où s'entassaient le père,
la mère, les filles, les garçons. Le taudis a toujours
été pourvoyeur d'alcoolisme, de tuberculose, de vice.
Tout naturellement, il chasse vers les distractions abrutissantes et
redoutables du cabaret l'homme et parfois la femme. Il pousse naturellement
les enfants a la rue, dont les spectacles équivoques exaspèrent
précocement les instincts les plus pernicieux. Dans le taudis,
la promiscuité abjecte abolit toute pudeur ; dans le taudis,
la maladie se multiplie par la contagion, la famille se dégrade,
la vigueur physique, l'énergie morale, tout cela ,s'étiole
et au milieu d'hommes et de femmes sains, honnêtes, utiles, le
taudis apporte la société des individus qui sont pour
elle une charge, une humiliation, un péril.
Mon cher Président, mon cher Maire, vous m'avez demandé
mon concours : il ne vous manquera pas.
Le problème qui vous préoccupe a été, pour
le représentant de l'immense agglomération parisienne
que j'ai l'honneur d'être, un sujet d'obsédant et angoissant
souci. Il y là des maux si anciens, si profonds, que quelques-uns
les jugent inévitables et ils voient la rançon, pour ainsi
dire, de la vie collective. Non, non! nous ne pouvons pas accepter qu'il
y ait des maux nécessaires, et ni vous, ni moi ne nous abandonnerons
à une résignation d'égoïsme et de paresse.
Comment ! La science d'un Pasteur a pu faire reculer les maladies les
plus redoutables, et l'énergie continue, vaillante, désintéressée
d'hommes réfléchis et ardents ne pourrait pas opposer
une résistance victorieuse à certains ?éaux. Ces
maux, certes, nous voulons les guérir, mais n'est-il pas plus
facile, plus économique de les prévenir?
Les sacri?ces que nous consentirons pour les habitations des familles
nombreuses se traduiront par des réductions de dépenses
de l'Assistance publique et de l'administration pénitentiaire.
Ce que nous accorderons au logis ouvrier, nous le gagnerons sur le bureau
de bienfaisance, sur l'hôpital, sur la prison.
Un logis clair et joyeux, où la famille a hâte de se trouver
réunie, où le garçon, la ?llette, au retour de
l'école, trouvent une table propre sur laquelle ils placent leurs
cahiers, leurs livres, pour étudier leurs leçons, faire
leurs devoirs, accroîtra le rendement de notre uvre scolaire.
Cela ne permet-il pas l'ascension des enfants du peuple vers un savoir
plus précis, un gagne-pain mieux assuré, une moralité
plus haute? Le logis clair, le logis joyeux inspire la propreté
du corps, celle de l'âme aussi ; il donne à l'enfant le
goût de l'ordre, de l'ordre dans la demeure qu'il habite, peut-être
aussi dans la cité à laquelle il appartient. On dit que
" l'habit ne fait pas le moine ". Il est certain qu'il ne
suf?t pas d'être bien logé pour se bien conduire mais ce
serait véritablement un miracle que la vertu puisse fleurir dans
un bouge.
L'uvre à laquelle l'Of?ce Municipal des habitations à
bon marché de la Ville d'Alger, son actif Conseil d'administration,
son distingué président, M. Pasquier-Bronde, ,consacrent
tant de zèle désintéressé, est si haute,
elle offre pour l'avenir même de la Nation une importance si décisive
qu'elle doit être continuée, complétée. M.
le Maire nous rappelait, il y a un_instant, l'activité
précieuse des Sociétés privées qui assurent
à leurs membres la propriété de leur maison.
Cela ne suf?t pas encore. L'accomplissement d'une tâche semblable
ne saurait être abandonné aux seules initiatives privées,
si dignes qu'elles soient d'admiration et de gratitude. Il y faut la
collaboration de la commune, il y faut la collaboration de l'État.
Celle du gouverneur général ne vous fera pas défaut
: je vous l'ai accordée, bien modestement dans la limite, hélas
des ressources dont je disposais. Ces ressources, je ferai tout ce qui
dépendra de moi pour les accroître. Croyez-le bien, autant
que vous je souffre de leur insuf?sance : ce serait pour
moi une telle joie de pouvoir travailler utilement à la réalisation
de votre programme, programme de générosité française,
programme de progrès démocratique !
N'est il pas naturel que, par lui et pour lui, nous soyons tous, Messieurs,
étroitement unis ? (Applaudissements unanimes.)
Et vivement intéressés, les invités se sont retirés,
espérant voir sous peu se réaliser le magnifique programme
de l'Office des logements à bon marché.